Pour Bugeaud, le meilleur moyen de réaliser la colonisation de l’Algérie était la fondation de colonies militaires. Il avait préconisé cette méthode dès 1838 [2] :

De tous les moyens de faire marcher vite et bien la colonisation, le meilleur, j’en ai la conviction, c’est la colonie militaire. [1]

Le 10 juillet 1842, il s’adresse au ministre de la guerre [3]

Jusqu’à présent, la population du village militaire de Fouka se compose de 60 colons tous célibataires.

Dans la vue de les attacher au sol, en les y retenant par des liens de famille, de manière à les y implanter d’une manière permanente, il m’est paru tout à fait indispensable de favoriser le mariage d’un certain nombre d’entre eux. Des ouvertures, leur ayant été faites à cet effet, le Commandant supérieur de Koléah, m’a transmis l’état nominatif des vingt plus méritants et plus persévérants à poursuivre les travaux de colonisation. J’ai pris l’engagement envers eux de les faciliter dans leurs projets de mariage, et, convaincu que Votre Excellence approuvera cette disposition, je leur ai promis de leur faire attribuer à cette occasion, à chacun une somme de 500f.r

M. le Maire de la ville de Toulon avec lequel je me suis mis en rapport pour cet objet a fait rechercher des filles modestes, laborieuses, à choisir soit parmi les jeunes personnes élevées à l’hospice, soit dans des familles honnêtes d’artisans et de cultivateurs. J’ai lieu d’espérer que le Conseil Municipal de Toulon accueillera favorablement l’appel que je lui ai fait pour l’engager à voter de son côté une certaine somme pour la dot des jeunes filles, afin de concourir à placer les nouveaux ménages dans une situation prospère.

Dès que ces arrangements pécuniaires seront terminés, je ferai donner successivement des permissions aux colons militaires pour aller contracter mariage, et chercher leurs femmes à Toulon.

Mariages au tambour à Toulon [4]

Effectivement, en août 1842, Bugeaud expédie à Toulon les vingt sujets qui paraissaient «les plus sérieux et les plus méritants».

Le lendemain même de leur arrivée, ces heureux élus sont mis en présence, par les soins de la municipalité, de vingt jeunes filles pour la plupart orphelines, choisies parmi les domestiques de la bourgeoisie et les employées de magasin. La ville de Toulon accorde à chacune d’entre elles une petite dot de 200 F., et elles reçoivent en outre de nombreux cadeaux.

Après maintes péripéties, échange de fiancées entre camarades, ruptures et raccommodements, on finit par s’entendre, et, au bout de 3 mois - délai maximum fixé par Bugeaud - les mariages sont célébrés en grande pompe, avec accompagnement de tambours, clairons, musique, discours et sermons. Les vingt nouveaux couples précédés d’une fanfare défilent sous une pluie de fleurs devant le Conseil Municipal assemblé, puis joyeux et fiers, ils s’embarquent pour l’Afrique!

Musique militaire (1895)

Ces «mariages au tambour» furent pendant quelques semaines l’objet de gloses de la presse française, et pourtant ils n’ont pas été en général plus malheureux que d’autres. Si quelques-unes des Toulonnaises, transplantées dans un milieu peu policé, où elles furent en butte aux trivialités de la soldatesque, prirent le parti de fuir le domicile conjugal, les trois-quarts de leurs compagnes s’enracinèrent, et, comme l’avait prévu Bugeaud, firent de beaux rejetons!


Mars 2008


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