L'Ouvrage sur Staouéli
Près ce sinistre mois de décembre 2006, il nous fallait relire le texte de Roger où il exprime avec vigueur ses sentiments de Pied-noir …




        Par Roger FAUTHOUX

        Vers 1970, mon vieux copain André SEGUIN, ce journaliste parlementaire de la " Dépêche Quotidienne " d'Alger, rencontre, à Toulon, au banquet de la " SEPIA " des amis de Staoueli et le lendemain : "
-Tu sais, Roger, ils parlent de toi comme si tu étais né chez eux.
-Mais, c'est vrai, je suis de chez eux. "

        Comme je suis de BOUZAREA, de TIARET, de MONTGOLFIER, d'ALGER ;
        Je n'ai jamais renié ma Chalosse natale mais, dès 1938 çà n'a fait que s'aggraver depuis - je suis devenu " PIED-NOIR " ;

        Je suis né à Saint Sever sur Adour, le 29 janvier 1919, dans une petite sous préfecture du département des Landes qui devait perdre ce titre sept ans plus tard.
        Mon père avait laissé une jambe à Verdun ; très diminué par son amputation, il avait décidé de quitter Paris où il était maître de chai à Bercy dans une maison de vins qui fournissait les grands restaurants de la Capitale. Il éprouvait alors le désir de rejoindre son pays natal où il envisageait de reprendre le métier de tonnelier qui était celui de sa famille, bien loin d'une région parisienne qu'il devait regretter sa vie durant.
        Je trouvai là une vie provinciale très calme, une famille ancrée dans la région depuis des siècles et, après de graves ennuis de santé, un équilibre basé sur une Ecole remarquable et une enfance partagée entre la camaraderie et le sport.
        En 1930, le décès de ma grand-mère maternelle devait marquer un tournant de mon existence. Mes parents durent renoncer à inviter aux fêtes de St Sever la famille en deuil et j'accompagnai, aux foires de Bordeaux, mon père qui s'y rendait tous les ans pour ses affaires.
        J'y découvris un stand sur l'Algérie qui fêtait alors le centenaire de la conquête et une documentation qui devait déclencher, chez moi, une vocation irrésistible. Dès cette époque, je manifestai, dans une rédaction, pour la première fois, mon intention de me fixer dans ce pays d'Outre-Mer.
        Je ne faisais d'ailleurs que suivre l'exemple de mon Oncle Jean que la mobilisation avait ramené, en 1914, en Métropole. Depuis son service militaire effectué dans le Génie, à Hussein Dey, il évoluait en Algérie et au Maroc où il exerçait son métier de maçon. Après la guerre, il se maria dans son village natal, cultivant, toute sa vie, la nostalgie d'un pays qu'il n'oublia jamais.
        En 1935, je rentrai à l'Ecole Normale de Dax et, tout naturellement, je demandai et obtins mon admission à la Section Spéciale de Bouzaréa. Je ne faisais que suivre le chemin qu'empruntaient, tous les ans, de jeunes normaliens métropolitains ; en particulier celui de deux de mes cousins fixés à Tlemcen et Constantine où ils étaient respectivement Directeur d'Ecole et Professeur d'Agriculture.
        Ma promotion, réduite à dix, pour raisons d'économies, par le Gouvernement Laval, devait, à cette occasion, battre un record jamais égalé depuis. Deux élèves en effet rejoignirent BOUZAREA et un troisième le Maroc, en 1940.
        Voilà comment je suis devenu pied-noir, versé d'office dans ce qui était alors l'enseignement des Indigènes. Une Classe d'initiation appliquant une méthode mise au point par nos Anciens, permettait à de jeunes élèves ne connaissant que l'Arabe d'apprendre, en un an, à écrire, lire et parler le Français sans même signaler une maîtrise totale du CALCUL. J'ajouterai simplement qu'à TIARET, sous préfecture d'ORANIE où je fus nommé en 1939, deux jeunes maîtres, l'un venant de l'Ecole Normale d'ORAN et moi-même, étaient chargés des deux Classes d'Initiation comptant soixante-seize et soixante douze élèves. Mon vieux copain CONTRERAS assura même, à mi-temps, la direction de ces 146 élèves, pendant la durée, courte heureusement, de ma mobilisation.

        Tiaret fut la suite de Bouzaréa où j'avais été reçu royalement par mes copains métropolitains et par la population locale. Quand j'arrivai dans le Sersou je ne connaissais à Montgolfier qu'une famille landaise fixée là depuis longtemps et que je considère depuis, comme la mienne. Quand j'en suis reparti, bien des années après, j'étais un vrai Tiarétien et je le suis resté.
        Miracle de l'enseignement, du Basket et de l'amitié, malgré un typhus qui faillit mettre un terme à mon existence.
        Retour à Alger, en 1947. J'abandonne les Hauts Plateaux avec leurs immenses étendues de céréales, de lentilles, de lin pour découvrir de nouveau la Méditerranée, les plages, le Sahel, la Mitidja, la vigne, les orangers et la grande ville. Réadaptation sans problèmes : une école très accueillante, des amis nombreux, avec en particulier l'équipe de journalistes de la Dépêche Quotidienne où mon grand copain Roger Escabasse, membre d'une vieille famille tiarétienne était alors le Secrétaire Général de rédaction avant d'en devenir le Rédacteur en Chef.
        A l'école du Boulevard Bru, un milieu très sympathique de collègues avec le rôle très important joué par Jacques Bagnuls. Cet ancien élève (très brillant) du Lycée d'Alger m'orienta vers les CEG qui remplacèrent alors les anciens Cours Complémentaires.
        En octobre 1950, j'étais nommé au collège de Staouéli où je devais rester un an au maximum et où je vivrais encore aujourd'hui, si…
        Je trouvais là un établissement couvrant une région si étendue qu'en quelques années on fut dans l'obligation d'y créer quatre collèges : Pointe Pescade, Guyoville, Chéragas et Zéralda.
        Je retrouvai, sur les lieux du débarquement de 1830, un gros village de maraîchers déjà connu douze ans plus tôt. Dans une région minutieusement cultivée, il y avait là un établissement jouissant d'une excellente réputation où les élèves, parents et profs vivaient en parfaite harmonie.
        Par dessus le marché, un Club de Basket venait de s'y créer et, à mon insu, une réputation certainement surfaite d'ancien joueur et d'entraîneur m'y avait précédé.
        Ce n'est pas à moi de dire les satisfactions immenses que j'ai pu retirer de l'exercice de ces deux disciplines.
        J'ajouterai que Staouéli fut l'endroit où je fondai une famille, pénétrant ainsi dans une véritable tribu corse particulièrement accueillante, installée, depuis 1870, dans le Constantinois et l'Algérois.

        Le vent de l'histoire, paraît-il, me chassa, en 1962, de ce Paradis.
        Mes anciens élèves, mes anciens basketteurs, Français et Musulmans, les Staouéliens, à quelques rares exceptions près bien sûr, sont restés, pour moi, de grands amis… et même plus.
        Je leur dois, à tous, les plus grandes joies de mon existence.

        C'est peut-être cela, la Colonisation. Faite, sans s'en rendre compte, je puis en témoigner.
        Rien de commun, en tout cas, avec la caricature qu'essaient d'en donner, depuis quarante ans, des gens qui ne désarment pas et continuent, allègrement, à se fourrer le doigt dans l'œil.

(Mars 2007 ) Extrait de "Il était une fois… Staouéli "



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