Je vais essayer de vous conter l'histoire de la trappe que beaucoup connaissent mais souvent de façon superficielle. Aux excellents textes de Madeleine Vialette, j'ajouterai d'autres auteurs dont le grand mérite, outre leurs qualités littéraires, est d'avoir été des témoins, voire des acteurs. J'y ajouterai une iconographie aussi complète que possible, se référant à de vielles cartes postales, des dessins de Norbert Garcia, des documents officiels ou privés. Dans ce dessein, et pour que le lecteur ne soit pas trop surchargé, nous diviserons notre synthèse en trois parties inégales. 1-le temps des trappistes( a & b ) 2-les Borgeaud 3-Bouchaoui Si ma prose comporte quelques erreurs, je compte sur vous pour me les faire rectifier le plus tôt possible, mes remerciements vous accompagneront. R.A.
Une trappe désigne le monastère où vivent des " trappistes ". Ceux-ci appartiennent à l'ordre des Cisterciens né à Cîteaux, en 1098. Ce sont des moines cloîtrés qui mènent une vie érémitique. Au XVIIe siècle, une réforme de l'ordre, issue d'une tentative de restauration née au monastère cistercien de la Trappe, leur donne ce nom de Trappistes. Nous verrons que l'installation des trappistes à Staouéli a été sollicitée à des fins de colonisation pour leurs qualités agricoles et pour servir d'exemple. Le Domaine, un plateau descendant en pente douce vers Sidi-Ferruch, occupait une étendue d'environ 1 000 ha, limitée au nord par la mer, au sud par l'oued Bridja, à l'Ouest par l'oued Bou-Kara et à l'Est par la plaine. Le député de Courcelle, qui connaît bien Dom Hercelin, supérieur de la Grande Trappe, est chargé, en 1841, d'une mission d'information en Algérie. Il doit formuler des propositions en vue de consolider la conquête française et d'assurer son avenir. Il conseille de faire appel à des moines pour lancer un mouvement solide de colonisation.
Lettre du père Régis à ses parents, en 1841 " Les trappistes, par exemple, apporteraient là une expérience agricole fort précieuse et des exemples de sainteté de nature à émouvoir vivement l'imagination des indigènes " et il a écrit à Bugeaud : " Pourquoi votre intention de faire des concessions de terre à d'anciens soldats… ne se concilierait-elle pas avec l'assistance d'une association religieuse renommée pour ses cultures et ses vertus… ? Essayez mes trappistes, mon cher Général… ". Mgr Dupuch, premier titulaire de l'évêché d'Alger, voyait favorablement l'installation des trappistes. Le Maréchal Bugeaud qui exerce la réalité du pouvoir sur place est favorable à une politique coloniale. Le 13 août 1843, il reçoit le père Régis en ces termes :" Il ne nous faut pas des célibataires pour coloniser l'Algérie mais je suis un soldat, j'obéirai. Je vous accepte donc comme les enfants les plus intéressants de la famille coloniale." L'idée d'associer des " moines laboureurs " à son œuvre s'impose bientôt à lui. Il deviendra le plus fidèle allié des trappistes dans toutes les difficultés qu'ils auront à surmonter. Les Cisterciens sont choisis pour leurs qualités d'agriculteurs, leur abnégation et leur courage. Mais c'est bien pour y vivre en chrétien que le Père François Régis accepte d'être le premier responsable de cette nouvelle Trappe.
Nous, maréchal de France, président du Conseil, ministre secrétaire d'État de la guerre;
Avons arrêté et arrêtons ce qui suit:
- Les conditions sont draconiennes et le titre de concession en pleine propriété ne sera établi que si, à l'issue de 10 ans en usufruit, le contrat a été respecté.
En 1844, les bâtiments d'exploitation sont achevés. Une aile pour les moines et une aile pour les militaires sont en voie d'achèvement. 2 500 arbres sont plantés. Les marais sont drainés et un barrage permet une réserve d'eau. Cependant, malgré l'effort de défrichement, il n'y a que 60 ha en culture, et les moines sont rapidement épuisés, la vie de chantier ne permet pas une vie très monastique ; de plus, les conditions sanitaires, sont très dures : il y a une grande demande de retour de moines à la maison d'origine. Dès la première année, on compte un mort, 25 paludéens ou dysentériques et six rapatriés.
Acte de Création du monastère le Cloître Le travail reprend avec courage et, pour le défrichement, le maréchal Bugeaud délègue un nouveau contingent de 400 hommes. Le père Muce, médecin arrivé en 1843, tente de modifier le régime alimentaire des moines, " une grappe de raisin serait la bienvenue pour pousser le pain sec " et d'obtenir qu'ils puissent travailler en vêtements moins lourds que la bure. Au plus fort de l'activité du domaine, 400 travailleurs assurent les travaux : - Une centaine de religieux dont 40 " pères de chœur et des frères converts " qui se lèvent à 2 heures du matin en semaine et à 1 heure le dimanche et jours fériés. - Des familiers qui sont des employés civils, au nombre de 250 environ. - 70 à 120 condamnés militaires venant du pénitentiaire de Douéra. En 1899, les trappistes n'en employaient plus qu'une vingtaine. Il ne s'agissait pas d'un privilège, exclusif aux trappistes, tous les colons du Sahel partageaient ce droit, moyennant une rétribution versée pour la nourriture et les primes payées aux surveillants. Avant la fin de 1843, le père Régis offre au maréchal Bugeaud l'honneur de poser la première pierre. En 1844, Aiguebelle leur envoie 18 frères qui prennent la relève. La situation est cependant difficile et la Trappe emprunte 30 000 francs. Il y a maintenant 20 paires de bœufs, 10 vaches laitières, une basse-cour, un potager dont les allées portent le nom d'un bienfaiteur - Bugeaud, Soult, Dupuch, Marengo et dont les carrés de culture portent les noms des abbayes : Cîteaux, Claireveaux, Aiguebelle, Melleray … Un moulin dont le comte Guyot posera la première pierre est construit sur l'oued Badjarak ; l'eau est amenée par un aqueduc de 400 mètres ; au début du chemin privé, sur la route de Koléa, une petite hôtellerie accueille voyageurs et indigents mais est absolument interdite aux femmes. Le 11 juillet 1846, la Trappe de Staouéli est érigée en abbaye par Mgr Louis Antoine Augustin Pavy, évêque d'Alger : " Toute la communauté étant réunie, après avoir fait notre entrée solennelle dans le monastère, avons érigé le Prieuré N.D. de Staouéli en Abbaye, selon la forme et la teneur des décrets de l'Ordre… "
Le Général Marengo offre la totalité de ses économies, soit 6 000 francs, pour sauver l'oeuvre des Trappistes. En 1848, les récoltes abondantes permettent de faire face à toutes les échéances, mais les décès sont nombreux. Ainsi, après les cinq années imposées d'usufruit, la société civile constituée par les religieux peut faire constater que toutes les conditions imposées sont remplies. Ces succès ne doivent pas cacher les sacrifices des moines à leur œuvre. Voici un tableau qui montre que les années 1844 et 1848 ont été les plus pénibles pour les moines. Plan du monastère dressé par les trappistes Le domaine s'agrandissant jour après jour, les moines y implantèrent des fermes qui avaient l'avantage " d'abriter d'honnêtes et laborieuses familles de colons. " Ces fermes, gérées sous la surveillance des moines, avaient l'avantage de réduire les temps de parcours, d'assurer la surveillance et la sécurité des habitants. Ainsi, on peut citer les noms de fermes de Melleray, Bellefontaine, Aiguebelle, St Bernard, St Benoit, St Etienne, St Michel, St Augustin, Fontbonne, St Joachin, Ste Anne, Ste Scholastique … Pour réussir ce défi, il fallait la foi qui animait les moines défricheurs du Moyen Age. S'y ajoutait la volonté de servir d'exemple à la population autochtone ; également, sans doute, la volonté de relever la gageure posée par le contrat de 1843. Ce n'est cependant que le 18 mai 1850, que le titre de propriété sera délivré pour une concession de 990 ha, 73 ares, 60 centiares et cela malgré la pression de quelques colons de Dely-Ibrahim, Chéragas et Saint-Ferdinand, qui souhaitaient obtenir une redistribution de l'immense domaine entre les propriétaires mitoyens. Il convient de noter que rien n'aurait pu aboutir sans le rôle de l'Etat, de l'Armée, de Bugeaud, de Marengo, pendant les dix premières années. Le titre de propriété émettait toutes réserves, pour la distribution des sources d'eau vive et des cours d'eau, l'établissement de tout ouvrage d'art pour le captage ou l'adduction, pour toutes sortes de servitudes, la libre disposition de tout terrain nécessaire à la création de routes, canaux ou même édifices publics, servitude de chemin de halage et la mise sous régimes des redevances et contributions imposées ultérieurement à la propriété en Algérie. La pleine propriété permet la continuation des travaux avec plus de tranquillité. Dom François-Régis obtient une extension de 50 ha au nom de son frère Léon de Martrin- Donos, également trappiste. En 1853 également, la Trappe de Staouéli obtient un premier prix à l'exposition agricole d'Alger et une médaille d'argent est décernée au " R.P.Régis, abbé de la Trappe de Staouéli, (pour l'ensemble des produits ex æquo premier prix "). La même année, un décret impérial confère à François-Régis la croix de la Légion d'Honneur avec la mention suivante : "De Martrin -Donos, en religion François-Régis, prêtre directeur de la Trappe de Staouéli, a puissamment contribué, depuis 1843 au développement de la Colonie Algérienne par la fondation d'un établissement agricole considéré à juste titre comme un modèle." " Jamais récompense ne fut aussi noblement méritée ". Mais, dès cette date, Dom Bonaventure, abbé d'Aiguebelle, met en garde Dom François-Régis : " la croix et les médailles vont vous accabler de leur poids… je vous en félicite. Mais nous devons préférer la croix de Notre Seigneur, la porter et la faire porter… " et dans une autre lettre de 1854 : " je vous conseille de donner votre démission de membre du Comité Agricole d'Alger ". Les fruits du domaine alimentaient largement les hôpitaux d'Alger et les œuvres secourables. Les revenus du Domaine contribuaient à créer des écoles, des églises dont celle de Staouéli. Les communes de Zéralda, Guyotville, Ouled-Fayet, Mahelma et Douaouda, leur sont redevables de leurs premiers édifices communaux.
La croix noire ( Dessin de Norbert GARCIA ) ( juillet 2007) |