Le 14e Convoi à destination d'Héliopolis
Le Moniteur Universel du Lundi 27/11 relate, comme à l'habitude, le départ de ce convoi pour l'Algérie
14e départ des colons de l'Algérie
"Aujourd'hui, dimanche, quoique la pluie tom-bât à flots, une foule aussi nombreuse qu'aux départs précédents se pressait sur le quai de l'île Saint-Louis, et sur le port. A neuf heures et demie, la commission, le clergé de Saint-Étienne-du-Mont, plusieurs représentants, des maires et des adjoints des municipalités de Paris et un grand nombre de dames, se sont réunis autour du drapeau. L'Orphéon, dirigé par M. Hubert,
était venu assister à ce départ et a fait entendre la Marche Républicaine, dont le refrain Vive la République ! a servi d'entrée en matière à l'orateur, M. Henri Didier, représentant du peuple et membre de la commission des colonies de l'Algérie : "Oui, citoyens, vive à jamais la République, ce gouvernement de la fraternité qui place au premier rang de ses devoirs d'assurer à tous les citoyens l'existence par le travail.
La monarchie, pour venir au secours de ceux qui souffrent, n'a jamais rien su imaginer de mieux que l'aumône, l'aumône qui encourage la paresse et qui abaisse les âmes ; la République, sortie des barricades de Février, a compris que son œuvre à elle était de chercher un remède à toutes les plaies de notre vieille société dans le travail. Elle a porté ses regards vers les terres fertiles de l'Algérie, qui pendant si longtemps, sont restées infécondes et inutiles dans les mains du Gouvernement ; et, après avoir inscrit dans la constitution le devoir pour l'Etat de procurer du travail à tous ceux qui en manquent au milieu de nous, elle a solennellement déclaré le territoire de l'Algérie territoire français et elle livre ce territoire à votre courage et à votre énergie.
Partez donc, citoyens avec confiance et avec résolution. Vous trouverez là-bas des sources inépuisables de bien-être et de richesses pour vous, pour vos femmes, pour vos enfants et vous saurez les utiliser. C'est le voue de toute cette population, de tous ces travailleurs qui vous entourent et qui, du haut de ces quais vous couvrent de leurs bénédictions ; pour nous, pour moi, c'est une certitude, car, je le sais, vous êtes les dignes enfants de cette grande cité, foyer des grandes pensées et des généreux instincts, de la véritable démocratie, car vous portez en vous le sentiment élevé des devoirs que vous avez à remplir envers la patrie, envers vous-mêmes, et envers tous ceux de vos frères que les malheurs du temps éprouvent aujourd'hui et cruellement.
Songez-y, citoyens, des milliers de travailleurs ont les yeux sur vous : ils vous accompagnent de leurs espérances et, attendant que leur tour vienne de mettre aussi la main à la colonisation de l’Algérie, à cette grande œuvre qui sera la gloire de la République, ils font les voeux les plus ardents pour que vos efforts et votre persévérance dans le travail vous amènent promptement et sûrement au but. Le bien-être que vous saurez acquérir sera pour eux une garantie de bien-être auquel ils seront eux-mêmes appelés et vous leur devez à eux comme vous vous devez à vous et à vos familles, d'y employer tout ce qu'il y a en vous de force et d'énergie."
Après ce discours, plusieurs fois interrompu par les cris répétés de : Vive la République ! vive la colonie ! M. Henri Didier a présenté aux colons leur capitaine commandant :
"Voilà votre chef, leur a-t-il dit, il sera pour vous prévoyant et ferme. Soyez dociles et respectueux pour lui, comme vous devez l’être, car c'est au nom de la République et pour vous, dans votre intérêt qu'il est à votre tête".
"Oui ! oui ! nous lui obéirons !" s'est-on écrié de toutes parts.
"La liberté, chez tous les autres peuples, ce n'est que le devoir pour chacun de faire ce qu'il veut et de consacrer à son service particulier sa volonté et des facultés; c'est l'égoïsme abandonné sans frein à toutes ses inspirations. Dans notre République démocratique, la liberté, c'est aussi, sans doute, le devoir d'user de ses facultés comme on l'entend, mais c'est de plus le devoir de concourir de toutes ses forces à l'amélioration du sort de ses concitoyens. Il n'est pas permis en France de ne s'occuper que de soi. Chacun se doit à tous. La fraternité ! aussi le grand mot de ralliement de la République. Vous la pratiquerez, citoyens, sur la terre d'Afrique et vous apprendrez aux Arabes que vous avez la noble mission d'initier aux bienfaits de notre civilisation française. Vous vous créerez ainsi de nouveaux titres à la sollicitude de la patrie qui met en vous ses plus chères espérances.
Je vous remets, au nom de la commission, ce drapeau qui porte, avec le nom du village que vous allez fonder, le symbole de notre République : Liberté, Egalité, Fraternité ! S'il en était besoin, vous sauriez le défendre énergiquement. Mais, Dieu merci, il ne sera pas dans vos mains un drapeau de guerre et il suffira que vous l'honoriez par le travail. Gardez le toutefois avec un amour jaloux et, de notre côté, croyez le bien, si la République qu'il représente était jamais attaquée, si quelque main impie osait se poser sur elle, nous tous qui vous entourons, nous ne manquerions à notre devoir et nous saurions le défendre comme doivent le faire de bons citoyens. Répétons donc ensemble comme nous avons commencé: Vive à jamais la République!"
Le drapeau, portant le nom de la commune d'Héliopolis, a été remis par l’officier qui le tenait à M. Lenud, lieutenant de la 4ème Légion de la légion de la Garde Nationale, décoré pour sa belle conduite dans les journées de Juin.
Immédiatement après la remise du drapeau, M. le curé de Saint-Etienne fa béni, ainsi que les bateaux et a fait entendre des paroles animées du double amour de la religion et de la République.
Nous regrettons de ne pouvoir reproduire cette allocution inspirée par la foi républicaine et que les colons ont saluée de leurs acclamations.
L'Orphéon et la musique militaire avaient déjà pris place sur le bateau remorqueur quand la commission s'y est rendue et ils se sont alternativement fait entendre pendant la marche jusqu'au Port-à-l'Anglais, où le départ du drapeau a, comme de coutume, produit l'attendrissement le plus profond. Nous l'avons déjà dit, mais nous ne saurions trop le répéter, nous ne connaissons rien de plus touchant, rien de plus beau que cet adieu.
Ce convoi, pour la commune d'Héliopolis, est commandé par M. Gendre, capitaine adjudant-major au 24éme Léger et accompagné par M. le docteur Caumont, chirurgien-major du même régiment et par M. Cayrol, officier d'administration. Les chalands rejoindront Chalons, comme à l’accoutumée, sans incident notable et le responsable du passage, des traits tant ascendants que descendants, au pont de Melun rédige le classique rapport :
Melun le 27 Novembre 1848 Monsieur le Préfet,
Le 14ème convoi, transportant les colons de l’Algérie est arrivé à Melun ce matin à 9 heures fi avec un nombre de 7 bateaux, dont 5 transportaient 870 passagers ; les deux autres bateaux étaient chargés de bagages. Ce convoi se trouve sous les ordres de M. Gendre, capitaine commandant.
Le trait était hâlé à son arrivée à Melun par 20 chevaux et la remonte du Pont s'est faite avec un nombre de 28; il n'a stationné que 10 minutes à la Gare et en est reparti à 9 heures 40 minutes.
Aucun incident n'est à signaler.
J'ai l'honneur d'être très respectueusement, Monsieur le Préfet, votre très humble et très obéissant serviteur.
Le Chef de Pont de la Navigation : VERAIN
Le convoi arrive à Lyon le 8/12 à 3 heures du soir et le quitte le lendemain à 9 heures fi.
Le capitaine Gendre se plaint alors, lors du trajet en bateau à vapeur sur le Rhône d'une grande incurie dans la distribution des vivres et de la paille pour le coucher.
L'officier d'administration Cayrol constate également une mauvaise volonté de l'administration des chemins de fer pour le transport des colons d'Arles à Marseille.
Le Moniteur Universel du 14/12, dans ses nouvelles des départements, signale
"On écrit de Marseille, le 10 décembre : ....l’Orénoque, chargé de transporter le quatorzième convoi est arrivé hier soir à trois heures, venant de Toulon".
"On lit dans le Moniteur Algérien : hier 3, la constitution de la République Française a été solennellement promulguée à Alger..."
Enfin le Moniteur du Mardi 19/12 peut annoncer
On écrit de Marseille : le 14ème convoi des colons de l’Algérie est arrivé à Marseille le 13, à 6 h du soir. Il a été embarqué, personnel et bagages, le 14 sur "l'Orénoque", qui a appareillé le 15 à 11 h du matin.
Quelques lettres de colons complètent ce court récit du transport des colons du 14e convoi.
De NOBECOURT Louis Augustin (Désiré ?) - N° 4562 - Héliopolis. 15 Février
Nous avons nos jardins ; pour moi et ma femme, j'ai 45 mètres de long sur 55 mètres de large. La terre d'Afrique est très fertile, avant 15 jours nous avons des colons qui vont manger de leurs légumes. Bientôt, nous aurons les champs qui nous reviennent. Le Gouvernement n'a rien négligé pour nous : les champs ont été ensemencés par les Arabes afin que nous ayons une récolte cette année. Nous avons travaillé les uns aux routes, les autres à divers travaux. Tous en général sont contents ; nous le serions éga-lement si nous avions pu décider nos parents à venir avec nous. Nous avons pour nourriture 1 L. fi de pain chacun ; 1 L. de viande pour 2 jours, du riz, du café, des haricots et du vin. En un mot, nous ne pourrions nous plaindre sans être injuste .
... La terre n'a besoin que d'être un peu remuée pour produire ; si vous voyez cette végétation en ce moment, qui est le plein coeur de l'hiver à Paris, des prairies magnifiques couvertes de verdure et de marguerites comme au mois de Mai en France. Nous ne manquons point d'eau : car tout autour de nous, nous en possédons et ce qui est mieux en bas de notre village se trouve une source d'eau chaude où les femmes vont laver leur linge. Je craindrais qu'en vous faisant le détail exact de notre position, vous ne me croyez pas ; je m'arrête sur ce point ; prenez donc tout ce que je vous dis pour l'exacte vérité vous l'ayant promis avant de partir.
Signé : Désiré NOBECOURT, place du Caire, 13, à Héliopolis, cercle de Guelma par Bône.
Et de GODIER Pierre - N° 4704 Bis - Guelma 16 Février 1849
Une lettre adressée à M. HAAS, rue Chapon, N° 20
J'ai reçu mon jardin le 8 Janvier, il a 1600 mètres de superficie le long de la route du pays voisin et ce sera un bel emplacement pour bâtir plus tard ; on nous donnera nos maisons plus tard; on est en train de les bâtir. Le partage de nos biens se fera bientôt ainsi que nos bois car il n'en manque pas dans le pays. Nous nous portons tous bien.
Nous achèverons cette présentation du 14éme convoi par un bref examen des registres de filiation que nous avons relevés du ler convoi au 17ème et dernier, en appelant l'attention d'éventuels "chercheurs d'ancêtres" que, si continuellement, il y eut quelques mutations entre les différents centres, surtout d'une même province, les convois à destination du Constantinois vont particulièrement voir un brassage intense des colons, à partir du 10ème convoi, entre les divers points d'installation, non seulement dans la province même, mais également à destination et de l'Algérois et de l'Oranais.
Il y eut un échange très important entre les 10ème et 11ème et seules les listes des effectifs définitifs de Jemmapes et Mondovi permettent de faire le point sur la destinée finale des colons. A partir du Même les mouvements s'accentuent, les colons n'hésitant plus à réclamer de meilleures affectations à leur goût. Enfin, comme nous le verrons plus tard, le 17ème et, vraiment dernier convoi, verra une répartition particulière des concessionnaires du fait de la présence, dans son effectif, de nombreux attardés, etc ...des précédents convois !
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