UN ETE EN MUSIQUE
Marcel CUTAJAR
Marseille, le 02/01/01
Dépêche de l'Est, lettre N° 27 du 15 mars 2001 (pages 4 et 5)

- C'était en 1951. Cet été-là, la musique était omniprésente sur notre Cours Bertagna.

Chaque soir, après que la température eut quelque peu baissé, tous, jeunes et moins jeunes, se rejoignaient sur ses allées et plus particulièrement sur celles longeant les grands Cafés : c'est là, en effet que les orchestres se produisaient. Chaque brasserie avait le sien. Il y avait d'abord, un groupe de musiciens de jazz et de variétés qui rappelait, en plus petit, les formations de Rey VENTURA ou de Jacques HELIAN; un peu plus loin était installé un orchestre à cordes composé uniquement de femmes dont la soliste, une belle plante rousse et pulpeuse, faisait le bonheur des plus romantiques ; encore plus loin, un orchestre sud-américain attirait les amateurs d'exotisme qui appréciaient fort le joueur de bandonéon...

Jusqu'à une heure avancée de la nuit, les terrasses des cafés, qui pour la circonstance empiétaient largement sur la chaussée, ne désemplissaient pas : les consommateurs s'agglutinaient autour des tables, enfoncés dans de confortables fauteuils d'osier, palabrant à perte de vue tout en sirotant orangeades et citronnades, et s'enthousiasmant lorsque les musiciens entamaient un air en vogue : qui ne se souvient de "LA MARCHINA" ou du "BOOGIE DE PARIS" ou encore de "MA CABANE AU CANADA" ou du "COMPLET GRIS"...

Sur les allées, pour terminer un tour de cours, on mettait au moins un quart d'heure tellement il y avait de promeneurs. On se collait littéralement les uns aux autres, on piétinait, face aux orchestres, s'interpellant joyeusement tout en dégustant un créponnet de chez FANFAN...

Et ce n'est que beaucoup plus tard, tandis que les dernières notes s'en étaient allées depuis longtemps, que les derniers irréductibles, encore la tête pleine de musique, se décidaient enfin à rejoindre leurs pénates, se promettant de se retrouver le lendemain à la même heure au même endroit.

L'été de 1951 se termina en apothéose, par une grande fête organisée au stade-vélodrome. Ce devait être fin août ou début septembre. Nous y assistions mes copains et moi : il y avait là, DEDE, JEANNOT, ALAIN, JO et les autres, une bande de joyeux drilles...

Cette soirée débuta par un critérium cycliste avec les légendaires DI MEGLIO, LANGELLA, AQUILINA et bien d'autres, venus de CONSTANTINE ou même d'ALGER.

Mais le point d'orgue de l'événement fut le RADIO CROCHET. Lancé sur les ondes par Zappi MAX, le grand animateur de l'époque, ce jeu radiophonique était rapidement devenu populaire : le candidat devait chanter une chanson de son choix dans le but d'être ovationné par le public. Mais attention aux fausses notes ; la moindre de celles-ci voyait son auteur impitoyablement rejeté hors des feux de la rampe...

Je me souviens d'un de ces "malheureux".

La célèbre mélodie "LES FEUILLES MORTES" venait d'être interprétée de façon magistrale par un candidat, sous les applaudissements d'un auditoire subjugué...

Lorsque se présente, le haut du visage caché par un de ces chapeaux de toile à larges bords, très à la mode en ce temps là, soigneusement enfoncé sur son crâne, vêtu d'une veste grise et d'un pantalon bleu-pétrole dont les bas de jambe avaient été retroussés jusqu'à mi-mollet, un original se faisant appelé .... PIERRE DUROC....

Il annonce sa chanson : "OU VAS-TU BASILE ?", ne réalisant sans doute pas, qu'arrivant juste après le chef d'œuvre d'Yves MONTAND, cette amusante chansonnette de Line RENAUD, quoi qu'agréable à écouter, le handicapait déjà, compte tenu de l'insignifiance de son texte par rapport au précédent.

Mais notre Téméraire se jette malgré tout à l'eau, si l'on peut dire ... Et dès le premier couplet, dérape sans pouvoir contrôler sa voix, malgré les efforts de l'orchestre qui essaie en vain de lui éviter la culbute. Le public reste coi un moment - politesse ou stupéfaction ? - mais commence vite à s'agiter. L'incendie, tel un feu d'arrière-saison dans la forêt du massif de l'Edough, éclate sur les gradins de droite, sous forme de quolibets et de sifflets qui, tels de multiples flammèches, sautent de rangée en rangée, se répandant à la vitesse de l'éclair, embrasent la Tribune centrale, encerclent irrésistiblement le chanteur en herbe. La cloche et le pistolet du starter qui, tout à l'heure avaient ponctué les épreuves cyclistes, viennent amplifier encore le brouhaha. La clameur doit, maintenant s'entendre jusqu'aux quartiers de BEAUSEJOUR et de la COLONNE. Le chef d'orchestre tente de tirer par la manche, hors du brasier, l'infortuné à la fois auteur et victime de l'impressionnant vacarme. Mais sans doute, piqué au vif dans son amour-propre, celui-ci ne s'entendant même plus, se livrant à des mimiques et à des contorsions plus comiques les unes que les autres, s'entête et boit son vin jusqu'à la lie : en tout cinq couplets et autant de refrains ... et termine en exécutant une révérence inénarrable....

Mais, me direz-vous, qui était donc cet hurluberlu pour que, quelque cinquante ans plus tard, vous puissiez vous en souvenir avec autant de précision ?

Tout simplement votre serviteur, mes amis, qui se jura, ce soir là - qui lui avait valu une crise de foie de plusieurs jours - qu'il ne remettrait plus jamais les pieds sur une estrade !

Mais malgré tout, ce fut quand même un bel été, tout en chansons et en musique, que celui de 1951 ... à BONE...


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