CE QUE J'AI LAISSE

Je n'ai pas l'intention de faire un inventaire des biens que nous avons eus ou que l'on avait quand il a fallu partir. Ces biens matériels, si chers à notre cœur, ne sont en définitive pas plus importants que cela. L'essentiel réside ailleurs.
Ce sont nos racines, notre mode de vie, notre accent que nous avons dû rayer de nos conversations journalières. À quel voisin français vais-je parler de la mouna de Pâques, de la forêt de Sidi Ferruch, des jardins de la Bridja, ou des zlabias. du pâtissier arabe ?
Qui pourra me dire ce qu'est devenu " Zin-Zin la frite ", le marchand de brochettes et de merguez, et qui fait soubressade mieux que Mme Motta ?
Nos réunions chez " Poquet ", nos parties de belote ou de touti, nos anisettes avec kemia, des riens allez vous dire, c'est vrai, mais je connaissais chacun des consommateurs, je vivais avec eux, comme eux.
Certes, ce n'était pas le paradis, mais c'était chez nous, comme dans une famille, avec des heurts, des engueulades, des retrouvailles, des bons moments, la vie quoi ! mais à la Pied - Noir.
On peut aimer ce genre d'existence, comme on peut le refuser complètement.
Ceux qui sont venus après nous ne s'en plaignaient pas, ils avaient accepté nos usages méditerranéens et bien qu'ils aient parlé pointu (on le croyait) ils étaient très vite intégrés dans la communauté...
Aussi, avec l'aide de plusieurs, ai-je eu envie de dresser un plan du centre de Staouéli. Tous ne s'y retrouveront pas, mais le cœur du village étant là, ils auront quelques souvenirs, au moins des écoles, du boulodrome ou des cafés.
          150 noms et plus seront répertoriés, et situés (en annexe, un développement du plan de Staouéli). Excusez-moi pour les autres, mais je n'ai pas pu trouver un plan cadastral du village. Je suis toujours preneur.

PLAN DU CENTRE DE STAOUELI

Voir en annexe le travail de restitution établi par :
J.P ASSANTE,Pierre BUONANNO, Loulou COSTAGLIOLA, René MIGNANO, Alain MONTANER, Dédé & Maryse MIOQUE, J.C TINCQ ,Georges COFFINET, Armand SERRA, et surtout, Roger & Paulette FAUTHOUX , et Marcel RIERA .
Merci à tous.

Aux nostalgiques dont je suis, voici quelques photos qui peuvent nous faire encore rêver


Staouéli vu du ciel en 1958-57


Le kiosque à musique de Staouéli, ni beau, ni laid me rappelle ces fêtes de village bon enfant, où le ban et l'arrière-ban des notables, des propriétaires, se faisaient un devoir d'accompagner leur progéniture qui aurait tant aimé un peu plus de liberté. " Je vous parle d'un temps que vous ne devez pas connaître, " où : le " permettez, Monsieur, que j'emprunte votre fille " était encore en usage chez nous. Je m'égare, je parle de l'Antiquité …
Si mes tangos de 17 ans s'attachent à des filles, voire à une fille, je ne peux me défaire de l'amitié des copains, Edmond, Georges, Ganoutche, Akli, Jeannot et tous les autres. Dispersés dans toutes la France, ils ont dû faire face à l'adversité, eux aussi

C'est Pâques : C'est la " Mouna " dans la forêt de Sidi Ferruch.
Des centaines d'Algérois s'installent pour un immense pique-nique,tradition espagnole reprise par toute la communauté européenne d'Algérie.
Les plus vaillants ont dès le matin' fait des oursins " sur les' mats " herbeuses de la baie de Sidi -Ferruch. D'autres n'ouvriront que des paniers, avec la ' coca " à la tomate et aux anchois.
La soubressade, le boudin à l'oignon font partie des agapes. Le final, c'est la mouna, avec ses grains d'anis ou son œuf planté au centre. Ce n'est pas très fameux mais c'est la coutume.
Puis la jeunesse ira se dégourdir les jambes sur la piste de danse du " Normandie " ou du " Robinson ", deux guinguettes perdues au milieu des pins. Certains sortent l'accordéon pour une musette - partie intime.
C'est la joie, la liesse et pas encore l'alcootest.


Allons au bout de notre rêverie, venez, je vous invite à une belle promenade.
Nous allons à la plage, nous, nous disons " à la mer ", plus exactement plage Est. Pour ce faire, il faut sortir du village, marcher le long de la route qui mène à Sidi Ferruch. Celle-ci est bordée d'orangeraies, et de jardins maraîchers.
Parfois quelques vignes persistent, juste pour nous rappeler qu'il n'y a pas très longtemps la ressource principale était le vin. Nous longeons la forêt de pins, et nous voilà rendus. Les 5 kilomètres ne seront pas une grande fatigue pour nos jeunes jambes. René a apporté une grande corbeille en roseaux que nous remplirons d'oursins… IL restera sur le sable, mais les mangera avec nous. La buvette des " Carrio " est déjà installée. Jeannot, le fils du patron, viendra nous aider à finir nos oursins et nos oignons frais... Le casse-croûte est terminé. Le retour sera plus long, peut être parce que cela monte un peu …


Le vivier de Capomaccio est connu du tout Alger. Pauvres et riches viennent y acheter les moules, les huîtres, les langoustes vivantes, baignant dans d'immenses bassins reliés à la pleine mer. Cet endroit magnifique, bien géré, fit la fortune de ses propriétaires. De fait, ils exerçaient un genre de monopole, puisqu'en Algérie les moules et les huîtres s'acclimataient mal. On devait les importer de France ou d'Espagne.

C'était donc un lieu où l'histoire et la gastronomie se rencontraient, puisque, pour aller chercher quelques huîtres, on passait obligatoirement devant le petit marabout du vénéré Sidi Ferruch. En levant légèrement la tête, on pouvait voir le monument à la gloire du centenaire de la colonisation.Les plus érudits penseront que c'est dans cette baie que les premiers Pieds -Noirs débarquèrent, mais je ne suis pas sûr que c'était là leur pensée première.

Le même angle de prise de vue, à un siècle près. Cherchez l'erreur
Réponse : le timbre bien sûr !, ou le clocher ?

Voilà un document rare, puisqu'il représente les moines trappistes de N.D. de Staouéli.


La communauté religieuse est là pour le photographe, autour du puits, au centre du cloître. De plus, le document est daté de 1904.
C'est une époque que je n'ai pas connue, mais les bons moines, comme l'on disait encore dans notre famille, avaient tant fait pour le village et pour les premiers colons qu'ils font partie de notre histoire. Une des causes de notre départ d'Algérie ne serait-ce pas ce sentiment primaire d'anticléricanisme de la troisième république qui fit plus de mal que de bien. La question reste posée...
Après le départ des trappistes, la famille Borgeaud acheta le domaine.
Ce fut une famille très respectée, mais qui s'impliqua moins dans la vie sociale et humanitaire du village.
Je ferme la boîte à photos du Staouéli que j'ai connu. Celui-ci n'existe déjà plus, emporté par la vague du modernisme et de l'incompréhension.
Je ne cesse de me convaincre que ma vie est ailleurs, que d'autres sont partis, et qu'ils ne rabachent pas sans cesse leurs histoires d'il y a 40 ans.
Ils ont raison, mais ceux qui sont partis volontairement n'ont pas la même approche que ceux que l'on a chassés et qui ne peuvent finir leurs derniers jours à l'ombre du clocher qui les a vus naître.
Moi, je n'ai plus de clocher, je n'ai plus d'amis qui aient vécu au pays, moi, Monsieur, je ne peux plus retourner dans mon village.
" Vous n'êtes pas le seul dans votre cas, combien se sont expatriés volontairement et vivent heureux dans leur pays d'adoption.
" Monsieur, pour vous répondre, il faut que je domine ma colère et vous dise franchement que, si j'ai un pays d'adoption, j'attends avec effroi que les tours de notre Dame de Paris soient mises au goût du jour et transformées en minarets.

Pensez à votre ville, à votre village, et dites-moi si ces transformations vous conviendraient ?

Il est clair que je ne parle pas de nouvelles constructions mais de transformation.
Sainte Sophie est un exemple et ses minarets lui vont si bien !


Adieu à mon vieux soldat, adieu à ceux qui ont laissé leur vie pour la France...
Aujourd'hui ils ont rejoint le soldat inconnu. Plus de monument aux morts, plus de noms gravés dans la pierre, ils sont ignorés de tous, ces poilus, ces zouaves, et même ceux de 39 /45. Je ne parle pas de ceux qui sont morts pour défendre leurs convictions, celle d'une Algérie à la Française...
Un monument d'incompréhension aurait pu être érigé pour deux idées qui s'évaluaient mal.Les uns pensaient que l'esclavagisme était pratiqué de façon courante, que faire " suer le burnous " était un sport national qui remplissait les poches de ces colonisateurs que l'on appela " Pieds Noirs ".
Les autres ne comprenaient pas qu'un futur Algérien, sans la France, mais avec eux, pouvait être une solution qui, à terme, aurait pu donner à ce pays un essor, une identité, et où chacun aurait eu sa place...
Au moment où j'écris, je ne crois pas que cette idée-là, ait déjà fait son chemin dans le mental des belligérants. Je ne sais si j'ai raison mais après des nuits, des jours, des années, et bientôt un demi-siècle, je ne vois que cette solution.
Hélas trop tard !!!

A mes morts, laissés en terre d'Afrique.


Le caveau ANTOINE - DENCAUSSE était un des premiers du cimetière de Staouéli. A l'origine d'une couleur blanc- crème, il fut repeint en rose par les Algériens après l'indépendance. Lors d'une visite des Staouéliens au village, vers 1990, Henri Coffinet voulut bien me transmettre cette photo


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