N° 106
Mai

http://piednoir.net

Les Bords de la SEYBOUSE à HIPPONE
1er Mai 2011
jean-pierre.bartolini@wanadoo.fr
http://www.seybouse.info/
LA SEYBOUSE
La petite Gazette de BÔNE la COQUETTE
Le site des Bônois en particulier et des Pieds-Noirs en Général
l'histoire de ce journal racontée par Louis ARNAUD
se trouve dans la page: La Seybouse,
Cet Ecusson de Bône a été généreusement offert au site de Bône par M. Bonemaint
Les derniers Numéros : 98, 99, 100, 101,102, 103,104, 105,
  Lawrence d’Arabie  
Par : ???
        EDITO

   LE 1er MAI   

    Chers Amis,

    A Bône et en Algérie, c'était l'époque des premières sorties, les jeunes filles et jeunes femmes faisaient assaut d'élégance.
    C'est à qui avait la toilette la plus nouvelle, la plus seyante. Les rues sombres d'hiver qui s'étaient éclaircies avec l'arrivée du printemps, s'illuminaient au passage de la gent féminine coquette et parée, trottant d'une rue à l'autre. C'était un va et vient harmonieux, une chaleur qui descendait des fenêtres richement éclairées, rayonnant dans le beau jour du mois de mai.
    Dans les salons les plus fréquentés de notre coquette ville, les toilettes ravissantes en drap de velours rouge, bleu, vert, etc... Les corsages formés de boléros arrondis se superposant l'un au dessus de l'autre en velours noir ou de crans découpés et pointillés de petits boutons faits à la main. Ces boléros courts découvraient des chemisettes plissées en mousseline de soie liberty crème sur transparent de satin crème. Les jupes de forme tunique, formant deux volants crantés et garnis de petits boutons de velours noir ou de couleur, donnant à la jupe l'ampleur voulue en laissant le haut collant. Tout cela était d'un effet très gracieux et envoûtant comme le parfum du muguet.

    Le joli mai sur le port, les bônois regardaient vers la mer ou vers la montagne. Les vergers fleurissaient, les pétales tombés des cerisiers de mai ressemblaient aux ongles nacrés de celles qui étaient aimées et les pétales flétris étaient comme les paupières des délaissées.

    Sur le chemin du bord de la Seybouse, des animaux regardaient au loin les ruines d'Hippone parées de lierre, de vigne vierge, d'aubépine et de jujubiers. Sous des averses de lumière, les arbres chantaient dans les vergers. Le vent du sud secouait sur le bord les osiers, les roseaux jaseurs et les fleurs naissantes des vignes.

    Telles des cloches naïves, les fleurs du muguet carillonnent pour annoncer le dicton : " Au mois de Mai, fait ce qui te plait ".
    Au 1er mai, le muguet de mai appelé aussi clochette des bois, est une plante ornementale vivace, qu'on s'offre traditionnellement. Le muguet symbolise le bonheur et la joie pour la saison à venir, voire pour l'année. Sa délicatesse, son délicieux parfum et sa fraîcheur symbolisent l'admiration de la beauté de celui qui l'offre à la personne qui le reçoit.
    C'est la fleur du printemps, la fleur de l'amitié venue des temps lointains et conquise par l'histoire de l'humanité, cueillie dans les champs, les prés ou les forêts.

    Voici pour vous la fleur du printemps, quelques brins de Muguet dans ce panier que je vous offre volontiers par la pensée et le cœur pour qu'il vous porte bonheur à vous, à votre famille et à tous les amis, Son destin sera entre vos mains en ce jour du 1er mai pour combler tous vos désirs sur ces longs chemins. C'est bien peu mais c'est avec mon cœur et bien sincèrement que je vous tends ce bouquet parfumé, quelques brins de douceur, quelques brins de bonheur pour apporter la chance et la joie!!!!
    En guise d'ornement, je vous offre ces quelques vers puisés dans " Le Temps du muguet " de Francis Lemarque.


"Il est revenu le temps du muguet
Comme un vieil ami retrouvé
Il est revenu flâner le long des quais
Jusqu'au banc où je t'attendais
Et j'ai vu refleurir
L'éclat de ton sourire
Aujourd'hui plus beau que jamais "

"Le temps du muguet ne dure jamais
Plus longtemps que le mois de mai
Quand tous ses bouquets déjà se sont fanés
Pour nous deux, rien n'aura changé
Aussi belle qu'avant notre chanson d'amour
Chantera comme au premier jour "


Jean Pierre Bartolini          

        Diobône,
        A tchao.


LE MUTILE N° 193, 15 mai 1921

M. AZOULAY Emile - Un poilu
Trésorier-Adjoint de l’Union « Les Mutilés » d’Oran

        Le département d'Oran, tout comme les autres départements algériens du reste a fourni son contingent de modestes héros durant la tragédie de 1914-1919.

        Il a beaucoup contribué par le grand nombre de ses enfants qui s'y sont immortalisés à rehausser le prestige de l'Armée d’Afrique et à ajouter quelques belles pages de plus à celles déjà si nombreuses de la vaillante armée française, la plus belle et la première entre toutes pour son indomptable courage et sa légendaire furia.
        Au risque de nous laisser aller à des redites, nous sommes fiers de la bonne opinion que notre attitude, notre mordant au feu, a méritée.
        Sur le front français, en Belgique, en Orient et partout ou il a fallu vaincre ou mourir, des tombes d'algériens attestent que les enfants de la nouvelle France ont fait tout leur devoir et sont tombés, à la française, face à l’ennemi pour que La Mère-Patrie ne connut pas la tyrannie d'un vainqueur qui eut été impitoyable.

        Nos ennemis d’hier, les vaincus d’aujourd’hui rendent hommage à notre folle hardiesse, au point que tombés dans une embuscade, les notres étant leurs prisonniers, ils les traitaient avec déférence quand après les avoir interrogés, ils apprenaient qu’ils appartenaient à l’armée d'Afrique dont ils paraissaient avoir une crainte respectueuse.
        Cet hommage de nos ennemis est pour nous le plus bel éloge. Nous le retenons volontiers pour le laisser en héritage à nos enfants, afin de leur donner ce courage qui fit l’admiration de nos ennemis et nous donne sur eux une certaine supériorité dès le premier choc.
Dans le grand nombre de ceux qui eurent I’honneur de combattre le boche, nous trouvons le camarade Azoulay Emile dont nous publions aujourd’hui le cliché.
        Né à Oran le 25 décembre 1891, il fut appelé 2 août 1914 au 20° Régiment d’infanterie et rejoignit le 6 août 1914. Blessé à la main gauche le 17 février 1915 à Perthes les Hurlus dans une forte attaque, il fut réformé N°1 le 8 mars 1916 et obtint la Médaille Militaire et la Croix de guerre avec palme pour sa belle attitude au feu.

        Il est membre du Conseil d’administration de l’Union "Les Mutilés" d’Oran depuis 1917 en qualité de trésorier et remplit en même temps la délicate fonction de Président de la commission de secours à la satisfaction de tous ses camarades.
        « Le Mutilé » et ses nombreux amis lui adressent leurs meilleurs sentiments de cordiale sympathie.

“LE MUTILE” 15 Mai 1921
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CONTE EN SABIR
Par Kaddour

RIEN N'EST SACRE, POUR UN SAPEUR
[chanson du répertoire Thérésa]

             Qu'one pauvre sarvante, ji souis d'masiron
             Por fir avic mon sentiment
             Y qu' ji souis d' mal por satisféron
             L'objet di mi assentiments,
             Sans qu'il y en a disagriment (bis)
             Tian bas blous tard qui mantenant mime
             Ji souis fictime di mon cor - or
             Malgri qui ji souis dans l'carime (bis)
             J'en a l'caprice d'on taraillor.

             Tot a I'hor ji souis la vésiton
             Di ciloui qui j' dis mon cosin
             Y comme ti pense ji l'enviton
             Ti prend quiqu' soge on verre di vin
             Quand mime qui c'est di Chambertain (bis)
             Y m' di comme ti fi marville
             J'ti zop' tempère citon faveur
             Y puis y m'liche cinq six boutille (bis)
             Qu'iI gran solar cit taraillor.

             Ma comme il avi Io van tendron
             Par force y vodra m'embraser
             Ji crois qui vodra me le prendron
             Afin qu' j'i souis dibarrassé
             J' t'en fiche y voudra r'commencer (bis)
             Ji dois sobir, la ricommence
             Ah ! Ah ! Mon Dio, qu'il grand malhor
             Ji beau loui dire l'borgeois qu'arrive (bis)
             Qu'il gran canail cit taraillor..

             Ma c' qui rend cit chose bian fachose,
             Ci qu' Mosiou qui ri pas tojor
             Y s' mit dans one colire affrose
             Y puis y ma donné huit jor,
             Ci comme ça qu' ça fini tojor (bis)
             Ti n'an a pas bisoin d'one bonne
             J' ti fi l'affir, parole d'honor.
             Car jami ji souis plou barsonne, (bis)
             Jami ji voir cit taraillor.


 

AVENIR DE L'EST
Extraits des chroniques
du Journal de Bône, Constantine, Guelma
Source BNF       02/02/1901
REVUE DE PRESSE

           Des Nouvelles qui ne désespèrent pas de voir une ère de paix s'ouvrir bientôt pour la Colonie.
           " Quelqu'un nous disait un jour :
           Vous n'obtiendrez rien en prêchant la paix, la concorde, l'harmonie des intelligences et des volontés : ce qu'il faut ici, c'est une parole de haine et de combat ; la violence sera toujours plus goûtée des Algériens que la raison. "
           Nous persistons à croire le contraire.
           Notre espérance n'est pas dans le passé ; elle est dans l'avenir dans la volonté de réaliser plus de bien-être et plus de bonheur parmi les hommes.
           Ne nous sommes nous pas bien placés, ici, pour réaliser ce rêve ?
           La voie active et progressive de l'Algérie débute, est assez large pour que chacun puisse y donner la mesure de ses forces sans s'inquiéter du voisin. Notre soleil est assez riche pour que tout le monde y ait place."

           Du REVEIL DE MASCARA, sur l'autonomie de l'Algérie :
           - L'Algérie ne prospère pas.
           - L'Algérie est un pays neuf, sans industrie, vivant de l'importation et, presque à part ses vins, sans exportation.
           - L'Algérie est donc incapable d'avoir une existence propre, son autonomie en un mot, car elle est incapable de se subvenir à elle-même.


           Voilà les griefs, les raisons invoquées, jusqu'à ces derniers temps pour priver les Algériens du régime nouveau qui va enfin permettre à la colonie de prendre un essor sérieux et de devenir personne civile.

           C'est vrai, l'Algérie n'avait pas connu un régime de prospérité jusqu'à ces derniers temps.

           Terre à galons avant d'être pays dé colonisation notre Afrique du nord est restée longtemps l'apanage de l'administration militaire. Avec elle, elle a vécu mais n'a guère prospéré, avec l'administration civile qui lui a succédée, elle a plus mal fait encore, elle a périclité.

           M. Laferriére, en créant les délégations financières, a commencé à satisfaire aux légitimes désirs des Algériens ; le budget spécial est une seconde et juste satisfaction donnée à la colonie. Il appartient et nous espérons qu'il ne faillira pas à sa tâche, à M. Jonnart de continuer l'œuvre de bien, de laisser s'étendre et de faciliter même l'extension de l'ère nouvelle de prospérité qui s'ouvre sur l'Algérie, "

VIVE LE VIN
Vive le vin s'il est sincère et pur de fraude,
Vive le vin fécond, généreux, fier, ardent !
Mais mort au triste alcool, opium d'occident,
Au breuvage où la mort insidieuse rôde.

Au poison multiforme, étrange, capiteux,
Dont tour à tour l'ivresse est brutale ou féline,
Au trois-six qui terrasse, à l'absinthe opaline,
Qui détruit les cerveaux en délectant les yeux !

?o?-?o?-?o?-?o?



  LA CAROUBE : LE 15 AOUT 
par M. Charles Ciantar
LA CAROUBE : LE 15 AOUT


Pour la Sainte Marie sortie en mer sur les bateaux des pêcheurs qui soufflaient dans des conques (Gros escargot de mer)

Le 15 Août, il était de tradition, pour les familles Bônoises de venir passer la journée à la Caroube. Chacun y arrivait avec un panier de provisions pour le repas.
Certains arrivaient avec les cars Nuncy jusqu’au terminus « Chapuis » et venaient à pied à la Caroube.


Chapuis Terminus cars Nuncy

Bien souvent ces personnes ignoraient qu’il ne fallait pas se baigner de suite après le repas. D’autres ne savaient pas que dans les talus d’algues, où l’on avait pied, il y avait des trous profonds et assez larges ce qui faisait que l’on perdait pied subitement.
Bien sûr, ce jour là, il y avait beaucoup d’accidents d’hydrocution et de noyades.
Ce qui faisait dire aux pêcheurs et aux habitants de la Plage Fabre que cette journée, avait la « schoumoune » ou le « mauvais œil ». Et nous n’osions pas nous baigner ce jour là.


Photo G. Fois

LES GROUPES


Photo JC Stella

Debout : Mme Carmelle Papagno
De G à D : Assis - Jacques Stella, Joseph Papagno, Jean Pétroni
J. Claude Stella, Nicole Pétroni, A. Marie Stella
Guy Colandréa et Gérard Stella,

            
Photos G. Fois
Debout : Claude Constanzo, Claudine Maldonado,
Christiane Zammit, Aline Portelli, Alain Zammit, Gilbert Fois
Assises  : Jacqueline Guillemin et Yvette Portelli



Photo G. Fois
On reconnaît dans ce groupe Alain Zammit, Christiane Zammit, ? ,
Aline Portelli, Yvette Portelli… ???……

                   
Photos G. Fois
    Jacqueline Guillemin              Jacqueline Guillemin, Claude Constanzo
                                                  et Claudine Maldonado.

         
Elisabeth JARDINO et Anne Marie STELLA                       Yves LUCAS               

4 Photos JC Stella

                                                               
de G à D : Chantal Melis, Vincent Stella,               Elisabeth Jardino, Anne A.M Stella,
et  Marc Dimech                                                         Marie ?,                        
Jeannine Grima, et Christiane Melis.                                                                             


de G à D : Debout :
Salvator Messina, Alain Bussetta,

Accroupis :
Charles Ciantar, Jean Pierre Briand, Jean Claude Avignone, Jocelyne ?, ? ; Spitéri, Christian Annonciata

Assis :
Gilbert Baffet, Jean Pierre >Portelli, Christiane  Di Mayo, Jean Claude Zigliara




Devant le cabanon Ciantar 

Debout : Charles Ciantar, Y. Portelli, Gilbert Fois

Assis sur la fameuse bouée Ciantar et Xiberras  : Pierre Fadda,  ?,

Judicelli ?,  ?, ?, A Portelli










Photo Jean Claude STELLA
Pèlerinage à la vierge Noire pour la fin des vacances

Groupe qui rentrait de la vierge Noire sur la route du cap.

De G à D  : Assis  : JC Stella, Anne-Marie Stella, Guy Colandréa, Nicole Pétroni, Jean Pétroni, Gérard Stella et Jacques Stella ?
2ème rangée  : Josée Colandréa épouse Arnaud, Germaine Pétroni épouse Forté, Thérèse Stella, NanouPétroni, Jo Papagno , Mme Colandréa et Vincent Colandréa, son époux.
3ème rangée : Maurice Arnaud, Fanfan Forté, Fernand Pétroni, Carmelle Papagno et Vincent Stella.

         Parfois lorsqu’il n’y avait pas de sortie en mer pour le 15 Août il se faisait un pèlerinage à la vierge noire.

Roger Curmi au Service Militaire


Roger Curmi avec son accordéon faisait danser toute la jeunesse de la Caroube, parfois le 15 Août et bien souvent sous la tonnelle le soir.
« Sous la tonnelle il y avait des séances de cinéma le samedi soir, film parlant de 16 mm projeté sur un grand drap blanc tendu au fond devant la chapelle. Elles étaient organisées par Mr Macéra Vincent (motard de la police qui louait le cabanon Escato près de la chapelle). Les adultes regardaient le film assis sur le siège qu’ils avaient apporté. Les jeunes préféraient le voir, étendu sur le sable, si possible à côté d’une copine. A la fin du spectacle, une quête était organisée pour récolter l’argent nécessaire à la location du film. » Comme me l’a gentiment rappelé mon ami Jean Claude Stella.


A suivre                                                           
Ciantar.charles@wanadoo.fr


 BARAKI - MA MAISON
Envoyé par Joceline MAS

Extrait du livre  « Poèmes des deux rivages »
Suivi de celui « Au gré des flots »

BARAKI

             Ma grand-mère Virginie SOLARINO et   mon grand-père Charles - Antoine BERTRAND dans leur jardin à Baraki, petit village de mon enfance, à une vingtaine de kilomètres d'Alger, en mai 1962, un mois avant notre départ sur les routes de l'exil.

             Comme vous pouvez le constater, leur maison, construite tout au long d'une vie, est bien modeste, ils n'étaient pas des « gros colons » ! Mon grand-père était cheminot.


             Après leur départ précipité, ils sont partis en une demi-heure car le village avait été investi par le FLN, ils égorgeaient tous les européens.

             Une vieille voisine musulmane est venue les prévenir en hurlant : « sauve-toi Lalla ! Sauve-toi ».

             Ils étaient âgés tous les deux, à notre arrivée en France, ils se sont retrouvés dans un petit studio et mon grand-père s'est laissé mourir de chagrin. Il regardait la mer, aussi bleue que ses yeux et il pleurait. Il est décédé trois mois après notre arrivée

         Poème dédié à mes grands-parents et à tous nos grands-parents.

MA MAISON

      J'ai suivi la longue allée
      Qui mène à ma maison.
      Les palmes des palmiers
      Sont sèchent et se défont.
      Au détour du chemin, le puits
      Les grands arbres et la maison.
      Elle est là assoupie,
      De ronces envahie.
      Les volets clos
      Comme des yeux fermés,
      Pendent décrochés.
      Nul bruit dans l'air chaud qui frissonne.
      Au fond du jardin je crois voir
      Mon grand-père cueillant ses oranges.

      Où est la maison de mon enfance ?
      De ses grands yeux, fenêtres ouvertes
      Riante et accueillante avec son rosier
      Dont les roses pompon envahissaient l'entrée.
      Ses parterres de fleurs, fierté de ma grand-mère :
      Jasmin, rosiers, dahlias, bégonias, lys embaumaient
      Et leur parfum suave dans la nuit chaude se dissolvait.
      Sur un tapis de feuilles séchées<
      Mes pas sont feutrés.
      Le puits est à sec<
      Et les eucalyptus ont grandi.
      Mon coeur, soudain, bat plus fort
      Car je viens d'apercevoir
      Le grenadier, arbre sacré,
      Par ma grand-mère vénéré.
      « Tu planteras un grenadier sur ma tombe » disait-elle toujours.
      Car le prophète énonce
      « Que tes mérites soient aussi nombreux que les grains de la grenade. »
      Cet arbre est magnifique couvert de fleurs d'un rouge éclatant,
      Ses petits fruits rouges sont comme des poings fermés
      Et ses fleurs fripées semblent sortir du sommeil.
      Bourdonnent des nuées d'abeilles.
      Sur la pointe des pieds,
      Craignant de réveiller,
      Tout ce monde endormi,
      Je repars le coeur serré. »

Jocelyne MAS
Poète-Ecrivain

Site Internet : http://www.jocelynemas.com


HISTOIRE DES ÉTABLISSEMENTS
ET DU COMMERCE FRANÇAIS
DANS L'AFRIQUE BARBARESQUE
                                    (1560-1793)                                   (N°7)

(Algérie, Tunisie, Tripolitaine, Maroc)
PAR Paul MASSON (1903)
Professeur d'Histoire et de Géographie économique
à l'université D'Aix-Marseille.

DEUXIÈME PARTIE
(1635-1690) LE COMMERCE FRANÇAIS ET
LES GUERRES CONTRE LES BARBARESQUES

CHAPITRE V
LES COMPAGNIES DU BASTION
ET DU CAP NÈGRE (1670-1690)

            Malgré les mauvaises dispositions de la Cour de France à l'égard des Barbaresques et malgré la turbulence des corsaires, toujours peu respectueux des traités de paix, il y eut, de 1670 à 1680, dix ans de calme relatif. Jamais, depuis le commencement du siècle, nos relations n'avaient été moins troublées avec Alger et Tunis.
            Malheureusement, la compagnie Arnaud ne sut pas en profiter pour s'établir solidement dans les Concessions et y faire un grand commerce. Colbert écrivait, le 31 octobre 1670, à l'intendant des galères Arnoul, son homme de confiance en Provence : " Je suis bien aise d'apprendre le bon état auquel est le commerce du Bastion. Examinez bien si la Compagnie a fait cet établissement ainsi qu'elle y est obligée. " Il ne devait pas avoir lieu longtemps de se féliciter de la situation. Par leurs désunions et leurs brouilles, les associés semblèrent prendre à tâche de donner prétexte aux avanies des Algériens et de ruiner auprès d'eux le prestige du nom français. D'Arvieux, qui fut envoyé comme consul à Alger, en 1674, avec la mission spéciale de faire cesser les intrigues et de rétablir l'union, nous a laissé de longs détails sur ces discordes. Cette partie de ses Mémoires (1) constitue un document précieux, car il nous fait toucher du doigt l'une des causes principales des échecs successifs des compagnies du Bastion.

            Arnaud avait obtenu pour lui personnellement la concession du Bastion ; fort de l'amitié des Puissances, il voulut sans doute se conduire en maître et les autres directeurs de la Compagnie, particulièrement le lyonnais de la Font, établi comme directeur à Marseille, jaloux et mécontents, cherchèrent à se débarrasser de lui. Peut-être les rivalités furent-elles causées ou surexcitées par l'origine différente des associés : les Marseillais, avec Arnaud, remplissaient les comptoirs et avaient la direction effective des affaires ; les principaux associés, étrangers à Marseille, avaient fourni les fonds et ne jouaient qu'un rôle subordonné ; ils voulurent supplanter les Marseillais. On vit, presque en même temps, des rivalités du même ordre parmi les actionnaires des Compagnies du Levant, et, plus tard, elles devaient se renouveler entre les actionnaires parisiens et marseillais de la Compagnie royale d'Afrique.

            Quoi qu'il en soit, dès 1670, les directeurs rappelèrent Arnaud pour qu'il rendit ses comptés. Comme il refusait de quitter son poste, ils s'adressèrent à Colbert qui leur promit sa protection et leur donna une lettre de cachet avec des ordres du roi qui furent portés au Bastion par un vaisseau de guerre, aux dépens de la Compagnie. En même temps, pour réduire Arnaud à l'obéissance, " pour ainsi dire, par la famine ", M. de la Font, qui dirigeait cette cabale, fit faire défense à tous les bâtiments d'aller au Bastion. Arnaud brava lettres de cachet et défenses ; ne pouvant commercer avec Marseille, il entra en relations avec Gênes et Livourne. La Compagnie se vengea sur sa femme et sa fille, qui furent emprisonnées dans la citadelle de Marseille et le fit alors condamner comme rebelle aux ordres du roi. Un bâtiment de guerre, commandé par M. de Martel, fut envoyé à Alger, en 1673, pour conduire le nouveau gouverneur, un sieur Turpin, et réclamer au dey Arnaud (2).
            " Celui-ci était alors à Alger et la milice, demandant à être payée et ne recevant pas d'argent, refusa absolument de le rendre, disant que c'était un honnête homme et que c'était à lui seul qu'ils avaient donné le Bastion et qu'ils ne connaissaient point les associés.... Arnaud retourna au Bastion sous la protection du dey et de la milice et laissa à Alger le sieur Pierre Estelle, son beau-frère et son agent, qui continua de soutenir puissamment le sieur Arnaud contre tous ses ennemis, qui, les uns après les autres, furent contraints de s'en retourner à Marseille après avoir fait inutilement de fort grandes dépenses. Cependant, le sieur Arnaud ne recevant aucuns secours de Marseille et les Turcs ne voulant rien perdre de leurs droits, il se trouva obligé d'emprunter des sommes considérables à change lunaire pour entretenir les garnisons de ses places et les officiers, de sorte que le Bastion se trouva en peu de temps aussi chargé de dettes qu'il l'était quand le sieur Picquet l'abandonna.

            C'est dans ces conjonctures difficiles que d'Arvieux arriva à Alger, comme consul, au début de l'année 1675. Il raconte qu'il fut fort mal reçu du dey, quand il voulut l'entretenir de l'affaire Arnaud : " Il me répondit qu'il était maître du Bastion, qu'il le donnerait à qui bon lui semblerait, qu'il était content du sieur Arnaud parce qu'il avait de l'amitié pour lui et qu'il lui tenait parole sur tout ce qu'il lui avait promis ; qu'il n'y souffrirait jamais le sieur de la Font, à cause de sa conspiration. " De quel côté étaient les torts, il est bien difficile de le démêler ; mais la situation était singulière. Pour achever de la compliquer, les Marseillais résidant à Alger avaient pris parti dans la querelle et s'étaient rangés du côté des ennemis d'Arnaud, essayant de ruiner son crédit auprès des Puissances. On voit par là que la rivalité entre les marchands français établis à Alger et les gens du Bastion n'était pas moins ardente qu'à l'époque de Sanson Napollon.

            Heureusement, la mort très opportune d'Arnaud permit de mettre un terme à cet imbroglio dans lequel l'autorité royale risquait d'être maladroitement compromise. D'Arvieux négocia pour réconcilier de la Font et Estelle, le beau-frère d'Arnaud, et pour faire accepter le premier par le divan comme gouverneur du Bastion (3).
            La compagnie fut alors reconstituée par un acte de société passé le 14 août 1676 entre Jacques le Maçon, sieur de la Fontaine, Alexandre de Vezé, sieur de Lalo, Jacques de la Font, sieur de la Tour, les anciens intéressés, et Pierre Berthelot, sieur de Bonville, Jacques Rebuty de la Marnière, qui furent associés pour un quart.

            Cependant, les Lomellini de Tabarque avaient essayé de profiter de la situation et avaient fait présenter des propositions au divan par le consul anglais qui l'était aussi des Génois : ils offraient de ruiner le Bastion et de l'abandonner, tout en payant au dey toutes les redevances que lui acquittaient les Français. Le dey feignit même un moment de vouloir accepter ces offres. Mais, enfin, l'accord tant désiré se fit entre les membres de la compagnie : Estelle, beau-frère d'Arnaud, devait rester à Alger en qualité d'agent du Bastion avec 2.000 piastres d'appointements. De la Font fut accepté par les Puissances comme gouverneur, mais à de dures conditions il paierait toutes les redevances échues, 3.000 piastres de présents pour la paie des soldats, 2.000 piastres de gratifications au dey et à sou gendre, 1.000 piastres qu'Arnaud devait au dey, 2.500 piastres qu'il lui avait promises pour le rachat d'un capitaine. Ces sommes s'élevaient à 8.500 piastres. En outre, il était dû 3.000 piastres au sieur Estelle pour ses appointements, environ 8.000 pour les redevances échues et les dettes sur la place d'Alger, 20.000 aux Maures du Bastion et de Bône ; le tout montait environ à 40.000 piastres.
            La tranquillité était donc rétablie et Colbert marquait à d'Arvieux sa satisfaction de voir le Bastion entre les mains de la Font ; mais il devait être difficile à la compagnie de satisfaire à toutes ces exigences financières. En effet, de la Font ne put ou ne voulut pas remplir ses promesses envers le dey. En février 1675, le gendre du dey fit appeler le consul d'Arvieux pour lui faire de sanglants reproches :

            " Il me dit, raconte celui-ci, que ce n'était que sur mes instances qu'on avait reçu de la Font, que, puisqu'il avait manqué de parole, il voulait le chasser du Bastion et me renvoyer en France.... Baba-Hassan se mit à crier qu'il voulait donner le Bastion aux Génois et qu'il allait envoyer chercher leur consul pour cela. "
            Le dey écrivit en même temps au roi pour se plaindre tout particulièrement que de la Font eût violé ses engagements vis-à-vis des enfants d'Arnaud :
            " Etant arrivé au Bastion, il n'a satisfait à aucune de nos conventions, ni exécuté ce que nous lui avions recommandé. Au contraire, il a arrêté les enfants d'Arnaud d'une autorité violente et les a renvoyés en France pour ne pas leur donner satisfaction... si de la Font ne paie pas ces 12,000 piastres aux enfants d'Arnaud, nous le chasserons du Bastion et nous le donnerons à qui il nous plaira. ".

            Le dey exécuta sa menace vis-à-vis de la Font, qui fut amené à Alger et retenu longtemps en prison, en attendant qu'il payât ses dettes.
            Dans ce long conflit, on avait vu nettement, en présence les prétentions opposées du roi et du divan d'Alger au sujet du Bastion. En vertu des traités, le roi prétendait en disposer librement ; c'est la théorie que le consul Dubourdieu exposa dans l'audience du 13 janv. 1673: " Sa Majesté est maîtresse de ses sujets en tels lieux qu'ils soient et peut, de son plein droit, nommer qui bon lui semble pour commander ses dits sujets, puisqu'il n'y a que des Français au Bastion, rétabli et occupé par les Français, et que S. M. a entendu que nos lismes vous soient payées pour que le tout fût conforme au bien de la paix qui est entre ses dits sujets et vous. " En fait, depuis les Lenche jusqu'à Sanson Napollon, Cocquiel et Arnaud, le dey avait toujours donné le Bastion, comme il le disait; à qui il lui plaisait. C'est dans ces prétentions opposées qu'il faut voir une des causes des conflits qui éclatèrent entre 1670 et 1675 : Colbert voyait sans doute Arnaud d'un mauvais oeil, parce qu'il tenait le Bastion du dey ; celui-ci ne voulait pas recevoir de la Font parce que le roi voulait le lui imposer. Une nouvelle compagnie fut constituée par un homme habile et énergique qui, pendant plus de quarante ans, allait jouer en Barbarie un rôle considérable, Denis Dusault, originaire de Bayonne. Il devait être chargé de nombreuses missions st Alger, Tunis et Tripoli, négocier sept traités de paix et retirer plus de l.300 Français de l'esclavage. M. Plantet en a fait; toutes les fois qu'il en a eu l'occasion, un éloge très vif et incontestablement exagéré : " C'est la grande et belle figure d'un diplomate accompli à la fin du XVIIe siècle.... S'il fait les affaires de l'État c'est au détriment des siennes (4). "

            En réalité, il ressort de la correspondance même publiée par M. Plantet et des autres documents qu'il a signalés, que Dusault n'eut pas toute l'influence qu'il lui a reconnue sur les Barbaresques, ni surtout le désintéressement qu'il lui a prêté. Dusault rendit des services à l'État, tout en faisant ses affaires et celles de sa famille (5). C'est être juste envers lui que de reconnaître qu'il fut, à la fin du XVIIe siècle l'homme le plus capable de négocier avec les Barbaresques et celui qui a le plus contribué à préparer l'essor du commerce et des établissements français en Barbarie, au XVIIIe siècle. Même, si l'on en croyait les nombreuses attaques dont Dusault fut l'objet de la part de ses associés dans les diverses compagnies dont il fit partie, il ne faudrait parler ni de sa délicatesse, ni de son honnêteté.

            La Compagnie Dusault ne fut constituée définitivement qu'au commencement de 1678. Par un contrat de vente fait le 31 janvier 1678, les trois principaux membres de l'ancienne Compagnie, de la Fontaine, de Vèze et de la Font, avaient cédé à Denis Dusault " les trois quarts qu'ils avaient en ladite colonie et pêche du corail audit Bastion ". Des lettres patentes et arrêts du Conseil du 13 janvier et du 23 février 1678 reconnurent cette vente et la nouvelle Société formée par Berthelot, Rebuty et Dusault. Le roi révoquait tous lettres-patentes et arrêts qui pouvaient avoir été donnés auparavant aux nommés Langlois, Maillet, Teissier, Arnault, Lafontaine, Vèze, Lafond et tous autres, auxquels il faisait très expresses défenses de s'en servir à peine de 30,000 livres d'amende pour la première fois et de punition corporelle en cas de récidive. Il permettait à toutes personnes, gentilshommes, nobles, officiers et tous autres, de s'intéresser dans la nouvelle Compagnie sans déroger. Celle-ci devait jouir de l'exemption de la moitié du droit de cottimo. En retour de ces privilèges, elle devait fournir au roi " par forme de redevance " six des plus beaux chevaux barbes qui seraient livrés à Marseille à la fin de chaque année (6). Pour éviter les contestations, Dusault se rendit acquéreur des droits des héritiers du sieur Arnaud qui avait passé en 1668 un bail de 29 ans avec la famille de Guise (7).

            Dusault alla d'abord, suivant l'usage, renouveler à Alger le traité relatif au Bastion. L'article 3 de cet accord du 13 mars 1679 constatait le mauvais état des Concessions. " Et attendu que ledit Bastion et la Calle sont fort délabrés, il est permis à Dusault de les remettre en leur premier état, et de prendre sur les lieux tout ce qui lui sera nécessaire pour le Bastion et faire un moulin au Bastion et à la Calle (8). " Mais ce n'est pas le Bastion que Dusault s'occupa de réparer ; il décida au contraire de l'abandonner à cause de son insalubrité et de transférer le siège principal des établissements français à la Calle. La mortalité était parfois si grande, qu'un certain été, de 400 hommes qui composaient ordinairement la colonie, il n'en resta que trois (9). La Calle n'était d'ailleurs guère plus salubre ; il y avait, comme au Bastion, des marais dans le voisinage, et le paludisme y fit toujours de nombreuses victimes.
            La compagnie Dusault fit de mauvaises affaires comme les précédentes et la mauvaise entente entre les directeurs fut certainement une des causes principales de ses pertes. Dès le début, Dusault se brouilla avec ses deux principaux associés, Rebuty et Berthelot, Dans un factum que Rebuty fit imprimer contre lui vers 1690, il le chargeait des plus noires accusations. Dusault serait entré dans la compagnie sans bourse délier, au moyen d'un contrat simulé, passé le 31 janvier 1678, dans lequel les anciens intéressés confessaient avoir reçu

            116.000 livres de Dusault pour le prix de quinze sols d'intérêt, c'est à dire pour la propriété des trois quarts des actions. Dusault aurait ensuite fait disparaître sans scrupule une contre-lettre par laquelle il avouait n'avoir versé aucune somme, et ses dupes avaient vainement porté plainte à Colbert. Puis Dusault; continuant ses intrigues, était parvenu à se faire céder par le sieur Berthelot les quatre sols d'intérêt qu'il possédait, en le menaçant d'un procès au conseil, si bien qu'il se trouva propriétaire des dix-neuf vingtièmes des actions. Rebuty n'en possédant qu'un vingtième. Pour avoir de l'argent, Dusault parvint à s'entendre avec un riche financier, le sieur de Vitry-la-Ville, qui lui fournit des fonds moyennant l'abandon de dix sols d'intérêt dans la compagnie. Dusault, voulant alors diriger la compagnie sans contrôle, chercha à se débarrasser de Rebuty qui en avait la principale direction à Marseille ; il alla jusqu'à l'accuser de détournements auprès de Colbert. Rebuty eut toutes les peines du monde à éviter une arrestation et à se justifier, mais dut se démettre de la principale direction entre les mains de Dusault par contrat passé à Aix, le 29 juillet 1678. Pour achever de se rendre le maître, Dusault passa au Bastion et destitua tous les anciens commis pour en mettre d'autres qui lui fussent dévoués, puis il passa à Alger et renouvela le traité relatif au commerce du Bastion, sans faire mention ni du sieur de Vitry, ni de Rebuty, ses associés. " Cela donna une très grande jalousie et défiance au sieur de Vitry qui, l'année suivante, envoya de nouveaux commis au Bastion avec ordre de ne plus reconnaître Dusault, ce qui causa une cessation de commerce, d'autant plus que le sieur de Vitry empêcha pour quelque temps qu'on n'y envoyât plus d'argent ". Cette première querelle fut suivie d'une réconciliation, mais, en 1682 Vitry et Dusault " se brouillèrent si fort et se jetèrent dans de si grandes contestations que le commerce du Bastion en fut considérablement interrompu, fort négligé et livré à la conduite des commis, qui, s'étant brouillés entre eux à l'exemple des maîtres, laissèrent aller toutes choses à l'abandon (10). "
            Au moment où la compagnie était dans un tel désarroi; les circonstances devenaient de plus en plus défavorables pour elle.
            C'était l'époque où Louis XIV, à l'apogée de sa puissance, songea de nouveau à faire une guerre à outrance aux Barbaresques et à les détruire. Après des hostilités de plus en plus vives, la guerre éclata en 1681 avec Alger et Tunis. Marquée par les bombardements d'août septembre 1682, de juin 1683 et de juillet 1688, séparés par une paix mal observée (1684-87) elle ne se termina définitivement que par la paix de 1689 (11).

            On sait mal ce que devinrent les Concessions pendant cette période agitée. Il est certain qu'elles ne furent ni attaquées, ni abandonnées en 1682. Pendant l'hiver où Duquesne préparait son second bombardement, le dey Baba Hassan chargea même Dusault d'aller demander au roi les conditions de la paix. Mais celui-ci, qui avait déconseillé la guerre, essaya en vain de jouer le rôle de médiateur. Il avait laissé, pour le remplacer au Bastion, son beau-frère Sorhainde, mais les affaires de la compagnie souffraient de son absence ainsi qu'il l'écrivait de Paris au dey, le 2 février 1683 : " J'avais résolu de me rendre en Provence et de là au Bastion pour y travailler à mon commerce qui reçoit une grande altération par la guerre. C'est de quoi on se soucie peu ici, mais moi beaucoup, comme vous le voyez. "
            Pendant le second bombardement, lors des atrocités commises par le nouveau dey Mezzomorto. Duquesne jugea prudent de mettre à l'abri des représailles les Français de la Calle : quatre galères commandées par M. de Breteuil ramenèrent environ 450 personnes qui furent conduites à Toulon (12). Cependant la Compagnie continuait à être bien vue des Algériens, puisque ce fut Dusault qui entama et conduisit jusqu'au bout les négociations qui aboutirent au traité de 1684 ; aussitôt après, Sorhainde fut chargé d'exercer les fonctions de consul à Alger en attendant l'arrivée d'un titulaire.

            La paix de 1684 avait permis la réoccupation du Bastion, mais la rupture de la paix en 1688 provoqua un nouvel abandon volontaire. Dusault avait tout fait pour prévenir la reprise d'hostilités qui ruinaient sa Compagnie (13) ; i1 était venu de Marseille à Alger en novembre 1687 ; mais, mal accueilli par les puissances, il s'était retiré au Bastion (14). Au moment où d'Estrées se rendait avec son escadre à Alger pour procéder à un troisième bombardement, qui fut le plus terrible des trois, on voulut éviter de leur laisser l'occasion de nouveaux excès, en donnant aux Français du Bastion l'ordre de le quitter. Dusault se croyait sûr des dispositions des Algériens à son égard, car c'est bien malgré lui (15) qu'il partit, ainsi qu'en témoigne une de ses lettres à Seignelay :

            " Le 9 du courant, je reçus par M. Eon (chargé de la direction de la Compagnie à Marseille) l'ordre du roi d'abandonner nos places. Voilà le coup le plus fatal et le plus sensible qui me pût arriver, puisque c'est ma ruine totale et auquel je ne m'attendais pas, parce que vous aviez eu la bonté de me faire connaître que le roi ne se déterminerait à rien sur cet abandon que vous n'eussiez reçu ma réponse. Mais l'ordre de S. M. est si précis et votre lettre de ce jour me recommande si fortement d'y obéir que, quand les places auraient été remplies des richesses du Pérou, j'aurais tout abandonné pour suivre les ordres du roi et les vôtres, sans examiner si la nécessité s'y trouve ou non. "

            Grâce à la générosité du gouverneur de Tabarque, Dusault put y transporter tout ce qui put être enlevé du Bastion sur 75 voiles ; puis, conformément aux ordres du roi, il se retira à Tunis avec 40 bateaux corailleurs, 2 tartanes et 538 hommes. Les Tunisiens étaient en paix avec la France depuis 1685; ils firent bon accueil à Dusault, " lui donnèrent retraite fort agréablement et offrirent tous secours, tant pour son monde que pour ses bâtiments "
            Le Bastion ne put être réoccupé qu'après le rétablissement définitif de la paix, par le traité du 25 septembre 1689, mais Dusault ne devait pas y revenir. Il n'était plus en faveur auprès des Algériens ; mal reçu par eux à la fin de 1687, il s'était attiré peu après de durs reproches :

            " Nous, pacha, dey et divan, avons reçu vos impertinentes lettres. Nous voudrions bien savoir d'où vient que vous vous émancipez à nous donner des conseils... C'est ma foi bien à un marchand, comme vous êtes, à se mêler des affaires d'État Vous ne devez pas avoir d'autres vues que votre commerce et non pas vous ériger en homme d'État. Nous voulons bien vous avertir charitablement que, même quand nous viendrions à terminer les affaires avec l'empereur votre maître, nous n'entendrons jamais que vous soyez chargé de la moindre des choses touchant la négociation, ni même que vous puissiez mettre pied à terre. "
            Les Puissances restaient, vis à vis de Dusault, dans les mêmes dispositions, après le renouvellement de la paix, car le pacha Hadji Hussein écrivait, le 27 septembre 1689 : " La grâce que nous vous demandons est de vouloir, s'il vous plait, vous donner la peine de former une nouvelle Compagnie pour notre Bastion, pourvu que le sieur Dusault n'y soit pas intéressé directement, ni indirectement. Nous recevrons ceux qui seront chargés de votre lettre de créance, et nous donnerons nos ordres pour leur établissement (16). "

            On voit, par cette lettre, que les Algériens considéraient comme l'un des principaux avantages de la paix la reprise de l'exploitation des Concessions qui leur valait de fructueuses usines, sans compter les redevances casuelles. Mais, sachant l'hostilité des puissances, Dusault ne pouvait songer à reconstituer sa compagnie, désorganisée à la suite des pertes qu'elle avait faites pendant la guerre. Le mauvais état des affaires du sieur de Vitry la Ville, qui s'était chargé seul de la direction du commerce, avait amené la liquidation de la compagnie en 1687 (17). Dusault entra aussitôt en procès avec ses associés et la liquidation de ses affaires dura jusqu'en 1715 (18). Il sollicitait en vain à la Cour des indemnités pour le dommage énorme qu'il avait subi pour avoir évacué deux fois les Concessions sur l'ordre du roi ; il l'évaluait à 800.000 livres. " J'ai dirigé l'établissement du Bastion pendant quatorze ans, écrivait-il à Pontchartrain, j'ai consommé mon travail, ma patience, mon bien et mon honneur, puisque j'ai des créanciers qui souffrent pour moi (19). " Conformément à la tradition établie depuis Sanson Napollon et Cocquiel, c'était le négociateur du traité de 1680, Guillaume Marcel, qui devait signer avec les Algériens une nouvelle convention relative aux Concessions.

            L'exploitation du cap Nègre n'avait pas mieux réussi que celle du Bastion. La Compagnie marseillaise avait même dû l'abandonner, probablement lorsqu'éclata la guerre avec Alger, en 1681, et qu'il y eut menace de rupture et interruption de commerce avec Tunis pendant deux ans; les Anglais l'avaient obtenu à leur place (20). Tunis était alors livrée à l'anarchie; les deux beys, deux frères, rivaux du dey, se faisaient la guerre; les Anglais s'étant appuyés sur l'un d'eux furent chassés par l'autre en 1684. Immédiatement, on vit des navires français venir chercher des chargements au cap Nègre, comme l'indique une lettre du consul de Tunis qui se plaignait de n'avoir pas pu leur faire payer ses droits de consulat (21). Déjà, en prévision de la paix, Dusault et son principal agent de la Compagnie du Bastion, Eon, proposèrent à Seignelay, de relever l'ancien comptoir (22).
            Pendant les pourparlers qui aboutirent à la signature du traité de paix de 1685, des négociations très actives furent poursuivies parallèlement par les Anglais et par les Français, au sujet du cap Nègre. Les Anglais agissaient fortement pour se faire maintenir dans leur récente possession. Le secrétaire du dey disait en secret qu'à moins d'un moyen extraordinaire personne n'aurait cet établissement qu'eux, mais il suggérait en même temps un expédient pour que le roi s'en assurât pour toujours la possession.

            Un sieur Jean Gantier, fermier des consulats du Levant, avait songé à fonder une compagnie à Marseille. Il avait intéressé à son projet un homme très influent auprès de Seignelay, M. de Vauvré, intendant de la marine à Toulon, l'un des principaux intéressés de la Compagnie de la Méditerranée. Vauvré gagna Seignelay à ses vues ; sur la demande du ministre, il lui adressa un mémoire sur le cap Nègre, sur la situation à Tunis et sur la meilleure façon de faire réussir la négociation. " Le commerce ne pouvait être que très avantageux au cap Nègre, la traite y étant très abondante, les Français qui y avaient été établis autrefois y avaient beaucoup gagné, et les Anglais qui en avaient été chassés, avaient un empressement extraordinaire pour s'y rétablir. Il était donc très nécessaire de les prévenir ". Or, la détresse financière des Tunisiens était grande ; on les mettrait dans un grand embarras en leur demandant la restitution des sommes prises, depuis la dernière paix, à divers sujets de S. M. N'étant pas en état de restituer ces sommes, qui montaient à plus de 30.000 piastres, et tenant beaucoup à faire la paix, ils seraient fort heureux de céder le cap Nègre, pour 12 ou 15 ans, en compensation. Passé ce temps, les Français en garderaient la possession, en payant la même lisme que les Anglais payaient auparavant. C'était là l'expédient sûr suggéré par le secrétaire du dey.

            Il fallait tenir compte de la répugnance que les Tunisiens avaient toujours éprouvée à aliéner une parcelle de leur territoire. De Vauvré conseillait donc de ne pas le demander en toute propriété pour le roi, mais pour un particulier qui se chargerait de faire le remboursement dû par les Puissances au roi.
            Seignelay adopta, point pour point, les conclusions du mémoire que lui adressait l'intendant, et donna au maréchal d'Estrées, négociateur de la paix, des instructions en conséquence. La réussite de ce dessein tenait même fort à coeur à la Cour, car Seignelay la recommandait à d'Estrées dans une lettre du 14 juillet et le roi lui-même revenait sur ce sujet quelques jours après : " Je vous recommande aussi de faire réussir, autant que vous pourrez, l'affaire du cap Nègre et de faire en sorte que mes sujets s'y établissent à l'exclusion des Anglais.
            La négociation, conduite par Thomas Revolat, associé de Gautier, ne réussit pas sans difficulté. Le dey était en guerre avec les beys ; les Français, résidant à Tunis, pensaient que ceux-ci l'emporteraient et conseillaient à d'Estrées d'engager des pourparlers avec eux; un certain Guiraud, associé de Gautier et Revolat, et établi à Sousse, siège du gouvernement des beys, avait même commencé à s'aboucher avec eux. D'Estrées pensa qu'il était " plus digne et plus prudent de ne prendre parti d'aucun côté. "
            Pendant les pourparlers, le dey, encouragé par une victoire sur les beys, se montra récalcitrant, trouvant fort dures les conditions de paix qu'il avait d'abord acceptées, et " voulant simplement donner un écrit par lequel il accordait la jouissance du cap Nègre, sans est spécifier les conditions ". D'Estrées dut donner l'ordre aux négociateurs, au consul et aux résidents français, de venir à son bord et menacer le dey de la guerre pour triompher de ses hésitations. Le 28 août 1685 fut enfin signé par Thomas Revolat, le traité du cap Nègre, deux jours avant le traité de paix centenaire conclu par d'Estrées.

            Dans ce traité en 16 articles, les puissances de Tunis s'engageaient à faire sortir les Anglais aux mains desquels était le cap Nègre, au premier jour de mai 1686, pour le mettre au pouvoir de Gautier et Compagnie (art. 3). La Compagnie Gautier s'engageait à payer 52,000 écus dus par les Tunisiens au roi de France et obtenait, en retour, la jouissance du cap Nègre et de ses dépendances pour six ans, sans avoir à payer aucunes lismes ni droits (art. 9). Après les six années échues du bail passé au dit Gantier, s'il désirait par permission de l'empereur de France continuer la ferme, les Tunisiens promettaient lui passer bail au prix de 8,333 piastres, un tiers, pour chaque année, franc de toute sorte de lismes et autres droits (art. 15). L'article 5 permettait à la Compagnie, " au cas qu'on ne pût avoir du blé par les empêchements des Maures ou par disette " d'en prendre à Bizerte et autres lieux de la dépendance de Tunis. Elle devait obtenir par préférence la sortie des blés de Bizerte et autres lieux, lorsqu'elle serait permise, en payant le prix courant (art. 9). En aucun cas, on ne pourrait l'empêcher de sortir tous les ans deux chargements de blé (art. 13). La Compagnie n'aurait à payer aucun droit d'entrée, ni de sortie, pour le négoce du cap Nègre (art. 6).

            Il était permis à Gautier de faire pêches le corail dans toute l'étendue du royaume et d'empêcher qu'aucun des Tunisiens, ni autres, le pussent faire (art. 7). La Compagnie pourrait avoir deux bâtiments à elle pour son négoce et, au cas qu'ils fussent pris par les corsaires d'Alger, de Tripoli ou d'autres, le dey promettait M de les réclamer et de les faire rendre comme si c'étaient de ses sujets naturels (art. 10). Enfin, en cas de rupture avec la France, il était stipulé que la Compagnie ne serait pas inquiétée : " n'entendant pas mêler, disait l'article 14, les affaires d'État avec le négoce qui s'introduit et s'exerce de bonne foi, sera ledit Gautier et Compagnie, comme notre fermier et bon ami, maintenu en paisible possession et jouissance dudit cap Nègre et ses dépendances, sans qu'il soit fait aucun empêchement dans tous les négoces et pêche de corail, attendu le grand service que nous recevons du prêt pour nous acquitter envers l'empereur de France (23). "

            Pour mieux assurer l'avenir, d'Estrées jugea nécessaire une négociation spéciale avec les deux beys, maîtres du sud de la Tunisie. On lit dans le traité signé avec eux à Sousse, le 4 septembre 1685 : " Ils ne troubleront ni directement, ni indirectement, ni eux, ni leurs sujets, ni ceux qui leur obéissent, les Français dans la jouissance du cap Nègre, au contraire, leur donneront toutes sortes de facilités et assistances."
            Le traité de 1685 était fort avantageux, comparé à celui de 1666, puisque les privilèges accordés aux Français ne leur coûtaient qu'une redevance de 8333 piastres au lieu de 35000 ; Il est vrai qu'ils n'étaient pas spécifiés avec autant de précision dans le nouveau contrat que dans l'ancien. Il fut, de plus, scrupuleusement exécuté : Sorhainde, consul d'Alger, parent de Dusault, chargé d'occuper le cap Nègre, en fut mis en possession à la fin de juillet 1686 et les barques de la Compagnie, destinées à la pêche du corail, y arrivèrent le 15 septembre (24).

            La Compagnie du cap Nègre, constituée définitivement le 8 juin 1686, était " puissante ", comme disent plusieurs documents. Le banquier Joseph Fabre, le négociant de Marseille le plus considérable de l'époque, la soutenait ; D'Estrées lui-même était l'un des principaux actionnaires et elle fut assurée de toute la protection du gouvernement.
            Ses débuts furent marqués par un curieux conflit avec la Compagnie du Bastion. Celle-ci voulut occuper, à la fin de 1686, l'île de la Galite, située au nord-est de Tabarque, dans les mers de Tunis, pour y faire la pêche du corail. La Compagnie du cap Nègre demanda aussitôt et obtint du dey de Tunis deux galiotes armées pour sommer les gens du Bastion de partir au plus vite. En réponse à une lettre du dey, du 12 mars 1687, Seignelay écrivait à Dusault de ne rien entreprendre au détriment de la Compagnie du cap Nègre (25).
            Pour assurer à celle-ci le monopole du trafic au nord de la Tunisie, Seignelay reprit aussitôt l'éternel projet d'expulser les Génois de Tabarque. Le consul de Tunis, Michel, chargé de s'informer de la situation de ce comptoir, adressait à ce sujet, le 14 novembre 1686, des renseignements intéressants :

            Je me sais adroitement informé de ce qui regarde Tabarque et l'on m'a assuré qu'il y a environ 40 pièces de canon de fonte et que, parmi ce nombre, il y a d'assez grosses pièces, qu'il y a quantité d'autres armes à feu pour armer tous les habitants en temps de besoin, qui peuvent être environ 800 personnes, hommes, femmes ou enfants, qu'il y a ordinairement 200 hommes de garnison, qui sont Génois, et point d'Espagnols. Cette place est sous la protection du roi d'Espagne ; elle lui fait un tribut de 10 % de la pêche du corail, moyennant quoi il est obligé d'y entretenir In garnison à ses dépens, mais, comme depuis longtemps il n'y en tient point, les Génois le portent débiteur, tous les ans, des sommes qui leur content d'entretien, et créditeur de la cime du corail et, par ce moyen, le roi se trouve débiteur aux Génois de sommes fort considérables. Cette place paie annuellement 5000 piastres de lismes au pacha de Tunis, 1000 piastres au dey et, à l'élection des nouveaux deys, 5000 piastres pour une reconnaissance et elle est obligée de prendre 1000 kaffis de blé au bey de Tunis qu'on lui paie à 12 piastre davantage qu'on l'achète des Maures, sans compter l'entretien de 25 Turcs qu'elle y tient auprès de l'île qu'il faut payer et nourrir, et quelques lismes qu'elle paie aux cheiks des Maures qui y font commerce et elle donne tous les ans trois caisses de corail à Mrs d'Alger. Voilà, monsieur, tout ce que j'en ai pu apprendre... ".

            Aucune suite ne fut donnée aux projets sur Tabarque. De plus, en dépit des bonnes dispositions du ministre et des Tunisiens, la guerre qui continuait avec les Algériens fut cause que la Compagnie du cap Nègre commença par faire des pertes considérables. En 1087, il lui fut impossible de se livrer à la pêche du corail, sur laquelle " elle faisait son principal fondement " et, à la fin de cette année, il fallut même abandonner le comptoir, " sur la déclaration que le seigneur bey leur fit, qu'il ne pouvait pas les garantir dans la place, moins encore à la tuer, des insultes des Algériens, ni les réclamer en cas de prise, à cause des ménagements que l'état de ses affaires l'obligeait de garder avec Alger. " La paix de 1689, avec Alger, allait lui permettre de rétablir ses affaires ; elle marque, pour le cap Nègre, comme pour le Bastion, le commencement d'une ère nouvelle. Unie d'abord au Bastion, de 1628 à 1637, puis exploitée ensuite par des compagnies différentes, la Concession du cap Nègre avait traversé des vicissitudes analogues : en 1641, en 1665, on avait négocié à Tunis, en même temps qu'à Alger, pour le retour des Français dans leurs établissements.

            Pendant les soixante ans qui venaient de s'écouler (1633-90), ce n'est qu'accidentellement et pendant des périodes très courtes que le trafic avait pu être fructueux. D'abord, l'occupation des Concessions n'avait été qu'intermittente : le Bastion était resté abandonné de 1637 à 1641, de 1658 à 1666; il l'avait été momentanément en 1683 et en 1688 ; pour le comptoir du cap Nègre, les périodes d'abandon avaient été plus longues encore. Pendant les périodes d'exploitation, les relations presque continuellement hostiles entre la France et les Barbaresques, de 1635 à 1665, la guerre ouverte de 1681 à 1689, ne permirent pas aux compagnies de jouir paisiblement de leurs monopoles. Enfin, l'histoire des Picquet, des Arnaud et des de la Font montre qu'elles n'eurent pas moins à souffrir de la mauvaise administration de leurs directeurs. Il est donc certain que le commerce avec les Concessions ne put jamais prendre un développement régulier.

            Cependant, les documents de cette époque, mémoires ou correspondances, affirment, à diverses reprises, qu'on pouvait y faire un commerce fructueux, que des bénéfices considérables y avaient été réalisés. Mais aucun ne permet de donner une idée précise de l'importance de ce trafic et de ses fluctuations. La valeur des importations à Marseille, à cette époque, peut être évaluée d'après les registres de perception du droit de cottimo, payé par toutes les marchandises qui entraient dans le port, au bénéfice de la Chambre de Commerce. On a vu que la Compagnie du Bastion obtint, en 1670, de ne payer qu'un demi cottimo. Mais les chiffes des cottimos payés par les bâtiments revenant d'Afrique ne pourraient servir qu'à calculer très faussement la valeur du commerce des Compagnies du Bastion et du cap Nègre, car le blé était exempt du cottimo, et c'était, avec le corail, l'article principal du trafic des Compagnies. D'après les registres de la recette de cette taxe, conservés aux archives de la Chambre de Commerce de Marseille depuis 1669, on voit qu'elle fut perçue le plus souvent sur 5 ou 6 bâtiments venus du Bastion à Marseille, quelquefois sur 3 ou 4 seulement, exceptionnellement sur 12 en 1679. Un autre document des mêmes archives, malheureusement unique, nous apprend que, chaque année, des bâtiments plus nombreux partaient de Marseille pour le Bastion, puisque, de 1680 à 1683, pendant quatre années de guerre avec Alger, on vit successivement 15, 13, 12 et 6 bâtiments aller y charger (26). D'un autre côté, il faut bien remarquer que les compagnies du Bastion n'étaient plus assujetties, comme on avait voulu le leur imposer du temps d'Henri IV, à faire tout leur commerce avec Marseille ; leurs relations étaient devenues de plus en plus actives avec Livourne et Gènes, qui leur achetaient leurs blés, quand la Provence n'en demandait pas, et leur corail, dont elles disputaient l'industrie à Marseille. La taxe du cottimo fut fréquemment perçue, chaque année, sur plus de 10 bâtiments ayant porté leurs chargements du Bastion en Italie ou en Espagne.

            Quant au commerce du cap Nègre, on en est réduit à cette indication des Mémoires de d'Arvieux :
            Pour l'ordinaire, la charge de blé froment, pesant 320 livres poids de Marseille, coûte dans le pays quatre livres tournois, argent de France, et, dans les années ordinaires, on en peut tirer du cap Nègre, de Funaise, de Salade, de Tabarque et des environs, 200.000 charges qui font environ 20.000 muids de Paris, et 40.000 charges de légumes. Ce froment crû dans un pays très chaud est dur. Il rend beaucoup cependant de farine bien blanche et pleine de substance. Les gens délicats ont pourtant peine à s'y accoutumer, mais on le trouve excellent pour le peuple, pour la fourniture des vaisseaux, des galères et des troupes de terre, quand il y en a en Provence.

            L'industrie des semoules et des pâtes alimentaires n'existait pas encore à Marseille pour utiliser les blés durs de l'Algérie et de la Tunisie.
            Ce chiffre de 200.000 charges ou 240.000 quintaux environ, quantité très considérable pour l'époque, devait être tout à fait exceptionnel. Il expliquerait cependant une autre affirmation de d'Arvieux qui, bien qu'ordinairement très exactement informé, semble ici avoir recueilli des renseignements exagérés : " Il n'est pas rare, dit-il, de voir entrer dans l'État de Tunis deux cents bâtiments tous les ans ; il est vrai qu'ils ne sont que du port de 16 à 1800 quintaux, c'est-à-dire de 80 à 90 tonneaux, ce ne sont que des barques ou des tartanes envoyées la plupart par la Compagnie du Cap Nègre; elles viennent charger du blé, de l'huile et des légumes. "

            Un autre passage de d'Arvieux nous apprend que les opérations des compagnies du Bastion étaient plus restreintes que celles des futures compagnies d'Afrique. D'après lui, en 1670, il semble que chacun pouvait envoyer des navires, avec des fonds, dans les Concessions ; les agents de la Compagnie vendaient aux capitaines qui se présentaient les blés ou autres marchandises qu'ils avaient en magasin.
            La Compagnie se serait donc exclusivement chargée des achats auprès des indigènes sans s'occuper des transports par mer et de la vente en France ; elle n'aurait joué que le rôle d'intermédiaire entre les indigènes et les négociants et armateurs marseillais. Le monopole commercial des Compagnies du Bastion aurait donc été moins étroit que ne devait l'être celui des compagnies d'Afrique au XVIIIe siècle.

(1) Tome V, p. 58-200. - Féraud (La Calle, p. 177-82) a résumé très clairement, d'après d'Arvieux, les querelles entre Arnaud et ses associés. - Il reproduit ensuite à peu près textuellement ce que d'Arvieux dit de ses négociations à Alger (p. 182-223). Cf. Boutin, p. 337-43.
(2) V. Plantet. Alger, p 67-69 : Le consul Dubourdieu essaya en vain de faire accepter Turpin, venu à Alger avec deux des directeurs, de la Font et de Lalo. Le dey accusa de la Font d'avoir promis 20.000 piastres au bey de Constantine pour le faire assassiner, lui et son gendre Baba Hassan, parce qu'ils étaient favorables à Arnaud. Le bey fut, en effet, destitué et n'évita la mort que par la fuite.
(3) Cf. au sujet de ces querelles diverses lettres aux arch. des aff. étrang. Alger, 1664-1688. Colbert à d'Arvieux, 1er fév.1673 : " S. M. est bien aise que le divan ait mis le sieur de la Tour en possession du Bastion. " Lettres de Colbert, t. V. p. 374.
(4) Plantet, Alger. Introduction p. XLII-XLIV - Le panégyrique de Dusault parait surtout exagéré après l'exécution que Plantet fait de d'Arvieux. Après les bombardements ordonnés par Colbert et Seignelay, grâce à la politique pacifique inaugurée par la France, grâce à l'affaiblissement progressif des Barbaresques, les négociations avec eux devinrent singulièrement plus faciles. - Au sujet de Dusault Plantet renvoie à une série de lettres de Colbert (Lettres et instructions, I, 195 : III. 306, 364, 519, 321 : V. 373, 374. Il est question du Bastion, mais pas du tout de Dusault dans ces lettres.
(5) Voir un sujet de ses intrigues pour placer ses parents dans les consulats de Barbarie, ci-dessous, chapitre VI.
(6) Arch. col. Carton Comp: de commerce, n° 16. L'arrêt du 13 févr. fut confirmé par celui du 13 Juin 1678. Le gouvernement du Bastion et directeur général du commerce était alors un sieur de la Forcade.
(7) Les droits de la maison de Guise étaient toujours mal reconnus malgré l'arrêt du Conseil de 1659. La théorie que les officiers royaux tendaient à faire prévaloir était que le Bastion avait toujours appartenu au roi. Ainsi, M. de Lagny, intendant du commerce, écrivait dans un mémoire. en 1890 : " Le dernier duc de Guise, sur un titre usurpé. avait prétendu avoir la propriété des places, le droit de nommer au roi le gouverneur et de faire pourvoir à ce commerce sous son autorité ". Arch. colon. carton Cie du Bastion, 1689-1731.
(8) Traité entre nous les très illustres Bacha, divan et milice d'Alger, et notre bon amy le sieur Dusault. Arch. colon. Ibid. Cf. Aff. étrang. Mém et doc. Alger. t. XII, fol. 206-209. - M. Boutin a analysé ce traité, p. 343-47.
(9) Féraud (La Calle. p. 223) attribue ce transfert à de la Font, mais de nombreux documents le placent en 1679.
(10) Arch. des colonies. Carton Cie du Bastion 1639-1731. On a mis en tête de ce mémoire imprimé ; Factures de M. Rebuty, imprimé en 1679. C'est une erreur; la pièce, postérieure à 1689, est antérieure à 1692. Il faudrait se garder d'accepter toutes les accusations portées là contre Dusault. Dans une note sans date, du même dossier, émanant évidemment d'un ami de Dusault; on lit : " Dusault. C'est le seul qui a travaillé au Bastion....ayant fait la règle avec fidélité et succès jusques au second abandonnement par ordre du roi en 1688. - Rebuty. C'est un banqueroutier qui n'a servi qu'à ruiner cette affaire de concert avec le sieur de Vitry la ville et à l'embrouiller par des prétentions nouvelles, ne cherchant que de la pratique pour manger sur cette affaire ".
(11) Ces guerres ont été maintes fois racontées en détail. V. surtout : Jal, Duquesne et la marine de son temps. t. II, p. 414 et suiv. - De Grammont. Hist. d'Alger. - Dusault essaya en vain de détourner Colbert de faire la guerre aux Barbaresques. V. Raisons de commerce pour entretenir la paix avec les Algériens. Présenté à Mgr Colbert en janvier 1680 par le sieur Dusault. Aff étrang. Mém. et doc. Alger, t. XII, fol. 180-189.
(12) La Primaudaie se trompe (p. 39-41) en parlant de la fuite des Français de la Calle à Tabarque en 1683. Il n'est pas vrai non plus que les Anglais aient occupé La Calle de 1684 à 1694. - Féraud (p. 277) parle aussi de cette occupation de La Calle par les Anglais et des vains efforts faits par Dusault, après la paix de 1684, pour constituer une nouvelle compagnie. - " Les sieurs de Vitry et Dusault demandent qu'il plaise au roi de leur accorder un dédommagement proportionné à la perte qu'ils ont faite par cet abandonnement qui est de plus de 400,000 livres… Ils représentent... qu'ils ont obéi aux ordres de M. Duquesne quoique les Turcs et les Mores les assurassent qu'il y avait sûreté entière pour eux et leurs effets.... Le commerce dut se fait au Bastion est d'une utilité considérable ; les blés se vendant en Espagne, Portugal et Italie au double de ceux du Ponant: Il occupe tous les ans plus de 30 vaisseaux. " Extrait du mémoire présenté par le sieur Dusault au sujet de l'abandonnement du Bastion. Aff. étr. Mém. et doc. Alger, t. XII, fol. 206-209. M. Boutin a analysé ce mémoire, p. 349-50. - Cf. Lettres de Dusault à Colbert, écrites de Marseille et Alger, du 13, 17 août, 6 septembre 1683 et 23 novembre 1684. Aff. étrang. Alger, 1664-88.
(13) Voir sa lettre à Seignelay, écrite de Marseille le 15 septembre 1687. Aff. étrang. Alger, 1064-88.
(14) Il s'occupait alors de faire réparer les places des concessions ainsi que le montre une lettre du 27 mai 1688. - Plantet, Alger, p. 156.
(15) C'est lui sans doute qui inspira un intéressant mémoire où on trouve des chiffres sur la population des établissements et où l'on voit que celle du Bastion était encore plus élevée que celle de La Calle : Mémoire pour maintenir la colonie du Bastion de France en car d'alarme de la part des Algériens, 1er Janvier 1688 : " La colonie du Bastion et de la Calle est composée d'environ 430 hommes, savoir ; au Bastion, 262, dont 18 soldats, 4 commis, 10 hommes servant pour le domestique, 210 corailleurs en 30 bateaux, 20 hommes servant aux frégates ; ... à la Calle, 155, dont 18 soldats, 2 commis, 3 domestiques ; 112 corailleurs en 16 bateaux, 18 hommes servant aux frégates… Celle de la Calle est une place bien fermée et sa situation est favorable, en sorte qu'on ne peut pas empêcher à la garnison de s'embarquer à couvert toutes les fois qu'ils le jugeront à propos, tant la nuit que le jour. Pour ceux du Bastion Ils, ont besoin d'un vaisseau du roi pour faciliter leur embarquement en cas d'alarme. Le vaisseau peut mouiller à demi portée de canon de la plage et par son canon empêcher que les Turcs ne s'y viennent porter pour empêcher que la garnison de la place ne s'embarque. Pouvant donc que mettre en sûreté les hommes et les effets, on ne doit abandonner qu'à l'extrémité et l'on aura toujours cela de bon qu'on pêchera du corail plus de cent caisses.
(16) A M. de Vauvré, intendant de la marine à Toulon. Plantet. Alger, p. 172173.
(17) Arrêt du Conseil d'État du 27 mars 1687 (Arch. colon. Cie de commerce, n° 16, qui ordonna la liquidation et chargea Guillaume Eon, marchand de Marseille, de la direction générale et de la Caisse du commerce du Bastion.
(18) Les pièces et les arrêts relatifs à cette longue liquidation se trouvent aux Archives des Colonies, carton Cie du Bastion 1639-1731, et carton Cie de commerce n° 16. - Cf. Arch. nat. marine B7, 534. Copies des mêmes arrêts ; B7, 520 : Inventaire des traités, édits et règlements, concernant les compagnies de Barbarie ou Bastion de France, 1619-1730. - Plantet, Alger, p. 264, note 3, dit que Dusault avait passé un nouveau traité avec la régence au sujet des Concessions, le 13 mars 1689. Cela est impossible, d'après les deux lettres du pacha de 1688 et 1689 citées ci-dessus.
(19) 30 décembre 1691. Plantet. Alger, p. 366, note 1. - Au sujet de la Cie Dusault, voir aux Archives des colonies. Carton Compagnie du Bastion, 1639-1731 : État général de la Compagnie du Bastion.... depuis le 1er août 1684 au 1er février 1691 : Il n'y avait que cinq actionnaires, M. de Vitry la Ville, pour 5 actions, ci 75.000 liv., M. de Gumery pour 75.000, M. Dusault pour 60.000, M. de Rebuty pour 15.000, la veuve et les créanciers de feu le sieur Durand pour 75.000, ce qui faisait un capital de 300.000 liv.
(20) Les instructions de 1685 au maréchal d'Estrées s'en allant en Barbarie disent que les Anglais ont joui longtemps du cap Nègre. Plantet, Tunis. N° 361. - Dans un mémoire du 13 mars 1685. M. de Vauvré dit que les Français avaient " autrefois ", le cap Nègre, que les Anglais s'en étaient ensuite emparés et n'en avaient été dépossédés que depuis un an. Aff. étrang. Mém. et doc. Afrique. t. VIII, fol. 170. Faut-il conclure de ces deux documents que les Français avaient perdu le cap Nègre bien avant 1681 ? En 1675, ils l'occupaient encore.
(21) " Tunis est bloqué de toutes parts et le peu de bâtiments qui sont venus charger ont été à cap Nègre ". Lettre à la Chambre de Commerce du 8 mai 1681. Archiv. de la Chambre. AA, 516.
(22) Lettre du 31 août 1681. Plantet, Tunis, p. 335, note 2. Il représente que cette échelle est abandonnée par les sieurs Doria, Spinola et Gentilli, de Gènes.
(23) Plantet. Tunis, n° 372. - Cf. le traité centenaire du 30 août 1685, n° 374. M. Boutin a analysé le traité du 28 août, p. 379-85. - La Primaudaie (p. 45) et Féraud (p. 299), reproduits par Boutin (p. 385), disent que le roi donna 250.000 livres pour le rétablissement du cap Nègre. C'est au contraire la Compagnie qui devait donner de l'argent au roi - Cf. Aff. étrang. Mém. et doc. Afrique, t. II, fol. 2-28 et 88-146, une série de pièces relatives aux négociations de d'Estrée. - Le préfet apostolique des missions reçut l'ordre de fonder une chapelle au cap Nègre et d'y placer un missionnaire pour le service de la colonie. Mémoire pour servir à l'histoire de la mission des Capucins..., p. 22. - Le roi félicita d'Estrées par une lettre du 21 septembre 1685. Plantet, Tunis, n° 382.
(24) Plantet, Tunis, n° 3430, - Outre Jean Gauthier et Thomas Revolat, négociants-banquiers, elle comprenait Nicolas Charpentier, directeur, Nicolas Simon, caissier, Pierre Charles, entrepreneur de la fourniture des galères, J -B. Milhau et Pierre Robineau. (Plantet, Tunis, p. 445, note 1). - Charpentier avait été nommé directeur par l'assemblée des intéressés, le 8 juin 1686. V. Extraits de différentes délibérations de la Compagnie. Arch. Colon. Carton. Compagnies de Commerce, n° 12.
(25) Plantet, Tunis, n° 409. 410 411 - Cf. Arch. Colon., carton Compagnie du Bastion, 1639-1731 (trois pièces relatives à ces contestations.). Arch. nat marine. B7, 213 : Mémoire des prétentions de la Compagnie du Bastion sur l'île de la Galite (en deux colonnes ; l'une contient les Défenses de la Compagnie du cap Nègre).
(26) 6 en 1683, année où le Bastion fut abandonné. II, 2. - Ce même document (État des bâtiments partis de Marseille, qui donne le détail du chargement de tous les navires partis de Marseille pour les 4 années 1680-83, nous apprend quelles étaient les cargaisons transportées au Bastion et dans ses dépendances. On y voit que la Compagnie vendait très peu de marchandises de France ; ses achats dans les Concessions se faisaient à prix d'argent et ce qu'elle y transportait de France servait à la consommation de la petite colonie française et surtout des pêcheurs de corail. En relevant les chargements de 20 bâtiments, on voit que 5 portaient des fils pour les voiles ou les filets, de la filasse de chanvre, du sel : 4, des rames de bateaux, du vin ; 3, de la poudre, de la poix, des cordages, des auffes, des tuiles, du charbon ; 2, du savon, des filets, des peignes, des étoupes, des pièces de fer ; enfin, on trouvait, sur un bâtiment, du riz, des ancres, du fer, des outils divers, des antennes et timons de bateau, du poisson salé, des pierres de moulin, des pierres de taille, des boulets de canon, de l'huile, de la viande salée, des légumes, de la grenaille, de l'eau-de-vie, des mousquets, des planches, des clous, des toiles, de la mercerie, du papier, du tartat.

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A SUIVRE

PREMIER MAI
Victor HUGO (1802-1885)

Tout conjugue le verbe aimer. Voici les roses.
Je ne suis pas en train de parler d'autres choses.
Premier mai ! l'amour gai, triste, brûlant, jaloux,
Fait soupirer les bois, les nids, les fleurs, les loups ;
L'arbre où j'ai, l'autre automne, écrit une devise,
La redit pour son compte et croit qu'il l'improvise ;
Les vieux antres pensifs, dont rit le geai moqueur,
Clignent leurs gros sourcils et font la bouche en coeur ;
L'atmosphère, embaumée et tendre, semble pleine
Des déclarations qu'au Printemps fait la plaine,
Et que l'herbe amoureuse adresse au ciel charmant.
A chaque pas du jour dans le bleu firmament,
La campagne éperdue, et toujours plus éprise,
Prodigue les senteurs, et dans la tiède brise
Envoie au renouveau ses baisers odorants ;
Tous ses bouquets, azurs, carmins, pourpres, safrans,
Dont l'haleine s'envole en murmurant : Je t'aime !
Sur le ravin, l'étang, le pré, le sillon même,
Font des taches partout de toutes les couleurs ;
Et, donnant les parfums, elle a gardé les fleurs ;
Comme si ses soupirs et ses tendres missives
Au mois de mai, qui rit dans les branches lascives,
Et tous les billets doux de son amour bavard,
Avaient laissé leur trace aux pages du buvard !
Les oiseaux dans les bois, molles voix étouffées,
Chantent des triolets et des rondeaux aux fées ;
Tout semble confier à l'ombre un doux secret ;
Tout aime, et tout l'avoue à voix basse ; on dirait
Qu'au nord, au sud brûlant, au couchant, à l'aurore,
La haie en fleur, le lierre et la source sonore,
Les monts, les champs, les lacs et les chênes mouvants,
Répètent un quatrain fait par les quatre vents.


HISTOIRE DES VILLES
DE LA PROVINCE DE CONSTANTINE    N° 3
PAR CHARLES FÉRAUD
Interprète principal de l'Armée auprès du Gouverneur général de l'Algérie.

LA CALLE

ET DOCUMENTS POUR SERVIR A L'HISTOIRE
DES ANCIENNES CONCESSIONS
FRANÇAISES D'AFRIQUE.
Au GÉNÉRAL FORGEMOL

Ancien Capitaine Commandant supérieur,
du Cercle de La Calle

Les Concessions françaises d’Afrique

           Le Bastion de France et La Calle, considérés successivement comme centres des Pêcheries de corail et de l’ancien commerce, font l’objet principal de cette étude. Dans mes recherches sur l’existence de ces Établissements, j’ai dû, par conséquent, remonter aussi haut que possible pour connaître l’époque probable de leur fondation. Beaucoup de documents les concernant sont très rares, d’autres sont perdus, le Ministère de la Marine en possède probablement ; il est certain que les archives de Marseille renferment aussi à ce sujet, des pièces importantes qui fixeraient des points historiques restés douteux. Espérons que M. Octave Teissier, l’infatigable et érudit correspondant de cette, ville, les livrera quelque jour à la publicité.

           Nos archives Algériennes — peu nombreuses — contiennent également des papiers inédits d’un haut intérêt que je me suis empressé de mettre en œuvre ; mais ils n’embrassent malheureusement que la période écoulée pendant les deux derniers siècles. Notre regretté confrère et ami Albert Devoulx, qu’une mort prématurée a enlevé récemment à ses études favorites, a déjà signalé, en publiant les archives du Consulat de France à Alger, les causes de la disparition des documents antérieurs au XVIIe siècle : Ils furent, dit-il, détruits par les Algériens lors du bombardement de leur ville par Duquesne. Comme preuve de ce fait, il transcrit la note suivante mise en tête du plus ancien des registres de la Chancellerie qui ait été retrouvé : « Arrangement des registres, minutes, documents de la Chancellerie du Consulat de France à Alger, depuis le Consulat de M, André Piolle en 1686, tous les autres documents et papiers antérieurs des greffes des premiers consulats établis à Alger ayant été saccagés et pillés par le peuple, lors des armées navales envoyées par le Roi, pour les bombardements des 8 Août 1682 et 26 Juin 1683, sous les ordres de Duquesne. »<
           Faisons connaître, dès à présent, ce que nous avons ici, cela aidera toujours à combler les lacunes existant dans les archives de France.

           Pour l’intelligence des évènements, qui maintenant vont se dérouler sous les yeux du lecteur, il est utile d’indiquer sommairement l’état politique du pays et les diverses révolutions intérieures qui modifièrent si souvent la situation de nos commerçants en Afrique. Nous prendrons pour point de départ la longue domination de la dynastie des Beni Hafès, qui gouverna la Tunisie et la majeure partie de l’Algérie du XIIIe au XVIe siècle. A cette dernière période, le Souverain Tunisien avait déjà donné une part d’autorité aux divers Princes de sa famille et c’est ainsi que nous voyons des Rois à Bône, à Constantine et à Bougie.
           Cette diversité de pouvoirs fit, par la suite, éclater dans le royaume Hafside de nombreuses rivalités et des dissensions intestines. Pendant que les membres de la faille royale se disputaient la suprématie, les tribus Arabes et Berbères proclamaient leur indépendance. D’un autre côté, les Espagnols se rendaient maîtres de Bougie, et, pour mettre le comble à la confusion, les corsaires Turcs Aroudj et Kheireddine, que les Européens ont appelé les frères Barberousse, faisaient leur apparition à Tunis. Aroudj occupait bientôt Gigelli et s’emparait, en 1516 de la Souveraineté à Alger en assassinant Salem-el-Toumi, Cheikh de cette ville. Voilà le point de départ de la domination Turque en Algérie, sous laquelle nos Établissements du Bastion de France et de La Calle eurent à subir le plus de vicissitudes, tantôt avec les Pachas, tantôt avec les Aghas et ensuite avec les Deys, qui gouvernèrent ce repaire de forbans. Je crois utile de donner avant tout la liste chronologique de ces tyrans Barbaresques, afin que l’on puisse mieux s’expliquer les fréquentes révolutions de ce pays.

Liste des Pachas et Deys d’Alger

Aroudj Barberousse, appelé par les habitants d’Alger, assassine leur Cheikh Salem El-Toumi et s’empare du pouvoir      ………………………….           1516
Kheireddine, frère de Aroudj, lui succède.....................................1518
Hassan, Agha.................................................................................. 1533
El Hadj, Pacha intérimaire...............................................................1545
Hassan ben Kheireddine................................................................ 1546
Saffa, Pacha intérimaire....................................... (22 Septembre)1551
Salah Raïs, Pacha................................................................ (Avril) 1552
Hassan Corso, Pacha intérimaire...................................... (Juillet) 1555
Mohammed Kurdorli, Pacha.......................................... (Octobre) 1556
Yousouf, intérimaire................................................... (Décembre) 1556
Yahïa, intérimaire............................................................. (Janvier) 1557
Hassan ben Kheireddine, Pacha (deuxième fois)………....(Juin) 1560

Hassan, Agha intérimaire................................................................ 1561
Ahmed Bostandji ben Salah Raïs, Pacha....................................  1562
Yahïa, intérimaire (2e fois)..................................................... (Mai) 1562
Hassan ben Kheireddine (3e fois)....................................... (Juin) 1562
Mohammed ben Salah Raïs, Pacha............................... (Février) 1567
Ali El-Euldj El-Fortas, Pacha............................................... (Mars) 1568
Arab Ahmed, Pacha............................................................ (Mars) 1572
Ramdan, Pacha, Renégat Sarde.......................................... (Mai) 1574
Hassan Venesiano, Pacha, Renégat Vénitien……………..(Juin) 1577
Djaffar, Pacha, Renégat Hongrois...................................... (Août) 1580
Hassan Venesiano, (2e fois)................................................. (Mai) 1582
Marri Arnaut, Pacha............................................................. (Mars) 1583
Ahmed, Pacha.................................................................... (Juillet) 1586
Kheder, Pacha..................................................................... (Août) 1589
Châban, Pacha..................................................................... (Août) 1592
Moustapha, Pacha............................................................. (Juillet) 1595
Kheder, Pacha (2e fois)................................................ (Octobre) 1595
Moustapha, Pacha (2e fois)..................................... (Septembre) 1596
Daly Hassan, Pacha........................................................................ 1598
Kheder, Pacha (3e fois), est étranglé par son successeur......... 1603

Koussa Moustapha, Pacha................................................... (Mai) 1605
Redouan, Pacha............................................................................. 1607
Koussa Moustapha, Pacha (2° fois).............................................. 1610
Cheïkh Hossein, Pacha.................................................................. 1613
Moustapha, Pacha.......................................................................... 1616
Cheïkh Hossein, Pacha (2e fois)................................................... 1617
Kheder, Pacha II............................................................................. 1621
Cheïkh Hossein, Pacha (3e fois)................................................... 1622
Ibrahim. — Le peuple, mécontent, se révolte et

attaque le palais ; Ibrahim s’enfuit chez les Kabyles.................... 1623
Cheikh Hossein, Pacha (4e fois)................................................... 1624
Younès, Pacha................................................................................ 1629
Cheïkh Hossein, Pacha (5e fois)................................................... 1631
Yousef, Pacha, assassiné par son successeur............................ 1634
Yousouf Zenagui............................................................................. 1640
Merad, Pacha. (Il s’enfuit d’Alger à Rhodes)................................ 1641
Yousouf Zenagui, (Pacha 2e fois)................................................. 1642
Amar-Pacha (chasse Yousouf)...................................................... 1642
Yousouf Zenagui, Pacha, 3e fois................................................... 1647
Mohammed El-Alem, Pacha.......................................................... 1652
Ahmed, Pacha (chassé de son, palais, se réfugie
au Fort de la Marine où il reste un an)........................................... 1654
Ibrahim, Pacha, (usurpateur)......................................................... 1655
Ahmed, Pacha 2e fois, (renverse Ibrahim qui, à
son tour, se réfugie à la Marine).................................................... 1656
Ibrahim (2e fois remonte sur le trône).......................................... 1657
Ramdan, Agha (tué par son successeur)....................................  1660
Ibrahim. Agha (gouverne 3 jours).................................................. 1661
Châban, Agha................................................................................. 1661
El-Hadj Ali, Agha (tué).................................................................... 1664
El-Hadj Mohammed Tariaki, Dey................................................... 1671
Baba Hassan, Dey (tué par Mezzomorto, pendant
le bombardement des Français, en 1682)................................... 1681
Hassein Mezzomorto, Dey............................................................ 1682
Ibrahim Khodja, Dey...................................................................... 1686
Châban Khodja, Dey...................................................................... 1689
Omar, Dey (tué par son successeur)............................................ 1690
Moussa, Dey................................................................................... 1692
Châban Khodja, Dey (étranglé)..................................................... 1694
El-Hadj Ahmed, Dey...................................................................... 1695
Hassan, Dey................................................................................... 1698
Ali. Dey........................................................................................... 1699
Baba Hadj Mustapha, Dey............................................................. 1700
Hosseïn Khodja, Dey..................................................................... 1705
Mohammed Baktach, Dey............................................................. 1706
Dely Ibrahim (assassiné un mois après)...................................... 1710
Baba Ali, Dey (1)............................................................................ 1710
Mohammed ben Hassen (ne savait ni lire ni écrire)..................... 1718
Baba Abdi, Dey.............................................................................. 1724
Baba Ibrahim Effendi, Dey............................................................ 1732
Baba Ibrahim, Dey (étranglé)........................................................ 1745
Mahammed ben Beker, Dey (tué par son successeur)………….1748
Baba Ali, Dey.................................................................................. 1754
Baba Mohammed ben Osman, Dey (règne 25 ans).................... 1766
Hassan, Dey.................................................................................... 1791
Baba Moustapha, Dey.................................................................... 1798
Ahmed Khodja, Dey....................................................................... 1805
Ali Dey, Dey.................................................................................... 1808
El Hadj Ali, Dey............................................................................... 1809
Mohammed, Dey............................................................................ 1815
Omar, Dey....................................................................................... 1815
Ali Khodja, Dey............................................................................... 1817
Hussein, Dey (dernier Dey détrôné par les Français, en 1830).. 1818

(1) Sous Baba Ali, un Pacha du nom de Charkan Ibrahim, fût envoyé de Constantinople ; mais il mourut à Collo où il avait relâché par suite du mauvais temps.

           Revenons maintenant à notre sujet, et voyons les relations commerciales antérieures avec les Barbaresques qui, par la suite, amenèrent la fondation définitive de nos Établissements d’Afrique.

           D’après la table de Peutinger, La Calle occuperait l’emplacement de la station romaine de Tuniha ou Tuniza, selon une autre lecture. Mais les monuments épigraphiques découverts jusqu’à ce jour ne nous révèlent aucune particularité saillante. Constatons seulement la présence dans le pays de plusieurs gisements de vestiges antiques, d’un nombre assez considérable d’anciens moulins à huile et, enfin, la Nécropole de la Çhefia où le docteur Reboud a fait une si belle moisson d’Inscriptions libyco-berbères.
           Obligé de franchir, faute de documents, une période relativement longue, nous arrivons à l’époque Musulmane et Ibn Haukal nous apprend que Marsa-El-Kharaz, le port aux breloques, nom Arabe, donné alors à La Calle, était habité en 960 de notre ère par des marchands très riches et des courtiers pour la vente du corail. Un Commissaire-Inspecteur établi par le Khalife el-Mansour y présidait à la prière, recevait les Impôts et examinait les produits de la Pêche. Le corail, qui entrait déjà dans la parure des dames Romaines du temps de Pline, devint également en usage chez les Musulmans.

La Calle, la Marsa-el-Kharaz des Arabes, en l’an 900

           Le géographe Arabe El-Bekri, écrivait un siècle plus tard :
           « A l’Orient de cette ville (Bône), il y en a une autre nommée Marsa-El-Kharaz (1), le port aux breloques, où se trouve le corail. La mer environne cet endroit de tous côtés, à l’exception d’un chemin très étroit ; elle parvient même quelques fois à couper ce passage pendant la saison de l’hiver. Marsa-el-Kharaz est entouré d’un mur et renferme un bazar très fréquenté. Depuis peu de temps on y a établi un débarcadère pour les navires. On construit à Marsa-el-Kharaz des vaisseaux et des bâtiments de guerre qui servent à porter le ravage dans le pays de Roum (les côtes de l’Europe). Cette ville est le rendez-vous des Corsaires ; il en arrive de tous les côtés, attendu que la traversée de là en Sardaigne est assez courte pour être effectuée en deux jours. »

           Vis-à-vis de Marsa-El-Kharaz est un puits appelé Bir-Azrag, dont l’eau est malsaine, aussi dit-on proverbialement : Il vaut mieux recevoir un coup de javelot (mizrag) que de boire au puits d’Azrag, Cette ville est infestée de serpents, et l’air y est si mauvais que le teint jaunâtre des habitants sert à les distinguer de leurs voisins (2). C’est à un tel point qu’ils ont presque tous une amulette suspendue au cou. Le revenu de Marsa-El-Kharaz s’élève à dix mille dinars (100,000 francs) (3). Au moyen-âge, le corail était encore très recherché : on l’employait comme parure et il se débitait très avantageusement : celui qu’on pêchait dans le golfe d’Azkak, nom de la petite baie de La Calle, était le plus estimé. Au rapport des Géographes Arabes, il était supérieur en qualité à tous les coraux connus, notamment à ceux de Sicile et de Ceuta. On en vendait pour des sommes considérables, et, quoique explorés tous les ans par les marchands étrangers, les bancs des rochers de Marsa-El-Kharaz donnaient toujours un corail en grande abondance.
           Nous verrons que l’emplacement de La Calle s’appelait encore Marsa-El-KharazMassacarès, selon la transcription européenne, lors de la fondation des premiers Établissements Européens.

(1) Quelques géographes Arabes l’appellent aussi Marsa-el-Djoun — le port du golfe, le premier nom a prévalu.
(2) Ce passage démontre que l’étang voisin de La Calle a été de tout temps un foyer de miasmes paludéens. En 1785, la Compagnie Française faisait déjà étudier un projet de dessèchement pour se débarrasser de la fièvre.
(3) L’Afrique, par El-Bekri, Géographe Arabe de l’an 1068 de notre ère, traduction de De Slane

Les Espagnols et les Génois à Bône
et à La Calle au moyen-âge

           Aux Xe et XIe siècles, les Espagnols avaient un Comptoir à Bône et se livraient également à la pêche du corail. Mais les Corsaires Barbaresques ne cessaient de ravager les côtes du Midi de l’Europe par de fréquentes descentes, sans doute pour se venger de Guillaume de Provence, qui, en 975, s’étant emparé de la forteresse du Fraxinet (près Saint-Tropez), en avait chassé les Sarrasins qui l’occupaient. Pour mettre un terme à ces déprédations, la flotte Pisane, renforcée de navires Génois et probablement aussi de navires Provençaux, s’empara, en 1034, de la ville de Bône qui était un réceptacle de Corsaires, et ravagea la côte de la Proconsulaire jusqu’à Carthage.
           Malgré cette lutte acharnée, Bône conserva un fond de population Chrétienne, puisque, en 1076, l’Évêché de la glorieuse ville de Saint Augustin devint vacant et que le Pape Grégoire VII lui donna un successeur.

           En 1152, Roger, Roi de Sicile ayant rompu le traité de paix avec les Barbaresques, envoya ses galères en Afrique sous les ordres de l’Amiral Philippe de Méhédia, Musulman converti au christianisme, que le Roi eût la faiblesse de laisser emprisonner et brûler vif, plus tard, comme faux Chrétien. Bône et quelques autres villes de moindre importance, reçurent des Gouverneurs et des garnisons au nom du Roi de Sicile, et Roger joignit dès lors à ses autres titres, celui de Roi d’Afrique, Mais il ne jouit pas longtemps de ses conquêtes. La triste fin de son Amiral Philippe, fut la première atteinte portée aux croyances des Musulmans de Sicile ; la révolte éclata partout et l’armée d’Abd-el-Moumen, venue du Maroc, s’empara de Bône et des autres villes, en 1159 ; les Chrétiens établis en Afrique, eurent alors le choix de l’Islamisme ou de la mort.
           Malgré la sévérité de cette mesure, de nouvelles relations se renouèrent bientôt avec l’Europe. Les Pisans d’abord, puis les Génois, conclurent des traités de commerce et obtinrent la faveur de revenir sur la côte Barbaresque. Marseille, Arles, Montpellier, Nîmes, Saint-Gilles, Narbonne, associés aux Génois, qui primaient les Pisans, y envoyaient fréquemment leurs négociants.

           Il est probable que les clauses de ces traités étaient les mêmes pour toutes les Nations. Ainsi, dans celui de 1230, dont la durée était fixée à trente ans et que rapporte en entier Antonio Marin, dans son histoire du commerce de Venise, on garantissait aux Pisans la liberté du commerce dans les États du Monarque Hafside de Tunis ; la faculté d’y avoir des magasins, des maisons, des églises, des bains et des cimetières ; le droit d’y entretenir un Consul avec droit et juridiction sur et entre ses nationaux, et le privilège pour ce Consul d’être admis, une fois par mois, à l’audience du Prince en quelque lieu qu’il se trouvât.
           Sans doute que les Arabes causèrent de nouveaux dommages aux Européens, puisque, en 1286, le Gouverneur de la Sicile, Marquis Roger de Loria, agissant au nom du Roi d’Aragon, ravagea les côtes d’Afrique; battit en brèche et prit d’assaut la forteresse de Marsa-el-Kharaz (La Calle). Il y mit le feu, après l’avoir pillée et emmena les habitants en captivité.
           Le 27 Janvier 1313, Abou Yahïa, Roi de Tunis et Don Sanche, Roi de Majorque, Seigneur du Roussillon, de la Cerdagne et de Montpellier, faisaient un traité de commerce qui attribuait à ce dernier tous les droits, avantages et prérogatives accordés aux autres États.

           Selon quelques écrivains, nos possessions d’Afrique Remonteraient à l’Expédition que Louis de Clermont, duc de Bourbon, dirigea en 1390, contre, les Maures. Il descendit, disent-ils, de vive force, sur les côtes de Tunis, et alla investir Carthage. Après deux mois de siège et quatre assauts, il remporta sur toute l’armée Tunisienne, accourue au secours de la place, une victoire sanglante sous les murs de la ville. La perte de cette bataille força le Roi de Tunis à traiter ; il donna dix mille écus d’or, somme alors très considérable, pour les frais de la guerre, rendit tous les esclaves Chrétiens et garantit aux navires Français une entière sûreté pour leur commerce et leur pêche.
           Cette version, très répandue, n’est rien moins que fantaisiste et a besoin d’être rectifiée, puisque notre Chroniqueur Froissard et l’Historien Arabe, Kaïrouani, nous fournissent des documents authentiques irréfutables, démontrant d’abord que ce n’est pas à Carthage, couverte alors comme aujourd’hui, de ruines, mais, bien à Méhédia, très loin de là, que s’accomplit cette Expédition malencontreuse.

           Vers la fin du XIVe siècle, en effet, les Génois se brouillèrent avec le Roi de Tunis, Abou. El-Abbas, à propos de déprédations commises par des pirates Africains, que ce Prince ne put ou ne voulut punir. Les Génois n’ayant obtenu aucune satisfaction, résolurent de s’emparer de Méhédia et de s’y établir, afin de pouvoir, de là, faire respecter leur pavillon ; mais, se méfiant de leur force, ils voulurent intéresser la France clans leur querelle. A cet effet, ils envoyèrent une Ambassade à Charles VI, qui régnait alors, en le priant de leur accorder un Prince de sa famille pour commander l’Expédition. Le moment paraissait bien choisi : la France et l’Angleterre, engagées dans une longue série de guerres, venaient de conclure une trêve de trois ans, et les Chevaliers français déjà fatigués d’un repos de quelques mois, ne demandaient pas mieux que d’aller courir les aventures.

           Le duc de Bourbon, oncle maternel du Roi, eut le Commandement offert. Quatorze cents Chevaliers et Écuyers l’accompagnaient. L’Expédition partit de Gênes vers la fête de la St-Jean, 1390. Les Génois avaient fourni 18,000 hommes.

           La flotte aborda à Méhédia, le débarquement s’accomplit sans obstacle et le siège commença. Mais les Chrétiens, sans cesse harcelés par les Arabes du dehors, périssaient de chaleur sous leurs lourdes armures que ces escarmouches continuelles ne leur permettaient pas de quitter un instant. Pendant ce temps, la ville faisait bonne contenance et repoussait les assauts qu’on lui livrait. Enfin, l’hiver approchant et la désunion s’étant mise dans l’Armée, on leva le siège qui avait duré soixante et un jours et tout le monde se rembarqua. Cette Expédition échoua donc complètement, et ce n’est pas en de telles conditions que les Français auraient pu obtenir le moindre avantage de la part du Sultan Hafside de Tunis.

           Aboulfeda, écrivain Arabe, parle aussi de l’importance qu’avaient les Pêcheries de corail dans les eaux de Bône. Plus tard, la pêche passa entre les mains des Catalans, qui payaient, en 1439, une redevance au Roi Hafside.
           En 1446, un Négociant de Barcelone avait affermé le droit de Pêche sur toutes les côtes de Tunisie et à l’Ouest jusqu’à Bougie, et l’on apprend d’une Lettre des Magistrats de Cagliari, que le Concessionnaire principal ne se contentait pas du dixième prélevé par lui sur la récolte de chaque bateau corailleur d’origine Sarde et qu’il voulait exiger le droit exorbitant du tiers.

Louis XI en relations avec le roi de Bône

           Plusieurs de nos Historiens affirment que dans des Chartes, des Bulles et des Diplômes du commencement du XVe siècle, il est déjà fait mention des Possessions du Roi de France en Mauritanie. On s’y serait établi, définitivement, vers l’année 1450, sur les confins des États actuels de Tunis et d’Alger, c’est-à-dire à La Calle ou aux environs, dans le but d’exploiter la Pêche du corail et le commerce intérieur du Pays.

           On acquit de Cheïkhs Arabes la propriété de ces Territoires moyennant une redevance annuelle ; de là, le nom de Mazoule, expliqué plus haut. Il serait curieux de retrouver le Marché passé pour cette Concession; peut-être en existe-t-il des traces dans nos Archives, à Paris ou à Marseille ; mais, dès à présent, nous avons un document qui confirme les liens commerciaux existant déjà depuis longtemps entre nos Provençaux et les Indigènes du Pays de Bône.

           En effet, Louis XI avait voulu, lui aussi, multiplier les rapports de la France avec la Côte d’Afrique. Le même mouvement qui porta cet esprit actif et pratique à instituer les Postes, à fonder des Manufactures de soie, à augmenter le nombre des Foires, à négocier des Traités avec les Étrangers, l’amena à donner une protection particulière au commerce de la Provence.

           Dès l’année 1482, ou à peu près, il entra en relations avec le Sultan de Tunis, Abou Omar Otman et avec son fils, qui régnait sur les Provinces de Bône et de Bougie. Le Roi de France exprimait aux Princes son désir de voir continuer et se développer à l’avantage réciproque des deux Pays, les relations qui existaient entre la Provence et l’Afrique du temps du Roi René, son oncle :

           « Pour ce que, disait Louis XI au Roi de Bône, nous avons délibéré, à l’aide de Dieu, d’élever en notre Pays de Provence la navigation et fréquenter la Marchandise de nos Sujets avec les vôtres, par manière que s’ensuive utilité et profit d’une part et d’autre, et que la bénivolence accoutumée entre la Majesté du Roi de Tunis, votre père, auquel présentement écrivons, et la vôtre et celle de bonne mémoire le Roi de Sicile, notre oncle, non pas seulement soit conservée, mais accrue, nous avons voulu vous avertir en vous priant bien affectueusement qu’il vous plaise accueillir nos sujets, lesquels viendront pratiquer et troquer de par delà, les traiter favorablement comme vous faisiez par le temps que notre dit oncle vivait, car ainsi ferons-nous à vos sujets quand le cas adviendra. »

           Louis XI sollicitait en même temps l’Émir de Bône pour que les marchandises d’un navire de Jean de Vaulx, ancien Général de Provence, naufragé sur ces côtes, fussent restituées « comme de juste » aux représentants que les intéressés envoyaient en Afrique.

Privilèges accordés à Pierre et Jean Benoist,
pour le commerce sur la côte d’Afrique

           Il est probable que les guerres entre Barberousse et les Espagnols, qui occupaient plusieurs points du littoral algérien, jetèrent la perturbation dans notre commerce Africain ; mais, en 1528, les frères Pierre et Jean Benoist, Consuls de France au Caire et à Alexandrie, obtinrent du Sultan Selim I, le maintien des privilèges relatifs à la faculté de continuer à commercer dans l’Empire Ottoman.
           Ces privilèges avaient été accordés aux Français en vertu d’un commandement du dernier Sultan d’Égypte, en 1507, et Soliman les confirmait en ces termes :(1)<
           « A tous ceux des Cadis, des Émirs etc.. au devant desquels se trouvera cet ordre libéral, savoir leur faisons que les honorés Consuls de bonne créance Jean Benoist et Pierre Benoist. Consuls des Catalans et des Français ont comparu en notre présente et nous ont présenté un Commandement pour les Français et Catalans avec des conditions et des pactes qui s’observent, et nous ont demandé un Commandement en confirmation d’icelui avec les articles et conditions qui y sont contenus... suivent les articles... (2)

           « Et en conclusion, pour tous leurs négoces et actions, qu’il soit procédé par la voie ancienne, sans innovation d’autre chose suivant le susdit Commandement du Cherif qu’ils ont en mains du 14 Rebiâ-el-Akhir de l’An 913 (1507), en conformité duquel nous commandons qu’il soit concédé tout ce qui est écrit ci-dessus aux Nations des Français et des Catalans et qu’il soit fait la criée et la proclamation de toute sûreté et foi, afin qu’ils puissent vendre et acheter, prendre et recevoir sans oppression et travail aucun, qu’ils aillent et viennent avec sûreté de leurs personnes et biens et qu’il ne soit fait déplaisir.

           « Et que tel notre Commandement soit obéi en tout et partout et mis à exécution par tous ceux au devant desquels il parviendra. » (3).
           Peut-être objectera-t-on ces Commandements ne concernaient-ils pas notre commerce avec le territoire dit Algérien, puisque cette contrée n’appartint à la Turquie qu’en 1532, lorsque Kheireddin Barberousse eût fait hommage de ses conquêtes à la Porte. Nous verrons cependant par les traités postérieurs, notamment dans celui de 1604, que les usages anciennement établis sont confirmés, ce qui prouve leur existence antérieure et la reconnaissance des Propriétés françaises.

(1) Privilèges de Kansou Sultan d’Égypte de la dynastie circassienne, en l’an 913 (23 Août 1507).
           Hatti Chérif du Sultan Selim 1er, de rebia 923 (Avril-Mai 1517) voir recueil des traités de la Porte ottomane par le baron de Testa.
(2) Voir plus loin le résumé de ces articles renouvelés dans le Traite passé avec François 1er en 1535.
(3) Manuscrit de la Bibliothèque nationale et de l’Arsenal.

Traité entre François 1er et la Porte, en 1535

           On sait que François 1er chercha à abaisser la maison d’Autriche avec le secours des Ottomans, et que cette politique fut suivie par ses successeurs jusques vers la fin du règne de Henri IV. Au printemps 1534, arriva à Constantinople le Chevalier Jean de la Forest, en qualité d’Ambassadeur de France. Il était chargé d’une double mission dont il devait assurer le succès par l’influence de Kheireddin Barberousse, que François 1er promettait d’aider de son mieux à conserver Alger et Tunis, en retour des secours que Barberousse lui prêterait contre les Espagnols et les Génois. Il était enjoint à la Forest, de chercher à obtenir la confirmation des anciens privilèges de commerce, de proposer un Traité de paix, et enfin une série d’autres arrangements à propos de la politique Européenne, dont nous n’avons pas à nous occuper ici.

           La Forest profitant des bonnes dispositions qu’il avait su inspirer à l’Empereur Ottoman et à son. Grand Vizir, conclut en Février 1535, un Traité d’amitié et de commerce, et, peu de temps après, détermina le Sultan à contracter une alliance offensive et défensive avec François 1er, en vertu de laquelle la France obtenait la prééminence politique en Turquie. Il fut convenu que tous les Chrétiens, même non Français, allant à Constantinople, aux Échelles du Levant ou de Barbarie, seraient sous la Juridiction et le Protectorat du Consul de France auprès de la Porte, où du reste à cette époque il n’y avait que le nôtre.

           Ce Traité, fait à la date du mois de février 1535 (Châban, 941 de l’Hégire), et qui constitue la base des relations existant aujourd’hui encore entre la Porte Ottomane et les Puissances Européennes statuait en substance ce qui suit :

           « Les Français résidant dans l’Empire Ottoman ne seraient soumis qu’à la juridiction de leurs Chefs nationaux. — Les Consuls acceptés et soutenus dans leur autorité, jugeront selon leur foi et loi, sans qu’aucun Fonctionnaire Turc, Kadi Soubachi ou autre, puisse ouïr, juger et prononcer tant au civil qu’au criminel, sur les causes, procès ou différends survenus entre les sujets du Roi seulement ; et que les Officiers du Sultan prêteront main-forte pour l’exécution des jugements des Consuls. Toute sentence portée par les Kadis entre marchands français, était déclarée nulle. — En cas de contestations au civil entre les Sujets Turcs et les Français, la plainte des premiers, ne pourra être reçue par le Kadi à moins qu’ils apportent un écrit de la main du Consul et que dans aucun cas les Sujets du Roi ne pourront être jugés sans la présence du Drogman de la Nation.

           En matière criminelle, les Sujets du Roi ne pourront être amenés devant le Kadi, ni être jugés sur l’heure; mais qu’ils seront conduits devant la Sublime Porte, et, en l’absence du Grand-Vizir, devant son Substitut pour que l’on discute le témoignage du Sujet Turc contre le Sujet du Roi. — Si quelque Sujet du Roi quitte les États du Grand-Seigneur sans avoir payé ses dettes, le Consul ni aucun Français n’en seront responsables, mais que le Roi fera satisfaire le demandeur.
           La mise en liberté, de part et d’autre, des esclaves et prisonniers de guerre. — Respect réciproque des bâtiments se rencontrant en mer, hausser la bannière et se saluer d’un coup de canon. — Dans les Ports, livrer des vivres et autres choses nécessaires contre paiement. — Recueillir les naufragés, les secourir et respecter leurs biens. — Publication dudit traité à Constantinople, Alexandrie, Marseille, Narbonne et autres localités terrestres et maritimes des États du Grand-Seigneur et du Roi (1). »

           J’ai mentionné les diverses clauses de ce Traité, afin de mieux faire ressortir combien les Algériens s’en écartèrent souvent par la suite. Quoiqu’il en soit, notre Ambassadeur La Forest obtint l’insertion d’un Article additionnel à la copie du Traité que le Grand Seigneur notifia aux Algériens par un de, ses grands Officiers, afin de prévenir les brigandages de leurs corsaires. Il leur déclarait que, si contrairement à l’ordre impérial, ils continuaient à inquiéter le commerce Français, le Roi de France pourrait les traiter en ennemis, sans que cette répression ne portât aucune atteinte à l’amitié qui régnait entre la France et la Turquie.
           Il était mentionné aussi que des ordres avaient été donnés pour que les Français péchassent sur les côtes de Barbarie, entre Alger et Tunis, le corail et le poisson, suivant « l’usage anciennement établi » et que nul étranger ne devait entrer en partage de ce droit (2).


           Ces ordres du Sultan furent loin d'être strictement exécutés par les Algériens, car, en 1551, les Génois faisaient, eux aussi, la pêche dans les eaux de Bône, et leurs corailleurs se mettaient à deux lieues au Nord de la ville, sous la protection du fort qui conserve leur nom. André Doria, le célèbre Amiral, ne dédaignait point d'être alors le fermier de la Pêche, et des bancs de corail qui paraissent aujourd'hui épuisés, s'exploitaient vis-à-vis la Kasba moderne.

(1) Voir Documents sur l’Histoire de France et le Recueil des Traités de la Porte ottomane, par le Baron de Testa.
(2) Le traité original de 1535, en langue Turque, est perdu, parait-il, ainsi que les originaux des diverses lettres patentes ou capitulations ; ce qui concerne Alger est sans doute dans ce cas. Les traductions nous restent heureusement, et nous retrouverons dans les documents de Germigny, en 1580, et le traité de paix de 1604, la confirmation de nos anciens privilèges dans le pays de La Calle.


A SUIVRE

ALGER, TYP. DE L'ASSOCIATION OUVRIÈRE V. AILLAUD ET Cie
Rue des Trois-Couleurs, 1877
Livre numérisé en mode texte par M. Alain Spenatto.

La valeur d'un crayon
Envoyé Par Chantal

          La valeur de l'éducation catholique et d'un crayon.
          La petite Suzie n'était pas la plus attentive à l'école catholique. Souvent, elle dormait en classe.
          Un jour, son institutrice, une Soeur, appelle son nom pendant qu'elle dort.
          'Dites-moi,Suzie, qui a créé l'univers ?'
          Comme Suzie ne bougeait pas, son ami le petit Jean assis derrière elle, prit son crayon et lui piqua l'arrière train.'Dieu tout-puissant!' sécria Suzie.
          La Soeur lui dit, 'Très bien' et continua son enseignement..

          Un peu plus tard, La Soeur demanda à Suzie, 'Qui est notre Seigneur et notre Sauveur?'
          Mais Suzie était de nouveau partie dans les limbes. Encore une fois, petit Jean est venu à sa rescousse en lui piquant le derrière.'Jésus Christ!!!' cria Suzie en sursautant.
          Et la Soeur encore une fois, lui dit 'Très bien', et Suzie retomba endormie.
          La Soeur lui demanda une troisième question...'Qu'est-ce qu'Ève a dit à Adam après avoir accouché de son vingt-troisième enfant?'
          Encore une fois, petit Jean est venu à la rescousse. Cette fois, Suzie a bondi et a crié, 'Si tu me plantes ça encore une fois dans le derrière, je te le casse en deux!'
          La Soeur s'est évanouie !



SOUVENIR DE GUERRE
Envoyé par M. Charles Ciantar

                 Je quitte ma ville de BONE (Algérie) en novembre 1941 pour m'engager dans la Marine Nationale.
        Arrivé à Ferryville (Tunisie), au C.F.I. " Compagnie de Formation indigène ". Bureau de recrutement Bizerte.
        Je suis des cours de charpentage à l'arsenal de " Sidi ABDALLAH " Muté à Oran (Algérie) à la D.A.U. (Défense Aérienne d'Oran) comme matelot charpentier.
        Le 8 novembre 1942, débarquement des anglo-américains en Afrique du Nord, des combats sont ordonnés par des chefs criminels et irresponsables contre nos alliés naturels, sous les ordres de Vichy. Nous nous battons.
        Muté à Alger, au bataillon Bizerte aux " Fusiliers Marine" chargé de libérer cette ville, puis dans le R.B.F.M. (Régiment Blindé des Fusiliers Marins), régiment de chasseurs de chars de la célèbre 2° D.B. du Général Leclerc. Cette division fortement exprimée par le Général De Gaulle rassemblait des hommes de toutes origines : anciens de Koufra et campagne d'Afrique, français libres, Pieds-Noirs et Magrébins, évadés de France, marins ayant subis les attaques Anglaises.
        Tunisie, Angleterre, Débarquement Normandie, Paris, Alsace jusqu'en Allemagne.
        Simplement Matelot Charpentier, avant de devenir Quartier-Maître en 1945.

Mon dernier Noël 1944 aux Fusiliers Marins 2ème D.B.

        Fin décembre, nous étions en Alsace, en ce rude hiver 1944. Nous les grands frileux qui débarquions d'Afrique du Nord via l'Angleterre. Durant plusieurs mois, nous avons dormi la plupart du temps sur la dure, dans la boue, sous la pluie et la neige, mangé quand nous pouvions, vécu au repos dans des maisons en ruine, dans des granges sur ta paille, ne se déchaussant pas de plusieurs jours, se lavant peu, ne dormant guère.

        Nous nous sommes battus, gelés jusqu'à l'âme, ayant froid, faim et parfois peur, mais riant quand même et plaisantant à la moindre occasion. Qu'importe les balles, les obus, l'inconfort. Même si près de vous, la mort rôde.

        C'est Noël, il fait froid par moins 20° à moins 25°, on ne l'a pas désiré mais il est là, il faut le fêter le plus dignement et gaiement possible.

        Nous sommes à NORDHOUSE, dans une famille alsacienne, il y a trois petites filles d'environ 2 ans. 4 ans et 6 ans (ou plus). Elles ne savent pas un mot de français. Malgré les restrictions, nous leur avons préparé un bon Noël.

        Notre T.D. (Tank Destroyer) le " PHOQUE " est dans la cour de cette ferme, en position de tir, chacun des cinq hommes d'équipage prend son tour de garde : BELFIS, NARCES, CLAD, BENEDIC et moi.

        On pense aux copains morts ou amochés, à la famille.

GRUSSENHEIM

        Avant l'attaque sur GRUSSENHEIM, je dois remplacer un camarade sur un autre char. Ce camarade n'a revu ses parents depuis environ quatre ans (c'est un métropolitain). Un jeune arrivant me remplace sur mon char, il n'a pas de connaissance sur un char.
        Mon camarade permissionnaire revient et reprend sa place sur son char : je suis prêt à reprendre ma place sur mon char, mais mon lieutenant me demande de laisser le nouveau arrivé prendre connaissance avec le matériel du char, armes, munitions, ravitaillement, etc.... On me remet une mitraillette THOMSON et un Bazooka en protection (les pieds dans la neige).
        

        Pendant l'attaque du 28 janvier 1945, je me trouve à environ 150 mètres à l'arrière, et nous recevons un enfer d'obus d'artillerie. Il faut faire du plat ventre sur la neige sans manger, sans boire, sans dormir, sans se laver, sans se raser, sans boissons chaude (par moins 20 à moins 25). L
        e char a reçu un obus de 88 sur le barbotin de droite (le barbotin c'est la poulie d'entrée qui entraîne la chenille)
        Le radio Ramonet (un remplaçant) est coupé en deux par l'obus qui rentre dans le char et le met en feu. Mon clairon que j'avais attaché en face du radio a fondu dans le char. Nous avons fait faire deux petites caisses par des Alsaciens et nous avons enterré nos camarades avec un lieutenant.
        J'ai eu les pieds gelés le 3 février 1945 dans ce village du nom de INNENHEIM. Je suis évacué à St Die. C'est un hôpital tenu par la 3ème division Américaine du Général Patton. Nous faisons partie de cette division. Puis sur Paris, au Val de Grasse. C'est succinctement que je raconte ce passage. J'ai écrit ces quelques lignes mais je ne suis pas romancier.

Jean Buttigieg
9, rue haute Le Ramage
41370 Saint Léonard en Beauce
Médaillé Militaire
Président des Anciens Combattants de Saint Léonard.
Anciens du Régiment Blindé des Fusiliers Marins 2ème D.B.

        T.D.M. 10 (U. S.) TANK DESTROYER CHASSEURS de CHARS
        ARMEMENT : 1 Canon de 76,2 mm, 1 Mitrailleuse de 12,7 mm
        Du nom : PHOQUE dont l'équipage est le suivant :

        CHEF de char ; Second Maître, Chauffeur BELFIS André
        TIREUR : Quartier Maître Fusilier CLAD François
        CONDUCTEUR : Quartier Maître Chauffeur NARCES Jean
        CHARGEUR : Matelot Charpentier BUTTIGIEG Jean
        RADIO : Matelot Equipage BENEDIC Charles

        Le " PHOQUE " détruit par un 88 allemand le 28 janvier 1945 vers 12 heures à GRUSSENHEIM (village détruit à 75%) pour la libération de la poche de COLMAR Nord (Alsace)
        De gauche à droite :
        BENEDIC : Radio Remplacé par RAMONET, tué et calciné.
        NARCES : Conducteur, brûlé à la face et aux mains.
        CLAD : Tireur, blessé à la cuisse par 3 éclats.
        BELFIS : Chef de char, blessé au ventre et aux mains.
        BUTTIGIEG : Aide tireur, remplacé par LOISEL, tué et calciné.



Le Bénévolat
Envoyé Par Geneviève


          Un jour, un fleuriste se rendit chez le coiffeur pour se faire couper les cheveux.

          Après sa coupe, il demanda combien il devait. Le coiffeur répondit :
          - C'est gratuit, je fais du bénévolat cette semaine.
          Le fleuriste s'en alla tout content.
          Le lendemain, en ouvrant sa boutique, le coiffeur trouva à sa porte une carte de remerciements et une douzaine de roses.

          Plus tard, c'est le boulanger qui se présenta pour se faire couper les cheveux. Quand il demanda pour payer, le coiffeur lui dit :
          - Je ne peux accepter d'argent : cette semaine, je fais du bénévolat.
          Heureux, le boulanger s'en alla tout content, et le lendemain, déposa à la porte du coiffeur une douzaine de beignets, avec un mot de remerciements.

          Puis, ce fut le député du département qui se présenta ; et lorsqu'il voulut payer, le coiffeur lui répondit :
          - Mais non, cette semaine c'est gratuit : je fais mon bénévolat ! Très heureux de cette aubaine, le député quitta la boutique.
          Le lendemain, quand le coiffeur arriva pour ouvrir, une douzaine de membres du parlement attendaient en ligne pour se faire couper les cheveux gratuitement...

          Serait-ce la différence fondamentale entre les citoyens de ce pays et les politiciens qui nous gouvernent ?


LES ANNALES ALGERIENNES
De E. Pellissier de Reynaud (octobre 1854)
Envoyé par Robert
LIVRE III

Entrée des Français à Alger.- Confiance de la population.
- Trésor de la Casbah. - Désarmement des indigènes
- Digression sur le gouvernement intérieur d'Alger sous la domination des Turcs. - Désordre administratif après l'occupation.
- Commission centrale du gouvernement présidé par M. Denniée.
- Conseil municipal. - Police française.
- Corporation juive. - Octroi. - Douanes, etc., etc.
- Description de la province d'Alger.

          Alger, lorsque les Français y entrèrent le 5 juillet 1830, ne présentait pas l'aspect triste et désolé d'une ville où la victoire vient d'introduire l'ennemi. Les boutiques étaient fermées, mais les marchands, assis tranquillement devant leurs portes, semblaient attendre le moment de les ouvrir. On rencontrait çà et là quelques groupes de Turcs et de Maures, dont les regards distraits annonçaient plus d'indifférence que de crainte. Quelques Musulmanes voilées se laissaient entrevoir à travers les étroites lucarnes de leurs habitations; les Juives, plus hardies, garnissaient les terrasses de leurs demeures, sans paraître surprises du spectacle nouveau qui s'offrait à leurs yeux. Nos soldats, moins impassibles, jetaient partout des regards acides et curieux, et tout faisait naître leur étonnement, dans une ville où leur présence semblait n'étonner personne.

          La résignation aux décrets de la Providence, si profondément gravée dans l'esprit des Musulmans, le sentiment de la puissance de la France, qui devait faire croire en sa générosité, étaient autant de causes qui appelaient la confiance: aussi ne tarda-t-elle pas à s'établir. Elle fût d'abord justifiée par la conduite des vainqueurs, car les premiers jours de la conquête furent signalés par k respect le plus absolu des conventions. Les personnes, les propriétés privées, les mosquées, furent religieusement respectées; une seule maison fut abandonnée au pillage, et, il faut bien le dire, ce fut celle qu'occupait le général en chef, la fameuse Casbah. Mais hâtons-nous d'ajouter que ce pillage, qui du reste a été beaucoup exagéré, fut plutôt l'effet de la négligence qu'un calcul de la cupidité. Par l'imprévoyance du commandant du quartier général, chacun put entrer dans la Casbah et en emperler ce que bon lui semblait. Beaucoup se contentaient du moindre chiffon, comme objet de curiosité ; d'autres furent moins réservés ; et parmi eux, on doit compter plusieurs personnes de la suite de V. de Bourmont, et même des généraux. Tout cela est fort répréhensible sans doute; mais tous ceux qui ont jeté la pierre à l'armée d'Afrique avaient-ils donc les mains si pures?

          Une affaire bien autrement grave que le vol de quelques bijoux à la Casbah serait la dilapidation du trésor de la Régence, si elle avait eu lieu. Je ne crois pas que les soupçons qui ont pesé sur quelques personnes à cet égard fussent fondés ; dans mon opinion, ce trésor est venu grossir en entier celui de la France, quoique les usages de tous les peuples en accordassent une partie à l'armée qui l'avait conquis. II était placé dans des caves dont l'entrée, exposée aux regards du public, fut mise sous la garde de douze gendarmes qui étaient relevés à courts intervalles, et il n'en sortait rien que pour être transporté sur-le-champ à bord des bâtiments de l'Etat, sous la conduite d'officiers pris au tour de service et sans choix. J'ai moi-même fait transporter un million de cette manière, et je ne savais pas, en allant à la Casbah, à quel genre de service j'étais appelé. Ce trésor fut inventorié par une commission de trois membres, qui étaient : le général Tholezé, M. Denniée et le payeur général, M. Firino ; on y trouva 48.700.000 francs.

          La ville d'Alger n'axant que peu de casernes, on n'y établit que quelques bataillons, et le reste de l'armée bivouaqua au dehors, ou fut logé dans les nombreuses maisons de campagne des environs. Le général Tholezé, sous-chef d'état-major, fut nommé commandant de la place.
          Dans l'ignorance où était le général en chef des intentions du Gouvernement au sujet d'Alger, il se tint prêt pour tout événement. Ainsi, d'un cité, il se fit présenter un travail sur les moyens de détruire les fortifications de la marine et de combler le port, et, de l'autre, il se livra à quelques actes administratifs qui, s'ils n'annonçaient pas une grande prévoyance, du moins semblaient indiquer le désir de conserver le pays.
          Le premier de ces actes fut la création d'une commission centrale du Gouvernement, chargée de proposer ces modifications administratives que les circonstances rendaient nécessaires; la présidence en fut dévolue à M. Denniée, intendant en chef de l'armée. Ce fonctionnaire s'étant trouvé ainsi en quelque sorte le chef civil de la Régence, sous l'administration de M. de Bourmont, doit supporter la responsabilité morale de tout ce qui fut fait, ou plutôt de tout ce qui ne fut pas fait à cette époque: car c'est par l'incurie, plus encore que par de fausses mesures, que nous avons commencé cette longue série de fautes qui rendent l'histoire administrative de notre conquête si déplorable dans les premières années, que, pour savoir ce qu'on aurait dû faire, il faut prendre presque toujours le contraire de ce qu'on a fait.

          S'il est un principe dicté par la raison et reconnu par le plus vulgaire bon sens, c'est celui qui veut que, lorsqu'on est appelé à administrer un pays conquis, on respecte d'abord l'organisation administrative existante, afin d'éviter le désordre et de conserver la tradition et la suite des affaires. On peut, plus tard, introduire avec réserve et ménagement les changements reconnus utiles; mais, dans les premiers instants de la conquête, un vainqueur sage et avisé n'a qu'à se mettre aux lieux et places du vaincu. C'est ainsi qu'on se réserve des ressources et qu'on prévient tous ces froissements qui sont bien plus sensibles au peuple conquis que l'humiliation passagère de la défaite. Quelque peu contestable que soit ce principe, il fut méconnu par l'autorité française. Je ne sais si elle s'imagina que la population algérienne ne formait qu'une agglomération d'individus sans lien commun et sans organisation sociale ; mais elle agit exactement comme si elle en avait la conviction. Aucune disposition ne fut prise pour régler la nature des relations des diverses branches du service public avec le nouveau pouvoir. Aucun ordre ne fut donné aux fonctionnaires indigènes : on ne leur annonça ni leur conservation, ni leur destitution. On agit comme s'ils n'existaient pas : aussi, ne sachant à qui s'adresser, ils abandonnèrent le service sans en faire la remise, emportant ou faisant disparaître presque tous les registres et les documents les plus précieux. Dans la Casbah même, sous les yeux de M. Denniée, j'ai vu des soldats allumer leurs pipes avec les papiers du Gouvernement dispersés çà et là sur le sol.

          Jamais, peut-être, une occupation ne s'est faite avec autant de désordre administratif que celle d'Alger, même dans les siècles les plus barbares. Les hordes du Nord, qui s'arrachèrent les débris de l'empire romain, se conduisirent avec plus de sagesse et de raison. Les Francs dans les Gaules, les Goths en Espagne et en Italie, eurent le bon esprit de conserver ce qui existait, tant dans leur intérêt que dans celui des nations soumises. Lorsque les Arabes remplacèrent ces derniers en Espagne, ils ne se hâtèrent pas non pins de tout détruire ; il nous était réservé de donner l'exemple d'une telle extravagance.
          Nous avons fait connaître, dans le premier livre de cet ouvrage, les principaux ressorts du gouvernement turc de la Régence ; avant d'entrer dans les détails des actes administratifs de l'autorité française, nous allons expliquer, en peu de mots, quel était le gouvernement intérieur d'Alger.
          Ce gouvernement qui, sous bien des rapports, mérite le nom de municipal, était basé sur les droits et les devoirs qu'une communauté plus ou ni moins intime d'intérêts établit entre les diverses catégories de citoyens. C'est à ce principe que durent le jour les communes du moyen âge et les grandes assemblées représentatives des nations de l'Europe. Plus tard, la révolution française a prouvé que, chez un peuple avancé, les intérêts devaient être encore plus généralisés ; mais, chez les nations qui ne sont encage qu'au second degré de la civilisation, et qui se trouvent en face d'un pouvoir violent et brutal, comme l'étaient celui du Dey à Alger et celui des seigneurs dans l'Europe au moyen âge, le système des catégories d'intérêts est celui qui offre le plus de garanties aux libertés individuelles. C'est ce système qui s'introduisit à Alger sous la domination des Arabes, et que les Turcs y respectèrent.

          Chaque métier formait une corporation qui avait à sa tête un syndic, appelé amin, chargé de sa police et de ses affaires : tous les amins étaient placés sous les ordres d'un magistrat appelé cheik-el-belad (chef de la fille).
          La surveillance des marchés était confiée à un magistrat appelé moktab, qui avait le droit de taxer les denrées.
          Deux magistrats étaient chargés de la police générale : le premier, appelé kaïa (lieutenant), exerçait pendant le jour; il était chef de la milice urbaine et pouvait être pris parmi les Koulouglis ; le second, qui ne pouvait être choisi que parmi les Turcs, exerçait pendant la nuit; on le nommait agha-el-koul. Un fonctionnaire particulier, nommé mezouar, avait la police des maisons de bains et des lieux de prostitution ; il était, en outre, chargé de faire exécuter les jugements criminels.
          Un employé supérieur, appelé amin-el-aïoun, veillait à l'entretien des fontaines, au moyen des revenus affectés à ces sortes d'établissements de première nécessité.
          Tous ces magistrats étaient sous les ordres immédiats du khaznadji, qui, ainsi que nous l'avons dit plus haut, était le ministre des finances et de l'intérieur.
          Tel était le gouvernement de la ville d'Alger, que nous nous hâtâmes de détruire, ou plutôt de laisser périr.

          On créa, pour le remplacer, un conseil municipal, composé de Maures et de Juifs. On y vit figurer tous les indigènes qui s'étaient les premiers jetés à notre tête, c'est-à-dire les intrigants et quelques notabilités maures, dont on faisait grand cas alors, mais dont le temps nous a démontré l'insignifiance : Ahmed-Bouderbah en eut la présidence. C'était un homme d'esprit, fin et rusé, mais sans le moindre principe de moralité, et plus tracassier qu'habile ; il avait longtemps habité Marseille, d'où une banqueroute frauduleuse le força de s'éloigner. Nous en parierons plus d'une fois dans la suite de cet ouvrage.

          Le service de la police fut confié à M. d'Aubignosc, dont il a déjà été question ; il reçut le titre de lieutenant général de police. Son action dut s'étendre sur la ville et sur le territoire d'Alger. On plaça sous ses ordres un inspecteur, deux commissaires de police et une brigade de sûreté maure, composée de vingt agents et commandée par le mezouar. Malgré tous ces moyens et le concours de l'autorité militaire, la police française fut presque toujours au-dessous de sa mission, ce qui était d'autant plus choquant que, sous le gouvernement turc, la ville d'Alger était peut être le point du globe où la police était le mieux faite. Les vols, naguère presque inconnus, se multiplièrent dans des proportions effrayantes, et les indigènes en furent encore plus souvent les victimes que les auteurs.
          Un désarmement général de tous les habitants d'Alger fut ordonné. Les Algériens, qui s'y attendaient, s'y soumirent sans murmure ; mais cette mesure fournit une pâture â la cupidité de quelques personnes. Des armes précieuses, enlevées à leurs propriétaires, au lieu d'être déposées dans les magasins de l'État, devinrent la proie de tous ceux qui furent à portée de s'en emparer, tant on mit peu d'ordre dans cette opération, qui en demandait beaucoup.

          De tout temps, les Juifs d'Alger avaient formé une vaste corporation, ayant à sa tète un chef à qui, par dérision, on donnait souvent le nom de roi des Juifs. Cette organisation fut conservée, grâce à l'influence du fameux Bacri.
          Sous la domination des Turcs, les Juifs, même les plus riches, étaient traités de la manière la plus ignominieuse, et souvent la plus cruelle. En 1806, le dey Mustapha pacha ne trouva d'autre moyen d'apaiser une révolte de la milice que de lui livrer à discrétion les biens et les personnes de ces malheureux. En peu d'heures, trois cents d'entre eux furent massacrés; on leur enleva des valeurs immenses, que quelques personnes portent à trente millions de francs ; mais patients comme la fourmi et comme elle économes, ils eurent bientôt relevé l'édifice de leur fortune.
          M. de Bourmont eut le tort, que quelques-uns de ses successeurs ont partagé, de se livrer trop à cette classe d'hommes. Les Juifs, déjà portés à l'insolence par le seul fait de la chute de leurs anciens tyrans, ne tardèrent pas à affecter des airs de supériorité à l'égard des Musulmans, qui en éprouvèrent une vive indignation. De tous les revers de fortune, ce fut pour eux le plus sensible et celui qu'ils nous pardonnèrent le moins. La population israélite doit être traitée comme les autres, avec justice et douceur; mais il ne faut en tenir aucun compte dans les calculs de notre peuple envers les indigènes. Elle nous est acquise, et ne pourrait, dans aucun cas, nous faire ni bien ni mal. Sans racine dans le pays, sans puissance d'action, elle doit être pour nous comme si elle n'existait pas : il fallait donc bien nous garder de nous aliéner, pour elle, les populations musulmans, qui ont une bien autre valeur intrinsèque. C'est ce que tout le monde n'a pas compris; et la faute que nous avons commise pour les Juifs à l'égard des Musulmans en général, nous l'avons commise pour les Maures à l'égard des Arabes, comme nous le verrons dans le livre suivant.

          Une décision du 14 juillet conserva aussi la corporation des Biskeris et celle des Mozabites. Les Biskeris sont des habitants de Biskra, qui viennent à Alger pour y exercer la profession de portefaix et de commissionnaire, comme le font les Savoyards pour la France et l'Italie. Les Mozabites, ou plutôt les Beni-M'zab, appartiennent à une tribu du Sahara à qui le monopole des bains des moulins d'Alger fut concédé dans le XVIe siècle, en récompense des services qu'elle rendit à l'époque de l'expédition de Charles-Quint. Ces deux corporations ont leurs syndics nommés par l'autorité française ; il en est de même pour les nègres libres, dont le syndic a le titre de kaïd.
          La capitulation ne disait en aucune manière que la population d'Alger serait affranchie des anciens impôts, et, certainement, il n'entrait pas dans la pensée de ses nouveaux dominateurs de l'exempter de toutes les charges publiques. Néanmoins, les perceptions s'arrêtèrent par suite de la désorganisation de tous les services. Il faut en excepter celle des droits d'entrée aux portes de la ville, ce que nous appelons chez nous l'octroi. Un arrêté du 9 août en affecta les produits aux dépenses urbaines, et la gestion au conseil municipal ; mais on oublia bientôt l'existence de cette branche de revenu que les membres maures de la municipalité, auprès de laquelle il y avait cependant un Français pour commissaire du roi, se partagèrent tranquillement : ce fait peut paraître incroyable, il est cependant de la plus complète vérité. Ce ne fut que plusieurs mois après, sous l'administration du général Clauzel, que le hasard fit découvrir qu'il existait un octroi. On le réduisit alors aux provenances de mer, en le retirant à la municipalité, ainsi que le débit du sel qui lui avait été aussi affecté.
          L'histoire de la douane française à Alger offre quelque chose d'aussi bizarre que celle de l'octroi : la douane turque s'étant dispersée, fut remplacée par quelques individus qui avaient suivi l'armée, je ne sais à quel titre, et qui perçurent, sans tarif et sans reddition de comptes, pendant quinze jours.

          Il ne fut fait aucune remise des biens domaniaux, tant meubles qu'immeubles: aussi le plus affreux chaos exista, dès cette époque, dans cette branche de l'administration, laquelle fut longtemps sans titres et sans registres. Les objets existant dans l'arsenal de la marine et dans le port furent abandonnés pendant plusieurs jours à qui voulut s'en emparer ; les bâtiments de commerce qui avaient été nolisés pour l'expédition vinrent s'y pourvoir de chaînes, de câbles, d'ancres et d'agrès de toute espèce. Les portes de l'hôtel des monnaies, qu'on ne songea à occuper qu'au bout de deux ou trois jours, se trouvèrent enfoncées; toutes les valeurs avaient été enlevées. Enfin, on fut loin de prendre toutes les mesures convenables pour assurer au nouveau pouvoir l'héritage intact du pouvoir déchu. M. de Bourmont peut, jusqu'à un certain poins, trouver son excuse dans la douleur dont la mort de son fils avait pénétré son âme ; mais M. Desprez, son chef d'état-major, mais M. Denniée, son intendant en chef, avaient-ils aussi perdu un fils ?

          La prise d'Alger n'était que le premier acte de cette conquête qui devait nous rendre maîtres du beau territoire que la chute de la capitale enlevait aux Turcs, mais qu'ode ne nous donnait pas. Avant de commencer le long récit des événements qui la suivirent, je dois faire connaître avec quelques détails la province d'Alger, théâtre de nos premières opérations (1). Cette province s'étend de l'est à l'ouest, depuis les frontières des Kbaïles indépendants jusqu'au territoire de la petite ville de Tenez. Alger occupe à peu près le milieu de son littoral. Elle comptait cinq villes et onze districts ou outhans.
          Les villes sont : Alger, Blidah, Coléah, Dellis et Cherchell.
          Les outhans sont : Beni-Khelil, Beni-Mouça, Isser, Sebaou, Beni-Djéad, Beni-Khalifa, Hamza, El-Sebt, Arib, Beni-Menasser, El-Fhas ou banlieue d'Alger.

          Le Fhas, dont nous devons d'abord nous occuper, est un pays délicieux où la nature s'est plu à déployer ses plus riants caprices; il est déchiré par de larges et profonds ravins, tapissés d'une végétation abondante et vigoureuse ; l'oeil s'y promène avec ravissement sur une foule de sites plus pittoresques les uns que les autres, tellement mobiles et changeants, qu'il faut les avoir examinés de plusieurs points de vue pour les reconnaître. Aussi la monotonie, cette lassitude de l'admiration, n'existe point pour cette belle contrée, qui, semblable à l'ingénieux kaléidoscope, présente sans cesse aux regards surpris de nouvelles et inépuisables combinaisons.
          Le Fhas se divisait en sept cantons, qui étaient : Bouzaréa, Beni-Messous, Zouaoua, Ain-Zeboudja, Bir-Kadem, Kouba et Hamma.
          Le canton de Bouzaréa prenait son nom de la montagne de Bouzaréa, qui y est située. Il s'étendait depuis Alger jusqu'au cap Carine. Ce terrain est le plus accidenté et le plus pittoresque du Fhas; il est couvert d'une grande quantité de maisons de campagne; sur la partie la plus élevée existent deux villages, le grand et le petit Bouzaréa, habités par des Maures d'origine andalouse. Non loin de là est l'ancien poste de la vigie, d'où l'oeil embrasse un horizon immense : c'est peut-être la vue la plus étendue qui soit dans le monde.

          A l'ouest de Bouzaréa sont les deux cantons de Beni-Messous et de Zouaoua, avec des villages de même nom. Au sud du dernier s'étend le canton d'Aïn-Zeboudja, où se trouve le beau quartier de Kaddous, et où existait le village arabe de Beni-Rebia.

          A l'est d'Àin-Zeboudja, on trouve le canton de Bir-Kadem, le plus peuplé du Fhas. Il prend son nom de celui qui a été donné à un beau café maure et à une magnifique fontaine qui en occupent le centre. On voit dans le Fhas un grand nombre de cafés qui servent de points de réunion aux habitants, mais il n'en est pas de plus beau ni de mieux situé que celui de Bir-Kadem. On trouve dans ce canton les jolies vallées de Tixeraïn, de Bir-Madreis et d'Haïdra, ainsi que le riche plateau d'El-Biar, où étaient situées les maisons de campagne des consuls d'Espagne, de Hollande et de Suède, dont il a été question dans le livre précédent. Il y existait un village arabe appelé Saoula.

          Kouba, à l'est de Bir-Kadem, était le plus orientai des cantons du Fhas. Entre ce canton et Alger, en suivant le littoral, était celui d'Hamma, le moins étendu de tous. Il commençait au fort Bab-Azoun, au delà duquel règne une jolie plaine entre la mer et les collines de Mustapha-Pacha, ainsi nommées d'un palais que le dey de ce nom fit construire ; ces collines, les premiers points de la contrée qui se présentent aux regards du voyageur mouillé dans le port, sont de nature à lui donner la plus gracieuse idée de l'Algérie (2).

          A l'ouest et au sud du Fhas s'étend l'outhan de Beni-Khelil, borné à l'est par l'Arach, à l'ouest par la Chiffa et le Mazafran, et au sud par la province de Titteri. II comprend trois grandes divisions, qui sont : le Sahel, la plaine ou quartier de Boufarik, et la montagne.

          Le Sahel est la partie de l'outhan de Beni-Khelil la plus rapprochée d'Alger, et par conséquent de la mer. Nous avons dit, en parlant de la configuration générale de l'Algérie, ce que l'on doit entendre par ce mot. Le Sahel d'Alger appartient au même massif montueux que le Fhas, qui, physiquement, n'en est qu'une partie. Il se divisait en quatre cantons, savoir : Oulad-Fayed, Maelma, Douéra et Ben-Chaoua.
          Oulad-Fayed s'appuie à la mer vers Sidi-Féruch. La plaine de Staouéli est au centre de ce canton, qui est le moins montueux du Sahel. Les principaux centres de population en étaient : Ain-Kala, Cheraga, Oulad-Fayed, Haouch-Dechioua.

          Le canton de Maelma, au sud du précédent, s'étendait jusqu'au Mazafran. Les principaux centres de population en étaient : Maelma, Haouch-ben-Kandoura, Haouch-ben-Omar, Dekhekna, Essadia, Bederna, Ben-Chahane, Haouch-Touta, Haouch-Beri. Le chemin d'Alger à Coléah traverse ce canton de l'est à l'ouest. Les communications entre les deux rives du Mazafran avaient lieu par deux gués situés à peu de distance l'un de l'autre, et appelés Mokta-Khéra et Mokta-Ensara. Le terrain, au-dessus et au-dessous de ces gués, est occupé par un bois où l'on trouve plusieurs essences d'Europe.

          Le canton de Douéra, à l'est de celui de Maelma, avait pour principaux centres de population Haouch-Baba-Hassen, Douera, Xaria et Oulad-Mendil.
          Le canton de Ben-Chaoua, à l'est du précédent, s'étendait en partie sur les collines, et en partie dans la plaine. Ses centres de population étaient : Ben-Chanua, Oulad-Si-Soliman et Oulad-bel-Hadji. La partie qui est dans la plaine est occupée par le bois de Bir-Touta, que traverse le chemin d'Alger à Blida.
          Le Fhas et le Sahel sont traversés par plusieurs petits cours d'eau, dont le plus considérable est l'Oued-Kerma (la rivière des figues), qui se jette dans l'Arach, au bois le Bir-Touta.

          Le quartier de Boufarik, situé dans la vaste plaine de la Metidja, se subdivisait en trois cantons : l'Otta ou plaine proprement dite, le Merdjia ou marais, et l'Hamada.
          L'Otta est compris entre la route d'Alger à Blida et l'Arach. Il est peu fertile dans les environs de cette route, mais il change d'aspect sur les bords de la rivière. Ses principaux centres de population étaient alors : Oulad-Chebel, Haouch-Goreit, Souk-Ali, Haouch-Baba-Ali.

          Le Merdjia, à l'ouest de l'Otta, est très marécageux, comme l'indique son nom; il s'étend jusqu'à la Chiffa, qui le sépare de l'outhan d'El-Sebt. Il avait pour principaux centres de population Haouch-ben-Thaïb, Haouch-ben-Bernou, Haouch-Roumily, Haouch-ben-KheliI, Mered, Haouch-Chaouch et Bouagueb. C'était entre ces deux dernières rivières qu'était l'emplacement, vide alors, appelé Boufarik, c'est à dire le père de la séparation, parce que plusieurs chemins s'y bifurquent.
          L'Hamada est la plus belle partie de l'outhan de Beni-Khelil. Ce canton se déroule au pied des montagnes; le sol en est beaucoup plus élevé que l'Otta et le Merdjia, disposition qu'indique en arabe le nom qu'il porte. Ses principaux centres de population étaient, Gucrouaou, Halouïa, la Zaouïa de Sidi-el-Habchi. C'est aussi dans ce canton qu'est la ville de Blida, qui n'en faisait du reste partie que géographiquement, car elle avait son administration tout à fait distincte de celle de l'outhan de Beni Khelil.

          Les montagnes de cet outhan sont habitées, de l'est au sud-ouest, par les tribus kbaïles des Beni-Misra, Beni-Salah et Beni-Messaoud.
          L'outhan de Beni-Moussa est le moins étendu, mais le plus beau et le plus fertile de la province d'Alger. Il est borné au nord par le Fhas, au sud par les Beni-Khalifa, à l'ouest par l'Arach, qui le sépare de celui de Beni-Khelil, et à l'est par celui de Khachna. Il est arrosé par l'Arach et par l'Oued-Djemaa, qui s'y jette par la rive droite. L'Arach sort des montagnes par une coupure pratiquée entre deux rochers perpendiculaires, sur l'un desquels est pittoresquement placé le village de Melouan, au milieu d'un verdoyant plateau, véritable jardin suspendu entre le ciel et la terre. Au bas est une belle source d'eau thermale. Ce site est un des plus ravissants que l'on puisse rencontrer.
          L'outhan de Beni-Moussa est un pays délicieux. On y compte cent et une fermes, toutes bien boisées et bien arrosées. Vers le sud, il y existe quelques prairies marécageuses, peuplées, à notre arrivée dans le pays, de chevaux libres plutôt que sauvages. La plaine des Beni-Moussa, qui fait partie de celle de la Métidja, est divisée en sept cantons, qui sont : Cheraba, El-Hamiret, Oulad-Slama, El-Meraba-el-Cheraga, El-Meraba-el-Gharaba, Oulad-Ahmed et Beni-Hourli.

          La montagne, qui est aussi fort belle et fort bien complantée, se divise également en sept cantons, savoir: Beni-Azoun, Beni-Mohammed, Beni-Kechmit, Beni-Zerguin, Beni-Attia, Beni-Djellid et Beni-Ghmed.
          L'outhan de Khachna est borné au nord par la mer, au sud par les Beni-Djaad, à l'ouest par celui de Beni-Moussa, et à l'est par celui d'Isser. Il est arrosé par le Hamise, l'Oued-Rhégaïa, l'Oued-Khadera ou Oued-Boudouaou, et le Corso. Il touche au Sahel d'Alger vers l'embouchure de l' Arach, au-dessous de la maison carrée. On traverse la rivière, en cet endroit, sur un fort beau pont en pierre.

          La plaine de Khachna, y compris les collines qui servent en quelque sorte de marchepied à l'Atlas dans cette direction, est divisée en huit cantons, savoir : Zerouala, Djouab, Meridja, Oulad-Adadje, Oulad-Bessam, Oulad-Saad, Chaër-ben-Djenan, Araouah.
          La montagne de Khachna comprend, au centre, la tribu kbaïles d'Ammal, à l'ouest celle des Zouatna, colonie de Koulougli qui habite les bords de l'Oued-Zithoun, un des affluents de l'Isser ; à l'est celle des Beni-Aïcha. Ces trois tribus sont riches en oliviers et font avec Alger un commerce d'huile considérable. La plaine de Khachna est assez fertile en céréales; elle possède de beaux et féconds pâturages, surtout sur les bords du Hamise. Entre l'Oued-Regaïa et le Boudouaou, règne un bois de chênes verts assez considérable. Cette dernière rivière est la limite orientale de la Métidja.

          L'extrémité occidentale de cette plaine est comprise dans l'outhan d'El-Sebt, borné au nord par la mer et le territoire de Coléah, à l'est par l'outhan de Beni-Khelil, au sud par une partie de la province de Titteri et te territoire de Miliana, à l'ouest par les Beni-Menasser. Les montagnes de cet outhan comprennent les territoires de Mouzaia, Soumatha, Beni-Menad et Bou-Halouan.
          Houzaïa, à l'ouest des Beni-Salah, est une puissante tribu kbaïles qui pouvait mettre sous les armes près de 1.000 fantassins, à l'époque de la prise d'Alger. A l'ouest des Mouzaïa sont les Soumatha, autre tribu kbaïles non moins forte ; viennent ensuite les Beni-Menad, qui ne le cèdent en rien à leurs voisins. Au sud de ceux-ci est le canton de Bou-Halouan, habité par des Zemoul.
          Dans la plaine, l'outhan d'El-Sebt comprend les Hadjoutes et les trois petites peuplades des Oulad-Hamidan, des Beni-Ellal et des Zanakra, qui sont originaires du Sahara. Les Hadjoutes, avec qui ces trois petites tribus sont unies et même confondues, formaient la population la plus belliqueuse de la province d'Alger et la plus brave peut-être de toute l'Algérie. Nous les verrons souvent en scène dans le cours de cet ouvrage.

          L'outhan d'El-Sebt est arrosé par la Chiffa, le Bou-Roumi et l'Oued-Djer, dont la réunion forme le Mazafran. Coléah, dont le territoire fait géographiquement partie de cet outhan, avait, comme Blida, une administration particulière, tant pour elle que pour les villages voisins de Douaouda et de Chaîba.
          L'outhan de Cherchell comprenait la petite ville de ce nom et les tribus kbaïles de Beni-Menasser et de Chenoua.
          L'outhan de Beni-Khalifa, au oud de celui de Beni-Moussa, et situé sur les plateaux, est habité par les Beni-Khalifa, les Beni-Soliman et les Beni-Selim. Il est très beau et très fertile.

          L'outhan de Beni-Djaad, à l'est du précédent, est dans les mêmes conditions topographiques que celui-ci. Il est habité par la tribu arabe des Beni-Djaad et par la tribu kbaïles de Kastoula.
          A l'est des Beni-Djaad est l'outhan de Hamza, qui, après avoir appartenu longtemps à la province de Constantine, puis à celle de Titteri, fut uni à celle d'Alger quelques années avant la prise de cette ville. Le kaïd de cet outhan habitait ordinairement le petit fort de Hamza, où il y avait toujours une garnison turque. Son action s'étendait sur la tribu arabe des Oulad-Bellil, et sur les tribus kbaïles des Oulad-Aziz, des Beni-Allah et des Oulad-Meddour.

          Les Arib, tribu du Sahara, qu'une suite d'événements avait conduits sur les plateaux de Hamza, habitaient entre le fort de ce nom et les ruines de Sour-el-Guslan, et avaient leur kaïd particulier.

          L'outhan d'Isser, au nord de Hamza et à l'est de Khachna, est une contrée d'une remarquable fertilité. L'Oued-Nessa, ou Oued-Bouberak, le sépare de celui de Sebaou ; il est traversé par l'Isser, rivière assez considérable qui descend du plateau de l'Hamza.
          Le kaïd de Sebaou était fort puissant sous le gouvernement turc ; il avait droit de vie et de mort. Comme il était entouré de tribus indépendantes, on avait dit lui donner une grande force. Il habitait le fort de Sebaou, sur la rivière de même nom. A deux lieues de ce fort, il en existait un autre appelé Tisiousou. C'est dans les environs de ces deux forts qu'habitent les sûreté, puissante tribu qui s'étend sur la plaine et sur la montagne. Au nord et à quelques heures de marche du fort Sebaou est la petite ville de Dellis. Les environs de cette ville sont habités par les Flissa-el-Bhar, qui reconnaissaient l'autorité du kaïd de Sebaou, laquelle s'étendait aussi sur les tribus montagnardes des Beni-Ouganoun, Beni-Senad, Beni-Selim, Beni-Thor, Nezlioua, Beni-Khalfoun.

          Après ces tribus viennent les Kbaïles indépendants, parmi lesquels on peut compter, malgré quelques intermittences de soumission, les Flissa de la montagne, tribu brave et puissante divisée en 19 cantons, dont le moindre peut mettre 400 hommes sous les armes, et le plus considérable 2000, à ce que disent ces montagnards. Les Flissa fabriquent de la poudre et des armes, surtout des sabres qui ont de la réputation en Algérie.

          Les Arabes de la province d'Alger ont des habitations fixes ; la tente est peu en usage parmi eux. Les centres de population sont des fermes ou haouchs, et des villages ou djémas; Dechera est le nom du village dans la montagne. Pour bien comprendre la terminologie géographique de l'Algérie, il est nécessaire que le lecteur se familiarise avec ces expressions, ainsi qu'avec les suivantes : djebel, montagne, kef, rocher, oued, rivière, mokta, gué, teniat, défilé, aïn, source, douar, village de tentes. Les mots Beni et Oulad, qui entrent dans la composition des noms de presque toutes les tribus, signifient fils et enfants; ainsi Beni-Moussa, par exemple, se traduirait par les fils de Moussa., Oulad-Bellil par les enfants de Bellil. Les tribus arabes sont, en effet, le plus souvent composées des descendants d'une souche commune: aussi les individus d'une même tribu se traitent entre eux de frères et de cousins.

          Dans la province d'Alger, la division par outhans n'était point basée sur la diversité des races: elle était purement administrative. Il semble que les Turcs avaient pris à tâche de réunir des Arabes et des Kbaïles dans la même circonscription, conduits peut-être à cela par une pensée politique analogue à celle qui a présidé à la division de la France en départements.
          Chaque outhan était administré par un kaïd turc; chaque canton ou chaque tribu avait à sa tête un mecheikh ou grand cheikh, et chaque subdivision un cheikh. Quelquefois il existait dans les grandes fractions un magistrat intermédiaire entre les grands cheikhs et le kaki; il portait le titre de cheikh des cheikhs. Tous les kaïds de la province relevaient de l'agha.

          Outre les spahis, l'agha avait à sa disposition une sorte de milice que l'on appelait zemala (3), d'où on appelait zemoul les individus qui en faisaient partie. C'étaient, dans l'origine des aventuriers à qui le Gouvernement avait concédé des terres, à la charge du service militaire. On leur donnait par an un habillement et quelques boudjous. Ils formaient, comme on le voit, de véritables colonies militaires. Nous avons dit qu'il y avait de ces zemoul à Bou-Halouan, dans l'outhan d'El-Sebt ; il y en avait aussi dans celui de Sebaou, près du fort de ce nom.
          L'agha, un des principaux personnages de la Régence, commandait, en campagne, la milice turque, que le khaznadji administrait à l'intérieur; mais son pouvoir se faisait principalement sentir aux Arabes, sur lesquels il exerçait une juridiction prévôtale prompte et terrible.

          Les Turcs avaient su, pour soutenir son autorité au dehors, lui créer une force qui ne leur coûtait presque rien, et qui était prise dans le sein du peuple conquis. Tout Arabe qui se sentait propre au métier de la guerre, et qui avait le moyen de s'acheter des armes et un cheval, pouvait s'exempter de toutes contributions en se faisant inscrire au nombre des cavaliers de l'agha. Il est vrai que cette inscription ne dépendait pas tout à fait de la volonté du postulant, et que l'agha n'admettait dans ses cavaliers, ou spahis, que des hommes dont les qualités militaires étaient bien reconnues ; il exigeait, en outre, un présent qui s'élevait ordinairement à 40 sultanis (2.00 fr.).

          Le très petit nombre de ces cavaliers, cinquante environ, étaient en service permanent. On les appelait mekalià (fusiliers) ; ils étaient casernés à Alger et accompagnaient l'agha dans toutes ses sorties. Les autres restaient dans leurs foyers et ne prenaient les armes que lorsqu'ils en recevaient l'ordre pour aller châtier quelque tribu rebelle. Le butin qu'ils rapportaient presque toujours de ces sortes d'expéditions était un appât qui les empêchait de manquer au rendez-vous. Les fonctions de spahis étaient héréditaires et constituaient une espèce de noblesse d'épée, dont les Arabes sont très fiers.
          Il existait encore, parmi les Arabes, une classe d'hommes qui était exempte d'impôts, c'étaient les serradja (écuyers) et les azara (palefreniers) ; ils étaient chargés, sous les ordres de Khodja-el-Khil, du soin des troupeaux, des haras et des bêtes de somme du Gouvernement; quand l'armée se mettait en mouvement, c'étaient eux qui réunissaient les moyens de transport et qui conduisaient les bagages.

          Outre les kaïds administrateurs des outhans, il y avait dans ces circonscriptions territoriales des kaïds-el-achour, chargés de la perception de l'achour ou dîme. Les kaïds avaient à leur disposition une force publique composée de cavaliers appelés Mrazni. On désignait en général, sous le nom collectif de Marzen, d'où vient Mrazni, tous les cavaliers employés au service du Gouvernement. L'étymologie de ce mot est exactement analogue à celle de notre mot maréchaussée, dont on se servait, sous l'ancien régime, pour désigner ce que nous appelons actuellement gendarmerie.

          Outre la dîme, qui se percevait en nature, les outhans étaient soumis à certaines contributions en argent, mais généralement très faibles. Les kaïds percevaient de plus, pour leur compte, des sommes plus ou moins fortes et des droits fixes sur les objets vendus sur les marchés. Chaque outhan avait au moins un marché par semaine. Le plus fréquenté était celui de Boufarik, qui se tenait tous les lundis. Celui de Khachna a lieu le jeudi, celui des Beni-Moussa le mardi, et celui des Hadjoutes le samedi; tous trois dans des localités qui ont pris les noms des jours de la semaine où ils se tiennent. Celui des Hadjoutes a même donné le sien à tout l'outhan, car le mot sebt signifie samedi. Ainsi, l'expression Outhan-el-Sebt se traduit littéralement par district du samedi.

          Il y avait dans chaque outhan un cadi pour la justice civile. La justice criminelle était administrée par l'agha et par les kaïds. L'agha seul avait le droit d'infliger la peine de mort ; cependant, par exception, ce droit avait été aussi déféré au kaïd de Sebaou, ainsi que nous l'avons vu. Celui d'El-Sebt l'a également exercé plusieurs fois.
          L'administration des villes était modelée sur celle d'Alger. Le premier magistrat, celui qui y représentait l'autorité centrale, portait le titre d'hakem ou gouverneur.
          J'estime qu'à l'époque de la conquête la population de la province d'Alger s'élevait à près de 230.000 âmes.


(1) La géographie algérienne est encore si peu familière aux lecteurs de la métropole, que j'ai cru qu'il serait utile de décrire successivement les localités à mesure que la marche des événements nous y conduira. Du reste, je l'ai fait de manière à ce qu'on puisse, si on le veut, sauter par-dessus ces digressions, sans que la clarté du récit en souffre.
(2) A l'ancienne division du Fhas, telle que nous venons de l'exposer, l'administration française a substitué une division par communes, dont nous aurons à nous occuper dans un autre livre.
(3) Ce mot désigne proprement la réunion des familles plus particulièrement attachées au service et à la personne d'un chef arabe. Le mot deira a la même signification; c'est de celui-ci que vient douait, qui sert à désigner des cavaliers de même origine que les Zemoui.
A SUIVRE


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Diverses de BÔNE
Envoi de M. Savalli


Photo Savalli
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BULLETIN        N°14
DE L'ACADÉMIE D'HIPPONE

SOCIÉTÉ DE RECHERCHES SCIENTIFIQUES
ET D'ACCLIMATATION


DES COQUILLAGES A POURPRE
ET DES ANCIENNES USINES A TEINTURE EN AFRIQUE
A propos d'une Inscription découverte à l'enchir Fegousia
Par M. HÉRON DE VILLEFOSSE

          NOTE DE M. A. PAPIER, VICE-PRESIDENT

          Messieurs,
          Grâce aux deux coquillages gravés au-dessus du mot purpuriorum que porte un cippe découvert en 1874, à l'enchir Fegousia, par M. héron de Villefosse, je comptais avoir la bonne fortune d'être, sinon le premier, au moins l'un des premiers à vous désigner le véritable mollusque d'où les anciens tiraient leur magnifique couleur pourpre, lorsque j'appris, ces jours derniers, par une lettre de M. de Sauley, insérée dans la Revue archéologique de mars 1864 que M. Lenormant avait retrouvé sur les côtes de Cérigo et de Gythium les amoncellements considérables de murex brandaris que M. Boblaye avait, dans un temps signalés en Grèce sur certains points peu éloignés de la mer et dans le voisinage d'établissements ruinés dont les vestiges étaient assez bien conservés cependant pour laisser reconnaître en eux les restes d'anciennes usines à teinture.

          Cette lettre m'apprenait, en outre, que le murex brandaris, connu de tous les collectionneurs sous le nom vulgaire de petite massue, n'était pas le seul à revendiquer l'insigne honneur d'avoir fourni la pourpre des anciens; que, sur la côte de Phénicie même, c'était un tout autre mollusque qui produisait cette merveilleuse teinture.
          En effet, lorsqu'en venant de Sour (Tyr) à Sayda (Sidon), dit-elle, par le rivage de la mer, on entre dans la ville par l'escalier placé à proximité des corderies établies sur la plage et au-dessous de la forteresse du moyen âge connue sous le nom de Château de Saint-Louis, on longe une falaise de remblais sur le flanc de laquelle se montre un amas énorme de coquilles appartenant invariablement à une seule et même espèce du genre murex, le murex trunculus, et offrant toutes sans exception la trace indiscutable du procédé industriel à l'aide duquel les teinturiers sidoniens se procuraient la base de leur pourpre si renommée. Leur test avait été vigoureusement entamé d'un coup de meule sur le premier et le second tour de spire pour permettre d'extraire la poche génératrice du mollusque.

          Ainsi, plus de doute possible ! Le murex brandaris, si commun dans l'Adriatique, servait bien à la fabrication de la pourpre des îles de la mer, et le murex trunculus, non moins abondant sur les côtes phéniciennes, à celle de la pourpre si vantée de Tyr et de Sidon.
          Il ne me restait donc plus qu'à baisser pavillon devant ces révélations et à renoncer à mon projet de vous entretenir de ce sujet; mais de ce que vous n'ignorez plus aujourd'hui de quels mollusques les anciens tiraient leur belle couleur pourpre, s'en suit-il que l'inscription découverte par M. Héron de Villefosse entre Batna et El-Kantara, et que les deux coquillages qui la couronnent soient pour nous d'aucun intérêt ? Non, certes, car il s'agit de savoir ici à quelle espèce appartiennent ces deux derniers.
          Or, si frustes qu'en soient aujourd'hui les contours tracés sur cette pierre, on reconnaît, encore assez facilement que c'est au murex des côtes de Phénicie ou mieux encore au purpura hœmastoma de l'Atlantique et de la Méditerranée qu'il convient de les rapporter. Tel est, du moins, mon avis, que je suis tout prêt à vous sacrifier néanmoins, si vous trouvez qu'il rien de bien fondé.

          Mais, me direz-vous, comment se fait-il qu'une inscription qui décèle évidemment t'emplacement d'une ancienne teinturerie, ait été découverte à l'enchir Fegousia, à plus de 200 kilomètres de la mer ? Existait-il réellement, avant et pendant l'occupation romaine en Afrique, des établissements de ce genre dans l'intérieur des terres ?
          Il faut croire, Messieurs, car, outre que Pline .affirme que des fabriques de pourpre de Gétulie avaient été établies par Juba dans quelques-unes des îles qu'il avait découvertes en face des Autololes, cette inscription trouvée entre El-Kantara et Batna, en pleine Gétulie, le démontre clairement. Y a-t-il, du reste, rien de plus naturel que de voir une teinturerie, une fabrique d'étoffes de laine teintes en pourpre, murice tinctœ lanœ, comme le désigne si bien Horace dans sa 3e ode à Grosphus (1.II), une fabrique de robes de pourpre, enfin, vestes gœtulo murice tinctas, comme Horace a encore soin de désigner ce vêtement dans sa 2e épître à Janus Florus (1.II), dans une contrée riche en bêtes à laine comme l'était la Gétulie. Il était beaucoup plus économique, ce me semble, de faire arriver le produit tinctorial à Fegousia, que de transporter la laine à teindre à Merinx ou à Tyr, par exemple, car l'un pouvait s'expédier sous un très petit volume, et l'autre point. On pourrait à la rigueur m'objecter que le lavage à l'eau de mer des laines était une opération préalable très favorable â leur teinture en rouge pourpre; mais comme Pline ne dit rien de ce mode de dégraissage à l'eau salée, cette objection se réduit à l'état de pure conjecture.

          Ainsi l'inscription de l'enchir Fegousia, avec les deux coquillages â pourpre qui l'accompagnent et dont M. Héron de Villefosse a bien voulu me céder l'excellent estampage que j'étale à vos yeux, prouve non seulement que la pourpre de Gétulie était tirée du murex hœmastoma, très probablement, mais qu'il existait des fabriques de pourpre pas moins au nord de la Gétulie, sur les confins de la Numidie, que dans les îles découvertes dans l'Océan par le roi Juba, au sud-ouest de la Mauritanie, juste en face des Autololes. Or, c'est sur quoi uniquement j'ai voulu appeler aujourd'hui votre bienveillante attention.

          Bône le 2 juin 1878.



GRAVURES et PHOTOS Anciennes
De BÔNE
Envoi de M. Charlet Januzzi


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La Place des Gargoulettes
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A LA SANTE DE TOUS NOS AMIS
Envoyé par Mme Colette Levy


              " Bien longue est notre histoire,
              Elle occupe tout un grand territoire,
              Et toi Ami d'aujourd'hui et d'hier,
              Dans mon cœur tu t'accroches comme le tendre lierre.

              Ce soir Ami, l'automne de notre vie arrive,
              Mais toi Ami, ta flamme amicale est bien vive,
              Alors regarde autour de toi et écoute ton cœur,
              Il bat au son d'une voix et ravive la lueur.

              Oui ! Ami la lueur de l'Amitié est bien présente,
              Ne cherche pas à fuir, par sa présence elle te hante,
              Alors, tends encore la main et souris à l'avenir,
              Surtout ne résiste pas et succombe à ses désirs…

              Ce soir Amis, l'automne de notre vie arrive
              Et, même si vous partez sur une autre rive,
              Je vous le dis haut et fort pour toujours :
              " Ma plus belle histoire d'amour, c'est Vous ! "

          Bien affectueusement à tous ceux et celles qui ont marqué notre vie.
Colette LEVY                
Site : www.amisdebone.com            
Forum : www.amen.forumsactifs.com      
  



SOIRÉES
                ALGERIENNES            N°5

CORSAIRES, ESCLAVES ET MARTYRS
DE BARBARIE   (1857)
PAR M. L'ABBE LÉON GODARD

ANCIEN CURE D'EL-AGHOUAT,
PROFESSEUR D'HISTOIRE
AU GRAND SÉMINAIRE DE LANGRES

Dominare in medio inimicorum tuorum.
Régnez, Seigneur, au milieu de vos ennemis.


SOIREES ALGERIENNES
CINQUIÈME SOIRÉE
Les renégats. - (suite)

        Le lendemain soir Fatma était installée la première sur la terrasse, à l'endroit où elle se plaçait habituellement, prête à obéir aux ordres qu'on pouvait lui donner, et cherchant à suivre le fil de la conversation. On causait tous les jours sans trop se préoccuper d'elle; car elle se tenait à une distance respectueuse, d'où une oreille moins fine que celle d'un sauvage ou d'un Arabe n'entendrait, d'une conversation ordinaire, qu'un bruit confus et des paroles décousues.
        Son noir visage avait repris du calme; elle appliquait de temps à autre ses lèvres de corail au front de la petite Marie, endormie sur ses genoux. L'enfant vint à se réveiller, et son regard rencontra celui de la négresse. Fatma lui souriait, en adoucissant l'éclat de ses prunelles, et laissait briller ses dents, pareilles à deux rangées de perles. Marie sourit de même, et, inondant des boucles de ses blonds cheveux le sein de la négresse, elle se mit à agiter de ses petites mains tous ces bijoux bibliques dont les filles de Cham composent encore leur parure.

        La lune éclairait de ses doux rayons l'ange et la négresse.
        Celle-ci, prenant au cou de l'enfant une petite croix d'or, la baisa respectueusement. Carlotta mettait le pied sur la terrasse au même instant; elle n'avait pas aperçu le mouvement de Palma, Bientôt tout le monde fut réuni, et l'on reprit le sujet qui avait si fort intéressé la veille, il faut même dire que MM. Morelli, poussés par la curiosité la plus louable, avaient fait ce jeudi une visite à la bibliothèque publique d'Alger, et qu'ils apportaient un tribut nouveau à la conversation.
        " Padre Gervasio, dit Alfred sur un ton d'affectueux respect, nous avons déploré la conduite d'une foule de renégats ; mais soyons justes, on ne sait pas assez que beaucoup d'entre eux ont expié leur faute par un vrai martyre.
        - Cela est certain.
        - Il y a là, ce me semble, une riche moisson négligée par les historiens ecclésiastiques. Hier, nous entrevoyions déjà cette lacune.
        - Je l'ai souvent regrettée ; si mon grand âge et mon peu d'habileté à tenir la plume ne m'en détournaient, j'essaierais de réparer, autant qu'il serait en moi, cet oubli. Et quels sont donc les traits qui ont causé aujourd'hui votre surprise
        - Pour vous les raconter, révérend père, je n'ai que l'embarras du choix. Mais parlons seulement de renégats.

        Au milieu du XVIème siècle vivait, à Tripoli de Barbarie, un capitaine de galiote, Génois d'origine, et nommé Nicolin. Il avait été pris par les Turcs dans les parages de Sicile, et il s'était fait musulman, vaincu par les prières et les menaces d'un renégat dont il était l'esclave. Il alla en mer, et obtint le grade de capitaine ; mais, quoique riche et honoré, il nourrissait toujours le dessein de fuir chez les chrétiens lorsque l'occasion s'en présenterait, et d'embrasser de nouveau la foi et le service de notre Seigneur Jésus-Christ. L'an 1553, il faisait partie d'une expédition de l'armée turque, et y commandait sa galiote. Il s'éloigna, et prit terre sous quelque prétexte. Dissimulant autant qu'il put son intention, il s'écarta, puis, se voyant à une certaine distance des Turcs, il s'enfuit et ne s'arrêta qu'en arrivant à Naples. Il y fut bien accueilli ; et peu de jours après il passa en Sicile, où on lui confia le commandement d'un navire. Plusieurs prises remarquables et riches signalèrent ses courses. Mais en 1561, faisant voile de Messine pour l'Espagne, il fut rencontré à douze milles de Trapani par trois bâtiments tripolitains, qui, voyant une galiote chrétienne naviguer seule, l'attaquèrent et s'en emparèrent, malgré une défense opiniâtre. Nicolin fut reconnu à Tripoli. Un renégat français, son ennemi, pour se venger de lui, demanda sa mort avec de vives instances parce qu'il était redevenu chrétien. Dragut, maître de Nicolin, cédant aux importunités, le fit paraître en sa présence, et le questionna sur les motifs qu'il avait eus de s'enfuir et de redevenir chrétien. " C'est, répondit Nicolin, que la loi des chrétiens, sous laquelle ont vécu mes pères, dans laquelle je suis né, selon laquelle j'ai été élevé, me paraît meilleure et plus sûre pour mon âme. " Dragut, toujours poussé par le renégat et par d'autres qui assistaient à cette scène, n'interrogea pas davantage son esclave ; il ordonna de l'ôter de devant lui, de le lapider et de le brûler vif. Celui-ci fut saisi, enfermé et bien gardé pendant qu'on préparait ce qui était nécessaire à sa mort. Des chrétiens puissants, pour obtenir la révocation de la sentence, firent leur possible auprès des principaux Turcs et renégats, et auprès de Dragut ; ils n'épargnèrent ni prières ni offres d'argent.
        
        Tout fut inutile. Le samedi 12 avril 1561, dès le matin, un grand nombre de renégats et de Turcs tirent Nicolin de sa prison, l'emmènent, les mains liées, hors la porte de Tripoli appelée aujourd'hui Tajora, et l'attachent à un gros pieu solidement planté en terre à cette fin. Puis ils le lapident avec une cruauté et une fureur inouïes : la figure, la tête tombent par morceaux, tous ses os sont brisés ; il meurt. Ensuite on jeta sur ses restes beaucoup de bois sec, auquel on mit le feu. Le corps, environné de flammes, fut bientôt réduit en cendres. Haedo tient d'un témoin oculaire que ce fut une chose merveilleuse de voir le visage, l'intrépidité, la force d'âme et la constance de Nicolin dans son martyre, et que les renégats eux-mêmes et les Turcs restèrent dans l'étonnement et l'admiration. Nicolin était âgé de trente-quatre ans.

        - Voilà, dit Mme Morelli, comment la bonté de Dieu permet au pécheur d'expier ses crimes.
        - Quelques-uns, ajouta M. Morelli, s'exposent grandement en prolongeant leur résistance à la grâce. Elle les poursuit jusqu'au dernier moment : heureux s'ils se laissent enfin toucher. En 1552, tandis qu'Ahmed-Pacha gouvernait Alger en l'absence de Hassan-Pacha, fils de Kheïr-ed-Din, alors à Constantinople, il y avait dans cette première ville un renégat corse nommé Morat Raïs. Précédemment il s'était rendu à Oran, pour abjurer le mahométisme, et il avait été bien reçu par le gouverneur espagnol don Martin de Cordoue. Mais ce renégat, nommé Sébastien Paolo, fut fait prisonnier à la journée de Mostaganem, où don Martin perdit la vie, et où son armée fut mise en déroute, Hassan avait voulu déjà condamner à mort Paolo, à cause de son abjuration; mais on persuada au pacha Ahmed que Morat n'était point redevenu chrétien, et qu'il n'avait combattu que par force contre les Turcs à Mostaganem.

        Paolo, redevenu réellement Morat-Rais, reprit la mer, qu'il avait fréquentée dès son enfance; il continua ses courses, et parvint en peu de temps à posséder une bonne galiote. Au mois d'avril 1562, il désirait la radouber et lui donner plus de solidité. Des bois de charpente et des planches lui étaient nécessaires pour cela. Il pria Ferat-Agha, un renégat favori d'Ahmed, de lui prêter les chrétiens de sa galiote pour armer la sienne propre et aller prendre du bois sur les côtes de Cherchell, couvertes de toutes sortes d'arbres. Ferat-Agha y consentit avec plaisir, et donna l'ordre à ses chrétiens de s'embarquer sur le bâtiment de Morat Raïs, Presque tous étaient Espagnols, captifs depuis peu, et il y avait parmi eux des soldats distingués. Ils surent dans quelles conditions ils partaient, et que les Turcs ne seraient pas nombreux sur le navire ; ils se concertèrent pour se révolter, et en parlèrent à d'autres soldats espagnols et captifs qui se trouvaient alors à Alger. Ils persuadèrent à quatre de ces soldats, esclaves d'autres Turcs, de s'embarquer secrètement avec quelques armes sur la galiote. Le pourvoyeur, qui était du complot, les y cacha. Lorsque le navire arriva à Cherchell, les Turcs commencèrent à débarquer. Les quatre soldats sortirent alors de leur retraite et se mirent, avec leurs armes, deux à la poupe et deux à la proue. Les autres chrétiens se révoltent, et saisissent tout ce qu'ils trouvent sous la main. Ils se rendirent facilement maîtres de la galiote. Le peu de Turcs qui y restait se précipita dans la mer; trois ou quatre seulement demeurèrent prisonniers. Déjà les Espagnols se préparaient en toute hâte à s'éloigner, lorsque Morat-Raïs, descendu des premiers à terre, se jeta à la nage, criant aux chrétiens de le prendre à bord parce qu'il voulait partir avec eux. Le voyant venir de sa propre volonté, ils l'attendirent, et, favorisés par le temps, ils arrivèrent peu de jours après en Espagne. Ils se présentèrent à la cour. Philippe II leur fit bon accueil, et accorda des honneurs aux quatre soldats à qui revenait la principale part de cet exploit. Le prince don Carlos reçut à son service Morat-Raïs ou Sébastien Paolo. Dans la suite Morat fut convaincu d'avoir voulu regagner la Barbarie avec trois ou quatre renégats ; le mauvais temps seul avait fait échouer sa tentative ; il fut pris dans le port de Sainte-Marie et condamné à mort. On étrangla ce scélérat avec un collier de fer, et on le perça de pointes de roseaux. Ensuite on lui coupa la tête, et elle fut exposée sur une des portes de la ville.

        Les autres captifs s'étaient dispersés à leur gré. Francisco de Soto, l'un des quatre courageux soldats, aimait la vie de mer. Avec ce que le roi lui donna et ce qu'il put avoir d'ailleurs, il vint à Majorque, en 1562; il y acheta et y arma un brigantin bien conditionné, avec lequel il se dirigea vers la Barbarie. Arrivé au cap de Tenès, il rencontra une galiote turque revenant de la course; il se défendit vaillamment, bien que son navire fût plus petit et ses gens moins nombreux. La victoire resta longtemps indécise; des deux côtés les hommes tombaient, blessés ou frappés à mort. Mais au moment où les chrétiens, animés d'un courage impétueux, allaient forcer les Turcs à la retraite, Francisco de Soto, qui se battait en brave, armé de son épée et de sa rondache, fit une chute, par malheur, entre les bancs, et se cassa une jambe.

        Cet accident refroidit le courage de ses compagnons. Les Turcs, les serrant de près, montèrent à l'abordage, s'emparèrent du brigantin, et l'obligèrent à se rendre. Après cette victoire ils revinrent avec leur prise à Alger, où ils entrèrent le 4 décembre. Francisco de Soto fut présenté au pacha Hassan, qui gouvernait alors. Beaucoup de témoins le reconnurent, et attestèrent qu'il était l'auteur principal de la révolte sur la galiote de Morat-Raïs. Le 5 décembre, sans plus tarder, Hassan ordonna de le lapider vivant et de le brûler, pour tirer vengeance de ce qu'il avait fait autrefois. Dès qu'il fut jour, un grand nombre de Turcs, parmi lesquels se trouvaient plusieurs de ceux qui s'étaient jetés à la mer lors de la révolte du navire, emmenèrent hors la porte de Bab-el-Oued Francisco de Soto, malade et la jambe cassée. Dans le vaste terrain sablonneux qui est joint au cimetière des chrétiens, et où d'ordinaire les Turcs s'exercent à tirer des flèches, on creusa une fosse dans le sable, et le captif y fut enterré jusqu'à la ceinture, les mains attachées derrière le dos. Les Turcs le lapidèrent très cruellement, jusqu'à ce qu'ils lui eussent mis toute la figure et la tête en morceaux. Fatigués de cette atroce barbarie, ils l'abandonnèrent à la foule des Maures qui jouissaient de ce spectacle, et leur ordonnèrent de traîner le corps. Ceux-ci, lui attachant une grosse corde aux pieds, le traînèrent en effet depuis là jusqu'à l'endroit où se vend le bois à brûler, près de la porte Bab-el-Oued. Chemin faisant, les enfants et les jeunes Maures lui lançaient continuellement des pierres, et l'appelaient kelb ! Cane, cane morto ! Chien, chien mort ! On jeta enfin sur le corps du bois allumé, en petite quantité, pour ne pas consumer entièrement les chairs. La plus grande partie du cadavre resta là quelque temps, et il ne fut pas permis aux chrétiens d'enterrer ces restes. Francisco de Soto était âgé de quarante ans.

        - Quelquefois, dit le père Gervais, les renégats s'exposaient volontairement à la mort pour laver leur crime, et ils attaquaient ouvertement le prétendu prophète. Voici une histoire racontée par don Diego de Torrès, et qui arriva en 1547, lorsqu'il était au Maroc pour le rachat des captifs.
        " Comme le chérif ou roi du Maroc faisait sa prière à la mosquée, accompagné de plusieurs cacis, de ses gardes et du peuple, entra un homme qui ressemblait à un sauvage, avec une grande barbe, les cheveux longs, le visage défiguré et les pieds nus. Aussitôt il monta dans la chaire du cacis, et cria à haute voit en langue arabesque : " Jésus Christ vit, triomphe, règne, et viendra juger les vivants et les morts ; le reste n'est que pure folie. " Le chérif, étonné et irrité de la hardiesse de cet homme, commanda à ses gardes de le tuer ; mais les cacis supplièrent le prince de révoquer ses ordres, à cause que cette personne était mahboul, c'est-à-dire aliéné. C'est pourquoi on le chassa seulement de la mosquée et de la ville. De là il passa au royaume de Tarudant, où j'allai et lui parlai, continue don Diego ; je sus qu'il était de Truxillo, et que, s'étant repenti de ce qu'il avait été Maure, il priait Dieu d'avoir pitié de lui, et allait de la sorte faire pénitence de ses péchés. C'était un homme de bon sens, qui désirait revenir en Espagne, et qui ne parlait jamais à personne que par signes ; cependant il me parla à moi en secret; et, comme je lui demandais raison de sa conduite, il me répondit que son intention était de dire publiquement la vérité à ces infidèles, et que, s'il était martyrisé pour l'amour de Dieu, il en serait très aise. Je lui montrai ce qu'il fallait faire pour retourner en Espagne. Il prit congé de moi, et depuis je n'ai point eu de ses nouvelles, quoique je m'en sois souvent informé. "

        - Ce pauvre homme, dit Mme Morelli, a bien pu voir ses vœux comblés et mourir martyr, comme beaucoup d'autres dont Dieu seul connaît les noms.
        - Les musulmans, ajouta le père Gervais, ne se sont pas mis en peine de composer un martyrologe à notre usage. L'exécution des sentences de mort prononcées contre des chrétiens n'eut souvent pour témoins que des infidèles ou des chrétiens qui ne pouvaient pas en immortaliser le souvenir dans des monuments historiques. On ne connaît pas de registres judiciaires ni d'actes déposés au greffe des tribunaux musulmans, qui fournissent le relevé et les procès-verbaux de ces jugements. Mais, par le nombre des faits que nous connaissons et qui s'accomplissent dans des espaces de temps très restreints, nous concluons qu'il y a eu en somme une multitude de victimes immolées pour la foi.
        - Ce silence de l'histoire, cette absence de sources authentiques, où l'on ait espoir de découvrir les matériaux complets de ces glorieuses annales, rendent encore plus précieuses les relations particulières et les courtes notices que nous ont laissées les pères rédempteurs ou des esclaves revenus de la captivité.
        - C'est juste, Alfred; aussi vous prions-nous, dit le vieux trinitaire, de reprendre vos récits.
        - Au règne du même Hassan II, et à l'année 1565, se rapporte le martyre du renégat génois Morato. Ce jeune homme, touché de la grâce, se repentait amèrement de son crime et avait un sincère désir de rentrer au bercail du bon Pasteur. De concert avec d'autres chrétiens esclaves, il engagea un Majorquin qui retournait dans son île après avoir été racheté, à venir les enlever secrètement sur quelque point de la côte d'Alger. Le Majorquin accepta la proposition : il y voyait honneur et profit, et il se réjouissait de sauver, parmi ces chrétiens, des amis et des compatriotes. Selon sa promesse, au commencement de mars 1565, il arrive avec une barque vers les rochers qui sont à deux portées d'arquebuse au couchant de la ville, il débarque à minuit, se cache dans les jardins qui bordent la mer, et la barque prend le large de manière à n'être pas vue du rivage.
        Le matin, à l'ouverture des portes de la ville, il y entre sans être reconnu, et comme s'il venait du jardin d'un patron. Il avertit les esclaves que le navire les attendra la nuit suivante, et qu'ils aient à sortir de la ville à la chute du jour, avant la fermeture des portes, pour se réunir vers les rochers. C'est là que l'embarquement doit se faire, au milieu des ténèbres. Sur le soir les chrétiens sortent de la ville, un à un, feignant d'aller travailler dehors, dans les jardins.

        Or il arriva, par la malice du démon, comme on peut le croire, qu'un des Turcs placés en sentinelle, suivant la coutume, à la porte Bab-el-Oued, arrêta l'œil sur un chrétien qui sortait par cette porte. Soit que celui-ci se fût muni de quelque habit, ou qu'il ne sait pas dissimuler l'impression de ce regard scrutateur, il excita les soupçons du Turc. " Où vas-tu ? " lui cria ce dernier. L'esclave se trouble. " Ah ! Chien ! Tu veux t'enfuir. " Le Turc le saisit, et, n'obtenant pas de réponse satisfaisante, il se confirme dans ses soupçons et le conduit au pacha. " Tu mourras sous le bâton, dit Hassan, si tu ne me dévoiles pas la vérité toute entière. " Transi de peur, le faible chrétien lui révéla le complot, la plupart des noms de ses complices, les moyens d'évasion, et jusqu'au mot d'ordre. Alors Hassan commanda de s'emparer des esclaves engagés dans le complot, de rechercher surtout le jeune renégat génois, et de le mettre en sûreté dans la prison publique de la ville. Ces ordres furent exécutés sur-le-champ ; mais beaucoup de chrétiens, ayant appris l'arrestation de l'un d'entre eux et sa comparution devant le pacha, s'étaient cachés dans la crainte que leur projet ne fût découvert. Le renégat fut emprisonné, et on lui mit aux pieds de lourdes chaînes. En outre, le pacha voulut qu'on armât eu toute hâte deux brigantins pour capturer le navire qui venait chercher les chrétiens.

        Il était nuit. L'heure approchait où cette barque devait accoster la rive et recevoir les fugitifs. Quinze à vingt Turcs habillés comme les esclaves, se rendent au lieu de l'embarquement, cachant leurs armes et accompagnés seulement de celui qui avait révélé le complot : il devait se faire reconnaître de ceux qui montaient la barque, répondre au mot d'ordre, et les attirer par les apparences d'une fausse sécurité.

        Lorsqu'ils arrivèrent près des rochers, ils virent la barque à peu de distance en mer, où elle attendait avec beaucoup de vigilance et de circonspection. Ils ordonnèrent au chrétien de la héler. Elle s'approcha de terre, et demanda : " Qui vive ? - Saint Pierre et saint Paul ! ", Répondit le chrétien. Alors elle hésita, car le mot d'ordre était simplement saint Pierre ; elle redoutait un piége. Pressés d'eu finir, et craignant de manquer leur coup, les Turcs furieux se jetèrent tout habillés à la mer, pour saisir la barque avec leurs mains et s'en rendre maîtres. Ceux qui la montaient crièrent à cette vue : " Courage ! Frères, courage ! Ce sont les Turcs, nous sommes trahis. Vite ! Vite ! À l'action ! À l'action ! A la mer ! À la mer ! " Et les flots écumaient sous les rames vigoureuses qui emportaient le navire au large. Mais les deux brigantins armés par ordre d'Hassan venaient lui couper la route. Ils étaient si près, que les chrétiens les reconnurent à travers l'obscurité de la nuit. Bien sûrs alors que le complot était révélé et le danger imminent, les Majorquins s'exhortèrent à redoubler d'ardeur; et, quoique l'ennemi leur donnât la chasse pendant plus de cinquante milles, ils parvinrent à s'échapper et à gagner Majorque.
        Hassan fut très irrité de ce que ses mesures avaient échoué, et il se dédommagea, ce matin-là même, en faisant rouer de coups quelques-uns des chrétiens arrêtés dans la nuit : plusieurs en furent à deux doigts de la mort. Mais il devait assouvir sa rage et sa cruauté sur le jeune renégat génois. Le lendemain donc, sans autre forme de procès, il le condamna à être lapidé hors de la ville, comme coupable d'avoir voulu s'enfuir et abjurer l'islamisme.
        Des sbires suivis de Turcs et de Maures se rendent à la prison du jeune homme.
        " Est-il vrai, lui demandèrent-ils, que tu aies voulu fuir chez les chrétiens ?
        - C'est vrai; je ne puis pas le nier.
        - Ainsi, tu es chrétien ?
        - Je le suis; c'est contre ma volonté que l'on m'a fait Turc, et je veux mourir dans la foi de mes pères.
        - Eh bien ! Chien, juif, tu mourras comme tu le souhaites. "
        Ils lui ôtèrent les fers et le déshabillèrent, ne lui laissant qu'une pauvre culotte de toile. Ils lui lièrent les mains derrière le dos, et le conduisirent de la prison vers la porte Bab-el-Oued. En chemin ils l'accablèrent d'injures et d'affronts. Une foule innombrable de Turcs, de renégats et de Maures était accourue de toutes parts et proférait des cris de mort.
        " Tuez ce scélérat, qui a voulu s'enfuir et redevenir chrétien ! "

        Ce spectacle, la vue de sa mort prochaine, ne furent pas capables d'effrayer ni même de troubler le jeune homme. Il avait Dieu dans son cœur. Soutenu par une constance surnaturelle, le visage serein, il invoquait notre Seigneur et se recommandait à lui. On arriva sur la plage sablonneuse de Bab-el-Oued, où on l'enterra jusqu'à la ceinture. Dix à douze Turcs à cheval commencèrent à lui lancer des traits, qui, pénétrant dans ses chairs, en firent un autre saint Sébastien. Le sang coulait en abondance. Deux traits l'avaient atteint plus cruellement : l'un, frappant au milieu de la bouche, brisa les dents et resta planté dans la gorge; l'autre fit sortir un œil de son orbite. Le martyr demeura sans connaissance. Les spectateurs, qui se rassasiaient de cette scène atroce, regrettant de le voir expirer sans qu'ils eussent pris part à sa mort, se hâtèrent de ramasser des cailloux et de le lapider. Ils l'eurent bientôt achevé ; la tête fut mise en morceaux, les membres moulus, et ces restes se trouvèrent ensevelis sous cette grêle de pierres.
        Pendant son supplice, on vit le martyr de Dieu lever souvent les yeux au ciel, appeler le Seigneur et le prier avec une dévotion fervente. C'était le 15 mars, à quatre heures après midi ; il avait environ vingt ans.
        Le corps resta enterré dans le sable et caché sous les pierres jusqu'à une heure avancée de la nuit. De pieux fidèles vinrent alors le retirer sans qu'on s'en aperçût, et l'enterrèrent dans le cimetière des chrétiens contigu au lieu du supplice.
        Haedo, dit Alfred en finissant, tenait lui-même ces détails de témoins oculaires.
        Ils offrent toutes les garanties désirables, ajouta le père Gervais.

        - J'ai pris à la même source, dit M. Morelli, l'histoire d'un renégat italien qui tenta de s'évader par terre, en se rendant à Oran, soumise alors au sceptre de l'Espagne. Les faits se passant dans l'automne de 1568.
        Le Grand Turc avait confié le pachalik d'Alger à un renégat originaire de Calabre, Euldj-Ali, que nous appelons par corruption Aluch-Ali ou Ochali ; Euldj en turc veut dire renégat. Cet Ali est surnommé aussi El-Fartas ou le Teigneux ; il avait sans doute la teigne, cette maladie la plus commune parmi les musulmans après d'autres plus honteuses.

        Or, un jeune italien dont Haedo ne peut savoir ni le nom ni le lieu de naissance, était à cette époque au nombre des renégats d'Alger. Fait prisonnier dans un âge encore tendre, il avait cédé aux menaces et aux suggestions du démon ; mais ensuite, prêtant à la grâce un cœur docile, il pleura sa faute et résolut de fuir en pays chrétien. Au mois d'octobre il sortit d'Alger, revêtu de son costume de janissaire et le fusil sur l'épaule, pour mieux donner le change. Il prit le chemin d'Oran, séparé d'Alger par une distance de quatre-vingt-onze lieues. Il marchait seul. Il avait fait la plus grande partie du chemin et arrivait près de Mostaganem, à la tombée de la nuit. Des Arabes le virent passer non loin de leur tente ; et comme il était seul et fort jeune, ils soupçonnèrent que ce pourrait bien être un chrétien cherchant à fuir, déguisé en Turc : on avait beaucoup d'exemples de ces tentatives. Ils allèrent à lui, et lui demandèrent en arabe :
        " Où vas-tu ?
        - Je vais à Mostaganem, "
        Les Arabes, défiants, l'arrêtèrent néanmoins et le fouillèrent. Ils ne trouvèrent sur lui ni lettre ni permission du pacha, mais seulement une bourse avec quelques réaux. Ils furent persuadés que leurs conjectures étaient fondées, et, bien que le jeune homme protestât toujours qu'il se rendait à Mostaganem, ils l'emmenèrent à Alger.

        Euldj-Ali venait d'y entrer en grande pompe. Le jeune chrétien, reconnu par plusieurs témoins, comparut devant lui.
        " Es-tu chrétien, renégat ou Turc ? Lui demanda-t-il. - Je ne suis ni Turc, ni renégat : je suis chrétien, répondit le jeune homme, fortifié par la grâce et résolu à mourir.
        - Si tu es chrétien, pourquoi portes-tu cet habit ?
        - Parce qu'on m'en a revêtu par force et contre ma volonté.
        - Où allais-tu lorsque tu fus arrêté ?
        - A Oran.
        - Comment ? Et qu'allais-tu faire à Oran ?
        - J'y allais pour redevenir chrétien.
        - Tu es donc chrétien décidément ?
        - Oui, sultan, je le suis, et je veux rester chrétien.
        Ali le Teigneux, entendant ces réponses, faites avec liberté et avec un courage qui lui reprochait sa propre conduite, se tourna vers des renégats et des Turcs qui assistaient au jugement
        " Prenez vite ce chien, et suspendez-le sans retard à un croc.
        Les chaouchs saisissent le serviteur de Jésus-Christ, prédestiné à une mort glorieuse, et l'enferment dans un petit, logement des cours inférieures du palais, tandis que d'autres préparaient la potence et le croc. Ils revinrent bientôt après. Renégats, Turcs, chaouchs, forment autour du jeune homme, à travers les rues, un cortége tumultueux. La potence était dressée au levant, un peu au delà de la porte Bab-Azoun, sur une autre vieille porte renversée par Ahmed, en 1503, lorsqu'il fortifia la ville de ce côté. On ôta au confesseur de la foi le costume turc, en disant qu'il ne convenait pas de le laisser mourir avec cet habit, puisque de son aveu il n'était pas Turc, Ces bourreaux ne savaient guère quel plaisir ils lui faisaient : il ne convenait pas en effet que les vêtements d'un musulman couvrissent le corps de celui qui renonçait avec tant de foi et de courage à la loi des Maures infidèles.
        Ils le déshabillèrent, et le laissèrent entièrement nu, par ignominie pour le soldat de Jésus-Christ. Ils ne lui mirent qu'un vieux et sale collet de cuir, en disant :
        " Te voilà maintenant chrétien. Tu es un joli, un magnifique soldat. "

        Puis, l'attachant par la ceinture à la corde qui pendait de la poulie placée à la cime du gibet, ils l'élevèrent jusqu'en haut et lâchèrent subitement la corde. Le corps rencontra le croc qui était au-dessous, la pointe en l'air, très longue et très aiguë : elle s'enfila par l'estomac et alla sortir par les épaules. Le martyr de Jésus-Christ fut abandonné dans cette affreuse position. Malgré ses douleurs épouvantables, il ne perdit pas courage; il appelait avec la plus grande dévotion notre Seigneur, sa bienheureuse Mère et les saints. Les Turcs et les Maures qui le regardaient étaient eux-mêmes émerveillés de cette force d'âme. Le martyr resta dans les souffrances trois à quatre heures ; puis son âme s'envola au ciel : il était environ midi quand on l'accrocha à la ganche, et quatre heures lorsqu'il expira. Ce jour mémorable était le 22 octobre 1568, et le jeune homme avait au plus vingt deux ans.
        Personne n'osa enlever le corps. Deux jours après, les Turcs le firent jeter dans la campagne aux bêtes sauvages et aux oiseaux de proie. Des chrétiens le recueillirent alors, et l'enterrèrent au cimetière de Bab-el-Oued, déjà riche de ces dépôts sacrés.

        On loua d'un commun accord l'héroïsme du jeune Italien, et Alfred raconta ensuite l'histoire d'une révolte de renégats, où son humeur belliqueuse trouvait un vaste champ.
        En 1577, Hassan III obtint à Constantinople le gouvernement d'Alger. C'était un renégat vénitien, âgé d'environ trente ans; il avait servi dans la marine d'Euldj-Ali, et il devait son nouveau titre de pacha à la protection de son maître et à l'argent qu'il avait donné aux conseillers du Grand Turc. On pouvait acheter cher les voix de ces messieurs, car le pachalik d'Alger était des plus importants et des plus riches.
        Tandis qu'Hassan faisait les préparatifs de son départ, plusieurs renégats, qu'il devait emmener, méditèrent de se révolter sur la galère où serait Hassan, et d'aller en pays chrétien. Ils espéraient gloire et profit d'un acte qui rendrait à la chrétienté de nombreux esclaves ; d'ailleurs ils avaient le pacha en horreur à cause de sa cruauté. Non seulement il rouait de coups les chrétiens chaque jour, mais il maltraitait les renégats et les Turcs eux-mêmes.
        Ils communiquèrent leur projet à quelques chrétiens qui devaient se trouver sur la galère. On ne sait point même si ces derniers n'eurent pas l'initiative dans cette entreprise. Les conjurés se munirent d'armes et composèrent des feux artificiels. Le 15 mai 1577 on mit à la voile de Constantinople avec sept navires ; on était, le 3 juin, à une île déserte, cinq milles en avant de Malte.

        Les quatre renégats chefs du complot se prirent de querelle à table. Iaban, Grec de Candie, sortit de la chambre, irrité, avec la résolution d'abandonner l'affaire et de la révéler au pacha. Il lui déclara le nombre et les noms des conjurés. Hassan, stupéfait et saisi de terreur, avertit quelques Turcs et renégats ses amis; il ordonna de saisir les coupables. Les renégats, voyant que Iaban parlait au pacha et qu'on l'appelait au conseil, comprirent qu'ils étaient trahis. La fuite n'était pas possible; ils restèrent sans agir. Mais bientôt on les enchaîna, et l'on s'assura de leurs personnes.
        Quelques-uns prétendent que Iaban, homme pervers et sans parole, avait averti Hassan, même avant le départ de Constantinople, mais que celui-ci, craignant d'être entravé dans sa vengeance par le sultan, l'avait ajournée à ce moment.

        Les hommes du pacha saisirent d'abord Ioussouf de Candie, le mirent tout nu, abaissèrent l'antenne de la galère, et l'y pendirent par le bras gauche. Lorsqu'il fut en l'air, on lui tira des coups d'arquebuse et des flèches. Se rappelant alors la foi de Jésus-Christ, qu'il avait toujours gardée au fond de son cœur et qui lui avait inspiré le dessein de cette révolte, le patient témoigna son repentir et appela par de grands cris son Rédempteur, qui n'abandonne pas à l'heure suprême le pécheur pénitent. Hassan, dit-on, le perçait lui même de flèches, et, comme il l'entendait prononcer le doux nom de Jésus :
        " Ioussouf, dit-il, invoque donc Mahomet ! Que fais-tu ? Pourquoi ne te recommandes-tu pas à lui ? "
        Tournant vers le pacha des yeux étincelants de colère :
        " Quel démon me nommes-tu ? s'écria le patient.
        Mahomet ! Va- t'en avec ton Mahomet ! C'était un grand traître et un fourbe ! "
        Les coups d'arquebuse et les flèches redoublèrent. Ioussouf, ses bourreaux l'affirmèrent au père Haedo, répétait le signe de la croix avec la main droite, quand déjà il ne pouvait plus parler. Il rendit l'âme, et fut jeté à la mer.
        Amoussa de Candie, étendu sur une planche, pieds et poings liés avec quatre cordes, fut placé sur un esquif entre quatre galères, qui, faisant force de rames en sens divers, déchirèrent son corps en quatre quartiers. Il subit ce supplice sans laisser paraître ses sentiments et sans dire une parole.

        L'escadrille partit de Malvoisie le 5 juin, et le 7 arriva à Modon. C'est là seulement que le pacha fit pendre par le bras droit, à la vergue de sa galère, le renégat Régippe Cipparoto. Une première flèche frappa au-dessous du cœur, et sortit entre les épaules.
        " Iaban ! Iaban ! Le traître ! " Criait Cipparoto, désignant ainsi le premier auteur de sa mort.
        Il fut achevé à coups de flèches sans avoir exprimé qu'il mourait chrétien. Le corps fut jeté à la vague.
        Hassan voulait immoler encore plusieurs des renégats ; mais quelques-uns de ceux qui n'avaient pas trempé dans le complot, et des Turcs de ses amis obtinrent leur grâce à force de prières.

        - Les renégats recourent fréquemment à des moyens extrêmes pour sortir de leur misérable condition, dit M. Morelli. En 1630, le général des galères d'Alger, que nos vieux auteurs nomment Couleuvrine, fut assassiné par plusieurs de ses esclaves, renégats et chrétiens. Les premiers étaient au nombre de vingt ; ils voulaient reconquérir la liberté et revenir à la foi de Jésus-Christ. Leur maître était un scélérat, souvent ivre, plein de fanatisme musulman et de haine pour ceux qu'il appelait les infidèles. Voulez-vous savoir comment il se plaisait à traduire ses sentiments ? Quand il récitait son tesbith ou chapelet, il faisait, à chaque grain, assener un coup de bâton à un esclave Comme le chapelet arabe est de quatre-vingt-dix-neuf grains, sur lesquels on récite une courte prière, Lhamdou lillahi (louange à Dieu), ou quelque autre semblable ; et comme ce vieil ivrogne supposait que la cruauté envers les chrétiens lui tenait lieu de toutes les vertus, il disait quelquefois son chapelet dix fois de suite, en sorte que plusieurs esclaves succombèrent victimes de son ingénieuse piété.
        - Permettez, mon père, que je vous interrompe, dit Carlotta au père Gervais ; est-ce que l'ivrognerie est un vice répandu parmi les musulmans ? Il n'est pas rare d'en rencontrer qui chancellent avec toutes les apparences de l'ivresse.

        - Les musulmans regardent généralement le vin et les liqueurs enivrantes comme leur étant défendus, et comme d'un usage essentiellement mauvais. Ce tissu de contradictions et de niaiseries qu'on appelle le Coran n'est pas clair sur ce sujet. Ici le vin est promis aux bienheureux dans le paradis. " On leur présentera du vin exquis cacheté avec du musc. " Ce vin ne donnera pas d'étourdissement. Ailleurs il est écrit : " Ils t'interrogeront sur le vin et sur le jeu ; dis-leur : Dans l'un et dans l'autre il y a du mal et des avantages ; mais le mal l'emporte sur les avantages. " Mahomet ne distingue pas l'usage et l'abus. Il dit encore : " Parmi les fruits, vous avez le palmier et la vigne, d'où vous retirerez une boisson délicieuse et une nourriture agréable. " On ne voit pas au juste ce qu'il faut conclure de tout cela. Tandis que des marabouts condamnent toute liqueur enivrante, d'autres établissent des distinctions plus ou moins subtiles. Le rosolio italien m'a paru toléré et très goûté dans les régences de l'est ; l'absinthe, cette eau perfide et qui devient facilement abrutissante, fait les délices de beaucoup d'Algériens et d'Algériennes, qui en boivent sans mesure. " Macach schrab, disent-ils, ce n'est pas du vin. " Si je ne me trompe, ceux des musulmans qui croient permis d'user de quelque boisson alcoolique ne savent pas se modérer.

        C'est pourtant une justice à rendre aux Arabes d'Algérie : la plupart se contentent de l'eau, du leben ou lait aigre, et de l'alib ou lait ordinaire de vache, de chèvre, de chamelle. Les gens des tribus n'ont guère, d'ailleurs, la faculté de se procurer du vin. J'en ai vu faire d'horribles grimaces, après avoir avalé de bonne foi une gorgée de rhum ou d'eau-de-vie. Les spahis, pour la plupart, éprouveraient des scrupules à violer sur ce point la règle commune. Retirés dans leur smala, ils conservent mieux les mœurs de la famille arabe de grande tente. Les Turcs ont la conscience plus large : c'est qu'ils hantent davantage le soldat français, et qu'ils appartiennent plutôt à la classe inférieure de la population musulmane, où l'éducation religieuse est moins puissante. Beaucoup d'entre eux sont Kabyles.
        Du reste la débauche la plus infâme et l'ivrognerie la plus dégoûtante ont flétri une foule de princes arabes ou turcs et d'officiers du premier rang. Ce Couleuvrine dont nous parlions tout à l'heure, est plutôt le type que l'exception.
        - Que firent donc les renégats après l'avoir tué ? dit Mme Morelli.

        - Le meurtre avait été commis sur le soir, reprit Alfred. Vers minuit les esclaves et les renégats descendirent au pied des murailles au moyen d'une corde, et s'emparèrent de quelques barques amarrées dans le port. Douze soldats de garde découvrent ce mouvement et donnent l'alarme. Une lutte terrible s'engage au milieu des ténèbres. On décharge sur les chrétiens des coups de mousquets et de cimeterres. Plusieurs des fugitifs se jettent à la mer et sont noyés ; les autres sont pris et subissent une mort affreuse : on les brûle, on les accroche par le ventre aux crocs de la porte de la Pêcherie ; on les fait expirer sous les coups, auxquels ils répondent en jetant l'anathème à Mahomet. On enchâsse dans un massif de mur en construction plusieurs d'entre eux ; on leur ouvre les épaules avec un rasoir, et l'on y introduit un flambeau ardent. Une femme turque sauva un de ces chrétiens en gagnant le mesuar. Ce bourreau serra peu le condamné qu'il murait, et ne lui entailla pas les épaules. Ainsi enfermé, et dans l'impossibilité de dégager la partie inférieure de son corps, ce dernier devait mourir de faim. Mais on lui donnait secrètement à manger, la nuit ; de sorte que sept jours après il vivait encore. La femme qui voulait le sauver cria au miracle ; d'autres Mauresques s'unirent à elle, et le condamné, moins heureux que les autres, obtint sa grâce en prononçant quelques paroles de respect pour Mahomet.

        - Peu de temps après, vers 1634, dit M. Morelli, trois jeunes renégats bretons firent preuve à la fois d'un grand repentir et d'un grand courage. Ils s'étaient embarqués sur un navire qui allait en course avec deux autres bâtiments. Décidés à s'enfuir à tout prix en pays chrétien, ils forment le projet de mettre le feu au navire arrivé prés de terre, et de se sauver à la faveur de l'incendie. L'un d'eux allume à un baril de poudre une mèche qui pouvait briller un demi quart d'heure, puis ils se retirent à la proue. L'explosion a lieu ; les Turcs sautent avec une partie du navire; les Bretons seuls en sont quittes pour " un peu d'éblouissement, " et ils flottent sur les débris du vaisseau. Les corsaires des deux bâtiments, qui naviguaient de conserve, aperçurent le désastre, les cadavres des Turcs à demi brûlés et flottant sur l'abîme, et les renégats cramponnés à la coque fracassée. Ils détachèrent une barque pour les recueillir et leur demander compte de la catastrophe. La barque approchait, glissant à travers les agrès, les turbans, les armes, les vêtements, les membres coupés, épars sur les flots. Les Bretons mesurent la distance qui les sépare du rivage; ils n'hésitent plus, et se lancent à la mer, espérant aborder à la nage. Un seul fut pris, soumis à des tortures affreuses et jeté pieds et poings liés en pâture aux monstres marins. On n'a plus entendu parler des deux autres. Il est probable qu'ils se seront noyés après avoir épuisé leurs forces.

        - Jacques, renégat de Boulogne en Picardie, reprit Alfred, réussit à se sauver au mois de mai de la même année 1634. C'est vraiment à regret que je lui donne ce hideux nom de renégat, car il le fut bien à contrecœur. Jeune mousse d'environ douze ans, il avait été pris par les pirates et vendu au bazar de la Goulette. Son maître, après mille efforts inutiles pour le faire apostasier, s'avise une nuit d'enlever les vêtements de l'enfant, et de mettre auprès de lui de beaux habits à la turque. Jacques, au réveil, est fort embarrassé ; s'il ne se lève pas, que dira le maître ? Et s'il prend ces habits, le voilà censé renégat ! Il reste couché jusque après midi. Mais alors, pressé par la faim, ce qui est une très mauvaise conseillère et qui tente fort les jeunes gens, observe le père Dan, il se décide à se lever, et, tout en se promettant de ne pas renier sa religion, il revêt en pleurant les habits turcs. A peine l'a-t-on vu, qu'on le félicite de ce qu'il est devenu musulman, Indigné contre lui-même, il prend son turban et le foule aux pieds. C'est un crime digne de mort : on le lui pardonne à cause de sa jeunesse. Toutefois la crainte des tourments le conduisit à une apparente apostasie, dont il ne comprit pas toute la gravité. Dans sa nouvelle condition il ne désira que plus ardemment de revoir sa patrie ; il s'efforça de secourir en secret les pauvres chrétiens, et se mit en relations avec le père Esprit, religieux augustin, chapelain du consul de France, M. Bourelly. Il attendait depuis treize ans l'heure de la délivrance, et il se trouvait sur un navire, par un calme plat, devant Majorque. Envoyé dans un canot avec des compagnons pour retirer une caisse que l'on voyait sur les flots, il saisit au retour le moment favorable, resta le dernier sur la barque, coupa les cordes qui devaient la hisser, et s'enfuit vers la terre à force de rames. Le vent contraire ne permit pas au gros bâtiment de le poursuivre ; on lui tira des coups de mousquet et même de canon. Mais la Providence le sauva. Il se présenta devant l'inquisition de Majorque, et en reçut avec des éloges le moyen de passer à Marseille, d'où il regagna son pays natal.
A SUIVRE

FILM « LE RAVIN ROUGE »
Tiré du livre d’ANNE CAZAL

Ravin rouge le film



COMMUNIQUE STRICTEMENT PERSONNEL D’ANNE CAZAL
(VOIR LA SEYBOUSE N° 105 )

Chers compatriotes, chers amis,

        Bonjour Chers Amis,

        Suite à la diffusion de ce Communiqué personnel de Mme Anne CAZAL avec son aval, les trois " pionniers" en profitent pour vous remercier du soutien financier ou moral apporté à ce projet qui nous tient tous à coeur, et qui à présent entre dans sa deuxième phase, gérée par " RAVIN ROUGE LE FILM."

         Ce n'est pas la plus facile, mais les perpectives sont bonnes et la Présidente ne manquera pas de vous informer de son évolution

        Bien Fraternellement à vous
Les trois pionniers :

        - Michèle FISCHHOFF        - Michel XIMENES        - Jean Paul SELLES

 

MESSAGES
S.V.P., Lorsqu'une réponse aux messages ci dessous peut, être susceptible de profiter à la Communauté, n'hésitez pas à informer le site. Merci d'avance, J.P. Bartolini

Notre Ami Jean Louis Ventura créateur d'un autre site de Bône a créé une rubrique d'ANNONCES et d'AVIS de RECHERCHE qui est liée avec les numéros de la seybouse.
Pour prendre connaissance de cette rubrique,
cliquez ICI pour d'autres messages.
sur le site de notre Ami Jean Louis Ventura

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De M. Pierre Jarrige

Chers Amis
Voici les derniers Diaporamas sur les Aéronefs d'Algérie. A vous de les faire connaître.
Diaporama 38                                           Diaporama 39
Diaporama 40                                           Diaporama 41
Diaporama 42                                           Diaporama 43
Pierre Jarrige
Site Web:http://www.aviation-algerie.com/
Mon adresse : jarrige31@orange.fr

DIVERS LIENS VERS LES SITES

M. Gilles Martinez et son site de GUELMA vous annoncent la mise à jour du site au 1er Mai 2011.
Son adresse: http://www.piednoir.net/guelma
Nous vous invitons à visiter la mise à jour.
Le Guelmois
CLIQUEZ ICI pour d'autres messages.

Le moine, l'oisillon, la vache et le renard...
Envoyé par Jacques

       Un moine tibétain marche sur une route glacée de montagne et entend un faible pépiement.
       Il regarde autour de lui et voit aux pieds d'une haie, un tout petit moineau à moitié mort de froid.
       Il le prend et le réchauffe dans ses mains. Que faire, s'interroge-t-il ?
       "Si je le garde avec moi, il va salir ma robe et au couvent le chat le mangera. Si je le laisse ici, il va mourir de froid."
       Soudain une idée lui vient. Pour le protéger du gel, il place l'oisillon dans une bouse fumante de vache sacrée, et poursuit son chemin, l'âme en paix.

       L'oisillon se réchauffe et commence à chanter à plein gosier sa joie d'être vivant.
       Un renard qui, voyant une bouse de vache qui chante, s'approche et croque le moineau.
              ...Trois moralités à cette histoire...:
       1° Celui qui te met dans la merde ne te veut pas forcément du mal.

       2° Celui qui t'en sort ne te veut pas forcément du bien.

       3° Quand tu es dans la merde .... ferme ta gueule.. !



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