(ACEP-ENSEMBLE N° 228, Décembre 2001, pages 33 à 39)
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LES CONVOIS DE 1848 POUR LE CONSTANTINOIS Publié avec l'aimable autorisation
de Emile et Simone Martin-Larras. |
LE 17ème CONVOI A DESTINATION
DU CERCLE DE GUELMA
Si le Gouvernement a décidé, fin décembre 1848, que le 16ème convoi serait le dernier à destination de l’Algérie et qu'il serait peu probable qu'une telle expérience soit continuée en 1849, bien que son budget initial total prévu de 50 millions ne soit pas épuisé mais simplement quelque peu dépassé lors de la première année, ce n'est certainement pas du goût ni des candidats en nombre, battant encore le pavé parisien dans une misère atroce, ni du goût des municipalités de la capitale et des grandes cités de province, inquiète de la fermentation permanente insurrectionnelle de la populace: " des volontaires ont vendu longtemps à l'avance leurs instruments de travail et leur mobilier : ils sont donc réduits à la misère d'où leur excitation par le parti anarchique... ".
Il résulte des états des dépenses envoyés par M. le gouverneur général et des ses prévisions personnelles, que le crédit de 5000000 de fr. affecté aux colonies agricoles sur (exercice 1848, et celui de 10 000 000 de fr. sur l'exercice 1849, ne laisseraient tout au plus disponible qu'une somme de 800 000 fr. pour l’exercice 1849. Il n'est pas, d'ailleurs, certains, en raison des dépenses imprévues, que cette somme soit réellement libre, ce qui, dans tous les cas, ne permettrait l'envoi d'aucun convoi dans le courant de 1849.
Quant au convoi de 400 colons de Paris et de Lyon qui va partir incessamment, comme ils seront répartis dans les divers centres des colonies agricoles déjà créées, on ne peut avoir les craintes ni redouter les inconvénients qui pourraient résulter des départs nombreux pour lesquels il eut fallu choisir et créer des installations nouvelles à une époque très défavorable de la saison et sous un climat comme celui de l'Algérie ".
Le mercredi 21 mars, le Moniteur Universel décrit,
Cette allocution a été suivie de la bénédiction du drapeau, qui a été confié à un ancien sous-officier de l'armée d'Afrique.
La direction du convoi a été confiée, par M. le général RULLIER, ministre de la guerre, à M. GENDRE, capitaine adjudant-major au 24ème régiment d'infanterie légère, qui a dirigé avec succès le quatorzième convoi. M de HERICOURT, officier d'administration, et M. BOURBOULIS, chirurgien sous aide, lui ont été adjoints pour le service administratif et le service de santé.
Bien que ce convoi fût composé d'un nombre de colons beaucoup moins considérable que chacun des seize premiers, l'affluence des spectateurs était presque aussi grande qu'à chaque précédent départ, et les mêmes acclamations sympathiques l'ont accueilli et accompagné.
Outre les membres de la commission des colonies agricoles, les autorités municipales de la plupart des arrondissements de Paris étaient venues donner aux partants un témoignage personnel d'intérêt et de sympathie. Nous avons remarqué entr'autres MM. DESPEUX, maire du ler arrondissement; VEE, maire du 5ème; MONNIN, maire, LENOIR et DESBLEUX, adjoints du 6ème ; POUPIN, adjoint du 7ème ; VAUTRAIN, maire du 9ème ; LEDIEU, adjoint du l0ème ; BUCHERE, maire, et DANJAN, adjoint du 11ème ; PERDUCET et RIANT, adjoints du 12ème...". ...Si les bateaux prennent le large acclamés par la foule, sous les flonflons de la musique du 18ème de ligne, alternant avec les airs des Girondins et de la Marseillaise entonnés en chœur... TRELAT à Poitiers... encaisse le fait que la Commission, obligée de réduire le nombre des partants, s'est permise de ne pas compter les enfants en-dessous de 5 à 6 ans... !
Ce passage à Lyon fait l’objet du rapport suivant de l'entrepreneur " A bord du " Sirius n° 4 " descendant le Rhône de Valence à Arles, le 28 mars 1849.
Je vous dirai avec satisfaction que tout marche très bien. Nous ne pourrons pas gagner Arles ce soir. Nous espérons aller à Avignon mais je ne saurais le garantir car le Rhône est bas et n'avons un vent violent qui retarde notre marche. Hier soir je me suis assuré du bon état du convoi de Paris arrivé avec une foule de bannières d'inscriptions patrio-tiques et attendu dans Lyon au milieu des vivats et des chants joyeux.
Le Lyonnais est comme le Parisien hier sous l'impression de la misère doutant de son admission il offrait l'aspect fâcheux de la plus profonde misère, aujourd'hui il a mis ses habits de fête. Monsieur le Maire de Lyon dont la sollicitude a été on ne peut plus grande a fait distribuer des blouses, des casquettes et des souliers à tout le monde. Mon convoi semble en uniforme. Tous sont joyeux, certains maintenant de leur avenir. Ils ne pensent déjà plus aux chagrins de la veille.
C'est une œuvre vraiment philanthropique, que ce grand déplacement ; rien ne peut rendre ces sollicitations si pressantes et la joie éprouvée lors de l'admission. Il faut espérer que le gouvernement persistera dans la voie où il est entré. C'est le meilleur moyen de s'occuper des classes pauvres et de les moraliser.
JOUVELLIER-GAUDRY va rédiger une suite de rapports très intéressants non seulement sur le convoi, qu'il a pris entièrement en charge à Lyon, mais aussi sur la situation des centres qu'il constatera à son arrivée en Algérie, sur certains incidents des convois précédents, etc
Vous avez vu, Mr le Président, que j'ai réussi à faire le parcours en 12 jours puisque parti de Paris à midi, nous étions le 29 au soir à Marseille dans la frégate et le 2 avril nous étions à Bône après nous être reposés deux jours à Marseille.
Arrivé à Bône j'ai vu Mr le Colonel EYNARD Gouverneur de cette ville. Il m'a dit que depuis 5 mois l'autorité militaire n'avait pas eu l'occasion de sévir et qu'il n'y avait pas eu une seule condamnation à la prison dans les communes qu'il administre Mondovi nos 1 et 2, Héliopolis, Guelma, Millesimo nos l et 2. Toutes ces colonies sont (dans) en voie de prospérité. Tous les colons sont heureux, la gaieté règne partout, il est impossible que la colonisation soit faite sous de meilleurs auspices.
Quant à l'emplacement des futurs convois, il ne manque pas : Mr le Colonel EYNARD me disait aujourd'hui que sur la grande route de Bône à Philippeville seule, il pouvait en recevoir 15 mille, qui tous seront dans les meilleures conditions possibles et de salubrité et d'emplacement pour la culture. Il ne manque vraiment à cette terre d'Afrique qu'une population active qui vienne la régénérer et dédom-mager la France bien promptement des sacrifices qu'elle aura dû s'imposer pour obtenir ce résultat.
Monsieur le Ministre de la Guerre
Jusqu'alors je n'avais été chargé que de la conduite jusqu'à Chalon-sur-Saône ; là je remettais le convoi à l'administration militaire, qui faisait embarquer les colons sur les bateaux de la Saône ; à Lyon il fallait s'occuper du logement en ville, ce qui donnait lieu à de graves embarras, à des retards pour l'embarquement à bord des vapeurs du Rhône ; à Arles il fallait de nouveau s'occuper du logement et prendre le chemin de fer pour Marseille. Autant de stations, autant d'entrepreneurs de vivres. Il en résultait encore un inconvénient, c'est que les entrepreneurs pour faire des béné-fices même raisonnables, mécontentaient les colons en donnant une nourriture malsaine et sans aucune des dispositions nécessaires à une distribution régulière. Persuadé que pour opérer un déplacement aussi considérable dans les meilleures conditions possibles, il fallait de l'unité d'action, j'ai offert à Monsieur le directeur de l'administration de la guerre de conduire jusqu'à Marseille le 17ème convoi.
A Chalons mes bateaux ont descendu la Saône jusqu'à Lyon; les colons ont couché à bord et le lendemain ils transbordaient sur les bateaux du Rhône. Je m'étais entendu avec les Directeurs des Compagnies des bateaux à vapeur; j'avais payé pour la descente jusqu'à Arles un prix double de celui payé par chaque colon par l'administration de la Guerre mais j'avais plusieurs bateaux ; les colons étaient moins entassés, la distribution de vivres devenait facile et j'ai fait donner des viandes cuites et la soupe aux heures du repas comme à bord des bateaux partant de Paris. La nuit d'Arles s'est passée à bord des bateaux à vapeur; arrivé à Marseille par un convoi spécial du chemin de fer, j'ai embarqué de suite les colons à bord de la frégate "l'Infernal", le 28 mars à 4 heures du soir. Mon voyage s'était donc effectué en 12 jours et j'espère Monsieur le Ministre que les rapports que vous avez reçus sur son exécution auront été favorables.
J'étais chargé, Monsieur le Ministre, de prendre le convoi de Lyon à mon passage.
J'étais donc arrivé dans cette ville quelques jours à l'avance pour préparer le départ, rien n'était prêt à cet effet, et sans antécédents les autorités de cette grande cité étaient dans l'embarras. Je me suis entendu avec elles, j'ai calculé le passage du convoi de Paris et au jour indiqué les colons Lyonnais embarquaient sur un bateau du Rhône pour se rendre à leur destination, mais le convoi de Paris retardé en Saône par de forts vents d'Ouest n'a pu arriver que trop tard pour que Monsieur GENDRE commandant le convoi de Paris put prendre régulièrement le commandement du convoi de Lyon. Sur l'invitation de Monsieur le Maire de Lyon, j'ai pris ce commandement, j'ai fait nommer les délégués, partager les colons par groupes et j'ai remis le convoi à Marseille à bord de 1"'Infernal" à Monsieur le Commandant Gendre.
A Marseille j'ai reçu, Monsieur le Ministre, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire en réponse à ma demande pour autoriser mon passage en Algérie, visiter les centres de colonisation et m'assurer s'il y aurait moyen de vous offrir à un prix déterminé l'Entreprise du passage direct de Marseille aux points de destination, pour le cas où avant emploi des bâtiments à la guerre vous désireriez confier le transport au Commerce.
Je dois vous déclarer de suite, Monsieur le Ministre, que je n'ai pas trouvé à Marseille ni en Algérie de moyens de transports qui permissent d'entreprendre sur une éventualité une telle opération. L'Administration de la guerre seule peut opérer un tel déplacement avec les immenses ressources dont elle dispose; pour pouvoir se substituer à elle, il faudrait créer une opération à cet effet et alors il faudrait de votre part, Monsieur le Ministre, un engagement positif pour un nombre déterminé de personnes transportées ; si mon voyage n'a pas eu de résultat positif sous ce rapport, comme je l'espérais, je ne dois pas moins, Monsieur le Ministre, vous faire un rapport succinct, et vous participer mes impressions.
Le 29 mars à 6 heures du soir la frégate à vapeur "l'Infernal" quittait Marseille et nous partions pour Bône où nous arrivions le 31 à 8 heures du soir après 50 heures d'une traversée heureuse, quoique nous eussions eu la mer très forte et que les colons eussent eu à souffrir du mal de mer, mais grâces aux soins empressés de Monsieur le Commandant LEVASSEUR, l'installation s'était faite à bord dans les meilleures conditions possibles ; notre distribution des vivres par groupes s'est conti-nuée et le convoi entier a touché terre en bonne santé. Je ne ferai qu'une seule obser-vation, Monsieur le Ministre, et cela d'accord avec Monsieur le Commandant LEVASSEUR, c'est que la distribution du vin devrait être réduite de moitié ; elle est l’occasion de troubles à bord. Les colons malades au lieu de refuser leur ration, ou même de la jeter comme il y sont invités, s'ils ne peuvent la boire, croyaient agir avec fraternité en la distribuant aux matelots malgré la défense expresse ; il en résultat des infractions à la discipline qui amenèrent du désordre dans les équipages et nous en avons eu un exemple fâcheux; un matelot pris le vin a résisté aux ordres des officiers de l’état-major ; il a fallu de force le mettre aux fers. La demi-ration serait suffisante même à bord des bateaux de Paris à Marseille. Un père de famille de 4 à 5 enfants reçoit 3 à 4 litres de vin par jour ; souvent la distribution que fait le colon à sa famille n'est pas égale et l’homme peu raisonnable se met dans un état d'ivresse qui compromet l’ordre et la bonne installation des colons à bord.
La question des bagages nous a également jeté dans de graves embarras à Bône. Au départ tout est embarqué pêle-mêle ; transbordés plusieurs fois en cours de route chargés et déchargés, les colis ont beaucoup à souffrir ; ils n'ont pas été établis et marqués avec assez de soins; les colons reconnaissent et emportent ce qui leur appar-tient sans contrôle ; beaucoup de colis sont sans adresse et sans marque. Il en résulte que les recherches sont impossibles, et c'est ce qui explique l’impossibilité de répondre aux réclamations nombreuses qui se sont produites.
Le Moniteur Universel du 12 avril 1849, publiera :
Une grosse partie du 17ème convoi doit aller au Cercle de Guelma : 40 familles à Héliopolis et le reste à Millesimo
Quelques colons doivent rejoindre d'autres centres pour y retrouver des parents; certains ont été retardés à Paris lors du départ des convois sur lesquels ils étaient admis, etc... ; ainsi nous avons 39 personnes pour Rivoli, 14 pour l’Affroun, 7 pour Castiglione, 15 pour Robertville-Gastonville,17 pour Fleurus, 17 pour Lodi 21 pour Montenotte, 9 pour Zurich, 59 pour Mondovi, 42 pour Jemmapes, 34 pour Aboukir...
Finalement pour cette colonisation ouvrière de 1848-1849 nous pouvons dresser le bilan suivant :
Nous terminerons par une lettre de colon non datée et sans doute du 17ème convoi,
" Qu'en a nous je vous dirais que nous avons reçu deux hectares de terre et une coche (truie) pleine. Je suis en train de lui bâtir une cabane avec des pierres que je trouve dans les montagnes, avec le bois des ravins qu'on est obligé d'aller chercher un peu loin, mais l'on n'y va pas seul. Je vous dirais qu'il n'y a pas de plâtre. C'est avec de la terre rouge que nous faisons nous-mêmes. Je viens à mes deux hectares ; j'ai beaucoup d'ouvrage à les défricher parce qu'il y a une foule de palmiers, des souches de chênes et des épines, toutes les herbes ont des racines effrayantes d'un mètre de profondeur, et sorties de terre d'une hauteur de cinq à six pieds quoique j'en ai énormément cela ne me dérange pas. Je crois que la semaine prochaine, nous recevrons une chèvre et des bœufs pour le labour des jardins qui se trouvent défrichés, moi le mien l'est presque je n'ai plus que quelques palmiers. J'ai fait quelques planches de semis, j'ai planté pommes de terre, carottes, choux, navets, persils, enfin le peu de graines que l'on nous a donné de chaque sorte plein midi.
Enfin le croiriez-vous tout cela est déjà levé tant la saison est bonne et la terre productive. Je vous dirais que notre Capitaine ou Maire nous avait donné la permission de bâtir une cheminée. J'en avais bâtie une qui m'avait coûté de l'argent; puis un ordre supérieur est arrivé qu'il n'en fallait pas, alors il a fallu que je la démolisse, sous peine si je faisais du feu dedans à être condamner à 15 jours de garde du camp; que voulez- vous c'est le régime militaire. Il fait encore assez beau, les journées sont chaudes et belles, il y a une rosée qui perle les fleurs des champs comme au mois de mai en France ».
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