C'est l'été 1962. Chaque jour des navires déversent leurs cargaisons humaines sur les quais de Marseille, Sète, Port-Vendres ou Alicante.
          Le débarquement des passagers à Marseille se fait entre rangée de C.R.S. mitraillette en bandoulière, et inspecteurs de R.G . espérant trouver quelques participants O.A.S.
          Il y avait de la peur dans l'oeil des enfants, de la douleur dans celui des femmes, de la colère dans celui des hommes.
          Les vieux, les vieilles, souvent embarqués de force, pleuraient leur désespérance, assis, là, sur une caisse.
          En juillet 1962 tout Pied-Noir était suspect, sinon coupable. Le délit d'accent s'ajoutait à celui de sale gueule.
          Un journal communiste de Marseille nous traitait d'envahisseurs, Gaston Deferre, Maire de Marseille, nous trouvait bien encombrants.

          Le Gouvernement Français n'avait pas voulu prévoir cet exode massif.


          Il attendait 400 000 personnes sur 4 ans ;
          Il en arriva 512 000 en 4 mois (de mai à août) dont 192 000 à Marseille pour le seul mois de juin. Des vacanciers, dira- t on,dans la très officielle presse de l'époque.
          Au 31 décembre, 651 265 Français d'Algérie étaient en France.
          Le plus grand exode de l'après - guerre se terminait.

          On a été hébergé dans des camps, on a envahi les lits de la famille oubliée, on a cohabité en se serrant avec ceux qui avaient un toit, une grange, un poulailler. A ceux qui nous ont tendu la main : Merci.


          Paul Delouvrier, un des derniers représentants de la France en Algérie a pu écrire " J'étais scandalisé par la manière dont la France métropolitaine accueillait les Français d'Algérie " .
          Ce brave homme muté à l'E.D.F.avait moins de soucis que les Pieds - Noirs en quête de travail. Bizarre , ils en trouvaient…
          Cet exode a permis à Simone De Beauvoir d'écrire " Quand les Pieds -Noirs se ruèrent sur la France, disputant logement et travail aux autochones, alors seulement on vit naître juste à point pour relancer l'ancien, un nouveau racisme entre gens de même race ".
          Son compagnon, Jean-Paul Sartre a pu oser écrire cette pensée philosophique " Abattre un Européen d'Algérie, c'est faire d'une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre. "
          Dans la même veine mais avec une note d'accent du midi, LE TRAVAILLEUR CATALAN explique aux Pieds-- Noirs débarqués à Port -Vendres " Qu'ils ne doivent pas se sentir privilégiés, le travail, le logement doivent d'abord revenir aux Catalans. Raisonner ainsi ce n'est pas être égoïste mais juste".
          Tous ces pisseurs d'encre ne valent pas une paire de mains sales, une volonté de s'en sortir malgré un moral au plus bas.
          L'insensibilité de De Gaulle a été ressentie comme une vexation supplémentaire. Jamais le chef de l'Etat n'a eu un mot de compassion, de charité, envers ceux qui l'avaient humilié mais aussi appelé.
          Grand chrétien, le grand Charles a dû prier à voix basse pour ravaler ses remerciements et apaiser ses reniements pour ceux qui l'avaient fait " roi" ,
          Pour ces Français perdus, la mère - patrie est devenue une mère marâtre.
          Français et Pieds-Noirs se comprennent mal.
          D'un côté, une France encore sous les relents de la 4éme République, se relève mal des guerres 1939/1945, de la guerre d'Indochine, des indépendances de la Tunisie, du Maroc et bien sûr de l'Algérie.
          D'un autre côté, une population qui saisit mal le fonctionnement métropolitain, fait de clientélisme politique et, en 1962, de renoncements à un patrimoine, à une grandeur. L'Empire est en train de partir en lambeaux, qu'importe ! La 4éme eut des goûts de XVIIIème siècle, on bradait et l'on attendait le déluge …
          Aussi, ne rajouterai-je pas de sel sur la plaie encore ouverte : cela ferait encore mal si on la touchait.
          Ceux qui ont vécu en Algérie ont leurs propres convictions et ne veulent plus réveiller de fantômes. Dans leurs yeux tristes, ils veulent oublier qu'ils sont des vaincus, défendant une cause juste.

                                                                        Tout suffocant
                                                                        Et blême quand
                                                                        Sonne l'heure
                                                                        Je me souviens
                                                                        Des jours anciens 
                                                                        Et je pleure
                                                                                            Verlaine/ Brassens


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