Comme on le sait, Alger était un repaire de pirates depuis des siècles ( de 1350 à 1830 ) et, la vente des esclaves était un commerce lucratif, tant pour les marins que pour la fortune du Dey. Quand un corsaire capturait un navire, il le remorquait jusqu'au port. Le capitaine du port faisait un inventaire des esclaves et de la cargaison ; il demandait un huitième pour le Dey. Les malheureux étaient ensuite présentés au Dey qui choisissait sa part suivant la profession des captifs ou leur naissance voire leur fortune, pour une éventuelle rançon. Une fois ce tri effectué, les autres esclaves revenaient au corsaire qui pouvait les vendre.

            Je vais donc vous rapporter deux récits d'hommes célèbres qui firent un séjour dans cette capitale ottomane.

            Le premier que je vais évoquer est Cervantès, l'illustre auteur de Don Quichotte.


            Celui-ci avait participé à la célèbre bataille de Lépante et regagnait l'Espagne. Blessé, il avait perdu l'usage de la main gauche, lorsque, le 26 septembre 1575, le navire à bord duquel il se trouvait fut pris par les corsaires, au large des Saintes- Maries- de- la- mer.

            Michel Cervantès fut débarqué à Alger et acheté par un Grec, Dali Mami, dit le boiteux, sur la place du Badistan, plus tard appelée Place Mahon, derrière la mosquée de la pêcherie. Tous les aventuriers, tous les forbans étaient réunis là ; les captifs étaient vendus aux enchères, les hommes d'après leur force, les femmes d'après leur âge, leur beauté, leur embonpoint… En 1830 ils étaient encore 1200 retenus à Alger.


            Cervantès tenta une première fois de s'évader mais fut repris et, plus malheureux encore ! C'est dans sa seconde captivité, dans les jardins de Bab-Azoun, qu'il rencontra Zoraïde.
            " Je ne l'avais jamais vue et mon cœur la reconnut", raconte-il dans la première partie de Don Quichotte.
             " Je contemplais en silence cette charmante Zoraïde dont les oreilles et le cou étaient couverts de diamants ; des bracelets d'or incrustés de pierres précieuses brillaient à ses bras, à ses jambes nues, suivant l'usage de son pays ; sa robe était brodée des plus grosses perles de l'Orient. "

            Ainsi, Michel Cervantès put-il contempler la plus belle des filles ; il en fit sa bien-aimée. Alors sa misère d'esclave put s'enorgueillir de toutes les joies du paradis, l'amour entretenait le feu d'un tempérament vif.
            La porte Bab-Azoun, à l'époque, était hérissée de crochets de fer.
            Les bourreaux attachaient un homme, pieds et mains liés ensemble et le laissaient tomber du haut de la porte, sur ces crochets. S'il s'accrochait par les pieds, le bras ou le côté, il demeurait en cet état jusqu'à ce que mort s'en suive.
            Sa captivité dura cinq ans. Racheté par l'intermédiaire des Pères de l'Ordre de la Merci, il rentra à Madrid en 1580.


            Le second personnage est le poète Jean-François Regnard, un peu oublié aujourd'hui car il vécut de 1655 à 1706.


            D'une famille très aisée, il passa sa jeunesse à voyager en Italie, en compagnie d'un ami, M. de Fercourt. Visitant Bologne, ils firent la connaissance de M. & Mme de Prade. Madame de Prade était une jeune Arlésienne d'une très grande beauté et Regnard en tomba amoureux.
            Hélas, le mari était extrêmement jaloux et il se sépara de ses nouvelles connaissances.


            Par un pur hasard, ces quatre personnages se retrouvèrent à bord d'un navire anglais qui devait les ramener en France.
            Au large de Nice, le navire fut attaqué par deux navires pirates. Après un rude combat, les quatre Français furent capturés, et débarquèrent à Alger en octobre 1678. Ils furent vendus sur la fameuse place du Batistan, Regnard fut acquis pour la somme de 1500 F par Achmet Talem, tandis que Mme de Prade fut réclamée par Baba-Hassan, gendre du Dey


            Jean -François Regnard s'arrange pour obtenir les bonnes grâces de son maître en mettant au service de ce dernier tous ses talents culinaires.
            Ce dernier est conquis par son esclave. L'esclave a plusieurs cordes à son arc, il sait aussi peindre. Le gendre du Dey, veut faire sur de précieux tissus certains dessins, que Mme de Prade reprendra à l'aiguille.
            Regnard est donc convoqué chez Baba-Hassan.
            Là, il retrouve sa tendre amie.
            En outre on apprend que M. de Prade a suivi son maître à l'intérieur de l'Algérie et que celui -ci serait décédé.
            Les deux jeunes amants décident d'élaborer un plan d'évasion pour vivre, libre, leurs amours. Ils embarquent sur un bateau qui doit les conduire aux îles Baléares. Tout allait trop bien.
            A peine sortis du port d'Alger, ils sont rejoints par un brigantin turc qui les ramène à une plus sévère captivité.

            Trois ans d'esclavage… enfin la rançon nécessaire à la mise en liberté de Regnard arrive -12 000 livres - !
            Le Consul de France, M. Denis Dussault, s'entremet si bien, que pour la même somme, il fait libérer Mme de Prade et M. de Fercourt.
            Ils quittent Alger le 16 avril 1681.
            Les deux amants vivent en Arles et veulent se marier.

            C'est à ce moment-là que Monsieur de Prade reparait inopinément.
            Sa captivité n'a pas amoindri sa jalousie et le mari reprend son épouse.
            Jean-François Regnard n'a désormais rien de mieux à faire que de se remettre à voyager… regrettant parfois le temps où il portait le bonnet rouge d'esclave. Il écrira un roman inspiré de cette aventure, intitulé : " La Provençale. "


            (Novembre 2006 )


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