P R O L O G U E

Ce texte est extrait d’un ouvrage intitulé “Quand l’orage passa “de M. Robert Antoine.

* * *

            Nous venions de franchir la passerelle avec nos deux valises ; la sirène de bord rendit son cri déchirant, les amarres furent larguées … Un zoom arrière commença.

            Cela dure deux heures, on ne distingue plus les détails de la rue, la ville s’éloigne doucement, mais sa blancheur persiste puis les bleus envahissent tout. Ils estompent les dernières côtes, les dernières terres de l’Algérie française.

            Les larmes coulent.

            Pas un mot plus haut qu’un sanglot, c’est une vraie tristesse d’Homme, qui n’a pas compris.

            À l’instant précis où les terres africaines disparaissent, il devient un vaincu, un paria.

            Son aventure, l’aventure de ses pères est finie. Il n’y aura plus d’au revoir. C’est un adieu dans la douleur. Sa richesse tant convoitée tient dans les hardes de sa valise, sa fortune dans les quelques billets de son portefeuille. Sa femme serre une médaille en or de Notre Dame d’Afrique, mais elle a gardé une main de fatma comme porte-bonheur…Quand il pense à son avenir : il est sombre.

            Il ne sait rien de ce côté de la Méditerranée.

            C’est un « come Back » dans un pays inconnu.
            Jamais il n’oubliera cette honte qu’on lui inflige et persiste à croire qu’elle est injuste.

            Si j’ai admiré l’esprit d’aventure de mes ancêtres, si je suis fier des générations suivantes pour leur esprit d’entreprise, je dois saluer ceux que le destin a placés sur ce bateau.

            Ce bateau est un symbole, qui prend pour nom « Ville d’Alger, Ville d’Oran, ou que sais-je…. Si des privilégiés prennent l’avion, ils ont les mêmes sentiments, la même tristesse, la même rancœur.

Photo M. Robert Antoine

            Avant de donner des chiffres, je voudrai faire comprendre que c’est tout un peuple qui quitte sa terre, ses habitudes, son mode de vie.
            La France est pour la plupart de ces gens, de ces petites gens, une abstraction.

            Anéantis par le tout perdu et le plongeon dans un futur de néant, où chaque tour d’hélice les mène, ils ne réagissent plus ; le coup porté est trop fort.

            Les séquelles seront innombrables, mais nous y reviendrons plus tard.

            Certes tous ceux qui partent ne sont pas dans le même dénuement, certains ont prévu, d’autres anticipé. Mais ceux qui ont attendu l’ultime moment, ceux qui ont cru jusqu’au bout que l’Algérie serait terre de France, ceux-là, hélas sont les plus nombreux.

            Quand ils se sont décidés à partir, à quitter leur patrie et tout ce qu’ils possédaient, il était déjà trop tard.



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