(ACEP-ENSEMBLE N° 229, Octobre 2001, pages 23 à 29)
Page 7

LES CONVOIS DE 1848 POUR LE CONSTANTINOIS

Publié avec l'aimable autorisation
de Emile et Simone Martin-Larras.
Le 16e convoi à destination de Millésimo

La fin de l'année est proche et la République, nouvellement promulguée et installée, va se révéler de moins en moins favorable à la colonisation ouvrière.
Il est vrai que son probable Président (il sera élu le 10 décembre !) n'est autre que le futur Napoléon III, opposé au peuplement européen de l'Algérie sous la forme d'une plus "grande France" mais plutôt entiché de la création d'un utopique " Royaume Arabe", dont il serait, dans ses rêves impériaux, le " Grand Frère " !

Il est vrai aussi que le Gouvernement provisoire de la 2ème République soucieux, avant tout, de compléter ses infâmes transportations, consécutives à l'insurrection de Juin 48, par des " volontariats "( ?) pour l'Algérie de trop ardents républicains, n'imaginait pas la foule des candi-dats à l'exil; un examen des listes déposées dans les mairies de la capitale et, surtout, également en province révèle en fait une éventuelle émigration possible d'une centaine de milliers d'individus, chiffre donc bien supérieur aux 12 000 colons prévus sur le budget de 48 !
Les finances de l'Etat ne permettent pas une telle opération qui serait également une véritable hémorragie tant pour la paysannerie que pour l'industrie de la Métropole. Qu'eût été l'avenir de l'Algérie... et de la France, si celle-ci avait pris le risque, néanmoins, de s'efforcer de poursuivre cette "colonisation ouvrière" ?
Bref il est décidé un dernier convoi pour l'année 48 avec l'argument, d'ailleurs valable, que seul l’automne est propice à de tels déplacements de population, l'hiver étant trop rude pour le voyage et le printemps et la période estivale trop dangereux pour une installation en Afrique.
Nous allons donc assister au ballet habituel de la correspondance entre la Commission et les mairies de la capitale pour organiser ce dernier départ, mais avec le souci d'un ultime voyage !
Nous remarquerons que la province est toujours écartée des admissions !

Commission des Colonies agricoles de l'Algérie
Place du Carrousel, Galerie neuve des Tuileries, à côté du Guichet de l'Echelle REPUBLIQUE FRANCAISE
EGALITE - LIBERTE - FRATERNITE

Paris, le 3 Décembre 1848
Monsieur le Maire,
Le Même convoi et dernier qui devait partir le jeudi 7 partira définitivement le dimanche prochain à 8 heures du matin.
Veuillez en informer les colons qui ont dû recevoir leur carte de départ à la date du 7.
Salutations empressées.
Le Secrétaire de la Commission. A. de CAILLE A Monsieur le maire du l0ème arrondissement

Le Moniteur Universel du lundi 11 décembre va donc rendre compte du départ des colons
Un si grand nombre de familles nécessiteuses s'était depuis longtemps inscrit, et éprouvait un si profond chagrin de ne pouvoir partir cette année, que le Gouvernement s'est décidé à accorder aux voeux de la commission un seizième et dernier convoi.
Le plus beau soleil éclairait une réunion immense qui se pressait sur les quais et sur le port. La foule était si considérable que les adieux se sont faits avec moins d'ordre qu'aux convois précédents. Toutefois il n'est résulté de cette confusion qu'un peu de gêne pour les dames qui se sont trouvées pressées et qui n'ont pu arriver jusqu'au bateau remorqueur. Il ne faut en accuser que la curiosité publique et l'intérêt qui sollicitent de plus en plus la population parisienne à se porter vers le grand et magnifique spectacle du départ des colons. La maison de librairie Renouard continue à chaque convoi la distribution des livres qu'elle met généreusement à la disposition de la colonie.
Le clergé de Saint-Germain-l'Auxerrois, assisté de deux grands vicaires, étant arrivé, toute la commission de l'Algérie réunie autour du drapeau, et les colons se tenant debout sur la toiture de leurs bateaux. M. DUTRONE, membre de la commission et secrétaire de la société française pour l'abolition de l'esclavage, a prononcé le discours suivant :

" Citoyens colons,
En vous éloignant de nous, vous ne vous expatriez pas. Sur l'autre rive de cette Méditerranée, qui bientôt ne sera plus connue que sous le nom de lac français, vous retrouverez la patrie.
Toutefois, un pareil changement de résidence, de climat, de genre de vie effectué par des familles entières, depuis le vieillard débile, jusqu'au nouveau-né plus débile encore, excite au fond des âmes une certaine anxiété. Quoiqu'il en soit, vous partez avec résolution et nous, de notre côté, nous encourageons loyalement votre départ.
D'où vient votre courage, d'où vient votre confiance ? Ils viennent de ce qu'en allant demander à la terre, par le travail, des moyens d'existence, vous obéissez à la première loi proclamée pour régler en ce monde le sort de l'humanité : Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front.
Cette loi de Dieu contient à la fois un ordre et une promesse : l'ordre, c'est qu'il faut travailler: la promesse, c'est que l'on pourra vivre en travaillant. etc ...etc..." Ce discours, plusieurs fois interrompu par des acclamations, a été suivi des cris de Vive la République ! Vive la colonie !

Immédiatement après M. DUTRÔNE, M. TRELAT, président de la commis-sion, s'est exprimé ainsi
" Citoyens
je ne veux vous adresser que peu de mots. Après les paroles que vous venez d'entendre, et que je regarde comme complètes, je n'ai rien à vous dire de vos droits, de vos devoirs, de la grandeur de la mission que vous allez remplir. Sur ce sol que déjà vous venez de quitter, et que nous nous pressions aujourd'hui pour la seizième fois sous le regard de cette immense députation de la population parisienne, sur ce quai de l'Algérie où nous retrouvons les mêmes impressions, et tout aussi profondes que le premier jour; ce n'est plus à moi d'éveiller dans vos âmes des sentiments qui y sont trop pleinement consacrés à la famille et à la patrie pour qu'ils puissent jamais s'y effacer et s'y affaiblir. Vous savez pour quelle œuvre vous avez été choisis: vous sentez au fond de vous-mêmes que vous saurez en être dignes. etc.... etc... "
et termine ainsi
" Allez donc, frères bien-aimés en Jésus-Christ, allez sous la protection de Dieu soyez-lui toujours fidèles, et, à ce prix, emportez avec vous de sérieuses et rassurantes espérances. "
Une collecte pour les colons nécessiteux (103 F 15cts) est remise au commandant pour sa distribution.
Il est finalement onze heures lorsque les chalands remorqués par le Neptune prennent la direction de la Haute Seine ; sur le remorqueur a pris place également le Chœur des Orphéonistes, le départ a lieu malgré la préoccupation de l'élection du président.
La direction du convoi est confiée à M. POTTIER DE MAIZERAY, capitaine au 29ème de ligne ; à bord on signale la présence, d'un jeune prodige, sourd-muet et fort mathématicien qui connaît 15 langues mortes et vivantes !
L'effectif du convoi est de 841 personnes.

Le passage à Melun est enregistré comme à l'habitude par le responsable de la navigation
Melun le 12 Décembre 1848 Monsieur le Préfet,
J'ai l'honneur de vous informer que le 16ème convoi transportant les colons de l'Algérie est arrivé hier, 11 courant à Melun, à 10 heure du matin, avec un nombre de 6 toues et un margotat et se trouvant sous la conduite de M. DE MAIZERAY, capitaine au 29ème de ligne.
Le nombre de passager était de 839, répartis sur 5 toues, la 6ème et le margotat, était chargée de bagages.
Le trait à son arrivée à Melun était hâlé par 19 chevaux et la remonte s'est faite au pont à 11 heures et avec un nombre de 26 chevaux.
J'ai l'honneur d'être très respectueusement, Monsieur le Préfet Votre très humble
Et très obéissant serviteur.
Le Chef de Pont de la Navigation VERAIN i

A Monsieur le Préfet de Seine et Marne, à Melun
- Le 13/12, le Capitaine de MAIZERAY remet à BRIARE, à la gendarmerie, le colon GRAFFET, ivrogne incorrigible et dangereux: il ira à pied à Marseille et sera à son arrivée en Algérie dirigé sur Millesimo.
- D'après le Moniteur Universel du jeudi 28/12
" Le village fondé à Bou-Fatis, subdivision d'Oran, prendra le nom de Saint-Louis. Le village créé à Masera, subdivision de Mostaganem, prendra le nom d'Aboukir. Le village créé à Bled-Ahmed-Cherif, près de Guelma, prendra le nom de Millesimo".

Jusqu'à Marseille, le voyage sera pénible dû au froid et au manque de sollici-tude à Lyon, attitude qui se poursuit dans la capitale phocéenne.
A Valence un voleur, MAYNARD (ou MAGNARD ?), est remis à la gendarmerie.
On a craint qu'il n'y ait pas assez d'eau sur le Rhône pour les bateaux à vapeur et d'avoir à recourir aux bateaux à voiles en basses eaux.
- Le Moniteur Universel du dimanche 14/01/49, nous apprend du "Toulonnais", du 5/01( ?) que " La frégate à vapeur le "Montezuma " est arrivée hier de Bône où elle a transporté un convoi de colons parisiens ".
Nous pouvons donc situer l'arrivée du Même convoi à Marseille vers le 26/12
- Le Moniteur Universel du vendredi 19/01/49, reprend l'article du " Moniteur Algérien ", du 10
Le seizième convoi d'émigrants est arrivé à Bône le 30/12 dernier à 9 h du matin. Ce convoi qui représente une population de 225 concessionnaires, se compose de 574 hommes et femmes, 234 enfants au-dessous de 12 ans et 32 enfants au dessous de 2 ans. Le débarquement s'est fait avec facilité : les colons ont été placés dans les casernes, où tout avait été préparé pour les recevoir.

L’insuffisance du matériel de transport, dont une partie était employée au transport des matériaux, n'a pas permis le débarquement immédiat des bagages. Le personnel même n'a été dirigé que successivement de Bonne sur Guelma. Les colons seront répartis en deux centres, sur le territoire auquel on a donné le nom de Millesimo. On est content de leur docilité et de la reconnaissance qu'ils témoignent pour les soins dont ils sont l'objet.

La situation des colonies antérieurement fondées est satisfaisante. A Robertville, 110 familles sont logées dans les baraques, et déjà un certain nombre de maisons définitives ont leurs maçonneries commencées : 509 sacs de blé et 166 d'orge ont été semés. Les colons ont mis eux-mêmes en terre les pommes de terre qui leur ont été distribuées. Gastonville achève ses baraquements. Les terres sont ensemencées; les colons font leurs défrichements et ont aussi semé leurs pommes de terre. Jemmapes a été retardé par le manque de moyens de transport. Les colons y ont été dirigés par petites troupes et à dos de mulets. Les 11 ème et 14ème convois sont complètement installés dans les centres de Mondovi, Héliopolis et Guelma. Les baraquements sont à peu près terminés sur tous ces points. On manque de renseignements précis sur les cultures. L'état sanitaire est satisfaisant.

Quelques lettres de colons vont nous conter leur installation en Afrique

De VERNIERE Claude - N° 5133 - Millesimo
28 février 1849, près de Guelma ,-
GABARUS se joint à moi pour vous souhaiter le bon jour et vous assurer que nous sommes très bien satisfaits de notre voyage et de la situation de notre voyage et de la situation de notre résidence. Notre colonie est une des mieux située ; le terrain est de très bonne qualité, nous avons de bien bons chefs, nous ne sommes plus sous les huttes depuis huit jours, et on s'occupe en ce moment très activement de la construction des maisons définitives. La nourriture est passablement bonne, et généralement tout le monde se trouve très content et pour mon compte, je me trouve très heureux grâce à la bonté que vous avez eue car sans vous je serais encore sur le pavé de Paris à végéter et sans ouvrage ; tandis que dans notre colonie, nous en aurons plus qu'on en peut faire. Voilà! comme on s'arrange : une partie de la semaine est employée aux travaux du Génie, et l'autre aux travaux de défrichements de nos jardins. Comme les travaux du Génie nous sont payés, cela fait qu'on peut encore se donner quelques petites améliorations tant en nourriture et autres objets utiles, mais il faut travailler ; c'est vous dire que les fainéants n'y seraient pas heureux. Nous avons jusqu'à présent très peu de malades.

Et de DURAND Nicolas - N° 5233 -Millesimo Employé au Génie
21 mars 1849 à M. TRELAT, Président
Etant arrivé à notre destination sains et saufs, tous bien portants, étant contents de la contrée dans laquelle nous sommes installés, tous contents de notre Directeur qui s'occupe spécialement du bien être des colons. Nous sommes logés dans des baraques en bois, couvertes en tuiles, chaque famille séparément; du reste nous ne manquons de rien, et je pense qu'on ne nous abandonnera pas d'après les travaux que nous sommes en train de faire; nous nous encourageons les uns les autres. Pour nos cultures de nos jardins qui sont déjà très avancées, le terrain est d'un plein rapport. Nous sommes dans une contrée très fertile, entourée d'eau et de forêts, l'air y est tempéré, quoique au Nord de l'Afrique, les nuits sont très fraîches, nous sommes dans une belle plaine éloignée de quelques hautes montagnes, mais dans un vallon délicieux. Nous espérons par notre courage et notre activité au travail arriver à faire une France nouvelle. Nos nouvelles maisons vont être poussées avec activité, et déjà on nous construit une Eglise, maison de secours, hospice ; notre petite Eglise vient d'être bénie par le Grand Vicaire Général de l’Evêque d'Alger. Nous sommes en marché pour construire un petit théâtre pour la colonie. Vous voyez Messieurs que nous ne voulons pas engendrer de mélancolie mais dissiper les chagrins d'avoir quitté notre Mère Patrie. Nos petits enfants ont un Pasteur pour les diriger dans le bon chemin. Enfin, Messieurs, vous voyez que tout est en bonne voie, que l’espérance renaît tous les jours chez nous. Nos légumes poussent, les terrains que l'on nous donne sont ensemencés, qu'avons-nous de plus à demander. Bons Directeurs, bonne administration, tout est en marché de prospérité.

Bien qu'officiellement le 16ème convoi soit annoncé comme le dernier prévu pour 1848, les entrepreneurs n'imaginent pas que cette opération ne se pour-suive pas en 1849, etc... mais mieux organisée.

Fort de l'expérience acquise, JOUVELLIER-GAUDRY, entrepreneur des transports des colons écrit :
- le quai Saint-Bernard est occupé par les vins: il faut dégager un emplacement pour 6 bateaux au quai de file Louviers en amont de la passerelle (île Saint--Louis) ;
- il faut prévoir un bateau embarcadère pour faciliter le passage sur le bateau à vapeur. Il réclame encore un emplacement près de la 1ère arche (rive droite) du Pont d'Austerlitz pour recevoir quatre bateaux en amont et deux sous l'arche elle--même pour y établir les ateliers de menuiserie et de charpentage.
Il réclame en outre que tout le bois et les approvisionnements nécessaires à l’établissement des bateaux soient reçus par l'octroi en passe-partout.
JOUVELLIER et GAUDRY travaillent avec DARRIEUX de l'Administration de la Guerre et LECAUCHOIS, adjoint à l'intendance.
Ce dernier réclame, quant à lui, pour l'embarquement des passagers des convois et la surveillance des bagages
- 4 sergents-majors, 20 vétérans, 25 hommes de ligne, 100 de plus le jour du départ, 4 guides pour le service d'ordonnance.
Enfin les denrées et vins chargés doivent circuler en franchise.

--------------------

Les lecteurs nous écrivent
Suite au 11e Convoi (revue 227)

Abonné à votre intéressante revue, j'ai particulièrement été intéressé par l'article sur le 11éme convoi à destination de Mondovi, paru dans le n° 227.

En effet, je suis un descendant d'une passagère de ce convoi, passagère qui devint par la suite mon arrière-grand-mère maternelle.
Elle se nommait CONNAY Célestine, Anne, et était native de NEUVY EN DUNOIS, dans l'Eure et Loir.

Mariée à PERRIER Alphonse, peintre sur porcelaine, ils furent candidats au départ en Algérie comme concessionnaires-cultivateurs du 10éme arrondissement de Paris. Lors du départ il avait 28 ans, elle 32 et n'avaient pas d'enfants. Ils furent affectés au Centre de Mondovi le Haut ou Centre de Mondovi N° 2, qui devint Barral par la suite.

PERRIER Alphonse mourut à Mondovi le Haut le 19 mars 1850 à 16 heures. Son épouse mit au monde des jumelles, Henriette et Alphonsine, le 20 août 1850 à 17 heures. Ces enfants ne vécurent que quelques heures ; elles décédèrent le même jour, Henriette à 22 heures, Alphonsine à 23 heures.
Leur mère se remaria le 24 mai 1852 avec Pierre Jean-Marie LAVIOLETTE, mon arrière-grand-père maternel.

Pour la petite histoire, le décès de PERRIER Alphonse fut enregistré par Pierre, Emile LOUIS, Sous-Lieutenant au 43e de Ligne, Directeur de la Commune de Mondovi le Haut (Acte n° 2 de cette commune).
Les actes de naissance et de décès des jumelles ont été établis par Charles, Louis, Gabriel, Guillaume de PRIES, Lieutenant au 43e de Ligne, Directeur de la Commune de Mondovi le Haut.

Quant au mariage de CONNAY Célestine, Anne avec mon grand-père maternel LAVIOLETTE Pierre, Jean-Marie, il fut célébré à Barral (ex Mondovi le Haut), fut enregistré à l'état civil de cette commune sous le n° 1 par Maximilien, Symphorien, Léonce DUPEYRE, Lieutenant au 10e Régiment d'Infanterie de Ligne, Directeur de la commune de Barral.

J'ajoute que je dois ces renseignements en partie à M. WARION, qui m'avait envoyé, il y a plusieurs années, une photocopie de la feuille de route du 11éme Convoi. Qu'il en soit ici à nouveau remercié.

Paul HÉLIX

CONVOIS ---- PAGE 6 --- PAGE 8

Page Précédente RETOUR Page Suivante