CES DERNIERS TEMPS

Tiré de " quand l'orage passa " de R. ANTOINE

        Le revirement de la politique française se perçoit vers la fin des années 60. Le début de l'exode date d'avril 62. Un an et demi pour assimiler, évaluer, accepter une cohabitation, c'est peu pour l'Histoire, c'est infime pour une population, qui ne se sent plus protégée et, vers la fin agressée, humiliée. Le temps aurait pu aménager les relations entre ces deux communautés, à la condition expresse qu'elles se sentent protégées, dans l'instant et dans le temps. Ce ne fut pas le cas, c'est là une grande erreur devant l'Avenir, devant l'Histoire.

Strounga à Staouéli

        Je pourrai noircir page après page, je ne démêlerai jamais cet écheveau.
        À quoi bon !
        Je terminerai par une anecdote authentique racontée par un ami. Elle résume et met un point final à notre recherche cartésienne, qui veut démontrer et trouver un bouc émissaire.
        En 1928, au sud de Tiaret, un Caïd prophétisait :' les Arabes ne vous aiment pas, ils vous chasseront, mais quand ils trouveront un vieux soulier abandonné par les Français, ils l'embrasseront' .
        C'est si vrai, si justement vu que je ne peux rien rajouter. J'ai voulu écrire les causes de notre départ, comprendre le pourquoi de cette peur panique soudaine, de ce désordre, de cette fuite.
        Je ne pouvais imaginer comment avec nos forces armées en place, nos institutions subsistantes, nous n'ayons pu partir la tête haute.
        J'ai renoncé à énumérer les causes car l'écheveau qui les compose est trop mêlé, trop touffu, trop contradictoire.
        Certes il y a quelques gros fils qui ressortent : le mensonge politique clamé par Mendés -France, Mitterrand et, pour finir en apothéose, De Gaulle dans les si médiatiques " Je vous ai compris, et vive l'Algérie française ".
        Tout est tromperie.
        L'autre gros fil reste l'O.A.S, derniers sursauts, derniers barouds pour une finalité inimaginable.
        La presse, l'opinion publique française, l'Eglise, tous, en 1930 nous encensaient et depuis 1956 nous accablaient de tous les maux. Dernièrement en 1992 un brave curé demandait au Pape la repentance pour les colons ! et pourquoi pas la béatification de Monseigneur Duval archevêque d'Alger et pro-- FLN !
        Ces grandes et petites causes n'ont pas, à mon sens, été le déclenchement de ce " come back " précipité.
        Le moment " M " fut la fusillade de la rue d'Isly le 26 mars 1962.
        Moment critique où l'Armée Française tire sur une foule désarmée de manifestants européens.
        À ce moment, on comprend toute la portée fragile des accords d'Evian, là on sent que l'Armée ne protégera plus les pieds noirs, dans leur vie, dans leurs biens , comme il est écrit; là on a peur.
        Alors on pense à ses enfants, puis à soi, car la pression FLN est de plus en plus forte, de plus en plus pressante et sans contrepoids.
        Les exactions sont nombreuses, les files d 'attente de plus en plus longues et l'Armée Française a toujours l'arme au pied.
        Ce ne sont pas là les moments de gloire de l'Armée d'Afrique.
        Qui a dit que l'Histoire réelle de l'Algérie française reste à écrire ?
        Je ne sais, mais j'en suis convaincu.
        Les lambeaux de nos malheurs sont peu de choses devant l'énormité des tromperies de la France vis-à-vis de nous, et je comprends les sentiments de certains qui peuvent dire " Je suis français, mais pas pratiquant ".

        Hormis les 12 000 colons que comptait l'Algérie en 1962 soit avec leur famille 45 000 personnes il reste une population d'un million de personnes qui se dirigeront vers la France. C'est un peuple de petites gens, ouvriers, fonctionnaires, artisans …
        Peu sont politisés, peu connaissent la France.`
        Ils y ont cru, ils sont déçus, ils ne savent plus.
        Ils ont cru au 13 mai quand cette chance manquée de fraternisation a soulevé tout un peuple.
        Ils sont déçus, car aucun de leurs représentants ne siége à Evian, seul l'ennemi pouvait négocier avec le gouvernement.

        Leurs sursauts: les barricades, l'O.A.S,le putsch.
        La fusillade de la rue d'Isly a mis fin à leurs espoirs, ils n'y croyaient pas, c'était impensable. Leurs boussoles deviennent folles, ils ne savent plus…
        Dans cette rétrospective, il est une cause difficile à percevoir : le facteur temps.


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