Mais où sont les Belles d'Antan ?
24 mars 1998 - Claude CAUSSIGNAC

Je veux chanter ici les filles de notre pays, celles qui nous ont fait rêver, et bien plus qu'aujourd'hui, étant d'un abord difficile... Mirar y no tocar, telle était la devise qu'il fallait respecter!

La mixité n'était de mise, ni dans les écoles, ni même au catéchisme. Ceux qui avaient sœurs ou cousines de leur âge voyaient bien qu'elles étaient aimables, mais pour les autres, les jouvencelles gardaient une aura, un mystère, le concentré des passions exacerbées de l'adolescence précoce de notre terre ensoleillée.

D'autant que pour ce qui était de mirar, ces demoiselles savaient qu'elles étaient belles, à seize ou dix-huit printemps, et désirables ; pensant qu'à plusieurs, on se donne du courage, elles ne se privaient pas d'aguicher, d'envoyer des œillades à ceux qui les reluquaient. C'était le sport universel.

Regarder sous les jupes des filles comme dit la chanson n'était pas possible alors, vu qu'elles n'allaient pas aux bars sinon en famille, mais les promenades du soir, les paséos, filles d'un côté, garçons de l'autre sous le beau ciel de ce pays, s'y prêtaient à merveille. Un clin d’œil auquel on répond, elles réussissaient pleinement à nous chavirer un instant, dans la fraîcheur de leur jeunesse, ce n'étaient point les filles de maintenant cherchant à faire une fin acceptable, après dix ans de dévergondage...

Non, riches de leurs dix huit ans, elles s'assuraient un fiancé à leur convenance qui les prendrait toutes neuves, et les conserverait toute leur vie durant.

Charmant programme au demeurant, car pour les garçons, ils étaient de même, le but de chacun et de chacune, dans les années du Baby Boom, était de conquérir la perle rare, qui, joyeusement, avec tout plein d'amour, lui ferait des enfants, leurs enfants, et l'accompagnerait solidement dans les bon s et les mauvais moments.

La chute morale de maintenant a été avant tout provoquée par l'invention de la pilule, la mixité des collèges et lycées a suivi. A ceci s'ajoute le délabrement familial, la frénésie de plaisir : tout et tout de suite, les autres le font, pourquoi pas moi ? Les hormones de la jeunesse se maîtrisent difficilement.

Notez bien que ce mal n'est pas français seulement. L'Espagne, naguère si austère, si conventionnelle, si surveillée, là où régnaient les duègnes, a jeté sa culotte par-dessus les moulins, avec encore plus de frénésie. Une image me le rappelle avec insistance. Il y aura deux ans en juin, un dimanche à huit heures du matin, je rôdais en Andalousie avant les grasses chaleurs, tout par en bas dans la pointe. Ronda se présente.

Traversant la vieille ville, je tombe sur une boîte, invention dont j'ai une horreur viscérale. Des airs de guitare en sortent encore, par moments. L'air angélique, dans sa robe rouge et moulante, le teint rougi aussi par l'alcool et le plaisir, une jeunesse de quinze ou seize ans en sort, seule, quelque peu hébétée après une nuit exorbitante, regagnant les pénales familiales où certainement on l'attend. L'heureux temps des Enfants de Marie semble donc avoir laissé la place à bien plus excitant...

Mais quant à nous, autrefois, nous savions maîtriser nos pulsions, et les fillettes énamourées tout autant je le pense, le respect était de mise, et la patience, gage de sûreté et de durée. Tous et toutes, nous savions la valeur de la virginité...

J'ai passé mon adolescence dans un pensionnat de jeunes filles, dont ma mère était directrice. C'était un petit internat, quelque soixante dix demoiselles de treize à seize ans. Filles de la campagne, familles croyantes, protestantes parfois, descendantes des Vaudois venus des Hautes Alpes autrefois. La vie y était familiale, je dirais même matriarcale, étant petit établissement.

Je les revois encore préparant la tête, dansant sous le préau la «Barcarolle des Contes d'Hoffmann » ! Renée, Charlette, Marguerite et Josette, Anne et Huguette, toutes gracieuses et mignonnettes... Chacun chacune savait ce qui concernait tout le monde, prenait part aux deuils et aux joies, aux espoirs aussi, espoirs de vacances...

La grande joie, c'était le retour en famille, pour un jour, les vacances, ou toujours. Elles restaient sages à l'école, tout aussi sages à la maison ; plus âgées, C'était pareil. Dans ces campagnes, sur l'Algérie tout entière, il y avait les bals de l'été, festivités assez prisées. Les mères de ces demoiselles étaient bien installées sur des chaises autour de la piste de danse. Il fallait se présenter, demander la permission de faire danser leur fille. Elles l'accordaient ou non, ou devait suivre leurs recommandations, le plus correctement du monde. Pas question de s'échapper avec la jouvencelle

Elles n'étaient point garçons manqués, très féminines en vérité, et sans être fardées. A dix huit ans, quelle peau a besoin d'artifices, le sang et l'air vit remplissaient cet office ! Lèvres qui sauraient aussi dire « je t'aime » quand adviendrait le bon moment ! Ce n'était pas engagement temporaire, pour une nuit ou pour un instant, mais bien pour la vie entière... Ces amants que seule la mort a pu séparer! Comme il était bon d'avoir une autre soi-même, sur qui compter...

Et quand le coeur avait parlé, là, un vrai couple était créé. Qui voulait des enfants, en ces temps ! Ce n'étaient pas comme maintenant l'approche aléatoire et transitoire de deux indépendants ! Voulant surtout leur liberté, afin souvent d'en mal user...

La mère au foyer, formule qui fait bondir les suffragettes, reste la seule valable pour le bonheur en famille. Parents et enfants réunis autour de la table, le soir à la Télé, avant le coucher, « Le Manège enchanté », puis « Bonne nuit les Petits », et tout le monde au lit.

Mais là, nous avons résolu le problème : autre chose était de courtiser la fille. En public, toujours entourés, on pouvait parler à une belle. L'amour ne naît point sur une place publique, il fallait pouvoir l'approcher, dans l'intimité. Si l'attirance se partageait elle vous menait dans sa famille donner des gages d'honnêteté et de sincérité. Le jeune homme faisait sa « Demande en Mariage » avec solennité. Si les situations pesées de part et d'autres convenaient, on devenait des Fiancés. Ce qui autorisait certaines privautés.

Jusqu'à certain point tout de même. Et les passions de s'exacerber, jusqu'au jour du mariage, que l'on pressait. La noce de se passer dans la petite église du village, ou au temple protestant, foule d'invités, des fleurs, des lys, couronne de fleurs d'orangers et belle robe blanche pour la mariée, restée pure le plus souvent, au demeurant ! Les parents y veillant !!!

Bien sûr quelques étudiantes, en foyer, loin de chez elles, étaient d'accès moins difficile, mais elles n'avaient point la cote, c'est évident, sans être filles faciles pour autant !

Bonne renommée valait mieux que ceinture dorée, il y allait de l'honneur du prétendant. Celle qui s'était dévergondée n'avait aucune chance de se faire épouser dignement.

Constatation : Que ce soit pour les voitures ou bien pour les fillettes, l'occasion déplaisait vraiment. Les premiers pour toute chose, restait le seul commandement.

(Revue Ensemble N° 219, Octobre 1999, pages 22 et 23)


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