UNE  POULE  GRISE ...


Une histoire ? Un conte ? Un récit écrit par Jeannine Navarro tiré du recueil « Il était une fois Staouéli »


        
          César BALDO

Issu d’une première génération de colons, César Baldo possédait le bon sens du terrien, le charme italien, alliés à un calme et une fougue bien méditerranéens. Il avait épousé en secondes noces ma grand-mère, Louise Tour, veuve Bez.

Dans cet après-midi chaud de l’été algérien, il transpirait tout en rêvassant...

Assis sur un énorme billot de bois qui servait à poser les bûches pour les pourfendre, “ il siestait “ les yeux mi-clos, la casquette sur le nez, espérant un souffle d’air frais… hypothétique.

Survient une poule grise qui caquette sans cesse. 
Cette importune l’agace, l’exaspère, l’énerve au plus haut point, lui César ! 

Bien sûr, elle a fait le plus bel œuf qu’une poule puisse faire, mais de là à se payer des familiarités avec le maître de cette cour, il y a une limite, une limite qu’il ne faut pas franchir.

Pourtant ne va t-elle pas, la malheureuse, se percher sur l’épaule de César Baldo et crier son exploit du haut de ce nouveau perchoir.

C’en est trop : pour un Staouélien, la sieste c’est sacré ... 

Le geste est rapide, précis, comme les anciens savaient le faire.

Le cou tordu, un couic (ou un couac) … feu la poule grise !

          
               Louise Baldo,
          née Tour, veuve Bez

De la fenêtre de sa cuisine Louise, Baldo avait suivi la scène.

Sa poule préférée avait pris, certes, quelques privautés avec son mari mais de là à occire la meilleure pondeuse de la basse-cour, il y avait un monde.

Elle saisit le plus grand couteau, celui consacré à la saignée des porcs, des moutons, de quelques volailles et descendit en courant sur le lieu du drame. 
César, mal réveillé, n’en crut pas ses yeux. C’était le début d’un cauchemar.

Que voit-il encore à demi endormi ?

Sa tendre Louise, transformée en furie, le couteau à la main, venant venger sa poule grise.  Un mauvais sort l’attend… : Une véritable frayeur s’empare de cet homme qui n’a, en fait, jamais eu peur de grand chose.

Seule la fuite lui paraît honorable.

Il grimpe, s’agrippe pour arriver, à bout de souffle enfin, en haut des cuves à vin, là où son épouse ne pourra pas l’atteindre…

                                                               *

En bas, Louise, les bras le long du corps, le couteau à la main lève les yeux vers son mari.

Les regards se croisent. Un long moment de silence…

Et le rire de Louise éclate.

- Que fais-tu là-haut, grand couillon ?

- J’ai eu peur que tu me fasses un mauvais coup avec ton couteau de boucher !

- C’est seulement pour saigner cette pauvre bête que je l’ai pris.  

 

  Et César de rester embarrassé … comme une poule qui a trouvé un couteau, dit-on chez nous.

 

Propos recueillis par Jeannine NAVARRO née Bez et petite fille de M. & Mme César BALDO, Gérald MONTANER étant le témoin de la scène.

(Octobre 2004)


Précédent RETOUR Suivant