2/3 :    Nous reprenons le texte de Mady après une petite interruption …

           Quand la voix de Mady se tut, un sourire éclairait tous les visages, un long silence s'établit. On dit qu'après avoir entendu une grande oeuvre musicale, l'instant qui suit est encore de la musique.
           Nous étions dans cet état quand une voix s'éleva, chuchotant presque pour dire doucement " encore Mady… ".
           Et Mady reprit :
- Philippe, notre bonapartiste, avait eu plusieurs enfants dont Mathias. Ce dernier, parmi sa nombreuse descendance, avait eu une fille : Louise.
- Elle avait épousé Auguste Grisard, colon de son état.
- Ils vivaient dans une ferme assez isolée et très fréquentée par les rôdeurs pour qui rapines rimaient avec razzias. Pendant la journée, il fallait aller aux champs avec le fusil pour se défendre de ces aigrefins qui vous égorgeaient sans autres formes de procès.
- Auguste fut emporté par une mauvaise fièvre et Louise resta seule à la ferme. C'étai une solide gaillarde, de 1,78 m, que même les hommes craignaient.
- Dans la fraîcheur matinale, elle libérait son troupeau ; un jour, elle s'aperçut qu'un trou avait été pratiqué dans le mur de la bergerie ! Première réaction, elle rebouche le trou avec minutie et attend le soir pour recompter ses moutons.
           Il en manque deux ! Elle recompte, même résultat.

           Elle passe sa nuit à les voir défiler, sans parvenir à trouver le sommeil.
           Le lendemain, nouvel inventaire, nouvelle déception : il en manque encore un et le trou est là, béant.
           " Ah ça, ça ne va plus ! "
           Elle obstrue une fois de plus le mur et, la nuit venue, s'arme d'un bon gourdin pour passer la nuit avec son bétail.
           Vers minuit, elle entend du bruit, des grattements dans son mur.
           L'orifice s'agrandit et laisse passer un turban.
           Louise prend son gourdin, et vlan !, un bon coup sur la tête de l'intrus, puis elle tire le corps à l'intérieur de la bergerie.
           Le lendemain, elle creuse un grand trou, enterre son voleur, rebouche le mur.
           Depuis, il n'y eut plus jamais de vol à la ferme et jamais une plainte ne fut déposée.

***

           L'histoire était finie, Mady s'apprêtait à nous quitter quand il me vint l'idée qu'elle en savait encore.
           - Il me semble que tu ne nous parles que de la branche paternelle, mais du côté maternel, que sais-tu ?
           J'avais vu juste. Aujourd'hui, Mady vit dans l'Ariège, la terre de ses aïeux. Elle y a retrouvé des racines, un langage, un mode de vie.
           Aussi ne se fit-elle pas prier pour reprendre son récit.
           Le 26 août 1874, Marie Dedieu du Mas d'Azil, de la ferme Lacoste, épousait Pierre Cottes, également du même village, de la ferme Gausseran.


La ferme Gausseran

           Comme cela se faisait à l'époque, les jeunes époux habitèrent dans la ferme des parents du mari. Là naquirent Eugénie, ma grand-mère, Joséphine, Mélanie, puis Césarine. Pierre n'était pas le seul fils. Avec ses frères, belles-sœurs et enfants, pour tout ce monde la ferme était trop petite.
           On décida que Pierre et sa famille devaient " s'engendriller " . C'est une coutume ariégeoise qui se pratiquait quand le mari allait vivre dans la ferme de ses beaux-parents. C'est donc à la ferme Lacoste que naquit Paul Cottes le père d'Alice, Pauline, Jeannette et autres enfants.
           Mais la vie restait dure et rude et les bouches à nourrir encore trop nombreuses.


La ferme Lacoste

           Un des frères de Marie, Pierre, était parti en Algérie avec un contrat du gouvernement comme agent voyer (on dirait, aujourd'hui, employé des Ponts et chaussées).
           Il écrivit à sa sœur l'invitant à venir en Algérie où les possibilités de mieux vivre lui semblaient évidentes.
           Les jeunes époux en discutèrent longuement puis on se décida.
           Marie écrivit à son frère que leur décision était prise et qu'ils arriveraient le 10 novembre 1887. Elle lui demandait instamment de venir la chercher à l'embarcadère.
           Pendant la traversée, Pierre Cottes était soucieux. Alger est une grande ville comparée au Mas d'Azil ; pour ces paysans ariégeois, l'Afrique paraissait un monde inconnu.
           -Ne t'inquiète donc pas, mon frère sera là, et il aura tout prévu pour nous et les enfants.

           Ils arrivèrent à Alger, à la date convenue, avec leurs cinq enfants, leurs baluchons( je dis bien baluchons, les valises, ce sera pour plus tard, ) .
           PAS DE FRERE SUR LE QUAI !!!
           Aucun visage connu, pas d'amis, dans une ville étrangère, ils sont perdus, ils sont seuls au milieu de turbans, de chéchias et de quelques Européens inconnus.
           Marie est une femme d'action et les initiatives sont vite prises.
           -Pierre, reste là avec les enfants et les baluchons, je vais chercher mon frère.
           -Mais où ?
           -Je ne sais où, mais je le trouverai ! " et la voilà partie, parcourant les rues, en tenue de paysanne et en sabots, criant à tue tête avec l'accent ariégeois " PIERRRE…PIERRRE…
           Elle interroge les passants, les policiers, les soldats, tout un monde qui ne connaît pas Pierrre Dedieu !
           Epuisée, lasse, mais toujours aussi déterminée, après avoir parcouru kilomètre après kilomètre, elle rencontre un petit groupe de trois Arabes et un Français. Ce dernier reconnaît l'accent de son pays.
           -Qu'est cri d'as ? -Mé cri dé mon frey
           -Qu'yn s'appelle tos frey ?
           -Il s'appelle Pierre Dedieu
           -Boudille !!! c'est mon patron !
           Ni une, ni deux, il emmène Marie chez son frère qui, bien sûr, n'avait pas encore reçu la lettre postée un mois auparavant.
           -Chef, j'ai une surprise !
           - ???
           - Votre sœur est là.
           - Ce n'est pas possible !
           A ce moment-là, Marie entre et se jette dans les bras de son frère.
           Pierre Cottes retrouvera quelques heures plus tard sa femme, dans un équipage brinquebalant : une carriole tirée par un âne où enfants, parents et baluchons trouveront place. Tout heureux, ils reprirent le chemin de la maison de Pierre Dedieu.

***


Texte de Mady Schneider paru dans "il était une fois Staouéli "
Repris en mai 2007



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