Extrait de : Il était une fois STAOUELI


Le nom du bienheureux Sidi Feredj, que nous appelons Sidi Ferruch, est devenu doublement légendaire par sa vie ascétique et par ses miracles. Comme la plupart des saints de l'Islam qui se répandirent dans les Kabylies des États barbaresques, Sidi Feredj avait quitté Saguiet El-Hamm dans les premières années du XVI siècle de notre ère, pour s'en aller catéchiser les populations berbères de l'Afrique septentrionale. Sidi Feredj, qui avait dû quitter l'Espagne à ta suite due deuxième décret d'expulsion, était né en Andalousie. C'était donc un de ces Maures-Andalous qui firent la gloire de l'Espagne méridionale, aussi bien par la profondeur de leur science que par l'étendue et la variété de leurs connaissances générales. Ce saint homme, qu'une piété austère et une foi ardente disposaient d'une manière toute particulière au prosélytisme et à la propagande religieuse, s'était fixé au nord ouest d'une presqu'île.


Sidi Feredj fit sa kheloua, d'une crique suffisante pour l'abriter contre l'inclémence des saisons. D'ailleurs, il n'en demandait pas davantage. Il ne vivait que de plantes croissant dans les dunes, et de coquillages que la vague lui apportait. La reputation de sainteté de Sidi Feredj n'avait pas tardé à se répandre dans les tribus qui résidaient dans le Sahel (littoral) qui est à l'ouest d'Alger.


Bientôt la foule se rendit en pélerinage près du saint marabout pour lui demander son intercession auprès du Dieu unique . Aussi, pour pouvoir disposer son auditoire à entendre la parole divine il demanda au Tout puissant l'autorisation de faire quelques miracles de peu d'importance . Ceux qui fréquentaient la kheloua du saint, et qui venaient entendre ses précieuses leçons avaient surtout gagné sous le rapport de la propreté, ce qui faisait supposer qu'ils avaient pris l'habitude des ablutions, et, par conséquent, de la prière. Les hommes, se conformant aux préceptes du Livre, n'urinaient plus que très rarement debout, à l'exception, pourtant, des esprits forts, et ils choisissaient toujours un endroit en pente pour satisfaire à ce déplorable besoin. Il y avait aussi beaucoup d'améliorations du côté de la femme, bien, il faut le dire, que Sidi Feredj se souciât de leur salut comme de sa dernière chéchia (calotte). Quoi qu'il en soit, on voyait bien qu'elles avaient tenu compte des recommandations ou des reproches du saint marabout ainsi, elles paraissaient moins oublier qu'elles ont été faites exclusivement pour le plaisir des hommes, plaisir auquel elles ne sont jamais conviées - et pour la continuation de l'espèce. Elles reconnaissaient mieux les vérités du Livre, par exemple, qu'elles sont inférieures aux hommes, qu'elles sont des êtres imparfaits, qu'elles sont sujettes à de nombreux inconvénients, que leurs ruses sont grandes ; elles acceptaient avec bien plus de résignation d'être reléguées dans des lits à part, et d'être battues quand elles s'étaient rendues coupables de désobéissance, ou quand elles avaient fait usage d'une autre charrue que celle qui, légalement, devait labourer le harts, ou champ conjugal (Harts, champ cultivé ).. Enfin, les Sahéliens n'étaient presque plus reconnaissables, et Sidi Feredj s'en montrait extrêmement satisfait Un jour pourtant le vénéré ouali faillit être ravi à l'amour des populations du Sahel mais, rassurons nous, Dieu ne le permit pas, et cette tentative d'enlèvement dont il fut l'objet le grandit encore dans leur esprit, en lui fournissant l'occasion de faire un miracle d'une certaine importance. Voici comment les choses se sont passées : un matelot espagnol, qui était venu tenter quelque aventure sur la côte barbaresque, avait mouillé, pour faire de l'eau, à la pointe de la presqu'île habitée par Sidi Feredj. Après avoir fureté pendant quelques temps sur la plage, ce grossier matelot aperçut le saint, qui avait cédé au sommeil sur le seuil de sa kheloua. Faute de mieux, le marinero espagnol chargea le saint sur son épaule, rejoignit son navire, et mit le cap sur Cartagena. Ce n'était pas là, évidemment, une riche capture, car le saint était loin d'être jeune, et sa maigreur exagérée ne permettait pas de l'employer à des travaux manuels qui eussent exigé quelque déploiement de force physique ou d'activité. Ce matelot ravisseur n'était donc nullement certain de pouvoir se défaire de son saint, même à vil prix .
Ce rapt avait eu lieu au moment où le jour pénétrait dans la nuit. Mais qu'on juge de l'étonnement, de la stupefaction même du matelot espagnol quand, à la pointe du jour, il put constater qu'il se retrouvait en vue de la presqu'île qu'il avait quitté la veille !… Le saint marabout, qui souriait dans sa barbe grise, dit au marin avec beaucoup de bonhomie : " Fais-moi remettre à terre, et ton navire pourra reprendre sa route." Sidi Ferredj fut débarqué. Mais comme, après une seconde nuit de navigation, le navire se retrouvait encore à la même place, l'Espagnol, furieux que ce vieillard osât se moquer de lui, lui en fit de très vifs reproches et dans ce langage dépourvu de pureté et d'élégance: " Cela n'a rien qui doive t'étonner autant, lui fit observer Sidi Feredj avec la plus grande sévérité, et tu le comprendras facilemment quand je t'aurai dit que j'ai oublié mes baboudj (babouches) sur le pont de ton navire." L'espagnol reconnut qu'en effet elles manquaient totalement aux pieds du saint, et il s'empressa d'aller les lui chercher.
Mais pendant le trajet de la presqu'île au point où se balançait mollement son navire, le Chrétien comprit qu'il devait y avoir un miracle là-dessous : touché de la grâce, il se jeta aux pieds du saint, et le supplia de le garder auprès de lui en qualité de serviteur. Sidi Feredj accéda, avec sa bonté ordinaire, à la prière du Chrétien, qui en profita pour embrasser sans plus tarder le mahométisme, après avoir renoncé, sans le moindre regret, disait-il, à la religion de ses pères, laquelle était loin de lui promettre les félicités dont l'avait entretenu le marabout vénéré.
Sidi Rouko,- c'était son nom, - devenu aussi fervent Musulman qu'il avait été mauvais Chrétien, vécut quelques années encore auprès de Sidi Feredj, dont il s'était fait l'inséparable et fidèle compagnon, et il crut ne pouvoir mieux faire, pour lui témoigner sa reconnaissance, que de mourir le même jour et à la même heure que lui. Les gens du Sahel trouvèrent qu'en effet il lui devait bien cela. " N'étaient-ils pas, disaient-ils, comme les dents du même peigne ?"faisant ainsi allusion à l'état d'égalité dans lequel ils avaient passé l'un et l'autre les dernières années de leur existence terrestre. Ils furent inhumés l'un auprès de l'autre, les Sahéliens ne voulant pas séparer dans la mort ceux qui avaient été si unis dans la vie.
Une Koubba somptueuse fut élevée sur leurs tombeaux, lesquelles devinrent le but des pélerinages de toutes les tribus qui jouissaient de la protection des deux saints, protection dont les effets n'ont jamais cessé de se faire sentir parmi leurs serviteurs religieux.


En 2005 le " marabout de Sidi Feredj " a obei à la Civilisation des murs


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