Qui connaît Bouchaoui ne reconnaît pas la Trappe.
Le domaine qui comptait entre 400 à 500 employés est devenu gigantesque de par sa population, on l’estime aujourd’hui à plus de 5000 habitants.


Bouchaoui vue du ciel par Yann Arthus-Bertrand

A la vue de cette photo, on peut imaginer que certains bâtiments ont été conservés.
Hélas des immeubles, des quartiers d’immeubles ont surgi de terre pour loger toutes ces personnes qui viennent principalement de Berouaghia et de ses environs.
On a peine à imaginer le calme du domaine de la Trappe d’antan dans ce fourmillement humain actuel.


Une partie de Bouchaoui


Immeubles à Bouchaoui

J’ai demandé à notre guide de nous faire visiter le cloître, les caves, revoir la croix noire, la croix blanche et le cimetière des trappistes.
Cet homme connaît très bien le domaine puisqu’il y a travaillé pendant de longues années.
Ses réponses furent nettes. Il ne reste que des ruines de l’œuvre des trappistes, les caves avec leurs fûts gigantesques en bois, créés par des géants, n’existent plus, le cloître est devenu un abri de fortune, quant à la villa de Borgeaud, elle menace ruine.
Nous n’irons pas voir la croix noire, Il faut une autorisation que nous n’avons pas.
Notre guide nous promet de nous adresser une photo de cet emplacement en y allant accompagné par quelques membres de sa famille.
Nous irons visiter le cimetière des trappistes et la tombe de Lucien Borgeaud.


Cimetière Trappiste avril 2008

Certaines tombes ont disparu, le temps a fait son œuvre, ce qui était la volonté des religieux. En face du cimetière trappiste se trouve la tombe de Lucien Borgeaud, assez bien sauvegardée. Cet homme qui avait tant aimé sa terre et son domaine.
Il en avait fait un outil de travail, de prospérité et une vitrine. C’était le lieu commun de visite pour tousceux qui voulaient toucher du doigt une belle réalisation.


Tombe de Lucien Borgeaud

De ce tertre, nous nous dirigeons en voiture vers la croix blanche ou ce qui l’en reste.
En fait, seul le socle a résisté. Notre guide nous a raconté le rêve qu’il avait fait juste deux jours avant la destruction de la croix.
Une nuit, il vit sur deux rangées bien alignées des moines qui priaient et pleuraient.
Il s’approche de l’un deux et lui demande « Pourquoi cette procession, pourquoi ces pleurs et ces larmes ?» Un moine lui répondit qu’on voulait détruire sa maison ce qui rendait toute la communauté triste.
Notre homme se réveille, repense à son rêve et estime que ce n’est qu’un cauchemar, il n’y pense plus.
Deux jours plus tard un homme, étranger à la Trappe, vient avec son tracteur et des câbles, abat la croix blanche.
Toujours aux dires de notre guide, cet homme devint fou deux jours après.
Les sous-bois ont disparu, ne laissant sur le sol que les aiguilles des pins. Adieu les arbousiers, les broussailles, les cèpes et les sanguins …Plus de vignes, plus d’orangers, plus de jardins familiaux…
C’est le lieu d’oxygénation des Algérois, dans la partie de forêt qui leur est accessible.
Une grande surface est utilisée par la Gendarmerie pour sécuriser l’accès au “club des pins“, résidence de plusieurs personnalités gouvernementales et accès au palais des Nations.


Nous quittons le site de la croix blanche pour nous installer sous le parasol d’une guinguette en pleine forêt et commander une pizza, qui devient un plat national. Un jeune de 25 ans, nommé Bouchaoui, nous sert..
50 ans ont passé et j’ai des tas de questions à poser. Notre guide s’y prête de bonne grâce.
On évoque le temps de trappistes qui brûlèrent les traces de pas d’une femme rentrée dans le monastère sans y être invitée, on parle de Lucien Borgeaud, de son fils Henri, de la villa du maître qui fut un temps un institut d’archives de l’Agriculture, puis ce fut une salle de réunion où une fois par mois le thème était “connaître un artiste “. Aujourd’hui la villa est complètement abandonnée et vidée de tous meubles. L’entretien de ce bâtiment est inexistant et dans peu de temps ce sera une ruine ; il en est de même pour le cloître ou chaque cellule de moine, déjà pas très grande, abrite une famille.
Chez les Algériens, le sérieux domine, pourtant notre guide avait de l’humour.
C’est ainsi qu’il put nous dire dans la conversation et for à propos «  ce n’est pas le bourricot qui travaille qui mange l’orge, c’est celui qui reste à l’écurie », il parla aussi des « indus occupants  » pour ceux qui occupent des immeubles sans en avoir le droit, on évoqua des bagnards qui jadis effectuaient des travaux forcés. Il y avait 4 chantiers plus un à Ouled Fayet pour ces détenus de droit commun condamnés à plusieurs années, voire la perpétuité.


Une partie de Bouchaoui devenu annexe de Chéragas

Nous avons longtemps parlé à bâton rompu d’un temps qui n’est plus, d’une réalité qui m’a soulevé le cœur. L’outil merveilleux avait été laissé intact. La folie des hommes en a fait ce qu’il est à ce jour
Déjà quelques voix s’élèvent pour demander une sauvegarde d’un patrimoine appartenant aux Algériens, car un peuple sans Histoire est un peuple qui n’existe pas.


Une partie de Bouchaoui

Mme Anissa Boumediène témoigne :

« En sa qualité de présidente d’honneur de l’Association des amis du patrimoine, Mme Anissa Boumediène, épouse du défunt président de la République, s’est dit désolée de la situation dans laquelle se trouve la Trappe : « C’est la première fois que je visite ce domaine et je souhaite qu’il soit mieux entretenu à l’avenir. C’est un beau domaine. Il fait partie du patrimoine de notre pays et c’est dommage qu’il soit complètement à l’abandon. J’espère que les autorités prendront en considération ce lieu historique. Et puis, quelle que soit son origine ou son époque, tout patrimoine algérien appartient aux Algériens. Il est de notre devoir de réhabiliter la mémoire de notre pays. »

Sauvegarde du patrimoine historique de Bouchaoui

La Trappe ne veut pas passer à la... trappe (article paru dans EL WATAN)

La Trappe de Staouéli ou ferme Borgeaud a été le centre d’intérêt de l’Association des amis du patrimoine qui, avec le concours de l’association El Ansar de Bouchaoui, a rendu une visite sur site de ce patrimoine et d’autres lieux considérés comme faisant partie de la mémoire et de l’histoire de notre pays.

En collaboration avec l’association El Ansar (protection de l’environnement et de la sauvegarde du patrimoine historique) de Bouchaoui, une visite sur le terrain a eu lieu vendredi dernier dans le cadre du mois du patrimoine à l’ex-domaine Borgeaud (aujourd’hui Bouchaoui Amar), au cimetière trappiste où est enterré, entre autres, le colonel Marengo de triste mémoire pour les Algériens, au cimetière familial des Borgeaud, que l’archevêque d’Alger vient de récupérer, à la Croix blanche, qui symbolise l’œuvre des trappistes, et à la Croix noire, lieu de déroulement de la bataille de Staouéli le 19 juin 1830. Ce dernier lieu, point le plus culminant de la région, a connu une bataille féroce au cours de laquelle on enregistra environ 5000 morts, parmi lesquels Amédée de Bourbon, fils du maréchal de Bourbon, et qui a vu la participation des Hadjoutis, ces tribus guerrières très connues à l’époque et qui avaient donné du fil à retordre aux armées françaises.

Ce qu’ils en pensent

-M. Aït Sahlia « Il faut restaurer et réhabiliter ce site »

Le président de l’Association nationale des amis du patrimoine, M. Aït Sahlia, a souligné, lors de sa visite, l’urgence et la nécessité de sauvegarder la Trappe, ce site qui renferme une partie importante de l’histoire coloniale de l’Algérie. « L’Association des amis du patrimoine s’intéresse à tout ce qui se rapporte au patrimoine national. Dans le cadre de nos activités, nous organisons des conférences et aussi des sorties sur site pour voir dans quel état se trouve notre patrimoine. Et ce domaine doit faire partie de notre patrimoine. Ce legs, il faut le sauvegarder pour la mémoire. Un endroit qui raconte son histoire fait partie de notre mémoire. Ce n’est pas par simple curiosité que nous sommes-là. La première impression qui se dégage de notre visite est celle d’une terrible désolation, car c’est malheureux de laisser partir en ruine ce qui aurait pu servir à pas mal de choses. Des suggestions, nous en avons comme ça, de but en blanc : nous pensons à un musée, par exemple. Un musée de la nature, de la colonisation et peut-être d’autres idées qui peuvent s’avérer encore plus intéressantes. Nous avons constaté l’état des lieux et cela donne envie de pleurer en tous les cas. »

                                                                     EL WATAN

Quant à moi, J’ai quitté Bouchaoui ému et bouleversé, jamais je n’aurai imaginé la destruction d’un si bel outil de travail et de prospérité dont les Algériens auraient été capables d’en sauver la plus grande partie. Aujourd’hui il ne reste que des ruines d’un passé prestigieux, résultat d’une politique de l’époque, aveuglée et aberrante.

                                                                  RA


Précédent RETOUR Suivant