(Algérie, Tunisie, Tripolitaine, Maroc)
PAR Paul MASSON (1903)
Professeur d'Histoire et de Géographie économique
à l'université D'Aix-Marseille.
DEUXIÈME PARTIE
(1635-1690) LE COMMERCE FRANÇAIS ET
LES GUERRES CONTRE LES BARBARESQUES
CHAPITRE VI
LES ÉCHELLES DE BARBARIE (1633-90)
I. - ALGER, TUNIS, TRIPOLI
Les Échelles de Barbarie et le commerce des particuliers furent soumis aux mêmes influences que les compagnies. Celles-ci, qui payaient aux divans d'Alger et de Tunis des redevances très appréciées, avaient cependant ressenti profondément le contre-coup des guerres de la France avec les régences, malgré les clauses formelles des contrats qu'elles avaient passés avec elles : à plus forte raison, ces guerres furent-elles ruineuses pour les résidents français d'Alger et de Tunis, exposés immédiatement aux représailles et aux avanies des Barbaresques. Ce qui étonne même c'est, qu'à aucun moment, malgré les risques de ruine, de mauvais traitements, d'esclavage, et même de mort, ces Échelles n'aient été abandonnées.
Les résidents d'Alger, surtout, eurent à traverser de terribles vicissitudes ; leur situation et celle des consuls fut pire encore que dans la période précédente. Un moment, la prise de Djidjelli, par Beaufort, avait fait naître l'espoir que les Français pourraient dorénavant résider et commercer tranquilles dans une place appartenant au roi. Le 11 septembre 1664, le baron d'Oppède vint présider une assemblée extraordinaire de la Chambre de Commerce de Marseille, à laquelle assistaient une " multitude " de négociants, et leur annonça en ces termes les volontés du roi :
" S. M. ayant toujours à cœur de bonifier le commerce... veut établir un juge consul, au lieu de Gigery, en Afrique, qu'il a nouvellement soumis à sa domination, pour donner lieu à tous les négociants de pouvoir y établir un commerce avec toute assurance, faisant, pour cet effet, fortifier cette place avec toute sorte de diligence, pour l'entière sûreté dudit commerce, voulant néanmoins, S. M., par une bonté extraordinaire, remettre, au choix de l'assemblée et à la pluralité des suffrages, la nomination de la personne pour cet emploi..."
Un marchand fut, en effet, désigné pour aller remplir l'office de consul à Gigery ; il put s'embarquer sur les vaisseaux du marquis de Martel qui conduisit des renforts à l'expédition de Beaufort, en octobre 1664, mais, s'il fit le voyage, ce fut pour être témoin de l'expulsion des Français obligés, peu après, d'abandonner leur fugitive conquête.
La charge de consul d'Alger appartenait alors à l'ordre des Lazaristes. La duchesse d'Aiguillon l'avait achetée en 1646 à son propriétaire, le Marseillais Balthazar de Vias, et l'avait offerte avec la permission du roi à saint Vincent de Paul, fondateur de la Congrégation de la Mission. Deux ans après, la duchesse avait acquis de même, pour le compte de son protégé, le consulat de Tunis. Monsieur Vincent avait songé d'abord à faire gérer ses deux consulats par des religieux de son ordre ; mais il s'était heurté à la résistance de la Cour de Rome qui apprécia sainement les dangers de sa combinaison et opposa des refus formels aux nombreuses démarches qu'il tenta auprès d'elle. Saint Vincent, qui avait été désigné pour le poste d'Alger le P. Lambertaux Cousteaux et obtenu pour lui des lettres de provision, dut lui substituer le F. Barreau, membre laïc de la congrégation, qui faisait alors ses études cléricales à Saint-Lazare.
Trois consuls Lazaristes, Barreau, Dubourdieu, Jean Le Vacher se succédèrent à Alger jusqu'en 1683.
Saint Vincent ne tarda pas à regretter le cadeau qu'on lui avait fait. Dès le 16 avril 1655, il écrivait à M. Gel, supérieur de la mission à Marseille, pour le charger de s'informer secrètement si on ne pourrait pas trouver quelque marchand de Marseille qui consentit à payer une rente pour les consulats d'Alger et de Tunis. Il reçut, en effet, des offres; nais, en cédant la charge, il entendait conserver l'autorité morale qu'elle donnait, en entretenant un prêtre de la mission auprès du consul ; personne ne voulut accepter une pareille dépendance.
De Grammont, dans son Histoire d'Alger, trouve que les Lazaristes rendirent, peut-être, de grands services aux esclaves des bagnes d'Alger, mais qu'ils ne furent pas d'assez fermes défenseurs du commerce.
" Cette pensée charitable, dit-il, qui donnait une certaine satisfaction aux besoins physiques et moraux de 20.000 infortunés qui gémissaient dans les bagnes d'Alger, était un des plus malencontreux essais politiques qu'on ait jamais fait et la suite de cette histoire ne nous le démontrera que trop. Ces hommes pieux, dévoués et bienfaisants, ces chrétiens résignés, qui acceptaient comme une faveur divine les incarcérations, les bastonnades et la mort, méritent à un haut degré le respect dû au courage et à la vertu ; ils arrachèrent l'admiration à leurs bourreaux eux-mêmes; mais, comme agents de l'État, ils furent les plus mauvais consuls qu'on puisse rêver. "
Cette appréciation du rôle des Lazaristes est assez juste. Cependant, il faut attribuer aux circonstances et à l'humeur peu traitable des Algériens, autant qu'à la résignation des consuls, les mauvais traitements qu'ils subirent ; l'accueil fait à d'Arvieux, en 1675, et le supplice de Piolle, en 1688, montrent que les consuls laïcs ne pouvaient pas se faire mieux respecter que les religieux. De Grammont lui-même porte sur l'un de ceux-ci ce jugement tant soit peu contradictoire : " Somme toute, M. Dubourdieu, par sa patience, sa fermeté et l'influence personnelle que lui donnait la dignité de sa vie avait obtenu de bons résultats(1). "
Un des principaux inconvénients des consuls Lazaristes, d'après de Grammont, est qu'ils ne pouvaient pas tolérer, comme les consuls laïcs, le trafic des agrès, cordages, voiles, rames, canons, et autres fournitures pour les corsaires. L'article 7 de la bulle In coena domini frappait d'excommunication tous ceux qui en vendraient aux musulmans. Mais nos consuls avaient toujours fermé les yeux sur ce commerce, le seul, à vrai dire, qui fût possible avec Alger. Les Turcs en considérèrent la cessation comme un acte d'hostilité, les marchands se plaignirent et la ville de Marseille ne cacha pas son mécontentement(2).
Quoi qu'il en soit des aptitudes des Lazaristes aux fonctions consulaires, leur existence, pendant cette période troublée, ne fut jamais tranquille à Alger. Dès 1647, Barreau fut mis aux fers et ne fut délivré que grâce à la distribution de présents. Remis aux fers en 1650, il y resta jusqu'en 1652. Il fut emprisonné de nouveau, en 1656, à la suite de la faillite d'un négociant marseillais, Fabre, qui s'enfuit en France, laissant un passif de 12.000 écus. A peine avait-il eu le temps de respirer qu'il fut arrêté derechef, au sujet de la faillite d'un autre négociant, Rappiot.
Cette fois il fut traité avec horrible barbarie. On le bâtonna presque jusqu'à la mort et on lui enfonça des pointes sous les ongles. Il souscrivit un engagement de 2.500 piastres dont il ne possédait pas le premier sou. Une souscription des captifs les procura ; il n'en fut pas moins déclaré solidaire de Rappiot. Celui-ci s'était sauvé à Livourne sur un navire chargé de marchandises non payées. Saint Vincent de Paul mit tout en oeuvre, envoya le P. Le Vacher à Livourne, pour mettre arrêt sur le navire, et Louis XIV écrivit à ce sujet au G. duc de Toscane. Mais, malgré les efforts de saint Vincent, aucune réparation ne fut exigée à Alger. A peine sorti des tribulations de la faillite Rappiot, Barreau fut pris à partie pour les dettes d'un marchand grec et peu après pour l'abandon du Bastion par Picquet en 1658. Barreau pouvait lui écrire l'année suivante " Alger est le lieu où les avanies sont le plus fréquentes qu'en aucun lieu du monde... Je n'en ai que trop d'expérience vu que, depuis 15 ans que je suis en cette ville, j'en ai souffert pour plus de 10.000 écus; celle qui m'a été causée à l'occasion de la fuite de Rappiot ne m'est encore que trop ressentie, aussi bien que les coups de bâton que j'ai soufferts. " La paix de 1666 améliora la situation des marchands et du consul; pourtant, en 1673, le chef d'escadre, d'Almeras, croyait devoir ramener Dubourdieu sur ses vaisseaux pour mettre sa vie en sûreté. Puis, les bombardements de 1683 et de 1688 poussèrent les Algériens à des extrémités : le 20 juillet 1683 une bande de furieux alla saccager le consulat de France et le P. Le Vacher, entraîné sur le môle, malgré son grand âge et le respect qu'il inspirait, fut attaché à la gueule d'un canon ; vingt autres Français subirent ensuite le même sort. Cette exécution fut renouvelée en 1688, malgré la menace de d'Estrées, qu'il exécuta, de faire pendre autant de Turcs, aux vergues de ses bâtiments, qu'il y aurait de Français mis au canon ; le consul Piolle, le vicaire apostolique Montmasson et 41 autres Français souffrirent ce supplice.
Aussi, malgré le rétablissement de la paix en 1689, on n'avait guère confiance, à Marseille, dans les dispositions pacifiques des Algériens et dans l'avenir de l'échelle d'Alger. Quand l'intendant Lebret vint exposer à la Chambre de Commerce due Seignelay avait l'intention d'envoyer un consul capable d'entretenir la paix, la Chambre lui remontra le peu d'apparence qu'il y avait que les Algériens, c'est-à-dire des pirates, eussent des égaras pour un consul. Ainsi n'y eut-il jamais dans le fondouk, où ils vivaient avec le consul, qu'un petit nombre de marchands marseillais et le commerce qu'ils faisaient n'avait aucune importance(3). Nous manquons malheureusement de renseignements précis, mais le silence des documents au sujet du commerce d'Alger est, par lui-même, assez significatif. La correspondance consulaire, celle des nombreux officiers ou commissaires royaux envoyés en mission à Alger, abonde en détails sur nos querelles avec les Algériens ; il n'y est presque jamais question du commerce, ou bien c'est de celui du Bastion qu'il est question. On petit, avec les archives de la Chambre de Commerce de Marseille, faire une histoire de toutes les échelles du Levant pour celle d'Alger, on n'y trouve presque rien. D'après les registres de perception du cottimo, cette taxe ne fut perçue à Marseille, jusqu'en 1690, que sur un, deux, trois et, deux fois seulement, sur quatre bâtiments revenant d'Alger(4). Savary de Brusions, dans son Dictionnaire du commerce, reproduit un document précieux, ouvrage posthume du célèbre Gaspard Carfueil, négociant de Marseille, mort en 1723. C'est un état général de toutes les marchandises dont on faisait commerce à Marseille, avec l'indication de leur provenance, dressé en 1688(5). On n'y voit presque pas figurer le nom d'Alger. Marseille en recevait un peu de cire, de suif, de laine, 1500 à 2000 peaux, tandis que le Bastion en fournissait 18 à 20.000. On voyait cependant, à Alger, des navires français en assez grand nombre : quand les Algériens rompirent de nouveau avec la France, en 1687, le dey fit saisir dans le port 11 bâtiments français qui furent vendus avec leurs cargaisons et leurs équipages. Mais ces bâtiments n'étaient sans doute pas là pour le compte de négociants français ; ils étaient affrétés par des étrangers, par des juifs, sans doute, qui continuaient à accaparer la plus grande partie du commerce de la régence et maintenaient leurs vieilles relations avec leurs coreligionnaires de Livourne. Chaque année, il partait d'Alger pour ce port plus de bâtiments français que pour Marseille.
Les juifs avaient soin d'intéresser à leurs opérations commerciales des personnages influents, quelquefois le dey lui-même ; ils avaient l'appui des Puissances et il était difficile de leur faire concurrence(6).
A cette époque où la course était plus active et le butin des reïs plus riche que jamais, le commerce des prises était l'un des plus importants peut-être, celui qui, à coup sûr, procurait ordinairement le plus de bénéfices.
" Ce n'est pas aussi un des moindres commerces, écrivait Savary à la fin du XVIIe siècle, et c'est certainement celui sur lequel les marchands chrétiens font les plus grands profits, y gagnant quelquefois 400 pour 100, que l'achat du butin que les corsaires rapportent au retour de leurs courses, ayant coutume de mettre en vente tout ce qui ne convient pas au pays ou à leur religion et ne trouvant que des chrétiens pour enchérisseurs, sont obligés de leur délivrer à très bon compte. Ces marchandises sont des vins, des eaux-de-vie, des bières, des huiles, des chairs et des poissons salés et plusieurs autres semblables, dont on fait ordinairement des cargaisons pour des îles Antilles(7) ".
Cette dernière remarque concerne sans doute les Français, car il leur aurait été interdit de rapporter de pareilles marchandises dans le royaume. Mais, quels que fussent les bénéfices qu'ils pouvaient réaliser à l'occasion, l'existence et les ressources des marchands français d'Alger, pendant cette période, devaient être bien précaires et restent même pour nous un problème difficile à expliquer. Quant au consul, qui n'avait toujours pour vivre que son droit de consulat de 2 %, il tirait sa principale subsistance des navires français, nolisés pour le compte des juifs ou des bâtiments étrangers, qui venaient à Alger sous la protection de la France. Le consul Lemaire, en 1690, accusait ses prédécesseurs de n'avoir pas travaillé au développement du commerce français, parce qu'ils ne s'occupaient que de percevoir leur droit de consulat.
Les Anglais et les Hollandais avaient continué à acheter les bonnes grâces des Algériens, en leur vendant des munitions et des armes, trafic toujours sévèrement interdit aux Français par les ordonnances royales. Même leurs gouvernements ne rougissaient pas de laisser inscrire dans leurs traités l'obligation de procurer au dey, chaque année, des fournitures de guerre ; le traité des Hollandais, du 1er mai 1680, les obligeait de livrer annuellement une quantité déterminée de câbles, mâts, poudre, projectiles et canons ; les Anglais, par le traité du 12 avril 1682, avaient pris des engagements analogues. Les traités signés par la France n'avaient jamais contenu des clauses aussi déshonorantes. Il est vrai que nos rivaux allaient beaucoup plus loin, puisqu'ils n'hésitaient pas, à l'occasion, à offrir des secours et même des navires aux Algériens, pour les faire rompre avec nous.
Malgré leurs complaisances, malgré la libéralité avec laquelle ils distribuaient les présents, que la Chambre de Commerce de Marseille ne dépensait qu'avec parcimonie(8), les Anglais et les Hollandais ne furent pas mieux traités que nous. Souvent en guerre ouverte avec les Algériens, ils parvinrent encore moins à faire respecter les traités de paix qu'ils signaient. Le dey Chaban écrivait fièrement à Pontchartrain en 1691 :
" Les Anglais nous font de grandes amitiés et la raison pour laquelle nous les traitons bien, ce n'est pas pour l'amour de leur argent, ni par motif de crainte. Il est vrai que, sous le règne de Baba Hassan, les Anglais, par ruse et par surprise, brûlèrent 11 vaisseaux d'Alger, mais, par la grâce de Dieu, pour ces onze vaisseaux, l'on trouve écrit dans les registres du Divan que les Algériens leur ont pris en revanche 400 bâtiments, entre navires et barques, grands et petits, qu'ils ont amenés à Alger, et ont fait esclaves 5.000 Anglais. Enfin, le général de la flotte anglaise amena à l'improviste, à Alger, tous les Turcs qu'il avait pris et en fit présent au Divan. Il demanda quartier et la paix et, à force de prières et de présents, on le lui accorda… Il reste encore ici environ 2000 de ces Anglais, faits esclaves de ce temps-là, qui n'ont point été rachetés… Depuis ce temps-là jusqu'à présent, tout autant de Turcs qu'ils prennent et qui ne sont pas Algériens, de quelque nation qu'ils soient, ils les traitent honnêtement et les renvoient en ce pays. Même, l'année passée, cinq de nos Algériens, s'étant sauvés des galères de Rouen, abordèrent en Angleterre. Le prince d'Orange les fit habiller de pied en cap et leur donna 200 écus pour faire le voyage.... Voilà, mon cher ami, un exemple de la manière dont les amis doivent agir avec leurs amis. "
La France n'avait jamais souffert autant de la guerre, ni acheté la paix par tant d'humilité. Les bombardements n'avaient pas eu le succès qu'en attendait Colbert, mais ils avaient inspiré néanmoins aux Algériens une salutaire terreur dont les effets devaient longtemps être ressentis. La prééminence du consul français sur les autres, reconnue solennellement par le traité de paix de 1666, fut toujours reconnue dans la suite et, de même que l'influence française resta bien établie, en dépit de l'affaiblissement de notre marine à la fin du règne de Louis XIV, de même le commerce et les pavillon français devaient garder toujours leur prééminence.
Grâce à d'habiles ménagements, les Marseillais avaient réussi, depuis 1617, à maintenir la paix avec les Tunisiens. Elle avait été confirmée en 1665 par Beaufort, de la façon la plus avantageuse. En effet, le texte du traité de 1665 reproduit est grande partie celui des traités précédents, mais en diffère essentiellement par soit article 17.
Celui-ci stipulait que le consul de France devait être considéré comme le représentant naturel de toutes les nations qui faisaient le commerce dans l'étendue de la Régence, à l'exception des Anglais et des Hollandais, qui venaient récemment d'instituer un consul à Tunis(9). Mais, par suite de l'attitude moins conciliante de Colbert, le dey s'était montré moins bien disposé à notre égard : en 1672, le marquis de Martel avait dû bloquer pendant 27 mois les ports de la Régence, canonner la Goulette, Bizerte, Porto-Farina, pour obtenir une nouvelle confirmation des traités. En 1678, les Français et tous les Européens de Tunis furent sérieusement menacés de perdre la vie. Le consul Charles de Gratien fut, ainsi que son collègue d'Angleterre, violemment traîné devant le bey Mohammed et tous deux furent obligés, sous la menace de subir le dernier supplice, de s'engager à lui payer une, somme considérable(10). La Chambre de Commerce de Marseille remboursa, en 1680, les négociants français des pertes qu'ils avaient subies. Mais c'était là un épisode des guerres civiles qui troublaient la Régence. En effet, à partir de ce moment, Tunis fut affaiblie par de longues dissensions et, de plus, menacée sans cesse par les Algériens dont la puissance militaire était beaucoup plus forte. Dans cette situation, le dey ne pouvait songer à rompre avec la France ; il n'osa même pas s'y risquer pendant notre guerre avec Alger : la paix fut renouvelée pour cent ans en 1685 et les Tunisiens risquèrent même de s'attirer la vengeance des Algériens en donnant asile aux Français du Bastion en 1688.
L'influence française était donc solidement établie à Tunis. Mais la clause des traités de 1665 et 1672, qui reconnaissaient explicitement au consul de France le protectorat des marchands étrangers, ne fut plis reproduite dans le traité de 1685, cependant plus favorable qu'aucun des précédents. L'article 18 affirmait seulement la prééminence du consul de France sur tous les autres. Une curieuse lettre du consul Michel, écrite l'année suivante, nous apprend que les Anglais ne négligeaient aucune occasion de nous disputer le premier rang :
Le jour de leur Pâques, qui fut le 28 octobre, la coutume est que toute la musique du dey, du pacha et du divan vienne, ce jour-là, aux maisons consulaires pour avoir la manche, et, comme nous avons le pas sur toutes les autres nations, on vient au consul français le premier Le consul anglais avait, à force de présents, obtenu de ces gens-là d'aller chez lui le premier, comme en effet ils y allèrent ; et, dans le même temps, je fus au dey pour lui demander justice sur le cas arrivé. Il entra dans un excès de colère et sur-le-champ envoya deux chaouchs pour chercher le maître de musique, mais, par bonheur, on ne le trouva pas, car s'il y fût venu dans cette promptitude, il l'aurait fait étrangler et j'eus besoin de rappeler toutes mes forces pour obtenir sa grâce. Il me demanda donc ce que je voulais pour réparation, qu'il m'accorderait tout. Je lui demandai qu'on vint jouer pendant les trois jours consécutifs des fêtes, ce qui fut exécuté et qu'on vint toujours en premier lieu chez nous... Je vous assure. Messieurs, que le consul anglais a été beaucoup mortifié en cette affaire.
A Tunis, le consul et les marchands français vécurent donc assez tranquilles, non pas à l'abri des avanies pécuniaires, accidents ordinaires dans toutes les échelles du Levant, mais sans avoir à redouter l'emprisonnement ni la mort(11). Comme dans les échelles du Levant, une seule habitation solide et bien close abritait le consul et les marchands et renfermait les magasins ; en Syrie, on appelait khans ces sortes de caravansérails ; à Alger et à Tunis, ils avaient gardé le nom de fondouks, employé il l'époque des croisades pour tous les comptoirs des marchands occidentaux dans le Levant. D'Arvieux nous a laissé du fondouk de Tunis, bâti en 169, une description dont on peut vérifier l'exactitude, car cette vieille demeure existe encore dans la rue de l'Ancienne Douane, et, même, était, il y a quelques années, la propriété d'un Français(12).
Il n'y a, dit d'Arvieux, que trois fondouks ou fondiques dans la ville…
L'un sert de logement aux marchands anglais et hollandais. Le second est loué aux juifs, ils y serrent leurs marchandises, mais ils ont des maisons particulières où ils demeurent avec leurs familles.
" Le troisième, qui est le plus grand et le plus beau, est occupé par les Français. Il est bâti comme les camps ou caravansérails de tout l'Orient : c'est un grand corps de logis qui a une grande cour carrée au milieu, des magasins au rez-de-chaussée, et des chambres au-dessus, qui se communiquent les unes aux autres par une galerie qui donne sur la cour et qui conduit aux appartements du consul. Ils sont autour d'une cour carrée ; un des côtés est occupé par la porte avec une terrasse au-dessus ; un autre est occupé par la chapelle et la chambre du conseil ; le troisième, par une grande salle à manger ; et le quatrième, par la cuisine et l'office. Tout le rez-de-chaussée est partagé en différents magasins, et tous les autres appartements au premier étage, qui sont voûtés, sont couverts d'une terrasse, sur laquelle on monte par une échelle pour prendre le frais le soir et le matin. On amasse des eaux de pluie qui tombent sur ces terrasses dans des citernes, et on les conserve avec soin, parce que les eaux de puits sont saumâtres et d'un si mauvais goût, qu'il n'y a que ceux qui y sont accoutumés de longue main qui s'en puissent accommoder. "
Comme dans toutes les échelles, les rivalités d'intérêt, l'esprit turbulent des Provençaux, la communauté étroite d'existence, suscitaient des querelles continuelles entre les marchands ou les faisaient cabaler contre leur consol(13). A Tunis, le fondouk fut, à diverses reprises, un sujet de discorde parce que, contrairement à l'usage commun dans le Levant, les marchands payaient au consul une certaine somme pour y être logés ; en retour, celui-ci prenait " le fondouk à son risque, péril et fortune ", c'est-à-dire se chargeait de toutes les dépenses d'entretien et payait les redevances au divan, qui s'élevaient à 600 piastres par an.
D'après un contrat de 1670, les marchands devaient donner au consul 55 piastres par an pour leur habitation et magasin ; les bâtiments étrangers, qui venaient à Tunis sous la protection de la France, acquittaient 30 piastres s'ils déchargeaient et rechargeaient, 15 seulement s'ils ne faisaient que l'une ou l'autre opération. Moyennant ce droit de fondouk, le consul était obligé de fournir aux patrons de ces navires une chambre pour se loger et des magasins pour mettre leurs marchandises.
Les consuls et les marchands interprétèrent ce contrat chacun à leur façon : les premiers prétendirent lever le droit de fondouk sur tous les bâtiments, même français, qui venaient à Tunis ; les marchands l'exigèrent à leur profit de tous les bâtiments, français ou autres, qui leur étaient adressés, sous prétexte qu'ils logeaient le capitaine dans leur appartement et les marchandises dans leur magasin, dont ils payaient la location au consul. " Il s'ensuit, écrivait l'un des consuls, que les marchands, exigeant le droit, sont non seulement logés pour rien, mais encore gagnent considérablement au-dessus de leur loyer pendant que le consul, lui est le fermier Principal du fondouk, eux n'étant que les locataires, est la dupe, ce qu'il retire d'eux pour loyer de leurs appartements et magasin ne suffisant pas pour le rembourser du tiers de sa rente(14). "
Le consul affirmait dans sa lettre qu'il n'y avait que trois marchands français établis à Tunis; c'était vrai, car on venait d'appliquer à Tunis l'organisation en vigueur dans les autres échelles et les députés de la nation, élus pour la première fois en 1688, étaient restés trois ans en fonctions, faute d'autres négociants pour les remplacer, mais le nombre des résidents était alors réduit d'une manière tout exceptionnelle. En 1670, cinq marchands avaient conclu le contrat avec le consul ; ils étaient davantage en 1683 ; une délibération de la nation est signée, en 1693, des noms de neuf marchands.
La nation française de Tunis était donc assez nombreuse et le commerce qu'elle faisait plus important que celui des résidents d'Alger, sans avoir cependant une grande activité. On aurait pu charger à Tunis des blés, mais l'exportation n'en était permise qu'au cap Nègre, à la Compagnie. Il en était de même des légumes, pois chiches, fèves, lentilles, vesces. Les consuls firent de vains efforts pour obtenir aux marchands la liberté de ce négoce.
Les cuirs verts étaient l'article d'achat principal pour les Français, mais ce commerce était bien tombé vers 1680, parce que les cuirs du Levant affluaient de plus en plus à Marseille, tandis que la misère de la Tunisie, à cette époque, avait rendu ceux de la Régence rares et chers. D'ailleurs, les renseignements fournis par les documents ne permettent guère de se faire une idée précise de l'importance de ce trafic. " Les cuirs verts ou en poil, de taureaux et de vaches, dit d'Arvieux, ne vont qu'à 5 ou 6000 par an. On en pourrait tirer davantage, mais le peu de profit qu'il y a à faire sur cette marchandise est cause que les marchands ne cherchent pas à s'en charger. "
D'après un mémoire du Consul, de 1686, le négoce des cuirs n'était plus ce qu'il avait été ; il se faisait par communes années autrefois de 50 à 60.000 cuirs et présentement cela ne pouvait aller qu'environ à la moitié. Le mémoire du négociant Carfueil, publié par Savary de Bruslons, indique comme exportation ordinaire, de Tunis à Marseille, 10 à 12.000 cuirs, gros ou petits.
La Tunisie produisait beaucoup de laines, mais une grande quantité était consommée par l'industrie locale, si bien que la vente en France était faible ; d'Arvieux l'évalue à 5 ou 600 balles les années ordinaires et, exceptionnellement, 1000 balles de 400 livres pesant.
On achetait, communément aussi, des cires, 100 à 150 quintaux quand la récolte était bonne, des suifs. Toute la côte tunisienne, même les parages du cap Nègre, fournissaient des éponges. La caravane ordinaire du Djerid apportait des dattes et des plumes d'autruches.
La Tunisie était à peu près seule à fournir les premières à Marseille, qui en recevait 7 à 800 quintaux : leur prix s'élevait à 11 et 15 livres, pendant le carême, pour retomber à 9 ou 10 après. Quant aux secondes, elles étaient moins estimées que celles des autres provenances : les nègres et les Maures des environs du Niger ou Sénégal, dit d'Arvieux, les savent mieux conserver que ceux de Barbarie. Dans le mémoire de 1888, on voit encore figurer parmi les exportations de Tunis à Marseille 1.000 à 1.200 quintaux d'escayolles, graine à nourrir les oiseaux, 40 à 50 quintaux d'alcanette, racine pour la teinture, réexpédiée en Hollande, et 30 à 40 quintaux de pirettes (pyrèthre), racine pour la médecine et la teinture.
Il y avait une industrie très active en Tunisie : c'était celle de la fabrication des bonnets de laine, que nous désignons sous le nom de fez.
" Ils en fabriquent, dit d'Arvieux, une quantité prodigieuse qui sont très beaux et d'une qualité excellente ; ils les teignent la plupart en rouge, soit avec la cochenille ou avec le vermillon ; on ne saurait croire la consommation prodigieuse qui se fait de ces bonnets dans la Barbarie et dans tout le Levant. Les Turcs environnent leurs bonnets d'une pièce de mousseline qui fait leur turban.
Les Grecs ne portent point de turban dans la Barbarie ni dans le Levant, non plus que les Maures, ils se contentent d'un simple bonnet. Les juifs portent des bonnets noirs, ils s'exposeraient à des bastonnades et à une amende s'ils en portaient de rouges. "
Il ne venait pas de ces bonnets à Marseille, car cette industrie, empruntée aux Tunisiens, y était très prospère et le débit des fez marseillais très considérable dans les échelles.
" Quant aux marchandises que l'on apporte à Tunis, écrit le consul Michel, celles qui sont le plus ordinaires et dont le débit est le plus assuré sont les laines d'Espagne, la graine de vermillon, l'alun, le tartre, le poivre, le clou de girofle, la cannelle, la muscade, la cassonade, le benjoin et le papier, mais, quant à présent, il s'en consomme fort peu. Il se vend véritablement de toutes autres sortes de drogues, mais en très petite quantité et avec beaucoup plus de difficulté que les ci-dessus et même, pour y faire quelque profit, il faut se résoudre à les prêter. Pour les draperies, les draps de Venise sont ceux qui sont les premiers demandés ; ceux d'Angleterre et de Hollande sont encore estimés. Pour ceux de France on n'en fait pas cas et la consommation n'en pourrait dire que très petite, à la réserve des draperies. Les Français font une grande partie des autres affaires; les Anglais et les juifs font le reste. "
D'après d'Arvieux (1666), les Français auraient porté ordinairement à Tunis des laines de Ségovie et d'Albarasin pour la fabrication des bonnets, car les laines indigènes étaient trop grossières pour cet usage, du vin et de l'eau-de-vie pour l'usage des esclaves, des draps et cadis du Languedoc, des toiles de batiste et des mousselines, quantité de fruits qui ne croissaient pas en Tunisie, tels que noix, noisettes, amandes, châtaignes, pommes, poires ; enfin, malgré les défenses royales, des armes, du plomb et de la poudre(15).
En somme, tout ce commerce de Tunis était assez peu de chose.
" Le négoce est très mal disposé en ce pays, écrit le consul à Colbert, en 1675 ; je n'y ai vu depuis que j'y suis (plus de 6 mois), que deux bâtiments à la charge pour Marseille et quelqu'un pour Messine, de peu de valeur. Cependant, les états de recettes du cottimo indiquent que, chaque année, entre 1670 et 1690, six à dix bâtiments, rarement moins, revenant de Tunis, acquittèrent la taxe à Marseille(16). C'était deux ou trois fois plus qu'à Alger, mais c'était bien peu. Le consul Michel écrivait à la Chambre de Commerce, en 1687: " Vous me demandez les comptes des députés du corps de la nation ; à cela je vous réponds que, jusqu'à présent, dans cette échelle, il n'y a pas eu de députés, attendu qu'elle a été longtemps comme déserte et le commerce fort stérile, comme vous savez(17). Il est vrai que, depuis 1690 environ, le commerce à Tunis n'avait fait que décliner : la régence déchirée par les guerres civiles, entre le dey et deux frères revêtus de la dignité de beys, puis par la rivalité de ceux-ci, était tombée dans une profonde décadence(18).
Les juifs de Tunis avaient conservé en grande partie la prépondérance commerciale dont ils jouissaient au début du XVIIe siècle ; non seulement ils faisaient par leurs correspondants de Livourne tout le commerce entre la Tunisie et l'Italie, mais les résidents français étaient souvent réduits à leur prêter leur nom pour faire quelques affaires avec Marseille. D'un autre côté, les compagnie du Cap Nègre, quand elles fonctionnaient, trafiquaient autant à Tunis que dans leur comptoir ; fortes de l'appui du gouvernement, de l'amitié des Puissances, gagnée par leurs redevances, elles faisaient aux simples marchands une concurrence victorieuse(19). Enfin, la caravane de la Mecque emportait et rapportait les marchandises qui s'échangeaient en assez grande quantité entre Tunis et le Levant. " Celle qui partait emportait quantité de bonnets, de corail en rame, en grain et quelques draps de Venise, d'Angleterre, de Hollande et quantité de brocarts qu'on apportait d'Italie, et celle qui en venait apportait quantité de toiles fines de coton comme sont turbans, bourses de soie, mouchoirs de soie, d'indienne et outres étoffes à fleurs, quantité de musc en vessie, de la civette et quantité de bagatelles. "
Ainsi, le pays était misérable, la majeure partie de son trafic était accaparée par d'autres ; la part des résidents français était bien maigre. Encore devaient-ils partager ce qui restait du négoce avec les Anglais et les Hollandais, à qui ils n'en laissaient que la plus faible part(20). L'un de leurs principaux bénéfices c'était, comme à Alger, l'affrètement de bâtiment français aux juifs, ou aux Tunisiens eux-mêmes, pour les transports qu'ils avaient à effectuer en Italie ou dans le Levant : la sécurité plus grande assurée au pavillon français le faisait préférer à tous les autres. Les services rendus ainsi au commerce indigène valaient en outre aux résident français une estime particulière ; mais l'honneur était dangereux, car la perte des bâtiments ainsi affrétés les exposait au ressentiment de la population. Il est arrivé ici, écrit en 1686, le consul à Seignelay, une affaire qui y trouble extrêmement le commerce des sujets de S. M. et qui demande un prompt remède. Il y a environ six semaines que le patron Pierre Rambaud, de Marseille, nolisa sa barque à des marchands de cette ville pour faire le voyage de Gerby (Djerba), sur laquelle s'embarquèrent environ 90 passagers, parmi lesquels il y avait des femmes et des enfants. L'on a su qu'elle a été prise par un Majorquin, qui l'a menée à Cagliari, et l'on soupçonne la même chose d'une tartane partie depuis et nolisée de même... Il est à craindre, si cette affaire ne se répare pas, de voir bientôt détruire ici tout le commerce des Français ; l'on n'aura plus en nous de confiance et, ce qui nous faisait le plus estimer ne subsistant plus, nous tomberons dans le mépris et ne pourrons éviter d'être exposés aux insultes de la canaille. " Ce n'était guère que par des affrètements de ce genre, faits pour éviter les corsaires espagnols ou les Maltais, que les autres ports de la régence recevaient la visite des bâtiments français. Tout le commerce était concentré à Tunis(21) ; cependant, il y avait un trafic assez régulier entre Sousse et Marseille : de temps en temps, un navire allait y charger des huiles et, lors des négociations du traité de 1685, un des associés de la nouvelle compagnie du cap Nègre y était établi.
Jusqu'après 1680, il n'y avait pas eu d'échelle organisée à Tripoli. Pendant la série de croisières et de démonstrations navales dirigées contre les Barbaresques sous Louis XIV, les vaisseaux du roi durent paraître souvent devant Tripoli comme devant Alger et Tunis ; il parait même qu'un traité de paix, le premier depuis 1617, fut signé avec eux, en juillet 1662(22). Cependant, il n'y eut encore ni consul, ni marchands établis d'une manière suivie. On avait même oublié qu'il n'y eût jamais eu autrefois des consuls, car un mémoire présente comme une nouveauté la tentative infructueuse d'établissement qui fut faite en 1647.
A la suite de la croisière de la magnifique escadre de l'amiral Blake, en 1654, qui se fi t voir successivement à Alger, Tunis et Tripoli, les Anglais avaient réussi, avant nous, à faire accepter un consul à Tripoli ; suais l'établissement de celui-ci resta d'abord précaire.
D'après l'auteur, contemporain, d'une Histoire de Tripoli, quand ils eurent conclu la paix avec le pacha, en 1658, " l'amiral Stookes établit un consul dans cette ville, Samuel Toker. Quatre ans après, Charles II confirma Toker. Ce consul ménagea toujours les intérêts du roi son maître avec beaucoup de vigueur et de zèle. Il quitta Tripoli, en 1667, sans ordre du roi parce que ses appointements ne lui étaient pas payés et qu'il avait fait des pertes considérables. Au bout de quatre ans le roi d'Angleterre sur les pressantes sollicitations d'Osman Bassa, envoya un consul, Nathaniel Bradley, gentilhomme de Londres, personnage fort prudent et judicieux ". Arrivé à Tripoli en octobre 1671, il fut reçu par le pacha avec tous les honneurs possibles et reçut l'un des plus beaux palais de la ville pour son logement.
Le roi son maître, voyant que les profits de cet emploi n'étaient pas suffisants pour l'entretenir, lui assigna une pension de 1000 écus tous les ans. Heureux dans toutes ses négociations, " il était, dit notre auteur, le protecteur des marchands de toutes les nations chrétiennes et il ne se lassait jamais à leur rendre de bons offices... Quand il était question des intérêts de sa nation, il parlait avec tant d'intrépidité que les Turcs en étaient charmés. Enfin, après avoir demeuré trois ans et demi dans Tripoli, il déclara publiquement la guerre au dey et au divan de la part de son roi et, après, Il s'embarqua sur la flotte anglaise avec l'admiration de toute la ville. Le chevalier Narbrough, aussitôt que la paix de 1676 fut conclue, établit un vice-consul à Tripoli en attendant la volonté de son maître et il choisit un homme de peu qui ne mérite pas qu'on en parle(23). " C'est peu de temps après que le consulat français finit par être établi après de grosses difficultés.
Une révolution opérée dans le gouvernement, en 1672, avait rendu tout à fait nominal le pouvoir du pacha, représentant du sultan, et rendu les Tripolitains encore plus turbulents(24).
Renforcés par des reïs d'Alger et de Tunis, ils étaient devenus redoutables et semaient la terreur dans l'Archipel et les mers de Syrie.
Aussitôt la guerre de Hollande terminée, Colbert chargea le commandeur de Valbelle d'aller leur imposer un traité ; l'un des députés de la Chambre de Commerce de Marseille, le sieur de Saint-Jacques, lui fut adjoint pour la négociation(25). Celle-ci fut poussée assez loin puisque de Saint-Jacques rapporta une déclaration du dey et du divan qui débutait ainsi : " à tous ceux qui désireront le commerce de cette échelle nous lui faisons entendre comme nous la lui déclarons libre avec toute sorte de franchise et sûreté, mieux qu'elle n'a été pendant le temps qu'a régné Agi Mémet day. " Cependant, la paix ne fut pas conclue et c'est alors que Duquesne reçut l'ordre d'aller pour chasser les Tripolitains jusque dans les ports de l'archipel. Le fameux bombardement de Chio, de 1681, eut pour résultat la signature d'un traité entre l'amiral et les corsaires tripolitains, sous la médiation du capitan pacha, le 27 novembre 1681.
Pour la première fois, depuis longtemps, un consul, le sieur de la Magdeleine, fut envoyé à Tripoli. Il fut d'abord bien accueilli et, malgré les plaintes du consul anglais, qui menaçait de s'embarquer et de faire déclarer la guerre, le dey reconnut immédiatement à la Magdeleine la prééminence sur ce consul et le droit de protection des marchands étrangers sans consuls de leur nation. Mais la situation changea bientôt. Sous prétexte qu'il ne venait point de vaisseau du roi pour apporter la confirmation du traité et qu'ils avaient rencontré des bâtiments français faisant la course, sous pavillon portugais, les Tripolitains rompirent la paix et mirent le consul à la chaîne, en novembre 1682. Ils disaient encore et c'était là la vraie raison, qu'ils avaient besoin de la guerre pour subsister : le consul avait fait tous ses efforts pour les faire rompre avec les Anglais, mais ceux-ci l'avaient emporté ; d'ailleurs, la France était déjà en guerre avec les Algériens. Seignelay s'était décidé trop tard à leur donner satisfaction : le fils du premier échevin de Marseille, le sieur de Bonnecorse avait été chargé, par la Chambre de commerce, de porter au pacha une lettre du roi(26). Mais la rupture était déjà consommée : pour comble de malheur, la barque qui portait Bonnecorse échoua sur les écueils devant Tripoli ; il fut pris et fait esclave avec tous ses compagnons(27). Les Tripolitains furent châtiés comme il convenait; deux bombardements opérés par Duquesne et d'Estrées, en 1683 et en 1685, firent de grands ravages dans leur ville et les décidèrent à traiter de nouveau(28). Le traité en 30 articles, conclu par d'Estrées, le 29 juin 1685(29), était le plus avantageux qu'on eût encore signé avec des Barbaresques ; les Tripolitains y acceptaient des conditions qu'on n'avait jamais pu imposer à Alger, ni à Tunis. Des garanties spéciales y étaient stipulées pour les marchands :
" Tous les marchands qui aborderont aux ports ou côtes du royaume de Tripoli ne seront obligés de porter à terre ni leurs voiles, ni leur gouvernail, et pourront y mettre leurs marchandises, vendre et acheter librement, sans payer autre chose que ce qu'ont accoutumé de payer les habitants dudit royaume, à condition qu'il n'excède point 3 % et il en sera usé de même dans les ports de la domination de l'empereur de France, et, en cas que lesdits marchands ne missent leurs marchandises à terre que par entrepôt, ils pourront les rembarquer sans payer aucun droit (art. 15). - Les Français ne pourront être contraints, pour quelque cause et sous quelque prétexte que ce puisse être, à charger sur les vaisseaux aucune chose contre leur volonté, ni faire aucun voyage aux lieux où ils n'auront pas dessein d'aller " (art. 17). Les Français devaient pouvoir exporter en France toutes sortes de marchandises, entres autres le sené (art. 19).
Le consul de France aurait la prééminence sur tous les autres (art. 18). " Et pour faciliter l'établissement du commerce et le rendre ferme et stable, disait l'article 25, les très illustres dey, bey, divan et milice de Tripoli, enverront, quand ils l'estimeront à propos, une personne de qualité d'entre eux, résider à Marseille, pour entendre sur les lieux les plaintes qui pourraient arriver sur les contraventions au présent traité, auquel sera fait toute sorte de bon traitement ".
Cette dernière clause, insérée dans d'autres traités avec les Barbaresques, ne devait jamais être exécutée. Enfin, le traité stipulait que les Tripolitains " demandaient pardon à l'empereur de France d'avoir rompu la paix, qu'ils avaient banni les auteurs de la rupture et que pour le dédommager des prises et des frais de la guerre, ils paieraient 500.000 livres à S. M. Et, ce qui est de remarquable, c'est qu'ils nous rendirent tous les esclaves français et étrangers pris sous notre pavillon, au nombre de 1200, sans que nous leurs ayons rendu un seul des leurs, ni promis d'en rendre par le traité(30). "
L'année suivante, le duc de Mortemrart parut encore devant Tripoli avec une escadre et signa une nouvelle convention. En 1687, deux envoyés de Tripoli, accompagnés de 6 Turcs, vinrent présenter leur soumission au roi ; ils lui apportèrent en présent huit chevaux, deux dromadaires et trois lévriers(31).
Le nouveau consul, Claude Lemaire(32), se félicitait de l'accueil que lui avaient fait les Tripolitains, mais, ajoutait-il, " ces gens ici sont pleins d'inconstance, il faut pour maintenir l'autorité du roi qu'un consul fasse de la dépense ". Le commandant du vaisseau du roi qui l'avait amené écrivait, de son côté, que le consul de Tripoli avait besoin de bons appointements avec lesquels il pût tenir une bonne table pour faire manger la canaille et lui donner lieu aussi de faire des présents aux puissances. Les Anglais et les Hollandais avaient 12 à 1500 piastres d'appointements et quelques gratifications pour les indemniser des présents qu'ils faisaient ; il fallait au moins que notre consul pût faire aussi bonne figure(33).
En effet, la situation à Tripoli était la même qu'à Alger et Tunis ; la paix était difficile à maintenir, non seulement à cause de l'humeur des Barbaresques, mais parce que les Français, les Anglais, les Hollandais ne cessaient de les exciter à rompre les traités. En 1692, ceux-ci l'emportèrent : ils avaient promis aux Tripolitains 30,000 piastres, tous les agrès qui leur seraient nécessaires, et devaient les secourir en cas d'attaque de l'escadre française. Les Tripolitains avaient sur le coeur les dures conditions de la paix de 1685, et disaient que les Algériens avaient fait avec nous tout ce qu'ils avaient voulu en signant la paix de 1688. Ils commencèrent par piller une barque française qui était dans le port et par mettre au bagne le consul qui essayait de s'y opposer.
" Plus de 200 satellites, le couteau à la main, écrivait celui-ci, me vinrent saisir au collet et m'amener dans ce triste lieu et me chargèrent de chaînes tout comme si j'avais été un grand malfaiteur, mirent en même temps notre maison au pillage, notre chapelle, le calice et le saint ciboire profané et traîné partout, 31 chevaux d'une extrême beauté que j'avais achetés avec tant d'assiduité pour le roi. Nous n'attendons que l'heure d'une émotion populaire dont plus de 3/4 ne sont pas consentants de cette rupture. Ceux qui négocient ont offert 20,000 piastres au beylique s'ils voulaient raccommoder les affaires avec nous, on leur a répondu que si je voulais m'obliger à leur faire restituer 200,000 piastres que le roi leur avait usurpées injustement, ils me remettraient en possession comme auparavant. "
Mais, comme le disait le consul, " il y avait de la différence des Tripolitains aux Algériens, tout comme de l'eau au vin "; ils étaient misérables, sans argent, sans navires, troublés par des discordes, menacés par le bey de Tunis. Ils avaient envoyé Lemaire au dey d'Alger avec un officier chargé d'exécuter ce que celui-ci commanderait et le dey Chaban avait prescrit au consul de retourner à Tripoli pour rétablir la paix.
Après avoir subi un nouveau bombardement, en août 1692, voyant qu'ils prenaient peu de bâtiments français, ils consentirent à négocier avec Dusault appuyé par un officier, porteur des ordres du Grand Seigneur, et la paix fut rétablie le 27 mai 1693. C'est alors seulement que l'échelle de Tripoli fut définitivement établie(34).
Dusault eut à Tripoli un curieux conflit avec le consul Lemaire qu'il tint à l'écart de sa négociation et qu'il renvoya ensuite comme insuffisant. De son côté, Lemaire l'accusait d'avoir songé avant tout à ses intérêts personnels, d'avoir tiré profit de sa mission et négligé les intérêts de la nation. Dusault se proposait " d'établir de grands négoces à Zoire pour les salines, à Derne et Bengazy pour les laines, mantaigues et autres marchandises, à Libida et Selmi (Selini ?) pour les autres " et il voulait, dans ce but, un homme à lui pour consul. Il employait les esclaves restitués à " travailler à son négoce, à emballer les laines, les transporter de magasin à autre, à faire embarquer et débarquer les marchandises qu'il envoyait et recevait... ce qui était incompatible aux Turcs même du pays en voyant un envoyé du roi manier lui-même des fromages, tabacs et autres marchandises qu'il vendait dans ses magasins, en disputant sol par sol comme le plus simple des roturiers ". Une barque de Cassis ayant touché à Tripoli, allant à l'armée vénitienne, Dusault lui avait acheté son chargement de vin au prix coûtant, l'avait chargée de marchandises à lui, pour Marseille, en lui remettant des paquets pour le roi et disant qu'il la ferait payer par la Chambre de Commerce. Enfin, Lemaire accusait Dusault de l'avoir sacrifié dans sa négociation, d'avoir toléré de la part des Tripolitains des propos injurieux à la nation et d'avoir traité d'une manière à laquelle eux-mêmes ne s'attendaient nullement(35). Il semble que les accusations du consul ne manquaient pas de fondement ; ce qu'il y a de certain, c'est que son successeur, Delalande, fut présenté aux Puissances et proposé au ministre par Dusault, son cousin, qu'il eut des démêlés avec la Chambre de Commerce, et qu'il fut remplacé par Lemaire lui-même, bientôt récompensé par ses services et de ses déboires par le consulat d'Alep(36).
Quoi qu'il en soit, les grandes vues de Dusault sur le commerce de Tripoli n'étaient pas près de se réaliser. " Vous savez, messieurs, écrivait Lemaire à la Chambre de Commerce en 1688, que cette ville n'est d'aucun commerce. " On retrouve cette constatation dans une série d'autres lettres postérieures. Ce consul donnait au directeur général du commerce, en 1686, les détails suivants :
" Le commerce de France en cette ville consiste en 4 ou 5 barques qui viennent chargées de vin, de quelques balles de drap de Saint- Pons fort grossiers, un peu de poivre, girolle, farta et autres bagatelles. Tout le fonds d'une barque au plus est de 2.000 piastres. Après que les patrons ont vendu leurs chargements, ils se frètent aux juifs à qui ils donnent leurs fonds à change. Ils chargent pour Ligourne du sené, quelque peu de laine, quelquefois du riz; quand il y a des marchandises de prises, ils les achètent et envoient audit Ligourne ; voilà, Monsieur, le seul commerce qui se fait en ce royaume à l'égard des Français; Il n'y en a aucun qui s'y établisse pour le commerce ou autrement. "
D'après les états conservés à la Chambre de Commerce, les bâtiments de Marseille venaient charger quelques cuirs, des laines, des plumes d'autruche, du sené(37). Malgré la modicité des ressources du pays, un vice-consul avait été établi à Derne, le second port de la régence, après le traité de 1683, plus, il est vrai, pour intervenir auprès du bey de cette ville, et faire respecter les traités par les forbans qui s'y retiraient, que pour y protéger un commerce qui n'existait pas. On voyait aussi, en 1692, un autre vice-consul à Bengazi.
A Tripoli même, le consul avait surtout à s'occuper des intérêts des caravaneurs, capitaines provençaux qui faisaient le cabotage entre les différentes parties des États du Grand Seigneur. Tripoli faisait surtout des échanges avec l'Égypte et le Levant ; presque tous les transports étaient effectués par ces caravaneurs français, préférés, comme à Alger, et à Tunis aux bâtiments des autres puissances, à cause de la sûreté de leur pavillon.
Le consul Lemaire avait fait tous ses efforts pour développer notre commerce avec la Régence. Il avait parcouru le littoral (38), exploré les ruines des villes anciennes et envoyé de Lebda, ou Libida, l'ancienne Leptis magna, " quantité de colonnes et autres anciennes pièces de marbre. " Le gouvernement attachait un grand prix à l'acquisition de ces marbres antiques et avait fait insérer, dans le traité signé par Dusault, en 1693, un article spécial qui lui permettait d'en acheter à volonté. L'intendant de la marine, de Vauvré, écrivait de Toulon à Seignelay, le 31 mars 1689 :
" Voici une proposition que je viens de recevoir, du commandant des Maures des environs de Leptis ou Libida, qui me parait très avantageuse ; rien n'étant égal à la beauté de ces marbres et ces colonnes devant être encore plus entières que celles que j'ai reçues jusqu'ici.... Le caïd s'oblige à taire dessabler 60 colonnes de marbre, vertes et blanches, et les faire conduire au bord de la mer, prêtes à embarquer dans le chaland, celles de 28 pieds pour 600 livres, celles de 18 pieds et de 26 et 28 pouces de diamètre pour 350 livres(39) ".
C'est alors que furent envoyées à Paris les belles colonnes de marbre qui ornent le maître-autel de Saint-Germain-des-Prés.
Lemaire fut aussi le premier Français qui pénétra dans l'intérieur du pays et il envoya, sur ces régions fort mal connues, des mémoires intéressants. C'est d'après ses renseignements, que Petis de la Croix écrivait en 1692 :
" Du côté du Midi, il y a une grande étendue de pays jusqu'en Numidie comme les provinces de Torrega, Benolet, Garyan, Seczem et Oudgela, éloignée de Tripoly de 17 journées vers le Sud-Est. M. Lemaire y a été depuis deux ans et en a vu les arbres, hommes, oiseaux et bestiaux pétrifiés, dont il a apporté en France plusieurs pièces. Benolet est un bon bourg et le château de Garyan est garni de 4 pièces de canon de fer. Seczem est une ville considérable auprès du mont Atlas qu'ils appellent Ghibet.... Il se fait à Seczem un grand trafic entre les Tripolitains et les marchands de Bornéo, les Agades et autres Numides qui y apportent de la poudre d'or, du sené et des nègres à vendre. Ils les échangent contre des lames de laiton, du fil d'archal, du fer, épingles, aiguilles, couteaux et épiceries que les Tripolitains leur portent. "
Lemaire donnait des détails plus précis sur le commerce saharien et soudanais dans un mémoire adressé à M. de Lagny, en 1686 :
" Le dey envoya au Fessant, deux fois l'an, une caravane d'environ 100 chameaux chargés la plupart de contarie, autrement de bracelets et colliers de grains de verres de diverses couleurs, de papier grossier, de quelques balles de drap de Saint-Pons, de laton en vergue et en feuille (laiton), de quelque étoffe de jour qui viennent de Xio, à bon marché. Il change ces marchandises contre de la terre d'or, du sené et des esclaves nègres que les sujets du roi de Bournoux leur amènent, tous les ans 5 ou 600. Les marchandises que le dey y envoie viennent la plupart de Venise. Il sera bon de vous dire que le Fessant est une ville habitée la plupart par des nègres à quarante jours de cette ville, lesquels sont mahométans, et leur commerce consiste en terre d'or, laquelle est apportée par les commerçants du roi de Bournoux, roi très puissant. Il est nègre et mahométan, mais grand liberté de conscience dans son royaume, en sorte qu'une bonne partie de ses sujets sont chrétiens. Il a toujours plus de 300.000 hommes à sa solde, tous nègres, ayant presque toujours fait la guerre avec ses voisins. Ceux qui y ont fait plusieurs voyages assurent qu'il a autant de terrain que le G. S.; Il y a trois mois de chemin d'ici où il fait sa demeure ordinaire. "
L'exemple de Lemaire fut suivi par plusieurs de ses successeurs ; les mémoires sur les relations de Tripoli avec le Fezzan et le pays des nègres se succédèrent au XVIIIe siècle. Il est intéressant de comparer aux renseignements fournis par Lemaire, en 1686, ceux qu'envoyait au ministre le consul Delalande en 1698 :
Le commerce le plus considérable de ce pays est celui qu'on fait avec le royaume de Faisan, qui est distant de cette ville, droit au midi d'environ vingt-cinq journées. Ce royaume, qui paie depuis très longtemps tribut aux Tripolitains, se voulut soustraire de ce joug il y a 10 à 12 ans, ce qui les obligea d'envoyer 12 à 1.500 spahis ou cavaliers, commandés par le bey, lesquels se rendirent maîtres de la principale place où le roi fait sa résidence, prirent même le roi, ensuite soumirent 103 ou 104 bourgs ou villages dont est composé ledit royaume ; ils en emportèrent des richesses considérables et tirent souffrir de cruels tourments au roi pour qu'il leur découvrit où il avait caché ses trésors, et comme ils ne purent rien savoir, ils l'amenèrent en cette ville, où il a été tourmenté inutilement durant deux ans pour le même sujet. Enfin, lassés de sa constance, ils composèrent avec lui et le remirent en liberté moyennant un nombre de marcs de poudre d'or qu'il promit de leur donner et un tribut annuel de 100 marcs et 20 jeunes nègres ou négresses, avec cette condition encore que les Tripolitains tiendraient un bey dans la principale place dudit royaume, qui y serait considéré comme un gouverneur de province et qui y servirait de protecteur aux marchands qui vont trafiquer de delà. Ce roi, qui est nègre, a ponctuellement exécuté tout ce qu'il n promis et le commerce s'y fait d'assez bonne foi....
On porte dans ces pays-là des étoffes d'or et argent qui viennent de Venise ; du papier, de la contarie ou marguerittes ; des feuilles et petites barres de leton jaune, qui viennent aussi de Venise ; des bonnets rouges, draps de Saint-Pons qui viennent de Marseille, et un peu de tabac, girofle et muscade qui vient de Livourne.
Pour les retours, on rapporte des nègres, de la poudre d'or, des dents d'éléphants et quantité de sené. Les noirs se rendent ici pour les porter en Levant et cela donne lieu au nolisement de sept à huit barques françaises par an.
Le sené et dents d'éléphants s'envoient la plupart à Livourne, un peu à Venise et Marseille. Pour ce qui est de la poudre d'or, on en fait ici des sultanins, qui sont la meilleure monnaie du monde à cause que l'or est extrêmement raffiné.
La débite de toutes les marchandises qu'on porte au Faisan n'est pas seulement pour lu consommation dudit royaume ; il y a des foires dans la principale place, où il s'y trouve des marchands du Congo, de la Guinée et de plusieurs autres lieux plus avant dans le midi ; ce sont eux qui portent la poudre d'or et les dents d'éléphants; ils sont mahométans et passent du Faisan à la Mecque et, au retour, ils prennent leurs marchandises. Ces mêmes marchands portent aussi des noirs du pays du prêtre Jean, qui sont originairement chrétiens et qu'on distingue des autres par certaines marques qu'ils ont au visage; Ils les font faire d'abord mahométans. Pour retour des nègres qu'on porte au Levant, on rapporte ici des marchandises pour la consommation du pays, comme toiles, soies crues, tapis de Turquie, fer, tabac et plusieurs sortes de bois pour la fabrique des maisons. "
Le même mémoire renferme de curieux détails sur d'importantes salines, de la côte occidentale de Tripoli, qui restèrent affermées aux Vénitiens jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.
" Il y a dans ce royaume des salines, que la nature a faites, où il ne s'y fait d'autre travail que celui qu'il faut pour en retirer le sel. Elles sont dans un lieu nommé Zoare, distant de cette ville vers le Ponant d'environ 80 milles. Ce sont les Vénitiens qui en sont les fermiers. Le sel de ces salines est comme une mine dont on ne trouve jamais le fond. Mais on n'en peut pas tirer en hiver, parce qu'elles se remplissent d'eau de la pluie qui se convertit en sel dès que le soleil l'a un peu chauffée, et une chose bien remarquable est que le sel qui ne se fait que de l'eau de la pluie est le plus fort qui se trouve. Les Vénitiens le transportent à Gênes et Venise, où ils ont des prix faits avec les Milanais qui le font transporter à leur duché, pour le semer sur leurs terres qui sont si grasses que les bestiaux crèveraient sans ce sel qui fait mourir en partie les herbes.... Vous remarquerez, Monseigneur, qu'il n'y a que les barques françaises qui fassent le commerce de ce pays, à la réserve de celui du sel que les Vénitiens font ; ils ont pour cela de grosses flûtes qui naviguent avec peu de monde; ce qui fait qu'ils font un profit considérable. "
Ainsi, le commerce de Tripoli avec les pays chrétiens, même alimenté par les échanges avec les pays de l'intérieur de l'Afrique, était insignifiant à la fin du XVIIe siècle. Quant aux caravanes du Soudan et du Sahara, qui entretenaient un courant commercial entre Tripoli, l'Égypte et le Levant, elles n'avaient déjà plus, si elles l'avaient jamais eue, l'importance qu'on leur a souvent attribuée.
Les esclaves noirs amenés par les traitants, du Bornou au Fezzan, où les marchands de Tripoli venaient les acheter, étaient le principal article de trafic de ces caravanes. Enfin, si les caravaneurs provençaux bénéficiaient presque seuls du mouvement de navigation produit à Tripoli par le trafic des caravanes, c'était Venise surtout qui fournissait les verroteries et autres articles d'échange avec les nègres, dont elle avait la spécialité depuis le moyen-âge.
(1) Page 222. - A l'appui de l'opinion de De Grammont, on peut rappeler qu'en 1666 l'envoyé du roi, Dumolin, chargé de négocier à Tunis, eut aussi pour mission de destituer le P. Le Vacher, consul. On lit dans ses instructions : " Le principal avantage consiste dans l'établissement d'un bon consul et le sieur Le Vacher, quoique très propre pour les besoins spirituels des esclaves, n'a pas de talent pour le commerce. "
(2) De Grammont, les Consuls Lazaristes, p. 4. - Saint Vincent défendit à ses représentants de faire du commerce. Il écrivait à Barreau, le 27 juin 1659 : Outre le commerce où vous êtes entré ci-devant pour des diamants ou autres choses, j'ai vu que depuis peu vous vous êtes chargé de faire venir des perles de France... Tout cela est hors de propos et contre la volonté de Dieu qui ne vous a appelé de delà que pour l'office et non pour le trafic. " (Mém. de la congrég. de la mission, t. II, chap. 5). Mais il s'agissait là, sans doute, de commissions dont les Puissances d'Alger chargeaient les consuls et cette défense dut contribuer à indisposer les Algériens contre les Lazaristes.
(3) Un mémoire de 1661 nous apprend qu'Alger et son voisinage avaient été dépeuplés par la peste, eu 1663 : " La ville d'Alger est composée d'environ 4000 feux et de 25 à 30.000 habitants au plus, pour le présent, la peste en ayant fait mourir, l'année passée, plus de 60.000 et beaucoup davantage aux environs de ladite ville, en telle sorte que le pays en est demeuré comme désert. " Arch. des Aff. étrang. Mém. et doc. Alger. t. XII. fol. 146. - D'après un dénombrement fait en 1621, Alger aurait eu près de 160.000 habitants : 30.000 Turcs. 97.000 Maures. 10.000 juifs. 18 ou 20.000 esclaves : de plus, la peste venait d'enlever 50.000 ou 60.000 personnes. Lettre de M. de Guillermy à Peyrese, citée par de Grammont Sanson Napollon. p. 21.
(4) D'après l'État des bâtiments partis de Marseille pour les quatre années 1680-83 (Arch. de la Chambre, II, 2). 2 bâtiments allèrent charger à Alger en 1680 et 1681; pendant les deux années de bombardements (1682-83), il n'y alla aucun navire.
(5) État général de toutes les marchandises dont on fait commerce à Marseille, avec l'explication de leurs qualités, à quoi elles servent, d'où elles viennent.... quelle est leur valeur en la présente année 1688. - Ce document n'a été publié que dans la 2e édition (1741) du Dictionnaire, p. 137-212. - Dans l'État des bâtiments partis de Marseille (II, 2) on trouve le détail des marchandises qu'ils portaient à Alger. En relevant le chargement de trois navires partis, on trouve que sur les trois Il y avait des draps ; sur deux, du papier, du vin, des peignes, du tartat (tartre) ; sur un seulement, des châtaignes, de l'eau-de-vie, des cordes, du miel, des cardes, de la gomme arabique, de la mercerie, du noyer (?).
(6) V. Mémoire du Royaume d'Alger, par le consul Piolle, 5 novembre 1680. Il se plaint que son consulat ne lui rapporte rien. En un an il n'est venu à Alger qu'une tartane de Marseille, " encore a-t-elle eu toutes les peines du monde à pouvoir trouver son retour Le plus fort du commerce se fait au Bastion et dépendances. D'autres bâtiments français vont d'Alger sur la côte du Ponant à " Cercellé, Tenez, Mostagan, et Gordanea, port de Tremizen, au-delà d'Oran où l'on ne va guère à cause de la garnison qui fait ses courses jusqu'à Tremizen... ".
" Ceux qui font tout le commerce de ce pays ce sont les Anglais et les Hollandais, quand ils ont la paix. Ils fournissent généralement toutes les marchandises de contrebande qui se consomment dans le pays, où elles sont à meilleur marché qu'en France, elles ne paient aucun droit de douane ; les autres marchandises paient 12 et 15 %, tant pour les gens du pays que les étrangers. La plupart de ces contrebandes sont payées en blés qu'ils vont charger le long de la côte de Ponant, avec permission du pacha et dey qui leur coule encore 5 à 600 piastres par bâtiment. Avec leurs marchandises de contrebande ils apportent des drogueries d'Angleterre et Hollande, épiceries, cochenille, vermillon, indigo, laines d'Espagne fines et autres denrées qu'ils donnent à très bon marché. Ceux qui composent le plus grand commerce de ce pays ce sont les juifs de toute sorte de pays qui sont établis en cette ville où il y en a environ de 9 à 10,000 sans ceux de la campagne.
C'est eux qui font toute sorte de métiers, les Turcs et les flores du pays très peu et le peu qu'ils font est par l'organe des juifs qui achètent toutes les marchandises qui viennent en ce pays et les revendent au détail, frètent des bâtiments pour le Levant, Italie, Angleterre. Hollande. Il se fabrique en cette ville quantité de bonnets qu'ils envoient en Levant et quelques ceintures de soie qu'ils accompagnent les trois quarts d'argent… Voilà tout le commerce de ce pays ; il n y a que cette ville seule ; tous les autres lieux ne font rien que le travail de la terre ". Aff. étrang. Mém. et doc. Alger, t. XII, fol. 230-44.
(7) 1ère édition, col. 1033-34 et 2ème édition, p. 365 - Cf. le passage suivant de d'Arvieux : " Ce sont pour l'ordinaire des juifs et des autres marchands qui les achètent et qui les font passer à Gènes, Livourne et autres lieux pour les y vendre avec profit, en quoi ils se trompent assez souvent à cause de l'empressement qu'ont les Algériens pour acquérir cette prétendue bénédiction en les achetant, qui les fait souvent pousser à un prix beaucoup plus haut que leur valeur. " (T. V, p. 269-70).
(8) De Grammont et, après lui, Plantet (suivi par M. Boutin, p. 251-54), ont reproché vivement à la Chambre de Commerce au ladrerie maladroite, qu'ils ont opposée à l'habileté des Anglais et des Hollandais. Ils se sont trop laissé influencer par la correspondance des consuls qui se plaignaient sans cesse de manquer d'argent, d'être désarmés quand leurs collègues étrangers distribuaient les présents à pleines mains. Sans doute, le rôle des consuls français était ainsi rendu plus difficile. Mais Il ne faut pas oublier deux choses: la Chambre de Commerce de Marseille avait à supporter de lourdes charges : de plus elle n'était pas maîtresse de ses deniers, ses dépenses étaient minutieusement contrôlées par l'intendant de Provence, inspecteur du commerce. D'un autre côté, plus on donnait aux Algériens plus ils étaient exigeants : rivaliser de générosité avec nos rivaux c'eût étés s'engager imprudemment dans des dépenses de plus en plus fortes. Les événements prouvèrent que la politique française, outre qui elle était plus digne, n'était pas mauvaise, car, après 1690, l'influence française resta prépondérante à Alger.
(9) Rousseau. Ann. Tunisiennes, p. 52. On trouve dans Rousseau le texte des traités et conventions conclus avec Tunis au XVIIe siècle. - On possède aux archives de la chambre de commerce de M. (CC, 155), le traité conclu entre les Anglais et les Tunisiens en 1658, à la suite des croisières de l'amiral Blake. V. Rev. Afric. 1658, p. 305-320. art. du lieutenant-colonel Playfair.
(10) Rousseau. Ibid, p. 61-62, d'après un procès-verbal des Archives consulaires de Tunis, du 6 févr. 1678.
(11) Cependant, le consul Ambrozin est mis un instant en prison, en 1670, au sujet d'une avanie qu'il ne veut pas payer. En 1678, le bey menace le consul de " le mettre pièce à pièce " s'il ne trouve pas de l'argent ; en 1678, il le menace du pal ; mais c'était là des paroles en l'air. V. Plantet, Tunis. M. Spont a tort de conclure (p. 102) : " La France est somme toute, fort peu considérée à Tunis. La vérité est que les relations entre Tunis et la France étaient très tendues vers 1680.
(12) Plantet, Tunis, p. 254, note 3. - Voir, en tête de l'ouvrage, une gravure représentant l'entrée du Fondouk. - Les Français habitaient auparavant des maisons isolées, comme le constata Thévenot, de passage à Tunis est 1659 ; le fondouk était alors en construction. Cf. Spont, p. 96. La chapelle Saint-Louis fut aussi construite vers la même époque. - D'Arvieux (t. V, p. 230) ne donne que quelques indications au sujet titi fondouk d'Alger : " Les fondouks sont de grands bâtiments quarrés où logent les marchands étrangers. Quoiqu'il y en ait plusieurs, on n'y est jamais à son aise, à cause du grand nombre de gens qui s'y retirent et de la quantité de marchandises que l'on y apporte continuellement. La maison consulaire de France est une des plus grandes. Il y a une chapelle où l'oit fait le service divin avec toute la solennité et la liberté dont on jouit dans les villes chrétiennes. "
(13) Cf. Hist. du comm. du Levant, p. 92 et suiv. - Longues querelles du consul Lange Martin avec les marchands. Accusé de malversations, il fut condamné aux galères à perpétuité par le tribunal de l'amirauté de Marseille est 1635. (V. diverses pièces de procédure, Aff. étr. Mém. et docum. Afrique, t. VIII, fol. 26-51) ; sa charge fut vendue aux enchères et le Marseillais J.-B. Maure, qui la lui avait auparavant affermée et l'avait sans doute acquise, reçut les provisions de consul avec mission de faite embarquer Martin pour lui faire subir sa peine (nov. 1637. Plantet, Tunis, n° 142). Mais Lange Martin ne quitta pas son poste, puisque les archives de la Chambre de Commerce ont des lettres de lui de 1638, 1639 et 1640 (AA, 514) ; le jugement de son procès fut révisé par l'amirauté le 12 juillet 1640, et des lettres patentes d'août 1641 lui rendirent sa charge. (Plantet. Tunis. p. 122, note 2). - V. la correspondance consulaire aux arch. de la Chambre de Commerce. AA, 509 et suiv. passim. La pièce n° 337, publiée par Plantet (Tunis) est un exemple des plaintes fréquentes adressées par les marchands contre leurs consuls.
(14) Sorhainde à l'intendant Lebret, 9 mai 1691. Arch. de la Chambre. - CC. 154 publiée par Plantet, n° 468. - La réforme des consulats 1691 (v. mon Hist. du Commerce du Levant. p. 262-65) allait mettre un terme à des contestations en remplaçant tous les droits perçus par les consuls par des appointements fixes. Sorhainde essaya en vain de protester. V. Plantet, Tunis, n° 481, 485. 488. La gestion du fondouk passa entre les mains des députés de la nation.
(15) Cf. Mémoire pour l'établissement d'une compagnie à Tunis (1666) : Prix courant des marchandises qu'on peut tirer de Tunis, qu'on peut porter de France à Tunis. Plantet, Tunis, n° 243. - On trouve d'autres détails sur le commerce de Tunis dans un mémoire adressé par le consul Ambrozin, le 20 juin 1670: " Le nombre des navires étrangers qui abordent aux ports de ce royaume ne sont pas considérables. Il viendra quelques bâtiments du Levant qui apportent de la soie... et autres marchandises, lesquelles se consomment dans ce royaume. Il chargera au port de Sousse sept à huit navires d'huile toutes les années, savons, bonnets fins et barracans de laine pour Alexandrie d'Egypte.
La caravane pour la Mecque part toutes les années environ le mois d'octobre à laquelle se vient joindre celles des royaumes de Maroc, Fez et d'Alger, qui sera de dix à douze mille hommes, autant et plus de chameaux et autres bêtes de charge... Les pèlerins et voyageurs ne portent que de la monnaie d'or qu'ils appellent soltanins et réales d'Espagne de poids avec quelques caisses de corail sans être travaillé. A leur retour de ce pénible voyage qui sera au mois d'octobre suivant par caravane, et autres qui s'embarquent à Alexandrie, ils apportent quantité de marchandises des Indes d'Orient dont la ville de Mecque en est un des magasins, toiles de coton indiennes, musc, civette, ambre gris, benjoin et autres aromates, sené, perles, barocos, sucres et autres.
Ils ont encore quelque commerce du côté du Midi par des petites caravanes de marchands mores, qui traversent les déserts sablonneux d'environ 60 journées avec des chameaux, qui vont négocier au pays des noirs et confins des royaumes du grand négus ou prestejan dont ils y portent du corail travaillé, quincailleries de France, rocailles, bonnets, satins de Florence, draps, sel et autres bagatelles qu'ils troquent avec les habitants de ces pays-là contre de terre d'or fin et net qu'ils ont en abondance dont ils en tirent un grand profit... ce certifié qu'ils troquent du méchant corail et sel contre de l'or poids pour poids... Aff. étrang. Mém. et doc. Afrique, t. VIII, fol. 162-166.
(16) L'État des bâtiments partis de Marseille donne, pour les années 1680-83 six, un, six, neuf bâtiments chargés pour Tunis. En 1681. Il y avait eu interruption du commerce à cause des menaces de guerre. - En relevant sur le même État le chargement de dix navires, on voit que 7 portaient du tartat (tartre), 5 du vin, du papier, de la mercerie, 4 des amandes, 3 de l'eau-de-vie, du miel, des draps, 2 de l'alun, du tabac, de la verrerie, des peignes, 1 des châtaignes, des pommes, des prunes, des sardines, du soufre, des cartes, du campêche, du poivre, des girolles, du poisson salé, de l'aspic, des cardes, du sucre, des chapeaux, du fustet, du reversin (tissu). Il. 2.
(17) 4 juin 1687. - Cf. lettre du 6 septembre 1688 : " Je sais que le peu de commerce qui se fait ici se ferait plus avantageusement en ne payant qu'au comptant ". Arch. de la Chambre, AA, 518.
(18) Lettre du consul, Ducoudray-Plastrier à la Chambre, du 15 novembre 1683 : " En l'état misérable où est le royaume... y ayant dix ans qu'ils ont guerre civile entre les deux frères, pour avoir le commandement absolu, ce qui a ruiné et ruine ledit royaume. " AA. 516.
(19) " De cette manière la Compagnie du cap Nègre et les juifs ont presque tout ce négoce (les cuirs) entre les mains. " Mémoire du consul Michel, 1686. Plantet, Tunis, N° 400. - Cf. ci-dessus, p. 149.
(20) Cependant, un mémoire de septembre 1683, signale les avantages dont jouissaient alors les Anglais : " Ils ne paient que 23 écus d'ancrage par chaque vaisseau et une barque française en paie près de 100 ; Ils ne paient que 9 %, pour les droits d'entrée de leurs marchandises et nous en payons 11 ; il leur est permis de les rembarquer sans payer de droits, lorsqu'ils ne les peuvent pas vendre et on nous oblige à les payer ". Spont, p. 102.
(21) Plantet, Tunis, n) 400, - Cf. Arch. de la Chambre. États de recette du cottimo. CC, 23 et suiv. Exceptionnellement on y voit figurer des navires ayant chargé à Bizerte. En 1672, un navire marseillais alla à Hammamet, un autre à Portofarina, en 1677.
(22) Signalé par La Primaudaie. Littoral de la Tripolitaine, p. 289 (d'après Recueil de Moëtjens, t. IV). Cependant, après la signature de la paix d'Alger (1666), six vaisseaux algériens se retirent à Tripoli pour continuer la course. Lettre de la Chambre de Commerce, 21 décembre 1666. BB, 26. - Cf. État des esclaves détenus en Tripoli de la ville de Marseille, depuis l'infraction du dernier traité, remis à M. le marquis de Martel (106 noms), 16 novembre 1669, CC, 156.
(23) Mss. fr. 12219 et 12220. - Cf. Playfair, Bibliog. Tripoli, n° 60 et 64.
(24) V. Mémoire du 22 janv. 1692 par Petis de la Croix: " On fait au pacha tous les honneurs imaginables mais on le confine dans un beau palais sans vouloir lui permettre de s'ingérer d'aucune affaire d'État… L'ordre des commandants de Tripoli est tel qu'il s'ensuit : le pacha, premier en dignité, mais sans pouvoir ; le dey, chef de la milice, distributeur de la paix ; le klaya, ministre d'État et capitaine des gardes qui commande après le dey ; le bey, général de cavalerie ; l'aga du divan, général des janissaires à pied : l'amiral… " Le consul Lemaire écrivait, en 1686 : " A l'égard du gouvernement de ce royaume, les soldats ou Levantis s'assemblent quand il leur plait et font un dey pour gouverner la ville et un bey pour gouverner la campagne et pour faire payer le carache aux Maures. Ils font aussi, quand il leur plait, un général des vaisseaux. " Aff. étrang. 164298.
- Petis de la Croix dit qu'il y a à Tripoli 3.500 Turcs ou Levantis, 12.000 Cologlis, 35.000 Maures, 16.000 juifs, 2.150 chrétiens esclaves.
(25) V. aux Arch. de la Chambre. CC. 136: Instruction donnée au sieur de Saint-Jacques au voyage qu'il va faire à Tripoli avec les vaisseaux du roi commandés par M. le commandeur de Valbelle, novembre 1679. C'est un projet de traite en douze articles. Pour éviter de compromettre le prestige du roi, Saint- Jacques ne devait pas traiter en son nom.
(26) Délibération de la Chambre du 25 janv. 1683. La lettre du roi du 30 décembre 1682 est annexée au procès-verbal. BB, 3. - Aff. étrang. Tripoli. 1642-98 : Instruction donnée par M. Morant pour le sieur Bonnecorse, 26 janv. 1889.
(27) Lettre du consul à la Chambre, du 25 mars 1683. AA, 547. - Cf. Aff. étrang. Tripoli. Lettres de Bonnecorse : " Dix jours après avoir demeuré à l'endroit où on loge les esclaves, ils mont remis entre les mains du consul français, prisonnier aussi dans sa propre maison " (12 avril 1683). " Les corsaires sont dans un étrange embarras appréhendant d'être punis. Le bey, chef de la milice, a fait périr le dey et autres officiers grands ennemis des Français " (25 juin).
(28) Pour tous ces faits, voir mon Hist. glu commerce du Levant, p. 225-27, 22930. Pour le bombardement, voir La Primaudaie. Le littoral de la Tripoli., p. 299-308.
(29) Ce traité est aux Archives de la Chambre de Commerce, CC, 156. - Cf le projet de traité, en 28 articles, rédigé à Versailles, par Seignelay, le 8 avril. Aff. étrang. Mém. et doc. Afrique, T. II, fol. 80-84. Le traité se trouve dans le même volume, fol. 29-35.
(30) Relation de Tripoly de Barbarie, par Petis de la Croix, 22 janvier 1692. Arff. étrang. Tripoli. 1642-93. Petis de la Croix ajoute : " Ils commencèrent le paiement entre les mains dudit sieur maréchal d'Estrées et ils en doivent encore 60.000.
(31) Aff. étrang. Tripoli, 1642-93. " Il serait à souhaiter que les vaisseaux fussent aussi soumis que les puissances et les habitants de la ville le sont autrement le commerce de France ne jouira jamais d'une paix tranquille. " (Lemaire, 13 août 1686).
(32) V. sur ce consul la notice qui lui est consacrée dans les Consulats du Levant, fasc. II, p. 16.
(33) Lettre de Lemaire à la Chambre, 7 févr. 1686; du capitaine de vaisseau Dedons, 11 févr 1686. Archiv. de la Chambre. AA. 517 et 555. - Le Consul de France n'avait pour vivre que ses droits de consulat et le marseillais Fabre, auquel Seignelay avait affermé la propriété de tous les consulats du Levant et de Barbarie, avait voulu exiger de Lemaire le paiement annuel de 600 livres. " Si c'est l'intention de V. G., écrivait Lemaire à Seignelay, j'y obéirai... Je la supplie d'avoir égard qu'il est impossible de soutenir son caractère attendu le peu de commerce qu'il y a en ce pays. Les consuls d'Angleterre et de Hollande ont 4500 livres d'appointements chacun, sans le commerce qu'ils font qui est considérable. Quelle figure y puis-je faire si je suis obligé de donner de l'argent pour remplir cette charge ". Aff. étrang. Tripoli, 1642-98.
(34) V. mon Hist. du comm. du Levant, p. 290-291. - Aff. étrang., Tripoli 1642-98. Lettre du chaoux ou capigi de la Porte au roi, 6 octobre 1692 ; série de lettres de Dusault 1693-94. (Voir surtout celle du 10 juin 1693). - Cf. Mémoire pour servir d'instruction au sieur Dusault, 24 décembre 1692. Aff. étrang. Alger, 1689-92.
- Dans une curieuse lettre du 17 janvier 1693, Dusault se plaint qu'on n'est pas assez généreux à son égard ; on lui promet 3000 liv. de gratification, mais Marcel pour avoir fait, en 1689, un traité qui n'a pas été exécuté a été fait commissaire de la marine à 2.400 liv. d'appointements et a eu 6.000 liv. de gratification. M. de Saint-Olon à 1.500 liv. par mois pour aller au Maroc ; il n'a jamais été en Barbarie. " J'ai fait 8 voyages à Alger pour le service du roi et deux abandonnements du Bastion sans aucune nécessité que pour obéir, ce qui m'a ruiné. S. M. m'a donné 30.000 liv. de gratification en 1684 pour avoir été à Alger faire la paix, 17.000 en 1688 pour me rendre à Alger auprès de M. le maréchal d'Estrées. " Ibid. Alger 1693-99. - Arch. colon.
Compagnie du Bastion de France, 1639-1741 : Mémoire concernant le royaume, république, divan et milices de Tripoly. Dans ce mémoire, composé d'extraits des pièces des archives de la marine, on trouve un résumé, année par année, de nos relations avec Tripoli, de 1660 à 1720. Il y a les traités de 1685 et 1693.
(35) Mémoire de la conduite que M. Dusault a tenue à Tripoli avant et après avoir traité la paix, 1er août 1693. Arch. de la Chambre, CC, 156 et Aff. étrang. Tripoli, 1642-98.
(36) Dusault avait voulu d'abord établir son cousin comme consul à Alger ; il avait eu la même année un conflit avec le consul d'Alger, René Lemaire, frère de celui de Tripoli; il l'avait accusé auprès de Pontchartrain de mal remplir sa charge et Lemaire, à son tour, lui reprochait d'avoir fait des bénéfices avec les fonds destinés au rachat des captifs. (Plantet, Alger, p. 402, note 3). Dusault se vengea de Lemaire en 1697. Envoyé par Pontchartrain pour rétablir les bonnes relations entre le dey et le consul, il fit embarquer celui-ci, malgré lui, sur un vaisseau du roi. Il voulait alors le consulat d'Alger pour son frère. Pensant que le chancelier du consul, Nicolas Fiche, pouvait nuire à ses projets, il le fit aussi embarquer pour la France. V. pour ces faits, Aff. étrang. Alger, 1692-99). Protestation de Nicolas Fiche contre les agissements de Dusault, 8 juin 1697. - Aff. étrang. Tripoli, 1642-98 : Lettre du sieur Charpuis à Pontchartrain, 1696. Plaintes contre Dusault, qui, au moment où le commerce est interdit aux négociants, à cause de la guerre, trouve des voies obliques pour obtenir des passeports à des navires.
(37) États de recettes du cottimo (CC, 23 et suiv.) ; Cf. État général de toutes les marchandises dont on fait le commerce à Marseille (1688) dans le dictionnaire de Savary. Ed. de 1741. p. 137-212.
(38) Arch. nat. marine. B7. 224 : Mémoire des observations que le sieur Claude Lemaire.... a fait eu voyagent le long de la coste de Derne et du golfe de la Sidre en 1703 et 1705 et sur diverses relations qu'il a eu du Soudan qui signifie pais de nègre (27 pages). - P. Lucas. qui vit Lemaire en 1707, a inséré dans sa relation (Deuxième voyage, t. II, p. 104) un mémoire que ce consul lui communiqua sur un voyage dans les montagnes de Derne.
(39) Arch. nat. marine, B7, 213. - Pendant longtemps, nos consuls de Tripoli s'occupèrent de fouilles à Libida. V. lettre au ministre du 12 décembre 1732, sur plusieurs bas-reliefs en marbre blanc et sur une inscription. Ibid
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