(ACEP-ENSEMBLE N° 227, Avril 2001, pages 47 à 55)
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LES CONVOIS DE 1848 POUR LE CONSTANTINOIS

Publié avec l'aimable autorisation
de Emile et Simone Martin-Larras.
LE 11e Convoi à destination de Mondovi

S'il est convoi qui eut son heure de célébrité, ce fut bien le 11 ème convoi, grâce au roman de Maxime Rasteil: "A l’aube de l’Algérie Française - Le calvaire des colons de 48", paru en 1930. L'auteur y adopte un ton peut-être trop misérabiliste en nous y contant l'émigration catastrophique du colon Eugène François. Ce récit sera heureusement repris et complété par les recherches plus réalistes d'Eugène Warion.
Par quelques documents types que nous avons sélectionnés, nous présentons à nouveau et plus brièvement l'aventure des colons Mondoviens.
Nous avons d'abord le classique et préliminaire échange de correspondance entre la Commission et les diverses municipalités de la capitale.

Puis la cérémonie du départ nous est relatée dans le Moniteur Universel du Lundi 17/11/1848
Le départ du onzième convoi des colons de l’Algérie a eu lieu ce matin avec la solennité accoutumée: le temps était magnifique et le soleil brillait comme aux plus belles journées d'automne. Une affluence de spectateurs, plus considérable encore qu'aux précédents convois, couvrait les deux rives de la Seine et la rivière était sillonnée comme toujours de nombreuses embarcations pavoisées.
Monsieur Dufaure, Ministre de l'Intérieur, qui, en qualité de président du Comité de l'Algérie à l’Assemblée Nationale, avait assisté le 8 Octobre dernier au départ du ler convoi, est venu de nouveau à assister à celui de ce matin. Accompagné des membres de la Commission, il a visité en détail, avec un certain nombre de représentants, les bateaux affectés au transport des colons.
A dix heures un quart, M. le Général Cavaignac, chef du pouvoir exécutif, et M. le général de Lamoricière, ministre de la guerre sont arrivés avec un nombreux état-major.
Après avoir visité également un des bateaux dans toutes ses parties, ils se sont placés sur le bord du quai en face de la flottille, auprès du drapeau et du clergé. Un des membres de la commission, M. de Montreuil, représentant du peuple, a pris alors la parole en ces termes
"Colons de l’Algérie, chers concitoyens ! C'est un moment solennel que celui où vos derniers regards saluent la France. Vos coeurs sont serrés d'angoisse, car vos familles, vos amis vous entourent, ils vous pressent dans leurs bras, ils vous couvrent de leurs adieux fraternels. Mais vos coeurs s'ouvrent aussi à l'espérance, vous savez que la France africaine est devant vous, et que là vous allez fonder un peuple, une civilisation ; vous savez que de hautes destinées vous attendent". Etc, etc...
Les cris de Vive la République éclatent de toutes parts. Le nom de l’orateur est demandé et salué de nombreux vivats.

Puis un des collègues à l’Assemblée Nationale, M. Peupin, a ensuite prononcé le discours suivant ; en voici quelques extraits
"Citoyens,
Membre de l’Assemblée nationale, c'est en son nom que nous venons assister à votre départ.
Notre présence témoigne hautement de l'intérêt qu'elle vous porte. Cet intérêt vous est dû, car vous n'êtes pas des exilés, vous n'êtes pas de ceux que la France repousse et rejette hors de son sein, vous êtes, au contraire, ceux de ses enfants à qui elle doit une assis-tance, une protection toute spéciale, méritée surtout par la grandeur de l’œuvre que vous aller fonder ! En effet, cette œuvre est immense, elle est magnifique, elle est éminemment patriotique et chrétienne.
Elle est immense, car il s'agit de reporter sur cette terre d’Afrique, autrefois si riche, si puissante, si peuplée, maintenant misérable et déserte, une partie des forces vives de la nation;
Il s'agit de fonder, de l'autre côté de la mer, une autre République française, et c'est à vous qu'il est donné de réaliser cette pensée qui, pendant si longtemps, fit trembler nos ennemis. C'est à vous qu'il appartient de faire que la Méditerranée ne soit plus autre chose qu'un lac français. Etc... "
Enfin elle est chrétienne parce que vous allez, véritables soldats de la croix, au nom et suivant les doctrines de ,jésus Christ, notre Maître, proclamer et pratiquer sur la terre de l'esclavage le dogme sacré de la fraternité.
Vous le voyez, Citoyens, votre rôle est beau, et nous avons la confiance qu'il n'est pas au dessus de vos forces.
Partez donc !Allez féconder par le travail cette terre si souvent arrosée de sang de nos frères, allez et n'oubliez pas la mère patrie, car elle se souviendra de vous. Ayez confiance en elle et soyez sûrs que ses vaisseaux, ses soldats sont à votre disposition, prêts à vous défendre si jamais un ennemi osait vous attaquer.
Avant de nous séparer, unissons-nous, poussons ensemble ce cri qui résonne en lui seul toutes les joies, toutes les espérances des coeurs honnêtes et des bons citoyens "Vive la République ! Vive la République !"

Dès que M. Peupin a eu fini de parler, des voix nombreuses se sont écriées "Le nom de l'orateur?" M. Dufaure s'est aussitôt exprimé ainsi :
"Citoyens, vous demandez quel est l'orateur qui vient de vous adresser de si bonnes paroles, cet orateur est un ouvrier comme vous ,qui, par son travail, par ses qualités privées, par le développement de son intelligence, a mérité et obtenu l'honneur d'être nommé membre de l’Assemblée nationale: c'est M. Peupin, je suis heureux de vous le dire. Cela vous montre que le Gouvernement de la République est véritablement et sincèrement un gouvernement d'égaux et de frères, que tous les citoyens peuvent y prendre part, et qu'ils doivent y prendre part au profit de tous. Vive la République!" A ce cri les colons ont unanimement répondu par celui de "Vive la République".
M. de Noirlieu, Curé de Saint Jacques-du-Haut-Pas, a fait précéder la bénédiction du drapeau d'une allocution dans laquelle il a heureusement commenté (inscription qu'il porte : Liberté, Egalité, Fraternité. Son discours Républicain a été salué par de vives acclamations.
La cérémonie de la bénédiction terminée, M. le général Cavaignac, a pris en main le drapeau, et a adressé aux colons les paroles suivantes : "Je vous remets ce drapeau. Vous allez en Algérie fonder la Commune de Mondovi. Ce nom vous rappellera de glorieux, de grands souvenirs. Mais, ce drapeau que je vous remets n'est point un signe de guerre, c'est un signe de paix, d'ordre, de travail. Vous allez en Algérie assurer, par votre énergique persévérance votre subsistance, votre avenir, la subsistance et l'avenir de vous enfants. Tandis que vous allez travailler pour vous mêmes, pour votre bien-être et celui de vos familles, vous allez travailler en même temps pour l'honneur et la gloire de la République ; vous allez concourir au succès d'une des plus grandes entreprises de civilisation des temps modernes, au succès d'une œuvre qui va donner à notre grande nation de nouveaux titres, au respect et à l'admiration du monde.
Vous allez créer des villes nouvelles, former pour l'avenir le noyau de nouvelles provinces. Rappelez-vous que vous ne réussirez qu'à la condition d’y apporter l'esprit de calme, l'amour de l'ordre, la soumission aux lois, sans lesquels rien ne peut se fonder, ni vivre. Adieu, Citoyens : j'ai voulu, avant de nous séparer, vous adresser quelques paroles d'espérance et d'encouragement. En nous quittant, répétons encore ensemble ce cri patriotique, qui répond à la pensée de tous les véritables amis de la France : "Vive la République!".
De tous les bateaux s'élèvent les cris de : "Vive la République ! Vive la France ! Vive l’Algérie !"
Commence alors le lent voyage de Paris à Châlons, par la Haute Seine puis par les canaux.

Le passage du pont de Melun donne lieu au rapport habituel Melun le 18 octobre 1848
Monsieur le Préfet,
J'ai l'honneur de vous informer que le 11ème convoi est arrivé à Melun hier 17 courant à 1 heure du matin, sous les ordres de M. Schmitz, Capitaine de l'Etat Major. Ce convoi était composé de 7 bateaux dont 5 transportaient 829 colons et les deux autres étaient chargés de bagages. Ce trait à son arrivée était hâlé par 20 chevaux et la remonte a été faite au Pont à 8 h 45 minutes avec un nombre de 30 chevaux.

Les rapports successifs du Capitaine-Commandant et de l'officier d'administration, qui accompagne le convoi, nous font vivre cette lente progression vers Chalons. Pendant ce temps on prépare activement l'arrivée des colons en Algérie et "La Seybouse" du 25/11 peut écrire
Les nouveaux colons vont arriver à Bône dans quelques jours. Nous ne reviendrons pas sur les conseils que nous avons donnés au sujet de la solennité qu'il serait convenable de mettre à leur réception, nous espérons que les personnes auxquelles l'initiative en revient ont pris toutes les mesures nécessaires pour que l'accueil qui leur sera fait à Bône ne le cède en rien aux démonstration fraternelles dont ils ont été l'objet à Oran, Alger, Philippeville.

Le Génie Militaire travaille activement aux baraques destinées à recevoir les colons. Sur les deux villages projetés à Coudiat-Mena ces travaux sont à peu près achevés. Deux compagnies ont été envoyées à cet effet sur les lieux, les ouvriers civils travaillent à l'arsenal, qui occupe les charpentiers et menuisiers que l'on a trouvés à Bône. Les baraques sont situées au milieu de l'emplacement des futurs villages, de manière à ne pas gêner les constructions définitives qui seront élevées plus tard. M. le Colonel du Génie Bouteilloux arrivé depuis peu, s'occupe jour et nuit de cette occupation provisoire. On dit qu'un certain nombre de familles seront dirigées sur Guelma, où se font les préparatifs pour les recevoir.
Ainsi, un motif de plus doit nous exciter à bien recevoir les nouveaux colons, c'est qu'ils ne resteront que peu de temps à Bône, dont ils doivent emporter une bonne impression. Les moyens de transport mis à la disposition de l'autorité par le train des équipages sont suffisants pour tout le convoi, cependant si un jour plus long était nécessaire, des baraques du casernement seraient disposées pour cet objet. Une salle d'hôpital militaire sera prête pour recevoir ceux des émigrants qui auraient souffert du voyage.
Entre temps le convoi arrive à Arles le 30/11 en fin de matinée puis par le chemin de fer à Marseille le même jour à 8 h du soir.

On écrit dans le Courrier de Marseille, le 7 décembre
Le onzième convoi des colons de l'Algérie a été embarqué le 4 sur le Labrador, qui a pris le large hier au matin à huit heures.
Le Jeudi 28/12, dans le Moniteur, parait le reportage paru dans le "Moniteur Algérien" du 20 courant
Le 11ème convoi d'émigrants parisiens est arrivé à Bône le 8 Décembre. La ville entière s'est portée à sa rencontre. Les autorités civiles et militaires se sont rendues à bord. La musique militaire et la musique maltaise exécutaient des airs patriotiques auxquels répondaient les chants des nouveaux colons.
Les 980 émigrants qui composaient ce convoi ont été répartis entre les casernes et autres bâtiments militaires que possède la ville de Bonne. On avait pris des soins particuliers pour le bien-être des femmes et des enfants. Le 10, 340 hommes faisant partie du convoi ont pris part aux élections pour la présidence de la République. Le lendemain, plus de la moitié des émigrants a quitté Bône pour se rendre à sa destination. Le reste est parti le surlendemain.
Ce convoi est destiné à peupler le village de Mondovi (Coudiat-Mena) entre Bonne et Guelma. Ce territoire sera divisé en deux centres qui recevront l'un 215, l'autre 155 familles. Les colons se sont montrés fort reconnaissants de l'accueil qu'ils ont reçu des autorités et de la population de Bône. On est très content des dispositions et du bon esprit qu'ils manifestent.
Les Mardi 2 et Mercredi 3/49, le Moniteur fera paraître la conclusion à ce voyage du 11 ème convoi

On écrit de Bône, le 21/12 au "Moniteur de l’Armée":
Il ne reste plus en ville que 54 familles du convoi de colons arrivé dernièrement; elles quitteront Bône le 24 pour être rendues le 26 à leur destination.
On nous annonce la prochaine arrivée du Même et dernier convoi parti de Paris à destination de Guelma et bien que ce supplément de population, qui n'était pas attendu cette année, prenne en quelque sorte l'autorité militaire au dépourvu, l'activité et le dévouement du commandant supérieur de cette subdi-vision, M. le Colonel Eynard, suppléeront sans aucun doute à l'insuffisance des ressources locales.
Mondovi a ses 370 familles et l'on commence les jardins. Sous 8 à 10 jours tout le monde sera dans des baraques en bois, à l'abri des injures du temps. Tous les matériaux sont à pied œuvre, sauf les fenêtres qui ne sont encore qu'au nombre de 300 sur 627 à faire et les portes au nombre de 150 sur 210. Mais on travaille ici sans relâche à leur confection ; on fait par jour 30 à 40 fenêtres et autant de portes qui sont transportées, toutes montées, sur la Seybouse pendant trois lieues et de là sur des charrettes jusqu'au village.
Guelma est plus pauvre et moins avancé ; aussi depuis quelques jours tous les transports sont-ils dirigés de ce côté et bientôt il y aura là 15.000 planches sur les 25.000 nécessaires aux trois centres que doivent peupler les colons attendus prochainement.

Le Colonel Eynard qui avait depuis longtemps fait ses preuves à Sétif, pendant le commandement qu'il y a exercé devient de plus en plus colonisateur, à notre grande satisfaction. Tous les jours, avant quatre heures du matin il est à la besogne et préside lui même à tout. Croiriez vous que dans la prévision où les départements enverraient l’année prochaine 15.000 colons en Algérie, il s'est engagé à en établir 5.000 dans la seule subdivision de Bonne ? Il n'a demandé pour cela que vingt à vingt cinq attelages pour des voitures que nous avons ici sans chevaux. Il a fait reconnaître des terrains et en a signalé au général comman-dant la province, d'une contenance de 7.000 hectares à 28 kilomètres de Bonne, à l’embranchement des routes projetées de Bonne, d'El Arouch et de Philippeville, à l’ouest du lac Fezzara.
Bône assez sérieusement éprouvée par la crise qui afflige la France, renaît et voit avec confiance l’avenir qui se crée pour elle, grâce à l’heureuse direction donnée aux colonies agricoles par le commandant de la subdivision, grâce aussi aux bonnes dispositions des colons eux mêmes. Vous connaissez les ouvriers de Paris et leurs exigences parfois exagérées ; mais vous savez également qu'ils entendent facilement raison. Pas une plainte ne s'est, jusqu'à ce moment, élevée contre eux, même contre ceux qui auraient pu causer quelque inquiétude. Il y en a bien qui boivent un peu ; mais l'argent n'est pas abondant et il n'y a eu aucun désordre. La plupart sont de très bons ouvriers qui demandent à travailler pour améliorer la position de leur famille.
Si elle reçoit 5.000 colons en 1849, Bonne dans deux ou trois ans sera la seconde ville de l’Algérie et ses maisons auront peut être triplé. N'est-ce pas là, pour une administration militaire ou civile, un résultat digne de son intelligence, de ses efforts et de son activité.
Pour terminer cet article, nous ne résistons pas à l’envie de publier quelques lettres de colons du convoi, en en respectant l'orthographe d'hommes du peuple, mais souvent très imagée.

De jean Nicolas PUCHOT - N° 3008.
(Imprimeur à l’origine en Métropole, il se fera remarquer lors de la construction des maisons de Mondovi ...par ses briques : d'où son surnom de marquis de Briquemolle !)
"La Province", journal de Limoges, rapporte la lettre suivante d'un des nouveaux colons de l’Algérie (province de Bône)
Pardonnez-moi si j'ai été si longtemps à vous écrire ; je voulais observer un peu avant de le faire, pour vous donner un aperçu de notre colonisation. Nous voilà enfin arrivés et pour un temps de mois de Juin, sous un ciel magnifique, une verdure éclatante, enfin un pays qui a dépassé mon espérance.
Nous avons été parfaitement accueillis par la population de Bonne ; je suis déjà lié avec des personnes recommandables de la ville qui pourront m'être utiles par la suite. Nous sommes installés sous des tentes pour le moment ; prochainement nous serons mieux. Notre village est à 7 lieux de Bône, qui est une jolie petite ville bâtie à l'européenne; je bois et l'eau ne manque pas; la rivière fournit du poisson à discrétion ; en deux heures on peut pêcher à la ligne 10 à 15 livres de poisson.
Il n'est pas possible de voir des plaines aussi belles que celles de nos environs ; on nous a distribué nos jardins et nous avons de quoi planter, je vous assure ; dans quelques jours, on nous donnera nos grandes terres. Le moral des colons est excellent; tout est à très bon marché pour la vie dans cette province: la viande vaut quatre sous la livre, les légumes sont excellents, le poisson de mer très beau et bon, deux sous la livre ; les petits pois sont en fleur et nous espérons en manger dans un mois. Je vous déclare qu'il y a quelque chose à faire pour l’homme intelligent ; quand nous aurons notre petite maison bâtie, moi et ma femme, nous nous trouverons très bien ; c'est, je crois, la seule chance de salut pour celui qui veut vivre par le travail. Rassurez, je vous prie, ceux qui vous parleront des terribles maladies d'Afrique. Tout le monde possède ici les figures les plus rassurâmes à cet égard. Las Arabes viennent dans notre camp nous apporter du lait, du beurre et des poulets, dont nous avons deux pour 1 fr. Rien de plus pittoresque de voir cette population juive, maure, arabe et bédouine. Ils sont très doux. Nous n'aurons même pas à défricher; les terres sont recouvertes d'un gazon que l'on peut facilement enlever. Je vous prie d'engager mon beau frère à venir nous retrouver dans quelque temps et qu'il se fasse toujours inscrire à l'avance; il peut espérer un avenir heureux pour ses enfants. On peut facilement trouver ici du monde pour travailler et je vous assure qu'il faut plus d'intelligence encore que de force. Dans quatre ou cinq mois, nous pourrons jouir de nos premières récoltes. Le sanglier vaut quatre sous la livre. La nuit nous avons fréquemment un concert de chacals : c'est pas harmonieux ; il faut bien s'en contenter, faute d'autre corps de musique.

De LEMAIRE François - Ancien Habitant de Belleville - N° 3655 - Mondovi -
Mondovi, 10 Janvier 1849
Je vous avise que nous avons mis 28 jours pour arriver à Bône et nous en sommes à 8 lieues et ça ne fait qu'une seule plaine et une terre comme on n'en voit pas de pareille en France, pour la bonté ; nous n'avons aucune gelée, nous n'avons qu'un peu de pluie et du beau temps ; nous avons resté un peu dans les tentes et maintenant nous sommes dans les baraques en planches ; nos baraques ont 3 mètres 50 centimètres de large et 5 mètres de long ; on nous a donné notre jardin voilà 3 semaines et nous avons déjà choux, carottes, oignons, navets, poireaux, salades, radis, pois, tout est déjà bien élevé. Nous sommes arrivés un peu tard pour semer du blé, mais on a fait venir des arabes en masses pour labourer et semer pour nos récoltes de l'année prochaine. Nous sommes en train de faire les fortifications, nous gagnons 5 à 6 francs par jours les bons ouvriers et nous ne sommes pas malheureux. Nous recevons les vivres de campagne, mais nous avons du pain de sous-officier fi livre de viande, 12 grammes de café, autant de sucre et un quart de vin, mais nous sommes obligés de laisser 60 centimes de notre journée pour notre nourriture, on a fait aussi des fours à chaux et des briques pour bâtir des maisons.
On nous donne tous les outils nécessaires : pelles, pioches, bêches et tout ce qui s'en suit. Je m'y plais très bien, ma femme aussi et nous nous portons même mieux qu'en France ; nous avons déjà fait la perte de quelques petits enfants, mais pas encore de grandes personnes... Nous sommes près d'une rivière et notre convoi est divisé en deux villages que l'on a appelé Centre ler et Centre 2 de la Commune de Mondovi. Nous sommes dans les baraques et chaque famille reçoit des vivres et l'on s'arrange comme on veut...

De C... de Metz
Mondovi, 15 Janvier 1849 Ma chère Mère,
je suis arrivé au terme de mon voyage et mon domicile m'attendait. Nous sommes logés dans des baraques, les célibataires ensemble, dix à la chambrée et faisant la cuisine, chacun leur tour : du reste rien ne nous manque.
Ici on a déjà commencé à semer. Mais moi, je n'en ai rien fait parce qu'à notre arrivée les pluies nous inondaient depuis plusieurs jours et j'ai mieux aimé que la terre se desséchât un peu.
Nous sommes postés sur le revers d'une colline d'où nous jouissons d'une vue magnifique. Au bas passe une rivière très poissonneuse. Le pays, qui depuis longtemps et peut être jamais n'avait été habité est très abondant en gibier. Un sanglier s'y vent 3 fr. Les forêts qui s'étendent devant nos habitations ne sont peuplées que de lauriers roses, si difficiles à élever chez nous, de cactus roses ou figuiers de Barbarie, d'oliviers, d'orangers. A cette heure sur les arbres, il y a plus de fruits que de feuilles.
Un peu plus tard on nous bâtira des maisons ; en attendant nous sommes protégés par un bataillon du 43ème de ligne qui nous fournit le bois. Les Arabes vont défricher nos terres ; ils les ensemenceront la première année et partageront la récolte avec nous. Chacun de nous a derrière son habitation une énorme portion de terre vierge, qui doit être convertie en jardin. Nous avons d'ailleurs reçu des semences de toutes espèces.
Nos nouveaux compatriotes, les Arabes, ne sont pas précisément ni aimables ni propres. J'ai eu l'occasion de traverser de Bonne à Mondovi une étendue de huit lieues dans laquelle j'ai entendu plus souvent le cri du chacal ou de l'hyène qu'un son de voix humaine. Pas une auberge mais ça et là quelques huttes construites en roseaux et gardées par des chiens aussi sauvages que leurs maîtres, c'est-à-dire toujours prêts à vous dévorer. Les uns et les autres nous voient d'un fort mauvais œil et cela se conçoit bien. Cependant on en vient à bout. Ils nous savent les plus forts ; ils nous savent aussi les plus riches ; et malgré toute leur haine, ils s'empressent de nous vendre leurs produits empochant notre argent, le serrent, le cachent et continuent à marcher pieds nus et à s'envelopper pour tout vêtement d'une mauvaise et sale couverture de laine que les plus misérables de nos Français ne ramasseraient pas dans nos rues.
On ne se douterait pas que ces gens là peuvent faire et font deux récoltes par an. Nous tâcherons de tirer meilleur parti qu'eux des biens de cette bonne terre et peut être en trouvant ici le bonheur dans le travail, leur donnerons nous un peu de la propreté et de la dignité qui leur manque.
Adieu, votre fils

De MERCIER Pierre Alexis - N° 3932 - Mondovi
D'abord une lettre Mme Vve PARENT du CHARCLET 8 Mars 1849
Il ne faut pas croire comme beaucoup de gens qu'il n'y a qu'à se promener, ceux là en sont déjà revenus. Ils ont vu que la misère arrivait à pas de géants, aussi tout le monde travaille maintenant. Voici notre manière de vivre : le matin à 6 heures, on se lève, on fait le café, puis les hommes vont au travail jusqu'à 10 h où ils viennent déjeuner, ils repartent jusqu'à six; pendant ce temps, les femmes s'occupent de la cuisine et du ménage, elle vont à l'eau, au bois à moins que ces messieurs soient assez galants pour leur faire leurs provisions, du reste nous avons du bois en quantité et seulement la peine d'aller le chercher. Ce n'est pas très éloigné du village. Le bois pour l'utilité ne manque pas non plus, mais les outils pour le travailler tels que scie à fendre, cognée, serpe, rabot, ciseaux et quelques autres dont je ne connais pas les noms, je vous engage à vous en procurer, si vous pouvez.

En objet de ménage, il faut une marmite en fonte, une cocotte, quelques assiettes, verres, quelques bouteilles, tasses, cuillères une en bois surtout, un soufflet ; pelles et pincettes, car toutes ces choses sont ici fort cher. Apportez votre literie, des couvertures surtout, car les nuits sont froides et humides : pour des vêtements, ne craignez pas d'apporter des robes chaudes, des bas de laine, de gros souliers garnis de clous et d'autres plus légers pour les grandes chaleurs ; des chapeaux de paille doublés de blanc et garnis de rubans de la même couleur, des ombrelles vous seront très utiles. Nous recevons tous les jours viande bœuf; mouton; lard, de deux jours l'un ; du café et du sucre, du vin pour 2 jours ; pain blanc pour la soupe et pain de sous-officier pour les dames et pain de soldat pour les hommes. On nous donne le sel, nous n'avons que les légumes à acheter: ils ne sont pas tous chers, les Arabes ne nous laissent pas manquer ; ils nous appor-tent du beurre, des neufs, poules et tout cela n'est pas cher ; du reste, il vous serait facile à monter une basse cour et d'avoir des chèvres ; vous n'avez qu'à apporter avec vous quelques indiennes à bon marché, des mouchoirs et quelques , glaces rondes comme on en voit à la boutique à deux sols ; vous leur donnerez ces objets et en échange vous aurez tout ce que vous voudrez. Vous pourriez apporter aussi quelques jouets d'enfants, vous les rendrez très heureux : du reste, Madame, toutes ces choses comptant peu, mais il faut des couleurs voyantes, rouge surtout.
Vous direz à ces Messieurs, qu'ils n'oublient pas d'apporter des fusils, des lignes pour la pêche, la Seybouse abonde en poisson ; mes neveux y vont tous les dimanches, quelquefois à la chasse. Il y a quelques jours qu'un chacal est venu à ma porte m'enlever une poule, si mon neveu avait eu un fusil, cela ne serait pas arrivé.

Du même à M. CHARLES 19 Mars 1849
Mercier à M. CHARLES
J'ai répondu à Mme PARENT Sa lettre m'est parvenue le 3 Mars, la réponse a été mise à la boîte le 12 Mars avec une autre du Capitaine pour le Président de la Commission, le Capitaine désire beaucoup que ces trois familles viennent à Mondovi.
Du reste le pays est charmant, nous sommes entourés de montagnes boisées, de vallons et le village est situé sur un mamelon ; au Nord, sont nos jardins, au midi est un vallon boisé puis un mamelon aussi boisé ; à l'Est, sont de très hautes montagnes avec des gorges toutes boisées, au bas la Seybouse, rivière très poissonneuse, au couchant des mamelons boisés et de larges gorges. Les arbres dont des oliviers, des peupliers, des charmes, des frênes, des myrtes et d'autres dont je ne connais pas les noms. Il y a beaucoup de terre argileuse et des grès sur le bord de la Seybouse. On voit beaucoup de pierres à chaux. Il y a des mines de fer : le Capitaine dit que toutes les montagnes qui nous entou-rent en contiennent beaucoup.
Nous n'avons encore rien trouvé dans les fouilles que l'on fait qui prouve que les Romains aient habité cette partie de l'Afrique, qui du reste était tout à fait inculte ; quelques parties avaient été labourées par les Arabes, mais si superficiellement que l'on ne peut comprendre que la terre ait rapporté. On peut se livrer à la culture de la vigne, des oliviers, du tabac, du blé qui est double en grosseur de celui de France : mais il faut du travail et du courage.
Nos jardins sont en partie plantés, tout y vient bien ; tous les arbres que nous avons emportés sont bien pris, nos pommes de terre sont très grandes, nos salades, nos épinards, nos pois, nos radis, le persil ne vient pas ; du reste toutes les plantes de France reprennent très bien. Notre vigne est très belle mais nous en avons très peu. La pépinière de Bône nous a rien donné ; Monsieur Hardy n'y étant plus, il est à Alger, nous lui avons envoyé notre lettre, mais il n'a pas répondu.
Je vois qu'avec du travail et de la persévérance, on peut faire un riche pays de l'Afrique... etc...

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