HISTOIRE MAGAZINE N° 10 Novembre/Décembre 1980
De Gaulle a-t-il bradé l'Algérie ?
Par Jacques Soustelle


Combattant de la première heure dans les rangs de la France libre, Jacques Soustelle sera l'un des animateurs du Rassemblement du peuple français. Il occupera le poste de gouverneur général de l'Algérie et contribuera en mai 1958, au retour au pouvoir de l'homme du 18 juin. C'est la politique algérienne du Général qui fera de lui un antigaulliste farouche. Persuadé que l'Algérie française, fondée sur l'intégration et la promotion des populations musulmanes, était la meilleure solution du problème, l'ancien ministre gaulliste rejoindra l'O.A.S. et acceptera de mener, plusieurs années durant, une vie de proscrit pour demeurer fidèle à ses convictions. Jacques Soustelle examine dans Vingt-huit ans de gaullisme (Table Ronde) « la trajectoire du "météore" gaulliste ».

Sur l'Algérie, que dirai-je qui n'ait déjà été dit, par d'autres ou par moi ? De Gaulle, quand il eut à en parler en tant que chef du Rassemblement, ne laissa aucun doute sur sa volonté de maintenir l'Algérie française, de protéger la population européenne contre toute tentative tendant à la « submerger » et en même temps d'étendre aux musulmans les droits et les devoirs de la pleine citoyenneté. En vérité, son programme, celui du gaullisme, pour l'Algérie, c'était l'intégration. Faut-il rappeler que cette intégration, fondée sur la reconnaissance de la « personnalité » de l'Algérie et non sur sa négation, n'était en rien une forme, mais le contraire de l'assimilation?


Jacques Soustelle fut, en 1940, un gaulliste de la première heure et prit une part déterminante au complot qui permit, en 1958, le retour au pouvoir du général de Gaulle. Profondément attaché à l'Algérie, dont il avait été gouverneur général, il se séparera de l'homme du 18 Juin quand celui-ci décidera de conduire les départements français d’Afrique du Nord vers l'indépendance. Devenu l'un des leaders de l'Organisation de l'armée secrète avec Georges Bidault, ancien ministre lui aussi du Général, il sera contraint à l'exil et seule l'amnistie de 1968 lui permettra de regagner la France.
(photo Holmès-Lebel - D.R.)

De Gaulle fatigué

Quand j’assumai, en 1955, la charge du Gouvernement général de l'Algérie, je fus amené à préciser et à modifier, dans un sens plus libéral, la doctrine initiale. De Gaulle s'était prononcé pour le « double collège », et même, dans sa déclaration du 18 août 1947, il avait fait un pas en arrière par rapport à ses propres positions de 1943-1944. En effet, son ordonnance du 7 mars 1944, fai-sant suite au discours prononcé à Constantine le 12 décembre 1943, avait introduit dans le premier collège plu-sieurs dizaines de milliers de musulmans. Dans la déclaration mentionnée plus haut, le chef du R.P.F. affirma que « cette disposition ne saurait plus avoir d'objet, dès lors que seraient associées dans une Assemblée algérienne deux sections ou commissions égales et équivalentes. Au contraire, en la maintenant, ajouta-t-il, on risquerait de fausser, au détriment de la population d'origine européenne, et pour l'éventuel profit d'une dangereuse démagogie, tout l'équilibre du système ».

Pour moi, au contraire, après avoir soigneusement pesé le pour et le contre, je me prononcai dès 1955 pour le « collège unique », conséquence et condition nécessaire, à mes yeux, de l'égalité politique, et contrepartie non moins nécessaire de l'inclusion de l'Algérie dans la République. A cette thèse, rejetée d'abord avec force par bon nombre d'Européens, la majorité de cette population devait se rallier à mon appel: cette réforme de décisive importance fut acclamée quand de Gaulle l’annonça en juin 1958

On a épilogué à l'infini sur ce que le Général avait pu dire ou ne pas dire, avant le 13 mai 1958, à ses divers interlocuteurs ou visiteurs. Ces versions plus ou moins contradictoires n'ont d'intérêt qu'anecdotique. On peut aussi y rechercher la clé d'une psychologie, et se demander si de Gaulle était sincère ou non à telle ou telle époque. Il reste qu'un homme d'Etat, quand il est investi du pouvoir suprême, ne parle pas pour ne rien dire : toutes les allocutions du général de Gaulle en Algérie, alors qu'il venait d'accéder aux affaires, se situent dans la droite ligne de ses prises de position depuis 1947. N'a-t-on pas vu certains de ses thuriféraires, gênés par le fait patent que son discours de Mostaganem, le 6 juin 1958, s'était terminé et résumé par le cri : «Vive l'Algérie française !», comme Terrenoire, expliquer que ce cri lui avait « échappé » parce qu'il était « pressé par la foule », ou comme Michel Droit, qu'il était « fatigué » ? On ne semble pas se rendre compte de ce qu'il y a de dérisoire et même d'injurieux pour de Gaulle dans ces ridicules « explications ».


Européens et musulmans mêlés manifestent leur attachement à la France. Profondément patriote, la population algérienne, qui n'a pas oublié les sacrifices consentis par ses fils au cours du second conflit mondial et la part prise par les «Africains» de Juin et de Montsabert aux campagnes d’Italie, manifeste ici sa confiance en de Gaulle. Un peu plus de deux ans après ces journées de mai 1958, la situation se sera inversée, le F.L.N. aura réussi à gagner les masses musulmanes et le fossé s'agrandira entre les deux communautés.
(photo. Lessing-Magnum)

« Terre française aujourd'hui et pour toujours »


Le général de Gaulle au côté du général Massu, patron des parachutistes qui constituaient le fer de lance de l'armée d'Algérie. Ce dernier jouera lui aussi un rôle important dans le déroulement des événements de mai 1958. Une interview donnée à un journal allemand entraînera sa disgrâce au début de 1960, ce qui déclenchera à Alger l'insurrection des barricades. Demeuré fidèle au régime au moment où s'est développée l'O.A.S. le général Massu occupera ensuite des commandements importants, notamment en Allemagne.
(photo Parimage)

Je ne décrirai pas ici, une fois de plus, la trajectoire par laquelle passèrent, de 1958 à 1962, de l’Algérie française à la fuite, la pensée et les positions politiques du général de Gaulle.
En juin 1958, tous les Algériens, y compris et en premier lieu les musulmans, sont des « Français à part entière », l’Algérie est « terre française aujourd'hui et pour toujours ».


Alger en 1958. Le général de Gaulle s'adresse à la foule pour lui promettre le maintien en Algérie de la présence française. C'est à Mostaganem qu'il lancera le fameux « Vive !Algérie française! » qui devait tant lui être reproché par la suite. Il est probable qu'il ait pensé sincèrement, à cette date, qu'il était possible de maintenir la France « de Dunkerque à Tamanrasset ». Le contexte mondial et ce qu'il crut être les intérêts supérieurs l'amenèrent à entreprendre une autre politique.
(photo R. Darolles - Sygma)

En janvier 1959, on offre à l’Algérie « une place de choix dans la Communauté », mais on se garde de préciser laquelle.
En septembre de la même année, de Gaulle annonce l’autodétermination, avec trois solutions possibles, et condamne en termes sévères l'une d'entre elles, la sécession.
En janvier 1960, il déclare encore vouloir « la solution la plus française ».
Deux mois plus tard, il l'écarte catégoriquement et préconise « l'Algérie algérienne », formule peut-être brillante mais vide de sens, à moins qu'elle ne signifie déjà, purement et simplement, l'abandon de ce pays au F.L.N.
En juillet 1960, il laisse entendre que l'Algérie aura son gouvernement, en novembre qu'elle sera un Etat, en avril 1961 que cet Etat sera indépendant, en décembre que la France « dégage » et qu'elle livre l'Algérie, avec ses populations, aux terroristes cependant battus sur le terrain mais à qui de Gaulle fait cadeau d'un imprévu triomphe politique.
Jamais retournement plus complet n'a été exécuté en trois années par un chef d'Etat, qui revenu au pouvoir, dans des circonstances dramatiques, pour s'acquitter d'une certaine mission, a décidé de faire exactement le contraire.

Il est clair qu'entre l'intégration de l'Algérie à la République (que je voyais, quant à moi, se transformer plus tard en fédération si les institutions françaises assumaient enfin un caractère fédéral), et l'abandon vulgaire, il n'existait aucune formule intermédiaire. Ayant écarté tous les conseillers, métropolitains, Européens d'Algérie ou musulmans, qui connaissaient les problèmes complexes de ce pays, entouré d'ignorants ou de partisans fanatiques, de Gaulle seul, par-dessus la tête du gouvernement et du Parlement, prit les décisions fatales qui ont sonné le glas de l'Algérie et de l'Union française. Il assuma seul la responsabilité entière du désastre. Il ne consulta ni ses ministres, ni les anciens gouverneurs ou résidents tels que Naegelen, Lacoste, Viollette, Le Beau ou moi, ni les élus algériens arabes ou européens, ni les hauts fonctionnaires ou chefs militaires qui avaient vécu jour par jour le drame sanglant de l'Algérie. Dédaignant tous les avis et réfractaire à l'évidence des faits, s'attachant à une vision chimérique, il chercha d'abord en vain, pendant deux ans, l'introuvable et inexistante troisième voie, pour se rallier enfin à la plus désastreuse de toutes les solutions possibles. Au lieu d'aménager, à tout le moins, le « dégagement », de regrouper en lieu sûr sous la protection de l'armée les centaines de milliers de malheureux qui craignaient, à juste titre, pour leur vie, il livra à la discrétion des terroristes tout un peuple qui avait subi, depuis sept ans, attentats, viols, assassinats. Rien ne fut fait pour faciliter et adoucir ce tragique exode.

De chimère en chimère

L'étrange « affaire Si Salah » ne peut être expliquée que par une volonté tenace de perdre alors qu'on pouvait encore gagner. En juin 1960, on le sait, le général de Gaulle reçut à l'Élysée le chef de la wilaya 4, Si Salah, et un de ses adjoints. Cette entrevue était le résultat de longues négociations qui avaient commencé en mars dans la région de Médéa. Les combattants F.L.N. du bled, harassés par les opérations militaires que le général Challe conduisait avec plein succès, voyant leurs rangs s'éclaircir et leur armement s'amenuiser, se sentant abandonnés par les politiciens du « Gouvernement provisoire de la République algérienne » installés confortablement au Caire et à Tunis, étaient prêts à conclure un cessez-le-feu et à déposer les armes. Les dirigeants de la wilaya 4 apportaient non seulement leur propre consentement, mais ce de leurs camarades qui commandaient les wilaya voisines. En fait, il n'est pas douteux que le cessez-le-feu aurait fait tache d'huile et se serait propagé de l'Algérois à la Kabylie et à l'Oranie, que la paix aurait été rétablie dès la fin de 1960, et qu'un modus vivendi acceptable aurait pu alors être trouvé, laissant Ferhat Abbas, Krim Belkacem, Bentobbal et autres « ministres » du G.P.R.A. réduits à l'impuissance dans leur exil doré.

Or, s'il n'en fut pas ainsi, c'est avant tout parce que de Gaulle s'obstina à négocier, non point avec les combattants de l'intérieur, mais avec le prétendu « Gouvernement provisoire algérien », auquel il conférait par là une importance démesurée. Sans doute, chevauchant la chimère de « l’amitié du monde arabe », s'imaginait-il que l'adhésion de ce soi-disant gouvernement était indispensable à ses plans. Pour jouer un grand rôle dans l'univers, il se voyait à la tête du Tiers Monde ; à cette fin, il devait s'assurer le concours des leaders F.L.N. de Tunis et du Caire, et celui de Nasser qui les protégeait. Les événements subséquents, notamment la prise de position du Général en 1967 contre Israël, jettent une certaine lumière sur ses motifs sept ans plus tôt.

Toujours est-il qu'après s'être entretenu avec Si Salah, il prononça dès le lendemain ou le surlendemain un discours s'adressant directement au G.P.R.A. Au lieu de jouer contre celui-ci la carte des combattants des wilaya, il redorait son blason en le désignant comme son interlocuteur. Décontenancés, les chefs de la wilaya 4 se divisèrent. Si Salah lui-même périt dans une « purge » sanglante, et l'occasion unique de faire la paix dans des conditions honorables fut perdue. Bernard Tricot, qui joua dans cette affaire un rôle important sur lequel toute la lumière n'est pas faite, pouvait être satisfait : n'avait-il pas déclaré qu'il ne fallait pas « gêner le général de Gaulle par des négociations latérales" ?

L'exode et le massacre

- Les accords d’Evian, présentés à l'époque par la propagande officielle comme un chef-d’œuvre de diplomatie et comme offrant des « garanties » solides à la population algérienne, ne furent en réalité qu'un camouflage destiné à sauver la face et surtout à faire croire à l'opinion de la métropole que l'abandon de l'Algérie pouvait être approuvé d'un coeur léger. Un des négociateurs du côté français, Robert Buron, avoue dans ses souvenirs que le chef de l'État ne cessait de harceler et d'éperonner sans relâche Joxe, de Broglie et lui-même pour que l'accord avec les fellagha fût conclu à tout prix, en toute hâte et à n'importe quelle condition. II fallait bâcler ce prétendu accord en lâchant tout, y compris le Sahara, y compris encore et surtout les hommes et les femmes qu'on livrait à la cruelle vengeance des vainqueurs.


Les négociations d’Evian. Les représentants du G.P.R.A. sur le perron de l'hôtel du Parc où avaient lieu les conversations. On reconnaîtra (deuxième à partir de la gauche) Krim Belkacem, qui devait finir tragiquement quelques années plus tard après avoir été le chef de la Wilaya 3 de Kabylie. Ceux qui seront ultérieurement les « hommes forts » de l'indépendance algérienne, Ahmed Ben Bella et Houari Boumediene, ne sont pas là. Le premier a été arrêté en 1956 et le second commande à Ghardimaou l'armée de libération nationale installée en Tunisie.
(photo Keystone)

Nous ne reviendrons pas sur le fait qu'en portant atteinte, par cette décision, à l’intégrité du territoire, le président de la République et le gouvernement ont violé la Constitution, notamment ses articles 2 et 5. Il s'agit ici d'autre chose que de textes ; il s'agit de vies humaines. Cinq mille Européens « disparus » dans les semaines qui ont suivi l'abandon . - hommes condamnés à la mort lente, au travail forcé, femmes et jeunes filles livrées à la prostitution - cent Cinquante mille musulmans torturés, émasculés, écorchés vifs, bouillis, mutilés, coupés en morceaux, écartelés ou écrasés par des camions, familles entières exterminées; femmes violées et enfants égorgés, tel est, le sinistre bilan.

Les accords, d'Evian garantissaient à tous, Chrétiens, Juifs ou Musulmans, la sécurité : il y a eu l’exode et le massacre. Ils garantissaient la libre disposition des biens: il y a eu la spoliation totale des agriculteurs, des artisans, des hôteliers, des commerçants, les appartements occupés et pillés; les meubles volés, le retraité dépouillé de son petit jardin comme le colon de sa ferme. Ils garantissaient une certaine présence protectrice de l’armée : mais l'armée, d'abord, n'a protégé personne, bien au contraire elle s'est associée, sous le commandement d'Ailleret et de Katz, à la lutte contre les Français, puis on l'a retirée avant, même les délais fixés. Ils garantissaient, ces accords, que les Français, qui demeureraient en Algérie jouiraient, des droits de citoyen : la première Assemblée nationale algérienne, d'ailleurs nommée et non élue, a voté aussitôt un statut raciste et religieux de la nationalité en vertu duquel quiconque n'est pas arabe ni musulman n'est qu'un citoyen de seconde zone (1): Ils garantissaient encore que la France demeurerait à Mers-el-Kébir jusqu'en 1977, et que cette présence pourrait être prolongée : de Gaulle a décidé d'évacuer en 1968. Que ne .garantissaient-ils pas? Il n'est pas une clause politique, économique, militaire ou simplement humanitaire de ces accords qui, en six ans, n'ait été, réduite à néant.


«La valise ou le Cercueil » : c'est ainsi que fut vécu par plus d'un million de rapatriés d'Algérie le départ de leur terre natale. Ce formidable exode sera l'un des épisodes les plus douloureux de la guerre d’Algérie; qui aura duré huit ans et aura coûté plus de vingt mille morts à la France.
(photo. Paris Match)

Toutes les conséquences de la politique algérienne suivie depuis 1960 étaient aisément prévisibles. En tout cas, il est une catégorie de Français qui devaient les prévoir: ce sont, avec Michel Debré, tous les dirigeants, parlementaires, élus gaullistes qui, année après année, dans cent motions et mille déclarations, les avaient clairement dénoncées (2). Leur palinodie n'a pas d'équivalent dans notre histoire. Dans ce domaine comme, dans bien d'autres, mais plus encore, que dans la plupart, le néo-gaullisme apparaît point comme la négation du gaullisme.

Jacques Soustelle.

1) Le prêtre catholique Bérenguer qui avait épousé la cause du F.L.N., protesta en vain. Il est à noter que Mgr Duval, ayant adopté la. nationalité algérienne, n'est pas, citoyen à part entière de sa nouvelle « patrie ».

2) Je passe sur l'hommage quasi rituel rendu à ma personne et à mon attitude sur le problème algérien par, Roger Frey,, Chaban-Delmas, Neuwirth, Schmittlein, Maziol et bien d'autres, par les conseils nationaux, et les congrès gaullistes; dans les années qui ont précédé le 13 mai. Voir à ce sujet, quelques savoureuses citations dans un article d'Ernest Denis, Journal du Parlement, 26 octobre 1961.

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6 juin 1958 le discours de Mostaganem

A peine le Général s'est-il présenté à la balustrade qui borde ce podium cerné de bleu, blanc, rouge et marqué d'une croix de Lorraine, qu'une formidable ovation éclate. Plus de deux cent mille personnes, Français et Musulmans, sont venues de toute l'Oranie, de Tlemcen, de Sidi-bel-Abbès, de Mascara, de Bou-Sfer, et sont groupées derrière leurs pancartes.

Le Général remercie et fait un signe de la main pour indiquer qu'il va parler.

Au moment où il ouvre la bouche, des cris: « Soustelle ! Soustelle ! » partent de derrière la tribune. M. Soustelle, qui est avec nous, se dirige vers ces gens et leur enjoint de se taire. D'aucuns ne l'écoutent pas et s'obstinent. Le Général se Tourne alors vers eux et dit d'une voix forte: « Taisez-vous, je vous en prie, laissez-moi parler. »

Il peut ensuite, dans l'attention générale, s'adresser au public.

«La France est ici !
« Elle est ici en vous, hommes et femmes d'Algérie de toutes communautés, catégories et conditions.
« Il faut que toutes les barrières, que tous les privilèges qui existent en Algérie entre les communautés ou dans les communautés disparaissent. I! faut qu'il y ait en Algérie rien autre chose - mais c'est beaucoup! - que dix millions de Françaises et de Français avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. Il s'agit notamment que, dans l'occasion immense qui va être offerte dans trois mois à la totalité des citoyens français, l’Algérie tout entière, avec ses dix millions d'habitants, participe de tout son coeur, comme les autres, exactement au même titre, avec la volonté de démontrer par là qu'elle est organiquement une terre française, aujourd'hui et pour toujours.

« De cette consultation nationale sortiront - je suis là pour cela - des institutions nouvelles, à l'intérieur desquelles l'Algérie aura, comme les autres Français les auront, ses représentants. Et c'est avec ces représentant que l'on verra ce qu'il y a à faire pour qu'il n'y ait plus ici que des Français de la même sorte.

« Oran m'a donné le spectacle inoubliable d'une foi et d'une volonté qui doivent être à la base de tout ce que nous avons à entreprendre, ici et ailleurs.

« Je remercie Oran de tout mon coeur. Je vous convie, tous et toutes, à me suivre dans le chemin où j'ai le mandat de conduire la France. C'est ici, en particulier, que j'attends votre concours sans condition et sans réserve, ce qui est indispensable, pour que nous ayons à renouveler notre pays du haut en bas, et d'un bout à l'autre.

« Vive Oran, ville que j'aime et que je salue, bonne chère, grande ville française

« Vive la République! Vive la France! »

Les derniers mots sont écoutés dans le recueillement, puis lorsque le Général dit: « Oran, bonne, chère, grande ville française ! », la foule ne se contient plus et de véritables clameurs de joie saluent la fin de cette allocution.

© Presses de la Cité, Raoul Salan, Mémoires - l'Algérie française.

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Paroles ecrites et entendues

« En reprenant la direction de la France, j'étais résolu à la dégager des astreintes, désormais sans contrepartie, que lui imposait son Empire. On peut penser que je ne le ferais pas, comme on dit, de gaieté de coeur. Pour un homme de mon âge et de ma formation, il était proprement cruel de devenir, de son propre chef, le maître d’œuvre d'un pareil changement. » (Mémoires d'Espoir. Le Renouveau,Pion)
« Ceux qui crient aujourd'hui le plus fort - intégration - sont ceux-là qui alors étaient contre cette mesure. Ce qu'ils veulent, c'est qu'on leur rende l’Algérie de papa, mais l'Algérie de papa est morte, et si on ne le comprend pas, on mourra avec elle. » (Interview à Pierre Laffont, 29 avril 1959)

« Objectif de Gaulle »

Au cours de l'histoire française, peu de chefs d’Etat auront été aussi visés par les terroristes que le Général. Vers la fin de la guerre d'Algérie, abattre de Gaulle était devenu l'obsession de tous ceux qui ne lui pardonnaient pas d'avoir accordé l'indépendance aux Algériens et d'avoir « bradé » l’Algérie française. En tout, une trentaine d'attentats ou de tentatives d'attentat ont été organisés contre le premier président de la Vème République. Mais quatre seulement auraient pu être fatals.

Le 8 septembre 1961, sur la Nationale 19 qui conduit la Citroën D.S. présidentielle de l’Elysée vers Colombey-les-Deux-Églises, à la hauteur de Pont-sur-Seine, une gigantesque gerbe de flammes embrase la chaussée. La D.S. du général de Gaulle est violemment déportée. Du sable en fusion est projeté sur la carrosserie. Les phares sont brisés. Mais le chauffeur parvient à redresser la voiture. « C'est une mauvaise plaisanterie », laisse dédaigneusement tomber le Général. En fait, si la machine infernale avait correctement fonctionné, la D.S. aurait été pulvérisée. L'O.A.S. vient de manquer son « objectif n° 1 ».

En mai 1962, un commando « Delta » est arrêté à Paris. Les hommes des « Delta » sont des durs, habitués aux opérations « ponctuelles » (élimination physique des adversaires) et aux attentats. Leur objectif était, une fois de plus, le général de Gaulle. L'opération « Chamois » devait se faire en deux temps.

Au cours d'une première tentative, le 20 mai, les « Delta » devaient faire sauter le train présidentiel, qui emmenait le général de Gaulle vers Limoges, à la hauteur d'Etampes. Le même jour, dans la soirée, au retour du Général, un tireur d'élite posté en face de l'Élysée, dans l'atelier d'un peintre situé au 88, rue du Faubourg-Saint-Honoré, devait abattre le Président sur le perron. Tentative doublée de l'envoi d'une roquette. Seul un incroyable hasard a pu faire échouer l'opération « Chamois », considérée comme irrémédiable par les policiers.

Le 22 août 1962, alors que 1 Algérie vient de proclamer son indépendance, la voiture présidentielle quitte l'Elysée pour l'aérodrome de Villacoublay. A la hauteur du Petit-Clamart, la D.S. est prise entre les tirs croisés de plusieurs armes automati-ques. On retrouvera une centaine d'étuis sur les lieux. Une balle a fait éclater la vitre arrière de la D.S., une autre est entrée dans l'aile gauche, une troisième a frôlé Mme de Gaulle. Le bas des portières et les pare-chocs sont criblés. Le chauffeur accélère et passe. « C'était tangent, mais ces messieurs tirent mal! », constate le général de Gaulle, qui ne s'est pas couché, en époussetant les morceaux de verre qui le couvrent. Pour avoir organisé cet attentat, le lieutenant-colonel Bastien-Thiry sera condamné à mort et exécuté.

Le 28 août 1964, une gerbe de flammes jaillit d'une vasque en pierre qui borde le musée du Débarquement de Provence, au Mont-Faron. Le 15 août précédent, le général de Gaulle était venu inaugurer le musée et il était resté de longues minutes à côté de cette vasque. C'est la dernière tentative d'assassinat de l'O.A.S. contre sa personne. Et un bel échec: la télécommande n'a pas fonctionné. Peut-être parce qu'un des conjurés n'a pas osé aller jusqu'au bout. Ou qu'il y a eu un « complot » ou une manipulation policière. Après le « coup » du Mont-Faron, l'O.A.S. se dissoudra d'elle-même.