Dans cette suite de témoignages, nous donnons la plume aux staouéliens qui désirent laisser une trace aux générations suivantes pour témoigner que l’Algerie de “papa“ s’est faite dans la douleur et aussi dans la joie.
Une époque, bien décriée aujourd’hui, où le faux, la lâcheté, l’incompréhension, la mauvaise foie se dressent  contre la vérité. Une vérité que nous réclamons aux noms de nos ancétres et de nous-mêmes. Une vraie verité, celle qui sort du puits, même si elle n’est pas toujours jolie…
                                                                                               RA

Voici des récits de Staouéliens, qui sont un peu les nôtres, des histoires d’exilés d’Espagne, d’Italie ou d’ailleurs, venus de différents horizons, qui ont pu, par un labeur incessant, traverser mille vicissitudes et se sont élevés jusqu’à l’aisance.

Ce peuple d’émigrés avait pris un langage, les us et coutumes de chaque pays pour les accommoder à sa manière et faire naître un nouveau peuple. Nous mélangions mouna, pizzas, zalabias, kouglofs, sans discernement, en gardant les plaisirs de la fête et le goût des différentes saveurs.

        Le prix à payer est tellement élevé qu’aucun R.M.Iste ne se sentirait capable d’en accepter les conditions.

        M.Antoine Moncho venait d’Espagne, exactement de Javea près d’Alicante. Sa connaissance du métier de puisatier en faisait un homme recherché en Algérie où l’eau était un élément rare et précieux.

        Après avoir fait plusieurs fois l’aller-retour entre l’Algérie et l’Espagne, au gré des demandes des colons, il décida de se joindre, lui et sa famille, à un groupe de compatriotes installés depuis quelque temps à Guyotville.

        Ainsi, il cumulait, quand le besoin s’en faisait sentir, diverses professions : tantôt puisatier, tantôt agriculteur, tantôt pêcheur.

        En 1910, naquit à Alger son fils aîné, Barthélemy.

        Ce dernier quitta très jeune les jupes de sa mère, pour aider son père dans ses différentes activités. A 6 ans, il se retrouvait assis dans le panier, suspendu à la chèvre qui surplombait un puits de 40 mètres.

        Descendu lentement, à brassées d’homme, il rejoignait son père pour recevoir les premiers rudiments de son métier. Pas question d’aller perdre son temps à l’école ni de suivre dans des jeux puérils les petits copains, le travail primait tout.

        Le temps passa et le jeune garçon, devenu homme, convola avec mademoiselle Marie Femenia dont le père était originaire de Pedreguer, un village de montagne où les maisons s’agrippent aux rochers, tout près de Javea.

        M. Fémenia était locataire d’un communal à Guyotville et, outre la culture maraîchère, pratiquait avec profit l’élevage porcin. Hélas, une maladie décima toutes ses bêtes, réduisant ses efforts à rien.

        On lui proposa d’acquérir un terrain de 4 hectares à la Bridja, couvert de chênes verts tortueux, de cactus, de palmiers nains et de roseaux.

        Cet Eden se trouvait sur la commune de Staoueli. Le courage ne manqua pas, il se mit à défricher cette terre ingrate et aride qu’il fallait rendre meuble et nourricière.

        Les beaux-parents du nouveau marié ne pouvaient pas, dans leur situation, abriter une famille de plus, les creusements des puits se faisaient rares dans la région. Barthélemy devint peintre en bâtiments, un métier qui offrait, à l’époque, de l’ouvrage. Survinrent les grèves de 1936 qui touchèrent tout le monde ouvrier.

        Ses nouveaux compagnons, sachant qu’il était analphabète, le chargèrent de remettre au patron de l’entreprise une lettre de revendications. La sanction fut immédiate et Barthélemy se trouva congédié.

        Sur les conseils de son beau-père, il postula pour une parcelle de terrain communale, encore disponible, près des dunes de Staouéli. On lui donna satisfaction mais les meilleures terres étaient prises. Qu’importe si ce terrain était de qualité médiocre, le courage d’entreprendre ferait de cette terre siliceuse, réputée malsaine, son gagne pain pour lui et sa famille.

        Il commença à défricher …à mains nues.

        La situation de Barthélemy commençait à se stabiliser quand il fut mobilisé. En 1939, il part pour le Maroc puis pour la Tunisie.

        En 1940, c’est le retour à Staouéli où il retrouve sa femme et sa fille Maryse.

        Hélas la famille ne sera pas réunie très longtemps puisqu’il repart avec l’Armée d’Afrique : Bizerte, l’Italie et Monte Cassino.

        La bataille de Monte Cassino fut une des plus rude que livra l’Armée d’Afrique.

        Les combattants payèrent de leur sang la prise de ce nid d’aigle. On mobilisa les ânes, les mulets pour le transport des pièces d’artillerie, ce qui permit, avec la vaillance des tirailleurs, de réduire ce verrou. Le général Juin y trouva la gloire, M. Moncho y perdit l’audition d’une oreille, en tirant le canon.

        Ce valeureux soldat, tout en combattant, devait avec sa maigre solde subvenir aux besoins de sa petite famille restée en Algérie. Pour gonfler les mandats qu’il envoyait à sa femme, il vendait ses cigarettes et lavait le linge de ses camarades.

        De son côté, Mme Moncho continuait, tant bien que mal, à poursuivre l’œuvre agricole de son mari, jusqu’au jour où sa fille fut affectée d’une primo -infection.

        La sécurité sociale n’existait pas en ce temps-là et, pour payer médecins et médicaments, elle dut céder son communal.

        La situation n’était pas brillante quand, en 1945, la guerre enfin se termina.

        Barthélemy Moncho revint au pays, constata la mauvaise situation et approuva de suite l’idée de son beau-père. Ce dernier décida de céder 2 hectares de ses maraîchers et de les partager entre son fils et son gendre. Au moment de sa retraite, M. Fémenia disposa de ses biens en faveur de son gendre.

        Une nouvelle ère de prospérité apparut. Très vite, il agrandit sa propriété en louant d’autres terres.

        Outre son métier de maraîcher, il avait aussi une grande compétence dans le creusement et le curage des puits quelques peu abandonnés pendant ces années de guerre. Aidé d’une équipe de marocains, toujours les mêmes, il pouvait creuser jusqu’à 40 mètres de profondeur sans, bien sûr, les outils modernes que nous connaissons. La pioche, la dynamite et toujours cet amour du travail firent sa réputation ; elle s’étendit bien au-delà des limites du département.

        Agriculteur par passion, boulimique de possession de la terre, tous les bénéfices qu’il tirait de son métier de puisatier furent investis, en 1958, dans l’achat à la Bridja, de 4 ha de maraîchers, propriété jouxtant celle de son beau-père.

Barthélemy MONCHO

Il n’avait jamais imaginé qu’un jour, la France se retirerait d’un pays qui était devenu le sien.

        D’autres moins persuadés, moins confiants dans les discours tricolores, lui proposèrent des locations qu’il ne refusait jamais et ce, très peu avant l’indépendance.

        En juin 1962, la République Algérienne naquit. L’excitation des foules fit prendre quelques distances à M. Moncho et sa famille qui s’abritèrent en France… momentanément.

        Bartholomé crut aux accords d’Evian. Son amour de la terre l’emporta sur la prudence. Il retourna une première fois, en juillet 1962, à Staouéli, pour essayer de travailler ses propriétés. Arrivé sur place, avec son gendre Daniel, il constata qu’il n’y avait plus de matériels : des vandales avaient fait leur oeuvre. Avec l’aide de quelques ouvriers, il essaya de sauver`ses récoltes

Récolte de Tomates

Un matin une  Jeep arriva. Un jeune lieutenant et quatre hommes armés de mitraillettes descendirent et interpellèrent Bartholomé.

        « Vous devez payer l’impôt au F.L.N  » dit l’officier.

        Pas de discussion possible, il paya. En partant, le jeune lieutenant lui lança ;

        « Vous n’êtes plus le patron ». Et Bartholomé retourna en France, espérant

        que la situation se calme.

 Obstiné et persévérant, il fit un second voyage, mais, dès son arrivée à Staouéli, on lui jeta des pierres et il dut se réfugier au Poste F.L.N. du village. Un responsable lui signifia : « vous n’êtes plus propriétaire, vous serez nationalisé ». Plus d’Européens, plus personne pour l’aider dans le village, il fut contraint, une fois de plus, de retourner en France.

        La radio française distillait des informations et Barthélemy dit à sa femme : « je viens d’entendre que M. Borgeaud est toujours dans son domaine de La Trappe. Il n’y a pas de raison que je ne puisse pas, moi aussi, travailler ma terre et vivre dans ce nouvel Etat  ». Sa femme était très réticente mais M. Moncho était déterminé : « une femme doit suivre son mari  ». Et ils repartirent… Des amis lui conseillèrent de se regrouper à St Ferdinand. Il accepta.

        Durant la troisième nuit, ils furent attaqués par des indigènes et durent leur salut à des légionnaires, en patrouille, qui les hébergèrent pendant un mois, au camp militaire de Zeralda.

        S’en était fini, Barthélemy Moncho rentra définitivement en France.

        Ainsi, par trois fois, il essaya de s’accommoder de cette situation Algérienne et par trois fois, ce fut un échec.

        Il fallut repartir de zéro, avec peu de liquidité et le poids des ans en sus.

        En France, son choix se porta sur une presque ruine, que le notaire lui a longtemps déconseillé d’acquérir. C’était mal connaître Barthélemy Moncho et sa famille : ils se remirent à dépierrer, débroussailler, reconstruire, rénover, pour qu’aujourd’hui leur réussite soit leur fierté.

Familles MONCHO et MOUGIN à PIOCH de GAIX

Paru sur le site en Mars 2008

Dans les prochains numéros, nous évoquerons plusieurs familles de Staouéli.
Si le cœur vous en dit, n’hésitez pas à prendre un papier ou le téléphone pour me raconter votre histoire.


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