Nous sommes en 1844, la terre du Sahel sent encore la poudre mais la vie civile s'organise.
        C'est par le décret du 13 septembre 1844 que la création du village de Zéralda fut décidée. Situé à une trentaine de kilomètres à l'ouest d'Alger, dans une région marécageuse et non cultivée, Zéralda dépendait de Koléa jusqu'en 1861, de Chéragas jusqu'en 1881, de Staouéli de 1881 à 1905. Son érection en commune de plein exercice n'a pas été facile, elle a duré plus de 10 ans du fait de l'hostilité du Maire de Staouéli, M. Augreau (maire de 1887 à 1905) et de son conseil.
        Cette demande d'autonomie de Zéralda a engendré pas mal de péripéties tragi-comiques que je vais essayer de vous rapporter.
        Les causes de cette séparation sont connues grâce à deux pétitions de mars et de septembre 1874, dans lesquelles les habitants et les habitantes de Zéralda font le triste tableau de leurs longues souffrances. Staouéli osait s' accaparer de presque toutes les recettes des deux agglomérations. Vous trouverez, ci-joint, le texte intégral de ces pétitions. Les problèmes essentiels sont d'assécher d'urgence les lacs car on craint les fièvres et les habitants ont particulièrement peur du " RETOUR DE LA PESTE " qui a décimé le village en 1891.
        Ces pétitions ont été rédigées par le Comte de Périgord, parent de Talleyrand et propriétaire de ce qui sera plus tard la ferme Ratel. Les Zéraldéens pensent qu'ils peuvent s'affranchir de la tutelle de Staouéli et devenir une commune de plein exercice, puisque le nombre d'électeurs voulus est suffisant (48 en 1894), qu'ils disposent de ressources (budget excédentaire de 2 753,02 F en 1894).

                MONSIEUR LE GOUVERNEUR GÉNÉRAL..
        Les soussignés propriétaires, vignerons, pères de famille et tous domiciliés, contribuables à Zéralda, section de Staouéli ont l'honneur de vous exposer que leur plus vif désir est d'être érigés en Commune de plein exercice, car la situation qui leur est faite par le chef lieu de la commune est des plus déplorables sous tous rapports.
        Tous les ans leurs recettes sont sacrifiées par Staouéli qui n'a nullement cure de leurs besoins : les rues de Zéralda sont dans un si triste état que la circulation est devenue impossible ; c'est en vain que, depuis deux ans, ils sollicitent la réparation de leurs fontaines…
        Sur la place du village toujours boueuse et infecte, leur regretté adjoint, Monsieur Portier avait créé un jardin pour son assainissement, le but fut atteint, il faisait l'admiration de tout le monde mais les édiles refusèrent l'argent pour l'entretenir, ils firent plus : par un vote, le jardin fut supprimé, la place a repris son ancien aspect de dépotoir !
        La mairie de notre section est en ruine, l'école communale mixte dirigée par une institutrice est fréquentée par trente cinq élèves, s'il y avait un instituteur, il y en aurait le double car l'école libre dirigée par des sœurs en compte quatre-vingt cinq.
        L'église menace de ruine, le cimetière est dans un état indigne du respect dû aux morts, rien ne les protége contre les déprédations des fauves !...
        Les habitants de Staouéli ont eu le privilège de faire dessécher leur lac, grâce à la générosité de Monsieur le Gouverneur Général ; ceux de Zeralda sont là, qui regorgent d'eau corrompue, comme aux premiers jours de la conquête ; ils couvrent une superficie très étendue qui a reçu de la semence avant les pluies ; outre les récoltes perdues, la fièvre est en perspective, elle sera en permanence pendant l'été, elle ne s'arrêtera que faute de victimes.
        Les soussignés auront-ils la douleur d'assister à toutes les horreurs de la peste, comme il y a trois ans, qui décima le village, où les malheureux que la mort avait déjà frappés de son aile retrouveraient encore assez de force pour maudire le triste sort qui leur était réservé ?…
        Pour éviter tous les malheurs qui menacent et pour prouver leur bonne volonté, ils s'offrent de bon cœur, Monsieur le Gouverneur Général, à subir encore l'augmentation des centimes additionnels, bien qu'ils en paient déjà CENT TROIS ou soit à faire des prestations en nature pour contribuer aux travaux à exécuter le plus promptement possible dans leurs lacs.
        Les habitants de Zeralda espèrent qu'en mettant à nouveau sous les yeux de Monsieur le Gouverneur Général, le triste tableau de leurs souffrances, il se rappellera les promesses à eux faites, et de les traiter aussi généreusement que Staouéli. En outre, Zéralda a une superficie beaucoup plus vaste que Staouéli puisqu'il s'étend sur 3 700 ha, et que Staouéli n'en compte que 1 618, à la même date.


        Une première tentative de séparation eut lieu de 1894 à 1897.
        En effet c'est elle qui a connu le plus d'épisodes ubuesques car Monsieur le Maire Augereau a tout fait pour empêcher ce divorce, n'hésitant pas à braver les Autorités Administratives.
        Il prétendait que de fausses signatures étaient apposées au bas des pétitions. En réalité, il n'y en avait que deux de fausses, deux amis du Maire de Staouéli qui certifiaient n'avoir jamais signé cette pétition.
        Après enquête de la gendarmerie, demandée par le Préfet, un signataire y avait bien apposé sa griffe, l'autre, un illettré notoire, avait demandé que quelqu'un signe à sa place.
        Monsieur Augereau, de mauvaise grâce, doit s'incliner, signer la pétition pour la légaliser et accepter les élections.
        Celles-ci devaient avoir lieu le 28 octobre 1894. Ce n'est que le 16 octobre que le Maire de Staouéli avise les habitants de Zéralda à se porter aux urnes. La loi prévoyait un délai de quinze jours précédant le scrutin, ce qui n'avait pas été respecté, d'où l'annulation par la Préfecture.

SIGNATURES DES PÉTITIONNAIRES ZERALDEENS

        Monsieur Augereau maintient ces élections alors que tous les Zéraldéens pensaient qu'elle avait été reportée.
        Le 28 octobre 1894, la Commission chargée de surveiller le déroulement du vote, arrive, le scrutin est ouvert à 9 heures… et personne ne vient ! Ne voyant pas venir les électeurs, on fait battre la caisse (le tambour) dans le village pour avertir la population d'aller voter, qu'aucun ordre contraire n'avait été donné.
        Fureur du Préfet.
        Demande d'explications du Préfet, réponse : c'est la faute de la Poste !
        Finalement les élections sont annulées et reportées au 16 décembre 1894.

        Ces dernières respectent la forme et 5 syndics sont élus : ils seront chargés d'étudier les avantages et les inconvénients d'une séparation entre Staouéli et Zéralda.
        Trois Européens sont élus MM. Gaspard Médinger, Gérard Kleen, Alexandre Dumeignil et deux indigènes : Ben Ahmed Anani, Ali Ben Bellel. On a pu remarquer sur un bulletin de vote, une annotation : " Médinger : Bourriquot !!! "
        Le résultat de cette élection fut donné le 5 août 1895.
        La Préfecture refuse la création de la commune de plein exercice de Zéralda. La section de Zéralda est maintenue dans la commune de Staouéli aux motifs : elle n'a pas assez d'électeurs et son budget n'est pas équilibré !!!

        De nouvelles élections ont lieu en 1904. Nous n'avons pas de documents qui en précisent la raison. Nous avons trouvé deux décrets datés du 2 février 1905, qui rend Zéralda commune de plein exercice, signé par le Président de la République, Emile Loubet.
        Celui du 17 mars 1905 organise la transition de la séparation Staouéli-Zéralda.
        Dans cette nouvelle Commune, une délégation spéciale est chargée de remplir les fonctions de Conseil Municipal, Monsieur Broche comme Président, Monsieur Balof (gérant du comte de Périgord) et Monsieur Gadin, comme membres.
        Cependant, la nouvelle Commune dût céder à Staouéli une partie de son domaine communal. Nous avons donc 3 146 ha pour Zéralda et Staouéli 2222 ha soit une perte de 604 ha pour Zéralda au profit de la commune de Staouéli.

        Une partie de ces péripéties peut expliquer l'attitude de Monsieur Augereau, Maire de Staouéli, qui essaie, par des moyens peu orthodoxes, de conserver un territoire civil assez vaste (la Trappe possédant déjà 1 200 ha). Ce qui est incompréhensible, c'est la main mise sur les recettes communales au seul bénéfice de Staouéli et d'un manque d'entretien scandaleux des voieries… zéraldéennes.
        Ces deux Communes se sont parfois encore opposées au cours des 57 ans qu'il leur restait à vivre… De nombreux mariages entre habitants démontrent qu'ils ont su s'apprécier et que leurs malentendus n'étaient pas si graves. Clochemerle ou guerre de clochers ?

Texte écrit sur les données historiques de Madame Camille Medinger.
( Mars 2007)                                      


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