Vendredi 14 août 2009
Aujourd’hui,
j’écris tout en ignorant pourquoi. Le superbe Hank,
le sulfureux Fromage plus, tous ont déjà exprimé plus brillamment que moi ce
que nous ressentons, nous, les vrais marginaux de la France République
d’aujourd’hui.
Que
puis-je faire de plus ? Peut-être vider mon sac une bonne fois pour toutes, en
sachant pertinemment que cela n’ira pas mieux ensuite…
Dès
l’enfance, je sentais que ma génération serait celle du schisme entre la «
France d’avant » et la « France d’après ». Que tout se jouerait sur nous, qui
avons entre 20 et 30 ans le 14 août 2009. Enfant je sentais déjà les miasmes
dans l’air, je sentais déjà la trahison des miens quand mon frère se faisait
battre dans la cour du collège de ZEP par des enfants qui n’avaient pas des
prénoms à consonance française, sans qu’aucun adulte responsable ne décide de
sanctions. Je ne comprenais pas pourquoi à la cantine il y avait des repas sans
porc, je ne comprenais pas pourquoi les instituteurs excusaient les voitures de
nos parents qui brûlaient, je ne comprenais pas…. J’étais douée à l’école car
seuls les livres me semblaient dignes d’attention.
Ma
mère ne supportait le niveau affligeant de ma classe et voulait que je sorte du
lot. Ce fut chose faite, la maison était mon Eden et l’école mon pénitencier.
Toute seule dans la cour de récré, j’entendais déjà les « sales françaises »
qui m’étaient adressés quand ça faisait sourire les adultes, ces instits
« laïcards » qui adoraient le voile si exotique de la
maman de Rachid.
J’entendais
les rires et les insultes quand j’étais la seule de la classe à n’avoir pas
fait de fautes à la dictée. J’ai sauté une classe, me demandant pourquoi, tout
était linéaire, à mourir d’ennui, pauvre, aussi stimulant qu’une VHS de
documentaire animalier, aussi vibrant, instructif et inattendu qu’une
déclaration d’énarque.
Aussi
curieux que cela puisse paraître, c’est mon amour du français qui m’a permis de
mesurer la déchéance vers laquelle nous glissions le c?ur plein d’allégresse. Ayant été nourrie avec les
meilleurs livres de la littérature nationale, je m’étais habituée à un français
impeccable, tout comme celui de mes parents qui ne sont après tout que des «
beaufs », vous savez, ces derniers dinosaures, qui avaient des fins de mois
difficiles mais qui payaient leur Citroën Saxo à crédit, sans pleurnicher chez
l’assistante sociale. Ces beaufs qui élevaient bien leurs enfants, sans
recourir à l’aide d’un fonctionnaire pour leur enseigner la plus primaire des
politesses. Ces beaufs racistes et xénophobes qui ont fait la France mais qui
n’ont droit qu’à la rééducation et au mépris des classes dirigeantes. Ces
beaufs qui m’ont servi de parents, m’ont parlé un français superbe toute mon
enfance. Mon père avait une écriture de vicomte et ma mère m’apprenait des mots
tels que « enguirlander », « geindre », « oindre » alors que je n’affichais pas
un âge à deux chiffres.
Aujourd’hui
dans les films primés à Cannes, on voit et entend un trentenaire expliquer à
Samira et Boubakar que « John mange des cheese burgers succulents » et que « ouais, succulent ça
veut dire grave bon tsais ».
Voilà
ce par quoi j’ai compris que nous marchions sur la tête et que bientôt nous
ferions la brasse dans la mélasse intellectuelle dans laquelle nous enfermions
ma génération. Le langage texto ce n’est pas « pour gagner du temps », non,
c’est juste que nous avons formé une génération qui dans le meilleur des cas
regardera la définition d’un mot sur Google, au pire
se moquera éperdument de pouvoir s’enrichir un peu. Une génération pour qui le
mot « encyclopédie » est obsolète et pour qui seule compte la facilité. Une
génération qui n’aura jamais l’opportunité d’acquérir le réflexe de consulter
un dictionnaire en cas de doute, comme mon beauf de père me l’a appris.
A
travers le français, à travers son assassinat, nous avions prémédité la mort de
la paix en France. Quelqu’un qui n’a pas appris la langue d’un pays ne peut
l’aimer. Il peut encore mieux éviter d’essayer de s’en faire la violence
puisque des autochtones qualifiés lui expliquaient que le français c’est
ringard, que ça doit « bouger », que les accents y’a pas à les mettre, ça fait
chier tout le monde, bref la France ça fait chier.
L’apothéose
de cette flagornerie a été atteinte lorsque dans l’émission de Ruquier (la première version, celle où Zemmour
était remplacé par l’impolitiquement correct Miller),
toutes les nuques de l’émission se sont courbées devant « Kiffe
Kiffe Demain » de Faïza Guène.
Quiconque
a lu ce livre comprendra sans problème que ma désillusion bien entamée ait
définitivement atteint son apogée à la lecture de ce détritus imprimé.
Nous
étions en plein boom de la chanteuse Diam’s, de Rohff
et de 113, les animateurs et journalistes souriaient à la caméra en lâchant
irrégulièrement des petits mots de verlans. Les grandes marques dessinaient
pour les enfants de dentistes des frusques directement inspirées du « street wear », Stéphane Bern recevait dans « 20h10 pétantes
» un créateur de « Muslim Wear » (comment être
musulman, fashion et passer à la télé), bref, au
début des années 2000, je n’avais pas 15 ans mais je comprenais que les temps à
venir ne seraient pas les plus tendres.
Au
fur et à mesure que j’écris, je me rappelle d’une fille qui était avec moi à
l’école primaire (cette école n’a jamais aussi bien porté son nom par
ailleurs). Elle s’appelait Juliette. Elle était blonde, blanche, vêtue comme
une bobo en devenir et m’avait dit « je veux être noire ». Il est très drôle de
constater que ce que les réacs d’aujourd’hui, comme Zem’
ou Finkie constatent, avait déjà commencé dans les
années 90 et bien avant je suppose. Je suis une enfant déçue, je suis une femme
frustrée, je suis le fruit d’une génération sacrifiée.
Bien
entendu, si quelqu’un de la génération de mes parents lit ceci, il ne
comprendra pas. Ces derniers ont grandi dans les années 1970 : un monde sans
chômage, où l’arabe du coin était ridé et avait un accent sympathique, un monde
où les politiques avaient encore du pouvoir. Ils ont voté Mitterrand en 1981 et
ont pleuré devant leur télévision comme l’étudiant en ESC a pleuré devant
l’élection d’Obama. Ils ont assisté à la naissance du
mouvement gay, des féministes, des écologistes, des immigrationnistes,
des pacifistes, de la légalisation de l’avortement, de SOS racisme, ils ont
assisté en même temps à la nôtre en pensant que tout ceci serait pour notre
bien. Quiconque aujourd’hui leur prouverait le contraire serait un gosse pourri
gâté qui fait un caprice. Eux bien entendu, pensent que le « malaise social »
en France vient d’un manque de « communication », que demain tout ira mieux
dans un pays avec une forte « mixité culturelle » et que le meilleur est à
venir.
J’appelle
ça un régime soviétique. Quiconque sort du discours calibré est mis au trou à
coups de procès de la Halde, de ligues contre
l’intolérance, comité contre le racisme et l’amour entre les peuples. Si vous
avez vu l’Aveu, vous verrez à quel point le thème de la « paix » est abordé.
Tout comme l’Inquisiteur torturait au nom de l’amour du Miséricordieux
Jésus-Christ, notre liberté est prise en otage au nom du Vivre Ensemble.
La
France est laïque. Elle n’a pas de religion. Son Dieu est la Tolérance,
engendré par la Vierge Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
A
part ça tout va bien. Notre internet est filtré, les
sites un chouïa râleurs sont surveillés quand les commentaires appelant au
djihad sous les vidéos de Dieudonné sont au vu de tous, surtout des plus abêtis
et donc des plus dangereux (mais souvenons-nous que c’est notre propre école
qui les a rendu aussi flasques du cervelet).
Les
livres ne se vendent plus, la Fnac regorge de bouquins écrits par des nègres
(tiens, on peut encore l’utiliser ce mot ?) racontant le destin hors du commun
d’une miss France lancée dans un combat contre la sclérose en plaques, d’une
petite fille de 10 ans mariée de force au nom de l’islam, le dictionnaire du
parler banlieue et de dvd’s de « Bienvenue chez les Ch’tis ». La France d’aujourd’hui : le people, l’islam
honteux « mais attention il ne faut pas stigmatiser » et le français de souche
qui boit de la soupe mais qui trouve qu’elle a un bon goût de terroir.
Aujourd’hui
j’ai mal. J’ai mal pour mon pays. J’ai mal pour sa langue. J’ai mal de ne
supporter plus personne car plus je constate l’étendue des dégâts plus je suis
confrontée à « l’inaction des gens de bien ». J’ai mal de ne plus tolérer
aucune intervention sur quelque média que ce soit car tout ceci n’est qu’une
immense méthode Coué. « Tu remarques que ce sont toujours les mêmes qui foutent
la merde ? Il ne faut pas stigmatiser. Tout le monde s’aime en France. Tout va
bien, tout va bien, tout va bien ».
Au
pays de Voltaire, Pangloss est devenu Roi. Je suis malade, voyez-vous. Je suis
malade des gens que je rencontre qui à 20 ans à peine ont un discours calibré
comme s’ils sortaient d’un stage des Jeunesses Communistes.
J’ai
mal de haïr un artiste quand je l’entends parler des sans-papiers et des
Indigènes de la République. J’ai mal de ne pas être représentée dans les
médias. J’ai mal que des places soient réservées dans les Grandes Écoles à ceux
qui étaient à la même que moi et qui n’ont jamais goûté à l’effort.
J’ai
mal d’être le mouton qu’on tond et qu’on insulte de « facho » car mes arguments
font peur.
J’ai
mal de n’avoir aucun véritable ami car toute ma vie « sociale » n’est qu’une
mascarade à l’université entre étrangers bourgeois naïfs et français bobo. Ces
irresponsables dont le seul combat est le retrait de
la loi LRU et qui pensent que mes parents sont riches car mon élocution est
bonne et mes vêtements propres.
Je
ne supporte plus mes « amis » bouffis de clichés en pensant détenir la vérité,
alors que leur maison est dans un patelin de 300 âmes.
J’ai
mal de me dire de n’avoir véritablement aucun ami.
J’ai
mal d’être le stéréotype de la personne qu’il ne faut pas être en 2009.
Je
suis marginalisée dans mon pays, que tant de gens que j’apprécie sont ravis de
quitter pour la l’Espagne, l’Italie, la Corée, la Chine, le Japon et autres
contrées des Antipodes.
J’ai
mal pour ma mère qui a vu son pays changer en 30 ans, mal pour mes futurs
enfants, mal pour mon frère qui a passé ses années collège la boule au ventre,
mal de me dire que l’expatriation sera peut-être la seule solution.
J’ai
mal de ne pouvoir que la fermer quand j’entends mes camarades
de faculté vanter les mérites de la discrimination positive.
J’ai
mal quand les bourgeois achètent du quinoa pour aider l’agriculteur bolivien et
détournent les yeux du SDF en bas de chez eux.
J’ai
mal pour mes parents qui sont magnifiques de dignité et qui ne recevront jamais
aucune aide du contribuable.
J’ai
mal car leurs valeurs ne sont pas récompensées mais piétinées.
J’ai
mal car c’est à travers celle-ci qu’ils m’ont façonné, « élevé » comme une
femme honnête et droite dans ses bottes.
J’ai
mal car je suis quelqu’un de bien qui ne se retrouve pas dans le pays qui est
le sien.
Je suis Marie-Thérèse BOUCHARD et je suis une jeune fille dérangée.