par Pascal GAUCHON (Le Crapouillot n° 93, avril 1987, pages 60 à 67)
Le général De Gaulle avait raison : il n'y a pas eu d'accords d'Evian, parce qu'il ne le voulait pas et qu'il ne le pouvait pas.
L'histoire des négociations qui se terminent le 18 mars 1962 n'est pas, en effet, la recherche d'un point d'équilibre entre les intérêts de la France et ceux des nationalistes algériens du Front de libération nationale. Elle marque au contraire l'alignement progressif de la position française sur celle des « rebelles » qui, pour l'essentiel, ne modifient pas leurs principes énoncés dès 1956 au cours du congrès clandestin organisé dans la vallée de la Soummam, en Kabylie.
Cette réunion des chefs de l'insurrection avait posé quatre conditions à un éventuel cessez-le-feu :
«
Le Congrès avait en outre fixé des « points de discussion » pour les négociations de paix
Le FLN ne reviendra jamais sur ces postulats : plus sa situation est difficile, plus il se durcit et se crispe. Il joue sur le temps et la lassitude de la France. Or, après son retour au pouvoir en 1958, le général De Gaulle veut trouver une solution rapide au problème algérien.
Il en a besoin pour des raisons intérieures. Son pouvoir, né de la révolte du 13 mai, reste trop dépendant des Européens d'Algérie ou des militaires. Le général se trouve pris en tenailles entre les partisans de l'Algérie française, à qui il doit son retour aux affaires, et une gauche qui ne lui pardonne pas la façon dont il a enterré la IV' République.
Surtout, il lui faut finir la guerre d'Algérie pour des raisons internationales. Lorsque, devant les officiers du colonel Trinquier, De Gaulle déclare : « Messieurs, il n'y a pas que l'Algérie, il y a l'Europe, il y a la France », il dévoile ses ambitions. Il faut s'ouvrir sur le tiers monde (Jean de Broglie, l'un des trois négociateurs d'Evian avec Louis Joxe et Robert Buron, définira les accords comme « une porte étroite sur le tiers monde »). II faut faire jouer à la France un rôle de leader en Europe, d'arbitre entre les deux grands, de grande puissance industrielle et de référence morale à travers le monde. Tout cela ne lui semble pas possible tant que son armée, son énergie, son argent sont immobilisés dans une guerre d'Algérie qui la marginalise. Il faut en finir d'une façon ou d'une autre, et le plus vite possible.
Face à face, donc, un homme pressé et une organisation monolithique et patiente. Dès lors, les événements vont s'enchaîner selon un processus logique.
Le général De Gaulle a besoin de négocier, ne serait-ce que pour l'opinion française et internationale. Pour amener ses adversaires à la table de Conférence, il fait une concession. Cela renforce le FLN qui se trouve encouragé à refuser tout compromis. C'est la rupture, bientôt suivie d'une nouvelle concession française.
Ainsi, le 16 septembre 1959, De Gaulle propose « l'autodé-termination » . Le GPRA se réjouit : «Le droit de disposer librement de son destin est enfin reconnu au peuple algérien. » Et son vice-président, Krim Belkacem, enchaîne : « Votre lutte a obligé l'ennemi à parler d'autodétermination, revenant sur le mythe répété de l'Algérie française. » Mais le GPRA rappelle que rien ne se fera sans lui, et les combats continuent.
Le 14 juin 1960, le général franchit une nouvelle étape. Il évoque le problème algérien, « posé depuis cent trente ans », ce qui revient à remettre en cause le statut français de l'Algérie. Surtout, il promet que « toutes les tendances pourront prendre part aux débats qui fixeront les conditions du référendum » (sur l'autodétermination) et donne ainsi satisfaction au GPRA. Des négociations s'ouvrent à Melun le 25 juin. La France vient de reconnaître de facto la représentativité du GPRA, ce à quoi elle s'était toujours refusée. Mais De Gaulle juge imprudent d'aller plus loin pour le moment. Les négociateurs se séparent.
Toute la fin de l'année 1960 marque une nouvelle évolution de la position française. Le 4 novembre, le président de la République parle d'une « République algérienne, laquelle existera un jour ». Le référendum du 8 janvier 1961 écarte définitivement l'idée d'une « francisation » de l'Algérie. Des pourparlers secrets ont lieu à Lucerne en février et mars. Ils débouchent le 30 mars sur l'annonce de l'ouverture de négociations officielles. Cependant, le ministre des Affaires algériennes prétend au même moment négocier avec le MNA, mouvement nationaliste rival du FLN. La Conférence est reportée sine die.
Le 11 avril, le général relance à nouveau le mécanisme. II promet que l'Algérie sera un Etat «souverain au-dedans et au-dehors ». Le 8 mai (douze jours après l'échec du putsch des généraux), il affirme qu'il entend discuter « avec ceux que nous combattons ». Du coup, il réduit le scrutin d'autodétermination à une simple formalité, l'indépendance étant acquise d'avance, et il reconnaît aux rebelles un rôle central, sinon encore exclusif, dans les négociations à venir. Satisfaction est donc accordée au FLN sur deux points essentiels.
Bien plus, pour saluer l'ouverture des discussions à Evian le 20 mai, la France transfère Ben Bella et ses compagnons, détenus depuis 1956, au château de Turquant, libère six mille prisonniers et décrète une trêve unilatérale. Le FLN engrange ses gains, mais sans faire, à son tour, de concessions. Le 13 juin, la Conférence est suspendue. Elle reprend à Lugrin, le 20 juillet, sans plus de succès. Deux problèmes majeurs divisent encore les deux parties : le sort du Sahara, que la France souhaite conserver, et l'avenir des Européens d'Algérie. Le général De Gaulle ne parle-t-il pas à l'époque d'un « regroupe-ment » - ce qui laisse planer la menace d'une partition ? Plus sérieusement, les négociateurs français cherchent à obtenir un statut de double nationalité que justement la « plate-forme » de la Soummam récuse totalement.
La Conférence de presse du 5 septembre lève le premier obstacle. « Ce dont il s'agit, c'est du dégagement. » Et pour « se dégager » , De Gaulle admet le principe de la souveraineté algérienne sur le Sahara. En même temps, il accorde au FLN une satisfaction formelle importante: ce n'est pas la France qui organisera le référendum, mais un « pouvoir provisoire algérien » dont le FLN pourra faire partie, appuyé sur une « force armée locale, donc algérienne».
II reste encore à céder sur le problème des Européens d'Algérie, au centre des rencontres entre Joxe et Krim Belkacem, à la fin de l'année, et des discussions secrètes des Rousses du 11 au 19 février 1962. Le 19 février, des « accords de principe » sont enfin établis : la double nationalité est repoussée. Alors que Joxe revient des Rousses, De Gaulle l'apostrophe ironiquement : « Alors, Joxe, vous avez tout cédé ? »
Les discussions finales qui se déroulent à Evian à partir du 7 mars voient à nouveau s'opposer des négociateurs français pressés par le général De Gaulle d'en finir vite et des Algériens patients. Le 14 mars, au cours d'un incident de séance, Ben Tobbal met les choses au point : « Que peut-on gagner à vouloir se hâter ainsi ? Chacun de nous dira ce qu'il a besoin de dire, ou alors il n'y a pas besoin de discuter. Nous ne voulons pas être bousculés et nous refusons de travailler dans de telles conditions. » La menace d'une nouvelle rupture est efficace, et la France doit accepter de nouvelles concessions en ce qui concerne la situation de l'Algérie jusqu'à l'indépendance.
Pour l'essentiel, le FLN a obtenu ce qu'il recherchait. Le cessez-le-feu peut entrer en vigueur. Mais peut-on baptiser « accords » ce qu'Alfred Fabre-Luce appellera avec cruauté une «capitulation sans défaite » ?
La lecture des textes est instructive, en particulier en ce qui concerne le sort futur des « citoyens de statut civil de droit commun » , c'est-à-dire essentiellement des Européens qu'un dirigeant du FLN dépeindra comme un « ramassis italo-maltais » (1). Durant une première période de trois ans, ils bénéficient de la double nationalité et l'armée française, encore présente, peut les protéger. C'est ensuite que les choses se compliquent. Ils doivent choisir entre les nationalités française ou algérienne.
S'ils décident de conserver la nationalité française, ils deviennent des étrangers sur cette terre où ils sont nés. Leurs droits sont soigneusement énumérés et délimités, leurs biens seront protégés « sous réserve des dispositions concernant la réforme agraire ». Cela leur paraît d'autant plus choquant que les Algériens résidant en France se voient reconnaître tous les droits des Français sauf les droits politiques.
Ils peuvent préférer devenir Algériens. Encore faut-il pour cela une « formalité administrative » (les négociateurs français auraient souhaité que l'acquisition de la nationalité algérienne soit automatique mais, là encore, ils ont dû céder). Cela signifie renoncer à la protection française. Aussi une longue « déclara-tion des garanties » s'emploie-t-elle à les rassurer.
Cette bonne volonté, il faut s'en assurer. Dans le système d'Evian, c'est le rôle imparti à la coopération entre la France et l'Algérie, la « garantie des garanties ». L'aide prévue par le plan de Constantine (lancé en 1958 pour assurer le développe-ment de l'Algérie) sera prolongée et la coopération technique maintenue. Ainsi la France espère-t-elle « acheter » la bonne volonté de l'Algérie. Tandis que les liens entre les deux pays seront renforcés. L'Algérie restera dans la zone franc, les entreprises françaises continueront à exercer leur activité et les investissements seront libres.
Encore tout ceci suppose-t-il que le futur gouvernement algérien souhaite développer ses échanges avec la France, ce qui l'ancrerait dans le camp capitaliste. Hypothèse tout à fait hasardeuse...
Telle semble bien la grande faiblesse des accords d'Evian. Ils posent en postulat que l'Algérie restera un pays libéral. Tel est en fait le sens des garanties accordées aux Européens devenus citoyens algériens, auxquels on promet qu'ils bénéficieront « de droits et libertés définis par la déclaration universelle des Droits de l'homme ». Robert Buron voit bien le problème quand il confie à ses amis du MRP : « Nous avons négocié pour obtenir, au bénéfice de la communauté européenne, toutes les disposi-tions libérales qui sont de règle dans nos sociétés occidentales.» (2)
Il faudra peu de temps pour balayer les illusions. Comme le dit avec force Maurice Allais dans «L'Algérie d'Evian », en fin de compte et tout bien pesé, « la seule garantie, c'est le retour ».
Toutes les garanties accordées aux Européens n'existent donc que sur le papier. Les musulmans favorables à la France n'ont même pas cette chance. Il n'est pas prévu qu'ils puissent réclamer le statut de « citoyen de statut civil de droit commun » et ils n'ont donc droit à aucune garantie. En particulier, ils ne sont pas concernés par la possibilité de quitter librement l'Algérie, et le futur gouvernement pourra le leur interdire. Tout se passe comme si les négociateurs français s'étaient simple-ment souciés des Européens d'Algérie, accordant implicitement au FLN la représentativité de tous les musulmans.
Ceci met un point d'orgue à toutes les concessions françaises. Que le lecteur compare les accords d'Evian aux principes posés par le congrès de la Soummam et il constatera aisément l'ampleur du succès algérien. Ben Khedda, qui a succédé à Ferhat Abbas à la présidence du GPRA, ne le cache pas. Il exulte : « La teneur des accords d'Evian est conforme aux principes de la Révolution maintes fois affirmés. »
Est-ce dire que la France n'a rien obtenu ? Le jugement serait excessif et l'objectivité amène à constater que, sur deux points, le FLN a fait des efforts - quitte à reprendre plus tard ce qu'il a accordé.
A diverses reprises, les négociateurs français ont précisé que certaines clauses militaires ne pouvaient pas être discutées. Il s'agit de l'utilisation de la base de Mers el-Kébir et de celle du Sahara pour des expériences atomiques. Le texte final leur donne donc satisfaction, au moins provisoirement. La France conserve pour cinq ans « ses installations expérimentales au Sahara » ainsi que les aérodromes de Colomb-Béchar, Reggane et Imm-Amguel. Mais, dès 1963, elle sera obligée de transférer son centre d'essais atomiques vers le Pacifique.
L'affaire de la base de Mers el-Kébir est plus étonnante encore. Déclarée vitale pour la sécurité du pays, elle est conservée à la France « pour une durée de quinze ans renouvelables ». Puis, comme on a oublié d'inclure dans la zone française le terrain de l'aéronavale de Lartigue, « on construit à grands frais une piste sur le terrain exigu de la base. Une fois terminée, on découvre que les fusées à longue portée rendent cette place inutile et on la remet entre les mains de l'Algérie dès 1968 (3). » La France a joué ses dernières cartes pour conserver une base à laquelle elle renonce d'elle-même, neuf ans avant le terme échu...
En réalité, aux yeux du général De Gaulle, l'essentiel est que la forme ait été respectée. Et c'est bien ce qu'il veut dire en ce soir du 18 mars quand il présente à la France le bilan de son action. « Si la solution du bon sens poursuivie ici (4) sans relâche depuis bientôt quatre années, a fini par l'emporter... cela est dû d'abord à la République qui a su se réformer... Cela est dû ensuite à notre armée qui, par son action courageuse, au prix de pertes glorieuses et de beaucoup de méritoires efforts, s'est assuré la maîtrise du terrain dans chaque région et aux frontières... Françaises, Français, pour que soit ratifié ce qui est décidé, pour que soit en conséquence, et en dépit des derniers obstacles, accompli ce qui doit être, il faut maintenant que s'expriment très haut l'approbation et la confiance nationale. »
De Gaulle veut donner l'image d'un empereur cornélien, « maître de lui comme de l'univers » . Il ne cède pas puisque, grâce à l'armée, il est en position de force sur le terrain. Il accorde une indépendance qui sert les intérêts de la France. Ainsi comprend-on qu'il se refuse à parler d'«accords » : ce serait reconnaître le GPRA officiellement. Outre le fait que ce dernier s'est créé en septembre 1958 comme une fin de non-recevoir à l'offre de « paix des braves » faite par le général De Gaulle - et l'on sait que ce dernier ne pratique guère le pardon des offenses - le chef de l'Etat ne peut accepter d'investir immédiatement les « rebelles » à la tête de l'Algérie. Ce serait revenir sur la démarche qu'il a choisie : cessez-le-feu - scrutin d'autodétermination - indépendance dans l'associa-tion avec la France.
Le FLN comprend qu'il y a là un point qui ne peut être négocié. Les « accords » prévoient donc un schéma conforme aux principes énoncés par De Gaulle
Les formes sont respectées, le général De Gaulle a sauvé la France. Pourtant, comme cette «victoire » apparaît dérisoire et dangereuse !
La « période intermédiaire » ne comporte d'ailleurs pas que des inconvénients pour le FLN. Après les moments difficiles qu'il a vécus en 1959 et 1960, quand le plan Challe écrasait les willayas de l'intérieur, il n'est pas sûr de contrôler la population. Comment ne s'inquiéterait-il pas du mouvement favorable à l'Algérie française, de cette OAS qui contrôle une large partie de la population européenne ou de ces harkis, plus nombreux que les troupes de l'ALN et mieux armés ? La période intermédiaire évite au FLN de se retrouver face à ces problèmes que la France doit résoudre. Conséquence logique des « accords » d'Evian, c'est l'armée française qui désarmera les harkis et ce sont des soldats français qui materont la révolte de Bab el-Oued ou tireront sur des manifestants brandissant le drapeau français. En un mot, la France a obtenu à Evian le droit de faire place nette pour le FLN.
Quelques mois avant les accords, Alain Peyrefitte l'avait pressenti. Dans « Faut-il partager l'Algérie ? » , il affirmait
« Pour réussir la prise de pouvoir... il faut que les révolution-naires algériens amènent le gouvernement français à éliminer lui-même tous les adversaires ; à organiser lui-même l'évacua-tion de la communauté européenne de métropole ; à sacrifier lui-même à l'autorité exclusive du FLN, les autres tendances (...) ; à installer lui-même un exécutif provisoire qu'ils ne peuvent accepter que s'il est composé de leurs doublures ; à créer lui-même les conditions d'une dictature du FLN. »
La prédiction, qui se réalisera point par point, montre bien que les « accords » d'Evian furent un marché de dupes.
Surtout que le refus de signer au côté du GPRA (seul Krim Belkacem paraphera le document) signifie que ni les dirigeants du FLN ni le futur gouvernement de l'Algérie ne seront obligés de respecter le texte. Marc Lauriol relève ce point dès le 26 avril : « Quelle garantie avons-nous que le futur Etat algérien souverain entérinera les accords, en vertu même de sa souveraineté ? Rien ne l'obligera à se tenir pour engagé par un traité qui lui aura préexisté - puisqu'il aura été conclu avant sa naissance et négocié par un organisme dont la France même reconnaît qu'il n'est pas un gouvernement... Devra-t-on admettre que l'Algérie sera indéfiniment liée par des accords qu'elle aurait trouvés en quelque sorte dans son berceau ? »
L'obstination du général De Gaulle à refuser toute représenta-tivité juridique à un GPRA, dont il fait pourtant le lit en Algérie, est lourde de menaces. Les soubresauts de l'indépendance et la victoire des militants les plus extrémistes du FLN - Ben Bella et Boumediene - feront le reste. Qu'on en juge par ces quelques exemples.
Reste un dernier mythe, selon lequel les accords d'Evian auraient pu être appliqués s'il n'y avait pas eu l'OAS. C'est elle qui, par ses attentats sanglants, aurait provoqué la rupture définitive entre les deux communautés et encouragé l'exode des Européens.
Si le déchaînement de violence des derniers mois n'est pas discutable, il n'est nullement imputable à la seule OAS. Peu suspect d'hostilité systématique envers le FLN, Vincent Monteil, conseiller politique de Christian Fouchet (qui repré-sente la France en Algérie), le reconnaît et avoue qu'il a dû « adjurer », après la découverte d'un charnier dans les faubourgs d'Alger, ceux qu'il continue à appeler imperturbable-ment « mes amis » : « Vous n'avez pas le droit d'assassiner et de torturer. » Les assassinats du FLN continuent néanmoins, des Européens sont enlevés (le ministre de Broglie devait évoquer le chiffre de 3 080 disparus dans un discours le 7 mai 1963, chiffre qui semble bien inférieur à la réalité). Dans le bled abandonné par l'armée française, des harkis sont massacrés, souvent après d'épouvantables tortures. Le 5 juillet 1962, sept « katibas » entrent dans Oran et, prises de folie sanguinaire, se jettent sur les civils, abandonnant au moins quatre-vingt-quinze cadavres dans les rues (le général Jouhaud parle d'un millier de morts). Ceci ne suffit-il pas à expliquer l'exode ?
De plus, la violence de l'OAS a été encouragée par l'attitude du pouvoir. En acceptant de négocier avec le FLN, en lui donnant satisfaction sur l'essentiel, la France reconnaît l'effica-cité de huit ans de terrorisme. Comment ne pas en tirer la leçon? Et comment ne pas s'étonner de voir le gouvernement français refuser toute négociation avec les révoltés de l'Algérie française quand il vient de s'entendre avec les rebelles de l'Algérie algérienne ? L'OAS n'est invitée ni à Evian ni ailleurs. Acculée au désespoir et à la violence, l'organisation secrète - qui tentera de s'entendre directement avec le FLN (accords Susini-Mostefaï) - n'a d'autre recours que la rue.
Qui pourrait croire enfin au sérieux des garanties ? Les négociateurs français eux-mêmes, comme Robert Buron, ne se font guère d'illusion : « La présence française en Algérie, pour laquelle j'ai tant lutté, risque de devenir pour longtemps un leurre. » (5) Bernard Tricot, qui fut secrétaire général de l'Élysée, n'est guère moins sévère aujourd'hui : « Tout cela était bien sur le papier, que sur le papier » (Interview accordé à Historama en mars 1986). L'exemple vient de haut puisque De Gaulle lui-même avoue à Louis Terrenoire : « Que les accords soient aléatoires, c'est certain... »
Pour arriver à ce résultat, fallait-il continuer les combats pendant quatre ans, pousser dans les reins l'armée française afin qu'elle gagne, compromettre plusieurs centaines de milliers de combattants musulmans à nos côtés ? Et comment ne pas conclure avec Maurice Allais (6) : « Le pouvoir a fait quatre ans de guerre pour imposer à l'adversaire la solution qui était précisément son objectif final. »
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