Eugène WARION (à suivre)
En vertu du décret de colonisation du 19 septembre 1848, Gabriel François postule pour l'Algérie. Il opte pour l'agriculture et obtient la concession N° 3490 (5 hectares et 80 ares), dans la province de Constantine. Les concessionnaires étant groupés par convois de 800 à 900 individus, c'est au 10' convoi à destination de Jemmapes que sont affectées les concessions 3029 à 3625. Les colons volontaires arrivent à Marseille le 26 novembre, après 14 jours de voyage en péniche. Il leur faut attendre la frégate Le Cacique qui doit les amener à Philippeville. Au moment du départ, le 30 novembre, il manque Rosine Virginie, la fille aînée de la famille François. Le départ, pour eux, se fera le 4 décembre avec le 11éme convoi, sur le Labrador, à destination de Bône, pour le centre agricole de Mondovi. Le groupe comprend aussi des concessionnaires pour Montenotte et Marengo, dans la province d'Alger. Ceux de Mondovi ont les concessions N° 3628 à 3961. 980 individus, y compris femmes et enfants, débarquent à Bône le 8 décembre au soir.
Après un hiver assez pénible passé sous la tente sans le moindre confort, les premières chaleurs d'Afrique, les mouvements de troupes et les déplacements de populations amènent la seconde pandémie de choléra sur le centre agricole en gestation. Dès les premiers jours de juin, le choléra est à Bône. A Mondovi, un enfant de 16 ans décède. Le docteur Sistac ne peut faire grand-chose. Le 7 juin, décède Augustine Félicité, la deuxième sœur d'Eugène, puis la maman. Ensuite, c'est le tour du mari de Rosine, Pierre Langevin. Gabriel Victor renonce alors à sa concession et retourne en France avec Eugène. Malheureusement, il avait déjà contracté le choléra et il décède à Marseille.
Eugène, qui n'a que 10 ans, se retrouve seul à Marseille. L'hôtelier qui l'héberge le met en rapport avec Pascal Dauphin, un cordonnier que la famille François avait connu avant son départ. Pascal Dauphin accueille le jeune orphelin qui n'a pas un sou.
Atteint vraisemblablement de paludisme, fatigué par la traversée et peiné par le décès de son père, Eugène s'alite et est soigné par la famille Dauphin comme s'il était leur fils. Au bout de plusieurs mois, les Dauphin réussissent à se procurer l'adresse de Rosine, remariée entre temps à Pierre Louis. Pour la troisième fois, Eugène traverse la Méditerranée sur un cargo et débarque à Bône où il retrouve sa sœur venue l'accueillir. Le village de Mondovi a bien changé après le passage du choléra
Rosine tient un petit hôtel, Eugène aide aux activités journalières. Il se rétablit vite et s'embauche comme ouvrier agricole à la ferme Nicolas Girerd dont le territoire s'étend des abords du village aux limites nord de la commune. Ces terres entreront plus tard dans le domaine de Guébar-Bou-Aoun qui deviendra la propriété Bertagna.
En 1852, c'est l'arrivée en Algérie des déportés politiques. Certains seront de passage ou en transit. Deux seuls resteront dans la mémoire des Mondoviens, Eugène Hermitte et son frère Auguste, originaires des Basses Alpes.
La vaillance au travail du jeune Eugène est renommée dans toute la plaine Bônoise. On l'emploie bientôt à la ferme Lacombe qui appartient au maire de Bône. Le gérant, M. Bonnefoy, reconnaît en lui un travailleur sérieux et lui confie bientôt la charge de contremaître. A sa majorité, Eugène épouse la fille du gérant, puis partage le fermage avec son beau-père. Il ne tarde pas à investir ses économies dans l'achat d'un terrain de 4.5OOm2 dans le quartier des Prés salés, à l'entrée de la colonne Randon, proche banlieue de Bône. Sa famille s'agrandit: à quarante ans, il est 13 fois papa et déjà grand-père.
En 1884, alors qu'il atteint les 45 ans, il demande une concession de terrain et obtient un lot de 30 hectares sur le territoire du centre agricole de Blandan nouvellement créé. Les terres sont marécageuses, sans routes ni moyens de transport. C'est là que commence pour Eugène le manuscrit de ses souvenirs, de ceux de son père et de Mondovi qu'il n'oubliera jamais. Sa sœur Rosine étant décédée à Mondovi, il ne reste plus que lui de la famille parisienne qui avait débarqué de la frégate Le Labrador.
En 1908, il confie à l'abbé Bigot son modeste manuscrit. Le 19 Juin, il donne à M. Maxime Rasteil, directeur du Réveil Bônois, l'autorisation de publier ses souvenirs sur les familles françaises des colons volontaires de 1848. Il meurt en avril 1916, près de ses enfants et petits-enfants au quartier des Prés salés. L'homme qui mesurait 2,07m repose au cimetière de Bône, loin de ses sœurs enterrées à Mondovi et de son père déposé dans la fosse commune à Marseille. Une rue porte son nom à la Colonne Randon. Elle prend naissance rue Garibaldi et se termine au Chemin des lauriers-roses. Elle est construite sur une bonne partie des terres dont il avait fait don à la ville de Bône.
C'est à l'occasion des fêtes du centenaire de l'Algérie française que le directeur du Réveil Bônois songea à la publication du manuscrit d'Eugène François, après l'avoir probablement romancé. Il parut sous le titre que nous connaissons: A l'aube de l'Algérie française. Le calvaire des colons de 1848.
M'attachant en particulier à reconstituer l'histoire exacte du 11 convoi qui créa Mondovi et celle des colons volontaires de 1848, je n'aurais jamais pensé retrouver un descendant de ce grand Eugène. Au cours d'une réunion, le hasard me place près de compatriotes, M. et Mme Maïsto, originaires, lui de La Calle et elle (née Missud) de Bône. J'apprends avec surprise qu'elle est une descendante d'Eugène François. Eugénie François, l'une des filles d'Eugène, avait épousé à Bône M. Raoul Baldetti. Une fille Baldetti, née de cette union, épousa M. Paul Missud, tonnelier à Bône. Naîtra enfin Marie-Odile Missud, arrière petite-fille de l'illustre Eugène, qui épousera M. Pierre Maïsto.
Une seconde fille d'Eugène, VaIentine, épousera M. Merle. Il est probable que les garçons ont donné d'autres descendants au fils du colon volontaire de 1848 et perpétué ainsi le nom de François.
Je remercie Mme Maïsto de m'avoir permis de retrouver les traces de ce personnage qui a marqué de son empreinte l'histoire de Mondovi et des colons volontaires de 1848.
(Revue Ensemble N° 208, pages 86-88, Juillet 1997) |