Au cœur de mon vieux village… une véritable maison de ferme, derrière une façade de maison de ville :

LA MAISON GOMÈS

Je l’appelle maison GOMÈS parce que c’est là que nous avons été élevés, Roland, Gisèle, moi-même et Marcelle, mais il faut savoir que cette bâtisse était l’héritage de ma mère, donc à la génération précédente, et certainement depuis l’origine, c’était la maison SCHNEIDER. Elle fut notoirement transformée et agrandie par mes parents – surtout à l’initiative de ma mère – au gré des bonnes récoltes.

Où est-elle située ? Au centre du village, sa façade ouvre sur la place de l’église. Personne parmi vous ne l’ignore, mais je n’écris pas pour mes contemporains à qui je n’ai rien à apprendre, j’écris pour mes descendants qui ne peuvent pas et ne pourront jamais voir ce qu’ont vu mes yeux d’enfant et de jeune homme jusqu’en 1962. Il faut donc préciser que STAOUELI était exactement ce que les géographes appellent un « village carrefour » : la grande rue, c’est la Nationale 11 qui longe le littoral à plus ou moins quelques encablures de la mer, d’Alger à Oran. Elle est coupée à angle droit par une autre « grande rue », la départementale 133 qui mène de Sidi-Ferruch à La Trappe puis se subdivise presque à l’infini, tant pour rallier Alger que pour gagner les villes et villages de la MITIDJA et se lancer à l’assaut des montagnes de l’ATLAS … (inutile que je vous conduise ainsi jusqu’aux confins du SAHARA, vous avez compris que ce carrefour central de notre village n’est rien moins que le centre du monde ! ). La particularité qui le distingue d’un banal “ village carrefour “ , c’est que son centre est entouré de quatre grandes places, chacune faisant partie d’un quartier et comme toutes les rues se coupent à angle droit, tous les quartiers sont des carrés ou des rectangles avec quelques rares exceptions – inévitables - on est Français, que diable, et nul n’ignore qu’en Français l’exception confirme la règle ! Trêve de plaisanterie,


Plan partiel de Staouéli – Centre du village en 1960


Reportons -nous au plan qui accompagne, sur une double feuille volante, le tome premier de l’intéressante publication de Robert ANTOINE : IL ÉTAIT UNE FOIS STAOUÉLI.

Nos quatre places sont légendées dans un disque blanc : 21, 12, 13, 22.

Intéressons-nous au rectangle 21 : la moitié basse, c’est l’église et son parvis qui s’étend jusqu’à la rue en face ; la moitié haute doit être partagée en trois parcelles à peu près équivalentes : de gauche à droite : GOMÈS, BUONANNO, COFFINET. La parcelle GOMÈS est légendée  2, 3 et 4 car les 3 et 4 sont des locaux commerciaux loués à des tiers. La superficie restante est assez vaste pour un grand logement, une très grande cour, des dépendances, buanderie … et ce qui me fait dire que c’était une maison de ferme : poulailler, porcherie, écurie et un très vaste magasin pour le conditionnement des fruits et légumes qui seront expédiés vers la métropole.



La maison Gomès-Schneider

Au-dessus du logement de mes parents, un étage fut édifié et plus tard, un autre au-dessus du magasin avec trois fenêtres et un balcon en façade, une véranda et une grande terrasse sur l’arrière. Après notre mariage, ma femme et moi l’avons habité jusqu’à notre départ.


Un relevé du plan cadastral aurait été utile, mais qui pourrait trouver cette pièce aujourd’hui ? (réponse souhaitée). Pour en terminer avec cette situation géographique, reportons-nous à la page 70 du tome premier : la vue est prise depuis le carrefour central en direction d’Alger. Si le photographe avait opéré avec un objectif grand angle, on verrait, à l’extrême gauche, les trois façades des maisons GOMÈS, BUONANNO et COFFINET, et à l’extrême droite, devant l’école CHARTAGNAT, le kiosque à musique.



La maison Gomès  en avril 2008


LA FAMILLE GOMÈS-SCHNEIDER


A la lecture d’un article, hélas non signé, paru dans notre annuaire 1989-90 de l’amicale des Anciens de Staouéli, et intitulé : « création du village », on apprend qu’il s’agit d’abord d’un simple « centre de peuplement » de trente feux, créé au lieu-dit Staouëli, autorisé par décret impérial du 24 mars 1855. Voilà un nom pas ordinaire qui préexiste à la conquête commencée en 1830 et qui n’est pas un nom arabe. Il serait Turc et comporterait le nom et le titre d’un dignitaire ou propriétaire Turc ( qui saura répondre ? message en l’air). Le 4 mars 1856, les trois premiers colons achevaient leur installation et recevaient l’allocation prévue, en rapport avec la surface de l’habitation construite : 200francs à Pierre MARCADAL, 150 à François THOMAS et 100 à Joseph SINTES.On apprend plus loin qu’à cette même date, dix pionniers avaient déjà commencé à défricher et parmi ces noms figurent ceux de GOMÈZ Isidore et SCHNEIDER André. Ainsi sont identifiées les treize premières familles de Staouéli et je suis issu de GOMEZ par mon père et SCHNEIDER par ma mère, donc doublement Staouélien d’origine !

Commençons par les SCHNEIDER, ascendance compliquée parce qu’à chaque génération, les enfants sont très nombreux et les mêmes prénoms reviennent souvent. On remonte ainsi jusqu’à Philippe, né le 31 mai 1789 à HORBOURG, marié vers 1817 avec Marie Salomé KLEIN qui lui donne huit enfants entre 1817 et 1829 (2 mourront en bas âge) ! tous nés à FORTSCHWIHR comme leur mère. Marie Salomé meurt en 1834 et le superbe étalon se remarie moins d’un an plus tard avec Marie BOLLER (22 ans plus jeune que lui) qui lui donne encore trois enfants entre 1837 et 1842, toujours à FORTSCHWIHR.

Le 12 juillet 1843, ce Philippe que je crois être mon arrière arrière grand-père écrit au Préfet du Haut-Rhin, à Colmar, pour lui demander un « passeport gratuit d’indigent avec secours de route » pour Alger. Et c’est ainsi que commence l’épisode algérien de notre famille SCHNEIDER .

De 1843 à 1962, que de coups de pioche et de sueur avec des fortunes diverses. Quand nous avons quitté l’Algérie que nous avions défrichée, l’un de mes cousins SCHNEIDER piochait lui-même sa terre au même rythme que les deux ouvriers qu’il employait ! Bref, je vous épargne les étapes qui font de moi un des innombrables arrière-arrière petits-fils du grand Philippe né en 1789, soldat de la Grande Armée au 27ème de ligne et détenteur de la médaille de Sainte-Hélène ( et j’aimerais bien savoir qui détient actuellement le cadre contenant le diplôme et la médaille pour en faire une bonne reproduction photographique, avant que le temps n’efface tout). Vous retrouverez dans le premier tome le récit de Mady SCHNEIDER concernant le même Philippe- grand procréateur devant l’Eternel- puisqu’elle est aussi de sa descendance.


Du côté de mon père GOMÈS Louis Paul, le récit est plus bref parce qu’il y a un grand vide avant l’apparition d’Isidore, défricheur dans les treize premières familles du « centre de peuplement » de STAOUÉLI mais, faute de documents, la mémoire familiale a conservé le souvenir de la présence des GOMÈS ou GOMÈZ, bien avant l’arrivée des Français en 1830, sur le PENON (*) où ils avaient un comptoir de commerce puis une fabrique de cigares. La lettre finale de mon nom détermine l’origine espagnole avec « z » ou portugaise avec « s ». Et là, mystère ou fantaisie de l’Etat Civil ? (cela s’est vu fréquemment, même en France métropolitaine.)

Je suis donc plus Pied Noir que les Pieds Noirs !


Repartons donc d’Isidore, présent à la création de STAOUÉLI . Il épouse Pauline THOMASIN, en 1867, et ils ont un fils trois ans plus tard : Jules, Thomas, Grégoire né le 12 janvier 1870, mon grand-père, qui, hélas, meurt très jeune à 36 ans, le 17 novembre 1906, laissant ma grand-mère Elise AUBARESSY veuve à 27 ans, avec la charge de deux enfants jeunes : Louis Paul né le 8 novembre 1894 alors âgé de 12 ans, et Firmin Jules, né le 27 février 1897, âgé de 9 ans. Que d’années difficiles pour cette jeune femme seule ! Puis, les enfants devenus grands, c’est la guerre qui les éloigne encore, années terribles après lesquelles on vit s’ériger des monuments aux morts dans tous les villages. « Mort pour la France » répète une voix à l’appel de chacun des noms gravés dans le marbre, les noms des enfants pauvres dont elle s’est débarrassée, des récalcitrants et des révolutionnaires aussi, et ceux de tout le pourtour méditerranéen et même des Allemands et des Suisses.

Peu de temps après la grande guerre, Louis épouse Lucie SCHNEIDER puis son frère Firmin (dont je prendrai le prénom) épouse Marcelle BUONANNO (autre famille nombreuse de STAOUÉLI, le garde-champêtre que vous voyez sur la couverture du tome premier est le frère de Marcelle et tous deux sont les enfants de Josué – page 34- magnifiquement portraituré par son arrière petit- fils, Bernard YVARS .


Louis et Firmin GOMÈS


Chez mes parents, arrivent quatre enfants de 1922 à 1938 : Roland, Gisèle, moi-même, et Marcelle qui prend le prénom de ma tante.

Chez mon oncle Firmin, quatre filles : Elise, Paulette, Juliette et Maryse se suivent de 1923 à 1934.

 La paix ne dure pas. 1939-45, la deuxième guerre mondiale nous accable de ses réquisitions de véhicules, privations, rationnement, cantonnements de troupes de passage, débarquement des Alliés anglais et américains à SIDI FERRUCH…

Chez les GOMÈS, seul Roland est en âge d’y participer, mais chez les SCHNEIDER, nombreux sont ceux qui revêtent l’uniforme. Je passe sur cet épisode sombre, qui n’entre pas dans le cadre étroit de cet article, je rappelle seulement que STAOUÉLI eut l’honneur d’abriter la formation d’une unité nouvelle dans l’Armée Française : le Premier Bataillon de Choc, parachutiste. Il fut logé, entre autres, dans les magasins de mon père et de mon oncle Firmin. Quelques Staouéliens s’y engagèrent tel René POQUET qui épousa par la suite ma cousine Juliette. (Ayons au passage une pensée pour Jean ARNOULT, engagé sous la pression de sa mère, directrice de l’école de filles, qui fut tué dès les premiers combats en Provence dans des conditions contraires aux lois de la guerre.)


En guise de conclusion, il faut bien reconnaître que ces mélanges de nationalités laissèrent quelques traces dans les familles, surtout les dimanches et jours de fête, aux repas : chez nous l’Arroz en  Caldo ou la Paella pour rappeler l’Espagne, la Choucroute et le Kouglof pour honorer l’Alsace, et c’est à dessein que j’attribue une majuscule à ces préparations culinaires, pour leur conférer une certaine noblesse et témoigner mon respect à leur origine. Ces habitudes alimentaires perdurent. Ainsi chez mon vieux fidèle copain Norbert( Ciancio) si Arlette n’a pas préparé un plat de pâtes comme les aiment les Italiens, dimanche n’est pas un vrai dimanche !

Anecdote plaisante pour terminer sur une note gaie : chez nous, le moule à Kouglof de la nombreuse génération précédente s’étant révélé bien trop grand, a fini sa vie, bien prosaïquement comme abreuvoir… au poulailler !

On aurait pu lui donner une fin plus noble. Ca n’était pas encore la mode.

Addenda (eh oui,depuis que je vis sur le sol de notre marâtre patrie, je m’efforce de parler le gaulois et même parfois le latin. ) Cela signifie que j’ai quelque chose à ajouter.

Mon arrière grand-père Isidore GOMES ne fut pas le seul du nom. Il eut deux sœurs :

-Madeleine qui épousa Jean-Baptiste BROCK en 1867. Leur fils Louis épousa une demoiselle MORETTI, et leur fille Blanche, un monsieur MAZELLA.

-Marie-Hélène qui épousa Jean Ernest MAURY. Leur fille Marie épousa un monsieur CESTIN, et leur deuxième fille, Élodie, un monsieur MERLO.

(Toute personne connaissant les prénoms manquants serait bien aimable de me les faire connaître ainsi que quelques détails de leur vie ou de leur situation. Remerciements anticipés).

                                                                 Fait à Clarensac,  février 2008   

                                                                           Firmin  GOMÈS


 (*) Le PENON est la plus grande des îles qui faisaient face au Port d’Alger. Le nom arabe EL DJEZAÏR signifie : les îles. Par la suite, elles furent reliées à la terre. En 1510, PEDRO DE NAVARRE y fit élever une forteresse pour tenir en respect les pirates d’EL-DJEZAIR.

Les Turcs y élevèrent un phare. Après 1830, la France y installa une poudrière qui explosa accidentellement en 1845 avec 419 kg de poudre, à cause de la chute d’une cigarette (peut-être fabriquée par Gomès) par un interstice du plancher du corps de garde situé au-dessus. Il y eut 145 tués dont la moitié étaient des artilleurs sur le point de rentrer en France


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