A Colline d'Hippone, ou pour mieux dire la Colline de Saint-Augustin - car le culte du Grand Evêque a supplanté, dans l'esprit et le cœur du peuple de Bône, le souvenir de l'antique Hippone - était, jusqu'à la veille de la première grande guerre mondiale, séparée de la Ville par une distance de plus de deux kilomètres.
Le chemin qui y conduisait s'appelait la route de Guelma ; elle était le prolongement au delà de la Porte d'Hippone, de la rue Prosper Dubourg.
La route de Guelma est devenue l'Avenue de la Marne, dont le commencement marque la place des anciennes portes de la Ville.

On longeait le champ de manœuvre, appelé " Champ de Mars ", que chaque hiver transformait, ainsi que les terrains sur lesquels se trouvent aujourd'hui les Cités Auzas et Chancel en une véritable petite mer intérieure.
Les chasseurs y venaient tuer le gibier d'eau, canards sauvages, sarcelles, courlis, et râles d'eau. C'était moins fatigant que d'aller au Lac Fetzara ou au Lac des Oiseaux.
A l'entrée du Pont d'Hippone, vieux pont romain sur la vieille et capricieuse Boudjimah, quelques maisons et villas se groupaient autour du Marabout de Sidi-Brahim. Ce marabout était au centre d'un carrefour d'où partaient cinq routes dans des directions différentes.
Ce petit édifice religieux est peut-être, avec la Mosquée de Sidi-Mérouane et celle de Djamaa-el-Bey, le plus ancien Monument religieux musulman de la Ville.

Le marabout de Sidi-Brahim

Les deux Mosquées ont subi depuis l'occupation française, des modifications, au moins extérieurement, pour les adapter à l'esthétique de la rue ou de la place sur laquelle elles ont leurs façades, ainsi par exemple la Mosquée de Djamaa?el?Bey à la Place d'Armes.

Le Marabout de Sidi-Brahim, lui, est demeuré tel qu'il était à l'arrivée des Français, comme le prouve une peinture du Capitaine Genet (Musée de Versailles) représentant le départ de Bône, le 27 septembre 1837, de la Brigade du Duc de Nemours pour le siège de Constantine.

La Casbah, le Port, le Fort Cigogne et une goélette au mouillage en mer, forment dans le lointain le fond du tableau, dont le centre est constitué par le vieux Pont occupé tout entier par les troupes en marche.

La tête de la Colonne vient de déboucher sur la route de Guelma, tout près d'un haut palmier qui s'incline vers la rivière après la sortie du pont.

De l'autre côté, à gauche, le Marabout se détache nettement faisant pendant au palmier. Une partie de la troupe passe justement devant tandis que le reste s'aperçoit sur le chemin qui vient de la Ville.

A part ce palmier solitaire, il n'y a vas un seul arbre entre le pont et la Ville, et ce chemin que l'on appelle la route de Sidi-Brahim est absolument nu. Le paysage est d'une désolante pauvreté.

Ce tableau peint à l'époque même de l'expédition de Constantine, par un officier qui en faisait partie, nous montre un Marabout de Sidi-Brahim absolument pareil à celui que nous voyons aujourd'hui.

Les quelques maisons situées en delà du pont, n'ont jamais dû former une agglomération notable. C'était sans doute, un petit groupement isolé placé en avant-poste à un kilomètre de la Ville avec un blockhaus surveillant les abords de la seule voie de pénétration vers l'intérieur qui est devenue la route nationale appelée tout simplement route de Philippeville.

La brigade de Nemours quitte Bône le 27 septembre 1837

Dés son arrivée en 1832, le Général d'Uzer avait en ,installé un poste militaire à cet endroit et entrepris des travaux d'assainissement.

Un an plus tard, il acquérait pour son compte personne1, toutes les terres qui bordaient la droite de la route de Philippeville et s'étendaient jusqu'au fond de l'Orphelinat et à la limite de la Colonne Randon.

C'est certainement à lui que sont dues les initiatives qui ont amené la création de la jolie route du Ruisseau sur laquelle se trouve l'entrée de sa ferme, ainsi qu'on peut le voir encore aujourd'hui.

Vers 1890, il n'y avait là qu'un pauvre Faubourg composé de quelques maisons vétustes.

La tannerie Ballax, à l'extrémité de la route de Sidi-Brahim, une briqueterie au début de la route de Philippeville, la villa Chaubron, au tournant de la route Ruisseau d'Or, et, en contre-bas du chemin qui va s'engager sur le vieux pont, une buvette à l'enseigne au " rendez-vous des chasseurs " constituaient l'ensemble de cette partie du Faubourg.

Passé le pont, il y avait la grande fourrière de Jean Greck " dit Chacal ", tout contre la rive de la Boudjimah, l'atelier d'un forgeron qui réparait, en même temps, les chariots, et ferrait les animaux, puis quelques artisans vanniers fabriquant de paniers d'osier et de roseaux. Tout cela du même côté Est de la grand'route.

En face, était la grande villa de Prosper Dubourg, construite près de la tannerie qu'il avait créée en 1842, et après, sur le même côté, venait la modeste propriété Chevillot achetée ensuite par la ville et où fut installé, en plein air, un embryon de Musée archéologique.
C'était à cela que se bornait le Faubourg d'Hippone avant la fin du siècle dernier.

La route qui passait sur le Pont Romain était extrêmement fréquentée.

C'était, en effet, le passage de tous les transports vers Mondovi et la région guelmoise, en même temps que celui du charroi pour les villages et les fermes situés dans les parages de la route de La Calle.

Car, la route de La Calle qui n'arrivait pas encore sur nos quais, venait se raccorder à la route de Guelma à peu près à son troisième kilomètre, par le Pont des Usines que l'on appelait, alors, le Pont de La Calle.

Depuis, le Faubourg d'Hippone a été rejoint par la Ville, qui s'est étendue. L'Avenue de la Marne a remplacé l'antique route de Guelma qui est devenue une artère imposante et la mer intérieure du Champ de Mars et des Cités a totalement disparu pour faire place à de superbes et somptueux immeubles à six et huit étages, et à une infinité de petites maisonnettes.

Il est difficile d'imaginer que naguère, en ces lieux mêmes, on chassait des canards sauvages, des sarcelles et des courlis.

Par contre, la grande et belle demeure de l'ancien Maire Prosper Dubourg est tombée peu à peu en ruines.

Les jolis Jardins qui l'entouraient ont été remplacés par des carrés de navets, de choux, de salades et d'oignons.

Les Docks de la Tabacoop et leurs dépendances ont envahi une partie des pelouses et les plates-bandes que tant de gentes dames foulèrent autrefois de leur pied léger et mignon.

Le Maire, Prosper Dubourg, arrivé à Bône, comme maitre-sellier des troupes d'occupation, était rapidement parvenu par son intelligence et ses manières affables, lorsqu'il fut rendu à la vie civile, à une situation enviable. C'était une des personnalités les Plus marquantes de la Ville et de la Région,

Pendant les dix années que durèrent ses fonctions, il sut remplir avec une parfaite aisance, son rôle de premier Magistrat de la Cité, et tenir avec distinction, le rang auquel il s'était élevé.

Les réceptions étaient aussi fréquentes que brillantes dans cette villa somptueuse aujourd'hui disparue.

Ceux qui voient maintenant les énormes camions apportant les récoltes de tabac aux Docks coopératifs, ignorent sans doute, qu'à cette même place, autrefois, stationnaient souvent de brillants équipages attendant leurs maîtres venus, là, à une réception ou à un bal, dans les salons du Maire de la Ville de Bône.

Les Associations agricoles ont métamorphosé le quartier. L'aspect rustique et le silence ont disparu pour faire place à une organisation industrielle moderne dont l'activité est intense.

Des Docks immenses pour entreposer et préparer les tabacs, des usines qui transforment en conserves les produits de la terre, un grand parc pour servir aux expositions agricoles, des laboratoires, des restaurants ouvriers, et des garderies qui permettent aux mères de venir s'employer et gagner leur salaire quotidien sans trop se séparer de leurs enfants en bas âge.

Tout cela formant une véritable Cité qui s'étend sur plusieurs hectares de superficie, Jadis enveloppés dans le calme et la torpeur d'une nature endormie sous la poussière des siècles, aujourd'hui recouverts d'une vie intense et prodigieuse.

C'est dans cette campagne qui s'étend, de l'autre côté du vieux pont, vers l'Allélick, qu'était l'ancienne Hippone.

Ses ruines, recouvertes par les terres déplacées et charriées par les fréquents débordements de la Seybouse et de la Boudjimah, n'avaient jamais particulièrement intéressé les Archéologues qui paraissaient avoir admis que les Vandales de Genseric avaient complètement détruit la vieille Cité Chrétienne et que , seules, les citernes fameuses d'Hadrien en étaient les ultimes vestiges.

Ces citernes, dont les unes avaient été retrouvées presque intactes, avaient été prises, pendant longtemps, pour les restes du Monastère de Saint Augustin.

C'est cette croyance, longtemps entretenue par de pieux pèlerinages, qui avait créé autour de la Colline une atmosphère sacrée au-dessus de laquelle planait, dans l'esprit les fidèles, le souvenir du Grand Evêque et du Grand Philosophe chrétien,

C'est, sans doute, parce qu'il paraissait établi que Saint Augustin avait vécu, sur ce mamelon, entre ces murs imposants, que Monseigneur Dupuch, premier Evêque d'Alger, décida de placer au-dessus de ces citernes, le petit autel de marbre blanc surmonté d'une statue de Saint-Augustin, coulée dans le bronze des canons de la Casbah, que les Evêques de France, avaient fait exécuter par la Maison Falcone et Berton d'Alger.

Tombeau de Saint-Augustin (Vieille gravure)

Pendant longtemps ce mausolée fut considéré comme le tombeau de Saint Augustin, ainsi que l'indique la vieille gravure ci-dessus reproduite.

C'était là, une erreur grossière, car les restes de Saint Augustin qui était mort, dans Hippone assiégée par les Vandales, en 430, avaient été transportés en Sardaigne en 499, puis à Pavie au VIIIéme siècle.

Monseigneur Dupuch, à la suite d'un pèlerinage qu'il fit au tombeau de l'ancien Evêque d'Hippone, dans cette ville, en mars 1842, avait obtenu du Souverain Pontife, Grégoire XVIII, qu'une partie des reliques de l'ancien Evêque d'Hippone serait ramenée en terre africaine.

Le 30 octobre suivant, au milieu de fêtes magnifiques, Monseigneur Dupuch, qui depuis Pavie, accompagnait le convoi sacré, recevait, au nom de son Diocèse, le cubitus du bras droit de Saint Augustin que la Corvette à vapeur " Gassendi ", escortée du bateau à vapeur " Tenare ", avait transporté jusqu'à Bône.
Six Evêques de France, ainsi que de nombreux prêtres au nombre desquels figurait l'Abbé Sibour, futur Archevêque de Paris, qui devait périr en 1857, assassiné par un prêtre interdit dans l'Eglise parisienne de Notre-Dame-du-Mont, faisaient également partie du Saint cortège.

C'est à l'occasion de ce transfèrement que l'Evêque d'Alger, conçut le projet d'élever une Eglise à la mémoire du Saint Evêque d'Hippone sur le sommet de cette colline où l'on pensait alors qu'il avait eu son monastère, erreur qui subsista jusqu'au moment où les fouilles entreprises par la Direction des Antiquités du Gouvernement général, révélèrent que la Basilique de la Paix, dans laquelle avait réellement vécu, par le corps et l'esprit l'illustre Berbère, se trouvait au contraire, au pied de la colline.

L'Evêque d'Hippone n'avait dû gravir que bien rarement les pentes de ce " Mamelon vert, entre deux montagnes inclinant sur la gauche " qu'entrevit de loin, de son bateau en rade de Bône, Gustave Flaubert, qui le nota dans son " Voyage à Carthage, le 22 avril 1858 ", que pour s'isoler et s'inspirer en face du spectacle grandiose, qui, du sommet, s'offrait à ses yeux.

Le Monastère de Saint Augustin ne pouvait être sur la Colline déjà occupée quand Hippone devint chrétienne, et c'est bien dommage.

Ce Monastère dominant la plaine et la mer immobile, sur laquelle, chaque matin, le soleil se levait triomphalement, tandis que la haute chaîne de l'Edough, à l'opposé, masquait le soir, la tristesse de son déclin, c'eût été la demeure idéale pour le grand Docteur de l'Eglise qui ne cessait d'admirer la grandeur et la beauté de l'œuvre de Dieu, et qui puisait dans le spectacle de la nature, toutes les inspirations et toutes les exaltations de l'âme vers la Bonté et la Charité.

L'Académicien, Louis Bertrand, dans son " Saint Augustin ", a décrit, en des pages admirables, ces lieux qu'illustra la présence du savant Evêque.
Ecoutons Louis Bertrand :

" Parmi les ruines d'Hippone, vieille Cité Romaine et Phénicienne, on cherche, sans grand espoir de le " retrouver jamais, l'emplacement du Monastère d'Augustin.
" On voudrait le voir sur cette colline où se déversait autrefois, dans des citernes colossales, l'eau amenée par un aqueduc, des montagnes prochaines, et où se dresse aujourd'hui, une Basilique toute neuve qui, de la haute mer attire les regards.

" Derrière la Basilique, un Couvent, où les Petites Sœurs des Pauvres entretiennent une centaine de vieillards.

" Ainsi se perpétue, au milieu des Africains Musulmans, le souvenir du Grand Marabout Chrétien.

" On aurait peut-être souhaité, là, un édifice d'un goût plus purement et plus sobrement antique. Mais, en somme, la Piété de l'intention suffit.

" Cet hospice convient parfaitement pour évoquer la mémoire de l'illustre Evêque qui ne fut que Charité. Quant à la Basilique, l'Afrique a fait tout ce qu'elle a pu afin de la rendre digne de Lui.

" Elle lui a donné ses marbres les Plus précieux et, pour l'encadrer, un de ses plus beaux paysages ".

Si l'idée de la construction de la Basilique revient à Monseigneur Dupuch, le mérite de sa réalisation appartient tout entier à cet autre grand Prélat, le Cardinal Lavigerie, Primat d'Afrique, qui a évangélisé les populations Nord-Africaines, et dont l'œuvre, à la fois Chrétienne et française, a été si utile à la cause de la civilisation de ce Pays.

Quarante ans après le vœu qu'avait fait Monseigneur Dupuch sur le " Gassendi " portant les reliques sacrées, le Grand Cardinal procédait, le 9 octobre 1881, à la consécration épiscopale et à la Pose de la Première pierre, bénie par Monseigneur Combes, Evêque de Constantine, de la future Basilique. Et, cinq années Plus tard, après l'achèvement de la Crypte, la première Sainte Messe pouvait être célébrée, le 15 mai 1886, dans la Basilique de Saint Augustin.

En 1892, alors que l'édifice n'était pas terminé, la coupole manquant encore, une grande cérémonie y fut célébrée pour commémorer le cinquantenaire de la translation de la Cathédrale de Pavie dans la Première église de Bône, de l'ulnaire droit du Saint Evêque d'Hippone.

Le 29 mars 1909, enfin, la Basilique, complètement achevée, était consacrée malgré un ouragan formidable, en présence d'une foule innombrable, de Prêtres et de fidèles venus de toutes parts de France et de l'étranger, sur des navires spécialement affrêtés, portant une grande Croix latine, dressée à leur proue, pour participer à ce pieux pèlerinage dont la prestigieuse ampleur n'a jamais été égalée depuis, pas même par les cérémonies pourtant imposantes et grandioses, qui eurent lieu en 1930, à l'occasion du quinzième centenaire de la mort de l'héroïque prélat terrassé par la fatigue et la maladie en défendant sa ville et son Dieu contre les Vandales.

La Basilique se dresse, avec une indiscutable majesté, dans le cadre le plus harmonieux qui se pouvait concevoir, face au Levant, comme il sied en ce pays.

Son style arabo-bizantin, qui la fait ressembler, comme une sœur, à l'Eglise de Carthage, traduit parfaitement l'intention profonde du Cardinal des Missions d'Afrique, qui l'avait dessinée et avait suivi lui-même, l'exécution des travaux qu'il avait confiée à un entrepreneur b5nois, M. Barthélémy Rossy.

Ainsi, tout, dans ce monument superbe, est de provenance strictement algérienne et locale : l'inspiration, la matière et l'exécution.

Tous les matériaux qui ont servi à la construction ont été tirés du sol algérien.

Les marbres, et tout particulièrement ceux de la magnifique Chaire, proviennent des carrières de Guelma et d'Aïn-Smara près de Constantine. Ils sont tous d'une rare finesse de grain et d'une richesse de tons et de nuances tout à fait imprévue.

La Chaire, par la qualité, la variété et les couleurs des marbres qui la composent est une pure merveille et par le travail et le soin que leur assemblage a nécessités, un véritable chef-d'œuvre d'art et de goût.

Intérieur de la basilique d'Hippone

Mais Louis Bertrand poursuit :
" C'est le soir surtout, au moment du crépuscule, que le paysage prend toute sa valeur et tout son charme signifiant.
" Les rougeurs du coucher découpent le profil noir des montagnes, qui dominent la vallée de la Seybouse : glacée de reflets, la rivière pâle descend avec lenteur " vers la mer.

" Le golfe, immensément, resplendit, pareil à une plaque de sel étrangement rosée. Dans cette atmosphère sans vapeur, la netteté des rivages, l'immobilité figée des lignes ont quelque chose de saisissant. C'est comme un aspect inconnu et virginal de la Planète. Puis, les constellations s'allument avec un éclat, une matérialité hallucinantes.

" Le Chariot couché au bord de l'Edough semble un chariot d'or en marche à travers les vallons du Ciel.
" Une paix profonde enveloppe la campagne agricole et pastorale d'où montent par intervalles les aboiements des chiens de garde ".

Il y eut sans doute, il y a quinze siècles, des soirs aussi calmes, aussi paisibles.

Et l'on évoque aisément l'Evêque d'Hippone, venant là, sur cette colline inspirée, à la fin du jour, contempler ce paysage d'une douceur infinie et répéter ce qu'il avait déjà dit à Thagaste, où il était né, lorsque le matin, ses yeux s'ouvrant à la lumière, il voyait les pins de la forêt : " Mon Dieu donne moi la grâce de demeurer ici, sous ces ombrages de paix, en attendant ceux de ton Paradis ".
Cette grâce, Dieu la lui a donnée.

Saint-Augustin, en effet, mourut en défendant Hippone contre les Vandales, le 5 des calendes de septembre, en l'année 430, à l'âge de 76 ans.

Trois siècles plus tard, son corps fut transporté à Milan, dans la Cathédrale où il avait à l'âge de 33 ans, reçut le baptême des mains de Saint-Ambroise.

Louis Bertrand achève
" Mais on peut le placer n'importe où, aux environs d'Hippone, ce Monastère d'Augustin. Partout, la vue est aussi belle.

" De tous les points de la plaine, gonflée par l'amas des ruines, on aperçoit la mer : un large baie arrondie en courbes molles et suaves, comme celle de Naples.

" Tout autour un cirque de montagnes : les étages verdoyants de l'Edough aux pentes forestières. Le long des chemins en corniche, de grands pins sonores, où passe la plainte éolienne du vent marin. Azur de la mer, azur du Ciel, nobles feuillages italiques, c'est un paysage Lamartinien sous un soleil plus brillant.

" La gaieté des matins y est un rafraîchissement pour le cœur et les yeux, lorsque la lumière naissante rit sur les coupoles peintes des maisons, et que des voiles.

" d'ombre bleue flottent entre les murs, éclatants de blancheur des ruelles montantes ".

Les anciens habitants de Bône, insensibles, ou indifférents au Passé d'Hippone, quelque prestigieux que fut son renom dans l'Antiquité, ne se soucièrent Jamais des ruines de la grande Cité Numidienne.

Que pouvait-il d'ailleurs rester de la Métropole Chrétienne de Saint Augustin ?

Les Vandales, après la mort de celui-ci, les infidèles et les hérétiques, ensuite, qui occupaient la région pendant de longs siècles, avaient dû, pensaient-ils, anéantir tout ce qui pouvait rappeler la Ville qu'avait illustrée l'Immortel Auteur de " Confessions " et de " La Cité de Dieu".

Les vents d'Est qui poussent inlassablement les flots méditerranéens à l'assaut du rivage, la Seybouse, que ses fréquentes crues avaient amenée dans un nouveau lit plus rapproché d'Hippone, la Boudjimah, enfin, mêlant ses eaux à celles du Lac Fetzara, débordant, tout autour du mamelon, semblaient avoir parachevé l'œuvre de destruction des barbares.

Et l'on ne songeait presque plus à l'ancienne splendeur de la Grande Cité romaine disparue.

Le culte du souvenir du Grand apôtre berbère allait suffire aux Bônois, fiers du passé chrétien de leur ville.

Mais, après la première guerre mondiale, des travaux entrepris pour la construction de bâtiments industriels des usines Borgeaud dans le voisinage de la petite gare, construite depuis, et appelée Hippone, mirent au jour de nombreux et intéressants vestiges de la Ville de Saint Augustin.

Le Gouvernement général prit alors de sévères mesures de protection pour qu'aucune atteinte nouvelle ne puisse plus être portée à la pauvre Cité martyre endormie depuis tant de siècles, dans son suaire de sable et de poussière.

Un arrêté gubernatorial établit dans ces parages, une zone " non edificandi " et des fouilles sérieuses furent entreprises.
Elle se poursuivent très activement sous la savante et précieuse direction de M. Erwan Marec, et les petits domaines particuliers qui couvrent la superficie autrefois occupée par Hippone et non encore occupée par l'industrie, ont été expropriés et seront progressivement explorés.

Déjà, vers 1908, la Ville de Bône, devançant les initiatives officielles, avait acquis la propriété Chevillot, afin de protéger les ruines et les mosaïques enfouies sous ses jardins mais cette propriété ne couvrait qu'à peine un hectare.