Cependant les politiques, les médias orientés, pouvaient écrire en 1955 :


       Notre Sénateur Maire, Henri Borgeaud, radical-socialiste de gauche a pu mesurer à cette aune, combien il est impossible de rendre les hommes heureux. La tâche est encore plus ardue de les rendre justes.

       Mais avant de mettre le point final je voudrais avec quelques témoignages comprendre le vécu des ouvriers et employés de la Trappe.


Souvenirs… 1955
    … J’avais dix ans… Mon école primaire à La Trappe

                                                                                             René Ferrer raconte :

       Totalement en dehors des bâtiments du Domaine, mon école primaire était située au "Croisement." J’habitais le cloître, (construction imposante érigée par les pères cisterciens fondateurs du Domaine), et pour rejoindre l’école, il fallait passer l’immense porche puis, sous les caroubiers, suivre la route qui d’un côté longeait les jardins privés de M. BORGEAUD et qui montait un petit peu.


les bâtiments de la Trappe

       Arrivé au carrefour des routes de Staouëli-Chéragas et d’Ouled-fayet, là, il fallait faire très attention pour traverser la route nationale, l’école étant en face. Sur la droite, vers Staouëli, il y avait les bâtiments de Monsieur FERRERO avec l’épicerie et le bar-restaurant et un peu plus loin La Poste, dont Monsieur ROFAST était le était le receveur. De l'autre côté de la route qui allait vers Ouled-fayet, … Mon école.

       Nous pénétrions dans l’école par un portail qui avait des barreaux à mi-hauteur terminés par une pique et peint en vert clair, ce vert particulier que j’ai retrouvé en Provence. A l’intérieur, une première cour au sol en tuf damé, assez grande, avec ses deux poivriers sauvages de part et d’autre de l’entrée. Sur la gauche, il y avait la classe des grands de Madame ROCHE la Directrice, et au-dessus l’appartement de Mademoiselle BELVERT. Puis, toujours au rez-de-chaussée, l’appartement de Madame SANTONI et ensuite, sa classe des petits avec la porte d’entrée qui donnait sous le préau. Sous ce préau, par un passage, on arrivait sur une deuxième cour, plus petite, avec à sa gauche la classe des moyens de Mademoiselle BELVERT et de l’autre côté, la cantine. Au fond, un deuxième portail identique à celui de l’entrée principale permettait d’accéder au "terrain de sport" qui était en réalité le terrain de volley-ball avec, dans un angle un portique sans ses cordes, et dans l’autre angle, le bac à sable du saut en longueur.


L'école de la trappe

       Le matin et l’après-midi, à chaque rentrée, il y avait les trois institutrices dans la cour qui nous attendaient et qui nous connaissaient tous par nos prénoms. Nous étions "cantonnés" dans la première cour, tant dans l’attente d’entrer en classe que pour les récréations. La mixité était totale : européens/musulmans et filles/garçons.

       L’école accueillait également les enfants des fermes voisines, car elle était plus proche de celles d’Ouled-Fayet ou de Staouëli, mais pour que tous les enfants du Domaine soient scolarisés M. BORGEAUD avait déjà, pour l’époque, institué le ramassage scolaire. C’est ainsi que durant toute l’année scolaire, le matin, Monsieur MISBERT qui conduisait la camionnette 203 du Domaine aménagée à l’intérieur avec des bancs sur les côtés, effectuait le ramassage scolaire en des points précis du Domaine. Je me souviens de l’un d’eux qui était Aiguebelle.
       Après avoir déposé devant l’école primaire de Staouëli tous les élèves qui suivaient leur scolarité au Cours Complémentaire, sur le chemin du retour au Domaine, il "récupérait"tous les primaires. Il les déposait avant 8 h ½ devant le portail, et son "acolyte" DJELLOUL ouvrait et fermait les portes arrières en canalisant mes copains. À 16 h 30, ils refaisaient le chemin inverse, en commençant par mon école puis par les grands de Staouëli. Le ramassage journalier se terminait toujours devant la pompe à essence, qui était à côté du magasin tenu par Monsieur SALOM. Plus tard, lors de ma scolarité au Cours Complémentaire à Staouëli, j’ai utilisé moi aussi cette navette pendant de nombreuses années. Durant tout le trajet, il ne fallait ni parler, ni apprendre nos leçons, voire les réviser. Il fallait le silence total !. Le soir, au retour, si nous chahutions un peu trop il nous menaçait du "Train 11 ". Quand cette sanction tombait, généralement à l’intérieur de l’enceinte du Domaine, nous terminions à pieds…et là…que le cartable pesait lourd avec en plus le "panier" de la cantine!!! . Sans compter sur les justifications du retard à fournir à ma mère, et à la sanction le soir, de mon père.

       C’était ma dernière année d’école primaire sous l’autorité de Madame ROCHE. Dans "sa" classe, nous passions deux ans (CM 1 et CM 2). Le CM 2 étant lui-même scindé en deux. Le A, pour ceux qui entreraient en 6ème, le B pour ceux qui iraient dans les classes du certificat d’études. Il y avait trois rangées de tables faisant face au bureau de la directrice placé sur une estrade. Nous étions deux par table, avec sur la droite incrusté dans la table, l’encrier en porcelaine. Les grands, futurs 6ème, nous devions à tour de rôle faire l’encre violette et remplir les encriers de nos copains avec une grosse bouteille terminée par un bec verseur. Il arrivait bien souvent, qu’à la fin de la "tournée générale, un ou deux encriers débordent.

       Au CM2 il y avait deux fenêtres qui donnaient sur la route nationale, séparées par un pan de mur où était adossée une imposante armoire aux quatre portes vitrées. C’était la bibliothèque de la classe. Je me souviens des livres racontant la vie des grands musiciens. En fin de matinée, nous savions tous quand il était presque l’heure de la sortie. L’autobus "GALIERO" qui allait à Alger, s’arrêtait à la hauteur des fenêtres et nous pouvions apercevoir le haut de l’autobus. Quand il repartait le bruit du moteur couvrait la voix de Madame ROCHE, et quelle fumée bleue!!!…. 11 h ½ et il fallait alors très vite s’écarter pour les laisser passer, sinon, nous disaient-ils nous irions dans la marmite!.

       Mon dernier jour d’école primaire, j’ai ressenti une multitude de sensations. La peur et la joie mêlées. La future découverte du Cours Complémentaire à Staouëli, des professeurs, (qui en plus changeaient toutes les heures!!), l’anglais, l’arabe, la géométrie, la cantine, sans oublier…la camionnette. Ce départ vers un autre monde totalement inconnu, me fichait drôlement la frousse. Et je n’étais pas le seul. Qui plus est, en dehors de la classe, les grands qui étaient déjà à Staouëli nous brossaient un de ces tableaux!!!…

       Ce dernier jour, nous avions tous restitué nos livres et en échange Madame ROCHE nous rendit notre cahier de classe avec les résultats des compositions mensuelles. Après nous avoir distribué de nombreux conseils, (travail et discipline), nous fûmes lâchés dans la cour pour une "méga" récréation jusqu’à 11 heures pour cause de cérémonie de remise des prix, l’après-midi.

       Et là…. quelle cérémonie!!!, identique à une prise d’armes!!!!

       Au milieu de la cour, trônait une table recouverte d’un velours bleu qui descendait jusqu’au sol. Sur cette table, soigneusement rangés par petites piles, des livres de couleur et d’épaisseur différentes : … LES PRIX !!!.

       Face à la table, d’un côté tous les élèves parfaitement rangés par classes, encadrés par Madame SANTONI et Mademoiselle BELVERT, de l’autre côté, sous le préau et assises au premier rang, il y avait ce que j’appelle à présent les "Les notables du Domaine"

       Madame BORGEAUD au centre, avec à sa droite, Madame BARDELLI la femme du directeur du Domaine, et à sa gauche, Madame DANJOU qui était la femme du gérant. Ce jour-là, il y avait même le docteur TREILLE qui venait de Chéragas. Grand spécialiste de la vaccination et aux piqures si douloureuses. Derrière, et debout, nos mères qui étaient toutes émues attendaient, en quelque sorte, la "sanction" qui mettrait fin à une année laborieuse. Quelques fois, Monsieur ROCHE, époux de notre Directrice, jouait le photographe avec son "Reflex".

       Lui, travaillait au bureau du domaine et s’occupait plus particulièrement des caves et je me souviens, de la rédaction des acquits pour la circulation des vins. Quand tout le monde était installé, Madame ROCHE debout à côté de la table, faisait un petit discours de bienvenue et un élève par classe était appelé au centre, à ses côtés, pour réciter le poème appris, je dirais, plus que par cœur. A chaque fois, c’était des applaudissements qui ponctuaient la fin de la prestation et nous regagnions alors notre place les jambes flageolantes ….

       Enfin…, le grand moment tellement attendu arrivait. Tout d’abord, c’était les tous petits, suivaient les moyens et les grands. Cette dernière année, j’eus le prix d’excellence…Les merveilles de la nature…Qu’il était beau et lourd!!!. Le cérémonial voulait que l’on salue les "personnalités" une à une, puis nous rejoignions les rangs.

       C’est le seul souvenir palpable qu’il me reste, avec la photo de classe.

       Puis, à la fin, c’était le lâcher pour trois mois de vacances. Sur le chemin du retour à la maison, nos principaux sujets de conversation devenaient : les jeux, la mer, le cabanon, la pêche…Oubliés… Staouëli et son Cours Complémentaire.

       Voilà, ami lecteur…Mon école… C’était en 1956.

       CM1 et CM2 réunis. Au premier rang, à droite et assise, Renée SERRALTA. Au deuxième rang, à droite, Annie LLIORET, Charlette SANTAMARIA, la 4ème, Aïcha. À gauche, Moi(!), Michèle SORIANO, le 4ème, André ARNAUD. En haut au dernier rang, le 3ème à partir de la droite, Bernard SEGUY.

       Pardon à celles et ceux que je n’ai pas cités…. La mémoire……

                                                      René Ferrer (2007 )

       Les souvenirs d’enfants sont souvent liés à l’école et à son environnement tant humain que matériel.

       Les petits-fils du patron usaient leur fond de culotte sur les mêmes bancs que ceux les ouvriers, et les employés du domaine.

       Le cours primaire en 1947 à la trappe. Les enfants marqués d’une croix sont les petits-enfants d’Henri Borgeaud.

       A chaque Noël, Madame Borgeaud distribuait elle-même à chaque élève, une orange, une paire de chaussure et… une brioche.

Paru sur le site en mars 2008


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