REVUE DE PRESSE
Le journal "La
Seybouse - journal de Bône" relate dans son numéro 1 (25è année) du 4
Janvier 1868 un fait-divers particulièrement dramatique : le naufrage du canot
de sauvetage. Le 4 décembre 1867, le canot
affrété par la Société de Sauvetage de Bône coulait, entraînant dans la mort
cinq de ses occupants. Les circonstances du naufrage ne sont pas relatées, on
apprend seulement qu'on recueillit les naufragés du côté de la Mafrag, c'est-à-dire
à l'embouchure de l'oued du même nom, située à plus de 15 Kms à l'Est de Bône, sur
cette longue côte sablonneuse qui forme le fond du golfe. On imagine l'émoi que causa la
nouvelle parmi la population. La collectivité fit face immédiatement
à la catastrophe. On dépêcha des sauveteurs sur les lieux du naufrage pour
ramener les survivants, on construisit un abri pour le bateau passablement
endommagé, puis on fit appel à la charité publique pour mettre à l'abri du besoin
les familles des victimes. Le curé assura gratuitement le
service funèbre. La Société de Sauvetage décida d'intervenir
auprès des pouvoirs publics pour que soient réglées au plus vite les pensions
de retraite aux veuves de ceux des naufragés qui appartenaient à
l'administration. Elle sollicita des récompenses honorifiques pour les survivants
de l'équipage. La Commune décida d'abandonner
gracieusement le terrain où étaient enterrés les corps des marins décédés, et de
faire ériger par ses soins un monument en témoignage de la reconnaissance
publique. Une quête, organisée par la Société
de Sauvetage, rapporta 479,25 F, une représentation théâtrale 1.068,15 F, et
une souscription ouverte chez le patron du bateau (M. Sèbe) 758 F. Par
ailleurs, le Commandant de la Province envoya un mandat de 1.000 F, le Préfet
500 F, l'évêque de Constantine 100 F, la Société de Sauvetage de Philippeville
200 F et la Loge Maçonnique de Bône 100 F Soit en tout 4.205,40 F Les numéros 6 et 13 de "La
Seybouse" feront état, en février et mars, de nouvelles souscriptions. Cinq sauveteurs étaient décédés
dans ce naufrage : - Le sieur Porcella, Maître du Port, laissant une veuve de 50
ans et une fille de 22 ans. - Le sieur Provenzali,
garde de santé, qui laissait une femme de 31 ans et un enfant de 27 mois. Le Département prit en charge, pendant un
an, les frais d'entretien de l'enfant. - Le sieur Carré, - Le sieur Siberchicot, - Le sieur Cauchi . Le dévouement et l'abnégation du
patron, M. Sèbe, et des 6 marins rescapés furent au-dessus de tout éloge. Puis vint l'heure de poser une
question : les dépenses seraient-elles prélevées sur le montant de la
souscription ou sur la caisse de la Société de Sauvetage ? Dans sa réunion du 27 décembre 1867,
le Conseil de la Société décida de mettre à sa charge : - le transport à la Mafrag de deux voitures pour recueillir
les naufragés……….. 40 F - trois bouteilles de Cognac……………………………………………………... 12 F - la nourriture des matelots envoyés pour ramener le canot……………………..
4,50 F - les frais pour ramener le canot………………………………………………… 60 F soit 116,50 F. Seraient prélevés sur les sommes
recueillies, les frais d'affiche, ceux de la représentation théâtrale, et la
valeur des effets perdus par les sauveteurs. Le Conseil décida aussi qu'une
gratification de 50 F sera allouée à chacun des 6 matelots rescapés ainsi que la
prise en compte des frais de médecin et de médicaments. Le reliquat, soit 3.600 F, fut
réparti proportionnellement entre les familles des défunts, au prorata de leur
salaire. Ces salaires, quels étaient-ils ? - Porcella touchait 1800 F par an. - Provenzali 840 F. - Carré 828 F ; sur cette somme il
avait délégué 320 F à ses parents âgés restés en France. - Siberchicot, également 828 F; il
envoyait 144 F à ses parents en France. - Cauchi environ 840 F. La situation du sous-officier
Porcella qui était à la veille d'être décoré de la Croix d'Honneur et de partir
à la retraite, mérita une attention particulière : des démarches furent
envisagées pour accorder à sa veuve un bureau de tabac. Le drame provoqua donc un bel élan
de solidarité et les résultats des différentes collectes témoignent que les
bônois ne furent pas en reste de générosité. Il est vrai que l'événement était
exceptionnel : un naufrage à Bône ! et quel naufrage ! celui du bateau de
sauvetage ! Comment imaginer situation plus
dramatique ! Certains, poussant le goût du
tragique au-delà des limites permises, en ont peut-être ressenti une sorte de
fierté macabre, sûrs de ne pouvoir être dépassés dans l'horreur. D'autres aussi - méprisables
calomniateurs - ne voulant pas laisser passer une si belle occasion de se
moquer de notre chère ville et de ses habitants, purent sans doute verser dans
l'abjection jusqu'à ironiser sur l'événement : "quand il y a un naufrage à
Bône, c'est le bateau de sauvetage qui coule !" Par son caractère particulièrement
tragique, ce drame ne permet aucune réflexion déplacée, et nous n'en tolérerons
aucune, pas plus, d'ailleurs, que nous n'en acceptons sur le comportement des
bônois en général : de personne, et encore moins des Varois. Pourquoi des Varois ? Parce qu'en continuant ma revue de
presse, je lis, toujours dans "La
Seybouse - journal de Bône" (n° 643 du jeudi 31 décembre 1857 page 3) "Le Maire d'un chef-lieu de
canton du Var a pris, à la date du 14 novembre dernier, l'arrêté suivant: MAIRIE
DE *** Avis aux sapeurs-pompiers "Par le présent avis, qui
recevra son application à compter de demain, 15 novembre 1857, il est ordonné
aux sapeurs-pompiers de la ville de visiter les pompes la veille de chaque incendie. Le Garde-Champêtre de la Commune
est spécialement chargé de l'exécution du présent. "Fait à ***, en l'Hôtel de Ville, le 14 novembre
1857. Signé ***, maire C'est pour cela que, depuis cette
date, les habitants du patelin (que je ne nommerai pas !) sont en émoi chaque
fois qu'ils voient les pompiers astiquer leur matériel : laquelle de leurs maisons
va donc brûler le lendemain ! Alors, le premier qui rigole de
nous-autres, en-ten-tion ! Comme le disait une vieille chanson bônoise :
"Diou fakouss si je le rencontre, j'y donne dans l'estomac !" |