Par Robert ANTOINE

        Notre village trouve ses lettres de noblesse dans les sports aussi bien physiques que mécaniques. Certains parlent, avec des vibratos dans la voix, des premières courses automobiles qui se déroulèrent dans les années 1924/1925. Là s'alignaient les Bugatti, les Amilcar, les de Dion Bouton, les Mercedes etc.…

La Cobra

        D'autres se souviennent des courses de motos et side-cars qui pétaradaient sur l'asphalte, avec des odeurs de ricin. Plus tard, les plus jeunes se passionneront encore en regardant les photos jaunissantes d'une équipe de basket. Ils sont là, entre un tel et un autre, ils sont jeunes, ils sont beaux, l'enthousiasme et le gnac font partie de leur vie. Mes propos, pour une fois, n'iront pas vers le panier, mais je vise les bois gardés par Simon Banuls.
-De quoi me parlez-vous ?
-D'une équipe de foot au maillot à damiers noirs et blancs.
-Mais je n'ai jamais vu de véritable stade à Staouéli ! encore moins d'équipe !
        Mes jeunes oreilles étaient distraites quand on évoquait ce sujet, c'était il y a si longtemps et, pour nous, le basket avait remplacé le foot. Les vieilles barbes de l'époque nous éperonnaient quelquefois parlant d'un jeu viril , le leur, alors que le nôtre était pratiqué par des demoiselles !
        Mais quand on demandait pourquoi leur équipe n'avait pas perduré, des explications confuses et oiseuses se mêlaient pour aboutir à une confusion.
        C'est en voulant comparer nos souvenirs communs que j'ai essayé d'en savoir plus sur cette équipe mythique. Déjà, la légende s'était emparée de l'affaire et en avait grossi les traits, hélas peu flatteurs pour notre village.
        Mes recherches s'avérèrent difficiles car on situe l'existence de l'équipe entre les années 1928,1930. Toutes les personnes que je vais citer sont hélas disparues et c'est avec beaucoup de chance que j'ai pu contacter un jeune spectateur de l'époque :Lucien Oltra.
        Joueurs :
                Laurent PONS,
                René OLTRA,
                RODNAS,
                Robert ANTOINE, CIANCIO,
                Roger COFFINET,
                René MERLO,
                Louis MALVAL.
        Ma liste est incomplète. Si vous avez d'autres noms à rajouter, vous pouvez compléter cette liste.

        La tenue d'alors avait ses exigences ; le maillot à damiers noirs et blancs donne de l'allure au joueur, quant au short, il reste, même pour l'époque, " très habillé ".
        C'est donc dans cette tenue que la fameuse équipe du " CLUB SPORTIF STAOUELI " rencontra celle non moins prestigieuse de l'Arba.

        L'Arba … ? qu'est ce que c'est ?
        A la périphérie d'Alger, ce village ressemble à Staouéli et compte un millier d'Européens dont la plus part sont des colons. Sa jeunesse adore le football, tout autant que nous.
        Ne vous imaginez pas un stade verdoyant avec une pelouse faisant pâlir des londoniens, non, pas le moindre bout d'herbe sur ce sol en terre battue et, par çi par là, quelques cailloux qui pouvaient vous tordre une cheville. Le terrain était délimité, juste avant le match, en y jetant, à la main, de la chaux. Les tribunes étaient absentes et les spectateurs jouissaient de la rencontre, aux premières loges, si je puis dire.
        L'arbitre demeurait à Alger (une âme bienveillante possédant un véhicule l'avait amené à Staouéli.) Petit, malingre, infatué de sa fonction, il n'avait pas l'air très sympathique. Je ne vous parle pas des vestiaires, ils n'existaient pas. Nos joueurs se changeaient dans leur voiture ou, plus prosaïquement, derrière un char à banc tendu de quelques toiles.
        Ceux de l'Arba étaient venus dans un car, qui servait aussi de vestiaire pour leur équipe. Tous les gens du village étaient là, les hommes avec casquette, les femmes chapeautées et en belles robes longues, les demoiselles au cœur enamouré et les enfants courant partout.


Avant le match, Roger Coffinet pose pour une photo avec ses parents

        Les Indigènes mâles assistaient à la rencontre car ce sport les a toujours passionnés.
        Mais avant le coup de sifflet de l'arbitre lançant le match, je dois vous présenter l'arme secrète, l'atout dans notre manche, bref voici René Merlo. Venant de Douaouda, un village proche du nôtre, il tenait, je devrais écrire, remplissait la fonction d'arrière. Ce géant, que dis-je, cette montagne mesurait 1 m 95, pesait 150 kilos de muscles, et chaussait du 50. Mensurations exceptionnelles pour l'époque.
        Le match commence alors que, vraiment, l'arbitre n'est pas à la hauteur.
        Les joueurs s'affrontent dans un jeu énergique, ferme, mal contrôlé et les irrégularités se produisent, se multiplient…
        Finaud, notre garde champêtre Louis Buonanno à une idée de génie.
        Sentant que la pression monte sur le stade, il va inspecter le car des visiteurs.
        Surprise ! surprise ! sous chaque siège, un manche de pioche taillé dans le meilleur bois dur. Notre garde, très judicieusement, collecte cet armement préhistorique mais efficace, le range soigneusement hors de la portée d'éventuels belligérants.
        La mi-temps est sifflée, les joueurs regagnent le bord de la touche pour avaler quelques boissons ou mordre quelques citrons. Le moral n'est pas là. La partie adverse est rude et l'on ne se fait pas de cadeaux sur le terrain !
        Côté Staouélien, on baisse la tête ; ceux de l'Arba sont bons, trop bons.
        Et l'on reprend… un jeu encore plus viril, avec un arbitre qui laisse déborder une situation qu'il ne contrôle plus.
        Le score est de un à zéro en faveur de …l'Arba.

        La défense est des meilleures, peu d'ailiers franchissent ou contournent René Merlo qui, levant les deux bras au ciel, fait trébucher par des coups d'abdominaux à la hauteur du menton l'attaquant. Le joueur, à terre, proteste mais l'arbitre, certainement mal placé, voit les bras levés du défenseur et ne siffle pas…Cette technique est reproduite plusieurs fois au cours de la partie.
        Enfin un ailier se présente côté Merlo et les " abdos " puissants et proéminents de René jettent l'homme à terre. Hélas, l'arbitre est placé, par hasard, dans un angle où la manœuvre de l'arrière staouelien n'a pu lui échapper. Il siffle ! Aussitôt on crie à l'injustice et comme par enchantement un poing part sur la figure d'un Staouélien. L'arbitre siffle, siffle, à s'époumoner ; rien n'y fait.
        René Merlo, croyant l'homme en danger dans cette bagarre générale, le prend sous son bras, j'aimerais écrire sous son aile protectrice…
        A un mètre cinquante du sol, le pauvre homme se débat en gesticulant de tous ses membres, mais le bras puissant de René le tient fermement.
        L'arbitre implore : " Je veux descendre ! Je veux descendre ! "

        René, de sa voix forte, prévient : " Ne touchez pas à l'arbitre ! Ne touchez pas à l'arbitre ! " Avec quelque force, il applique son autre poing sur le malheureux homme noir qui fait office de punching-ball.
        Depuis quelques instants, curieusement l'arbitre ne crie plus…René prévient toujours, avec complaisance, de ne pas le toucher, il est sous sa protection…et bang un marron de plus !!!…


        Et c'est à partir de ce jour que les Staouéliens ont appris une phrase en latin :
        " Suspendu SINE DIE ".

        Certains pensent que fair-play ne fait pas partie de notre vocabulaire … mais peut-on connaître toutes ces langues étrangères.
        Je dois vous donner des nouvelles de cet arbitre qui a pu comprendre, avant les astronautes, qu'un voyage parmi les étoiles a quelque chose de périlleux.
        Certains l'ont cru mort, je vous rassure, en quittant Staouéli, il était bien vivant.
        Les hasards de la vie ont fait se rapprocher deux équipiers footballistiques en unissant leurs enfants.



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