(ACEP-ENSEMBLE N° 225, Octobre 2000, pages 31 à 36)
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LES CONVOIS DE 1848 POUR LE CONSTANTINOIS Publié avec l'aimable autorisation
de Emile et Simone Martin-Larras. |
Des affiches placardées aujourd'hui annoncent la formation définitive de la commission de colonisation de l'Algérie.
Le Moniteur Universel du Vendredi 27 Octobre 1848 rend compte du départ, enfin, des colons du 5ème convoi; rappelons que le ler convoi, à destination de Saint-Cloud, dans l'Oranie, avait quitté Paris le 8 Octobre et le 4ème, à destination d'Alger, le 22 Octobre.
"Le jeudi 26 Octobre,
Les départs des colons de l'Algérie se succèdent avec la plus grande régularité, le dimanche et le jeudi de chaque semaine, grâce à l'infatigable activité de la commission des colonies agricoles, ou l'administration de la guerre et de l'entreprise chargée des transports.
La direction en est confiée à M. Louvent, capitaine adjudant major au 61 ème régiment de ligne. Cet officier a servi en Algérie depuis 1837 jusqu'en 1846 et son régiment faisait partie du corps expéditionnaire qui a pris possession de Stora (Philippeville). M. le Docteur Martin, chirurgien sous-aide, employé aux Invalides et M. Dectin, officier d'administration du campement, attaché à la division de Constantine, sont chargés du service de santé et d'administration.
L'affluence des spectateurs va sans cesse croissant à chaque convoi. Les berges, les quais et les ponts étaient couverts d'une population immense.
M. Edmond Adam, secrétaire général de la préfecture de la Seine et la plupart des maires et adjoints des municipalités de Paris, ont assisté au départ. Au nom de la commission M. Martelet, maire du 7ème arrondissement, a, dans une allocution chaleureuse et patriotique, rappelé aux colons la grandeur de l'entreprise qu'ils vont accomplir dans l'intérêt de la France et de la civilisation.
Ensuite M. l'Abbé Jacquemet, vicaire général de Paris, s'est exprimé.
Comme aux départs précédents, le convoi a été escorté par une grande foule, sur l'une ou l'autre rive de la Seine, jusqu'au Port-à-l'Anglais, où l'on s'est séparé aux cris répétés de Vive la Colonie ! Vive la République !
Ce village est situé à 8 kilomètres, nord-ouest d'El-Arrouch, sur un plateau assez élevé, couvert de ruines romaines et au pied duquel coule l’Oued- Medjez-Eddich. Les Arabes qui habitaient le plateau n'étaient point exposés aux fièvres comme ceux de la vallée ; et, en effet, il présente toutes les garanties de salubrité désirables, tant par sa position élevée que par l’état du pays environnant, qui est couvert d'arbres et n'offre pas trace de marais. D'un autre côté, ce plateau est abrité des vents du sud par les montagnes voisines ; tout porte donc à croire que l'état sanitaire des habitants sera excellent.
La proximité des villages de Gastonville et d'El-Arrouch, distants de 4 et de 8 kilomètres et les exploitations particulières qui couvrent la vallée, assurent suffisamment la sécurité du village ; une route le relie à El-Arrouch et, par la suite, à Philippeville et à Constantine. Le territoire affecté à Robertville est arrosé par deux cours d'eau principaux: l’Oued Medjez-Eddich et l’Oued -Kaouba, fournissent en abondance de l'eau d'excellente qualité et ne tarissent jamais. Ces deux cours d'eau sont alimentés par plusieurs sources qui sortent des vastes versants des montagnes voisines et dont la plus abondante et la meilleure est la source Medjez-Eddich ; celle-ci coule à 100 mètres du mur d'enceinte et fournit, dans les plus grandes chaleurs, 40 litres d'eau par minute.
Il existe sur le territoire des carrières de grès qui offriront les pierres nécessaires pour les constructions. Les ruines romaines, éparses sur le sol, seront également une ressource précieuse, en mettant pour ainsi dire, les matériaux à pied d’œuvre. Le lit de l’Oued Medjez-Eddich renferme des cailloux calcaires qui permettront de faire la chaux à bon marché.
Les essences d'arbres que l'on rencontre étant généralement des oliviers, ceux-ci ne peuvent être d'un grand secours pour les constructions ; mais en revanche, ils pourront fournir une branche lucrative d'industrie.
Le deuxième point sur lequel, en cas d'insuffisance du premier, les colons seront établis, est celui de Bir-Ali, situé sur la route de Philippeville à Constantine, à égale distance de Saint-Charles et d'El Arrouch et sur les bords mêmes du Safsaf. Cette position, sur une route d'ailleurs très fréquentée, assure d'une manière incontestable sa sécurité.
Le territoire du village est très boisé et éloigné des marais de la plaine ; le village est d'ailleurs placé de manière à être exposé aux vents du nord-est et abrité de ceux du sud. La culture des terres et les plantations lui assureront une salubrité complète.
Le sol est très fertile et propre à toutes les cultures du pays. Les Arabes, qui ont exploité l'année dernière une bonne moitié du territoire, se livraient principalement à la culture du blé, de forge et du maïs. Les essences d'arbres que l'on rencontre sont, au sud, des oliviers qui forment, pour ainsi dire, des forêts. Les bords du Safsaf sont ombragés d'arbres magnifiques. Les colons trouveront, pour leurs constructions, des carrières de grès, du sable de rivière, de la terre argileuse pour la confection des briques, tuiles, etc... enfin, de la pierre calcaire qui fournira de l'excellente chaux.
Le territoire est traversé par trois cours d'eau, l’Oued Ghedy, l'Oued Gueschach et le Safsaf. Les deux premiers cours d'eau sont à sec pendant l'été; mais le Safsaf fournit, même pendant les chaleurs, une eau abondante.
En résumé, la fertilité des terres et les industries routières assurent au village une prospérité certaine.
Comme nous l'avons signalé dans un précédent article, des groupes provinciaux, résidant à Paris, sans doute au chômage et impliqués dans les turbulences de Juin 48, ont sans doute participé à l'exode des "colons parisiens"; nous avons détecté ainsi tout un ensemble de patronymes indéniablement "ardennais" dans l'état de filiation du 5ème convoi.
Le 27 Octobre, le convoi arrive à Melun en Haute Seine.
Melun, le 27 Octobre 1848.
Monsieur le Préfet,
Le convoi emprunte ensuite le canal de Briare : de Briare à l'écluse des Combles, il suit le cours canal latéral rive droite de la Loire, franchit le fleuve, de jour autant que possible, par le chenal pratiqué entre les digues d'Ousson et de Châtillon, rejoint alors le canal latéral rive gauche de la Loire à l'écluse des Mantelots, puis enfin par le pont-canal du Guétin termine son parcours en chalands par le canal du Centre.
Cette navigation quiète et lente le long des canaux, ponctuée seulement par les éclusages tous les 2 kilomètres en moyenne, est assez appréciée des colons qui se croiraient presque "en vacances"
Lyon,
La relâche à Lyon est nécessaire car le tirant d'air trop faible des ponts et la présence de récifs dangereux ne permettent pas la traversée de la cité pour les bateaux à vapeur de la Saône; durant la nuit de repos à terre pour les colons, vivres et bagages sont engloutis par les paquebots du Rhône chargés de la poursuite du périple. L'hospitalité des Lyonnais est pour le moins réservée, à des heures peu propices, en ce début de période hivernale et surtout en souvenir des excès de leurs révolutionnaires locaux, les "Voraces".
(Le Moniteur Universel du 11/11/1848)
On lit dans le Courrier de Lyon (du 7/11)
La navigation sur le Rhône se poursuit également sur un ou plusieurs "steamers" à vapeur, aux coques longues et étroites pour, comme sur la Saône, emprunter les sinueux chenaux navigables. Le pont Saint-Esprit est aussi déli-cat à franchir car le courant y est d'une extrême rapidité. Les berges montagneuses, les défilés rocheux taillés dans le fleuve impétueux soulèvent l’admiration des passagers plus coutumiers du paysage guère accidenté environnant la capitale. Voici Avignon et son Château des Papes, le célèbre pont Saint-Benezet, Tarascon et enfin au crépuscule Arles où un nouveau transbordement est prévu pour atteindre Marseille par l'une des rares lignes de chemin de fer récemment inaugurée. Les colons, avec leur image de "partageux" de "forcenés de la capitale", reçoivent pour cette nuit de repos à terre, à nouveau, un accueil peu enthousiaste...
On lit dans l'Akhbar du 25/11/1848
Ce convoi se compose de 300 familles formant un total de 816 individus ainsi divisés Hommes: 332 Femmes : 225 Enfants : 259.
Ils devaient peupler les villages de Robertville et de Gastonville. Mais ces villages n'ont pas été projetés pour une population de cette importance, ce qui donnera lieu à des remaniements. Déjà le lotissement du village de Robertville a été changé d'urgence par l'autorité locale, de manière à recevoir un nombre plus considérable de familles. La population qui lui est destinée a dû y être transportée le 16. Les détails nous manquent d'ailleurs et ont dû être ajournés au prochain courrier.
Le Moniteur Universel du 21/01/1849 publiera une lettre d'un colon finalement installé à Gastonville "Gastonville, le 30 Décembre 1848
Vous demanderez à partir pour rejoindre vos enfants, colons à Gastonville et vous obtiendrez facilement votre passage. Du reste nous sommes très bien. Le Gouvernement tient toutes les promesses qu'il a faites. Nous avons nos terres et nous commençons à les faire valoir dès à présent.
Dans la réponse que vous ferez dites nous si vous êtes décidé à venir près de nous. Je vous ferai passer l'autorisation du Commandant dans ma nouvelle lettre, etc... B... »
Pour conclure ces notes sur le 5ème convoi, nous nous inspirons de l'article d'Edouard Solal, paru dans l'Algérianiste N° 50 sur Gastonville, colonie agricole de 1848.
L'auteur y rappelle que le choix des emplacements, pour les centres de la région de Philippeville, fut très simple : "...on se contenta d'utiliser les territoires fixés par les ordonnances royales en 1847 pour Gastonville et Robertville.
"...A Gastonville, depuis l'ordonnance de création, rien n'avait été fait. Le premier projet de lotissement s'avéra insuffisant d'autant plus que le ministre envisageait déjà d'agrandir le territoire de 535 ha à 1870 ha. Un directeur de la colonie fut nommé par le général de Salles : ce fut le capitaine Pigeon, du 8ème de ligne, qui laissa d'excellents souvenirs par son intelligence et son énergie. Avec l'aide de l'armée, il entreprit aussitôt les travaux d'enceinte, puis la construction de maisons..."
Lors de l'arrivée du 5ème convoi rien n'était terminé.
"...Les futurs colons ne trouvèrent qu'un chantier au milieu d'une solitude embroussaillée. La première déception passée, ils se mirent à aider les soldats dans la construction des baraques provisoires en planches où ils s'entassèrent tant bien que mal. Lorsqu’Ils furent casés, ils aidèrent à la construction des maisons en pierre. Une Eglise fut installée dans une baraque..."
"...Les travaux furent interrompus en juin 1849 par les fièvres produites par les marais du Saf-Saf et les multiples maladies dues au manque d'adaptation au climat et à la promiscuité des baraques. En juillet, une cinquantaine de personnes seulement étaient encore valides. Les autres furent évacués vers les hôpitaux de Constantine ou de Philippeville. Les baraquements furent alors pillés. L'automne 1849 amena une amélioration de la santé et le retour de nombreux colons. Mais, à partir du 9 Octobre 1849, une violente épidémie de choléra ravagea le centre pendant 42 jours causant 164 morts sur 429 habitants. Les rescapés demandèrent leur rapatriement. Dix familles seulement restèrent au village...
"...Les lots à cultiver étaient très réduits, 2 à 8 ha..."
"...Bien entendu, les cultures étaient surtout du blé (99 ha), puis des légumes, des pommes de terre, des fèves et un peu de tabac.
On a beaucoup parlé de 1"'échec" des colonies agricoles de 1848. On leur a attribué, à tort ou à raison, de multiples causes : régime militaire excessif, pouvoirs exorbitants des directeurs de colonies, manque d'enthousiasme de l’administration, présence d'ouvriers parmi les colons, désappointement des émigrants, maladies..."
"...Dans le cas de Gastonville, nous pouvons dire qu'il n'y eut pas à proprement parler d'échec. Seul, le choléra vida le village..."
Le véritable "échec" se révélera, vers 1854, avec l’agrandissement, nécessaire pour subsister, des concessions et donc une diminution de la population villageoise : il s'agit donc, en fait, de l’échec du principe de la colonisation ouvrière agricole et non de la mise en valeur du territoire algérien !
"...Chaque colon avait reçu, à son arrivée, un lot urbain, un jardin de 25 ares (situé autour du village même) , un lot rural de 2 ha à l’ouest du village, un autre de 4 ha plus à l’ouest et un autre de 2 ha (planté surtout d'oliviers) le long de la route Constantine - Philippeville. Cette attribution de lots réduits et, de plus, séparés les uns des autres, était une erreur. Des colons réussirent à vivre quelques années sur leurs terrains propres mais, ensuite, à quelques rares exceptions, ceux qui ne réussirent point à agrandir leurs propriétés disparurent..."
"...Le 12 Janvier 1853, les colonies agricoles quittèrent le territoire militaire pour l’administration civile (de Philippeville), mais ce ne sera qu'en août 1861, que le village devint commune de plein exercice, avec une municipalité installée le ler janvier 1862 .
...En 1850, les superficies cultivées se répartissaient suivant : 484 ha en blé dur, 56 en blé tendre, 49 en orge, 34 en avoine, 162 en fourrages, 171 en fèves, 65 en vignes, 2 en tabac, 159 en lin..."
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