1962- Les accords d-'EVIAN
René ESCLAPEZ,
Ancien Vice-Président du Patronat Français en Algérie. Président du GNPI.

C'est de l'exemple de la Hollande, pays qui se serait enrichi de la perte de son Empire, que s'inspirait le Général de Gaulle dans sa conférence de presse du 11 avril 1961, en reniant toutes ces déclarations antérieures et ses promesses formelles d'une pérennité de la France en Algérie

« L'Algérie nous coûte, c'est le moins qu'on puisse dire plus cher qu'elle ne nous rapporte... la décolonisation est notre intérêt et par conséquent notre politique »

Et les Accords d'EVIAN du 19 mars 1962 vont précisément organiser cette décolonisation, à la demande expresse et parfois pressante du Général. Ces « Accords » sont passés par la France, entité étatique concédante, avec des Délégués du Mouvement de rébellion FLN de Tripoli, après qu'il ait refusé inexplicablement de concéder la « paix des braves » à plusieurs commandants de Willaya, définitivement vaincus sur le terrain par l'armée française.

Que précisent ces « Accords » ? la Déclaration Générale préjuge - de façon aberrante - de « la formation, à l'issue de l'autodétermination, d'un Etat indépendant et souverain, paraissant correspondre aux réalités algériennes ». C'est en fait une capitulation française et la livraison et l'abandon aux mains de ceux qu'on traitait jusque là de rebelles des populations dont on avait la garde et la responsabilité autant que le soin.

Seul l'accord de cessez le feu sera d'ailleurs respecté... du moins par la France. Et, au lieu d'une paix, interviennent aussitôt le 26 mars la fusillade de la rue d'Isly par des éléments de l'armée française sur une foule patriote et désarmée, puis le 5 juillet à ORAN l'assassinat sauvage ou l'enlèvement pour toujours de 3000 Européens ou musulmans francophiles sans la moindre intervention de l'armée française, enfin le massacre horrible de plus de cent mille Harkis refoulés souvent par une ingrate Métropole vers les couteaux de leurs coreligionnaires.

Les autres clauses, garanties ou dispositions, ou ne seront jamais respectées ou seront vite bafouées, l'Algérie nouvelle - bien que toujours aidée financièrement - entendant bien faire payer à la France « le prix de la défaite » ... OU « le prix du sang » ! :
- exode de toute la population française;
- nationalisations des terres et des plus importants industries ou commerces et des habitations vacantes, sans indemnisation ;
- évacuation en mai-juin 1967 des bases atomiques de REGGANE et COLOMB BECHARD ;
- largage en février 1968 de la formidable base navale de MERS EL KEBIR ;
- nationalisation enfin le lier mai 1973, « dans un éclat de rire » de BOUMEDIENNE, des hydrocarbures du SAHARA (d'ailleurs surpayés par le France jusque-là).

Trente ans après il nous est loisible d'en soupeser le sens et les conséquences.

1) De grands témoins ont qualifié « ces prétendues conventions d'EVIAN « comme le fruit certain, à l'échelon gouvernemental, d'une authentique trahison des intérêts essentiels de la patrie, une forfaiture fonctionnelle, diraient les juristes éprouvés, et qu'à l'échelon national... elles sont une grossière escroquerie morale ».

2) Jacques SOUSTELLE l'éminent ancien Gouverneur général, brillant Académicien et ethnologue, qui avait passé 28 ans dans l'ombre de De GAULLE, avait lui-même sélectionné les six ou sept solutions qui permettraient à la France de poursuivre avec l'Algérie des relations fraternelles de longue durée et il regrettait que « de toutes ces solutions De Gaulle ait choisi la plus mauvaise » ! A ses yeux « bâtir un grand ensemble avec nos possessions d'outre mer était un dessein autrement généreux qu'un repli égoïste sur la Métropole ».

3) Déjà le 13 octobre 1955, à l'Assemblée Nationale Jacques CHABAN DELMAS corroborant les multiples déclarations de Michel DEBRE tant au Conseil de la République que dans son « courrier de la colère », prophétisait : « La sécession serait un désastre pour l'Algérie et pour sa population musulmane ou non. Quand la France, coupée de l'Afrique, refoulée au nord de la Méditerranée, ce serait non plus le commencement, mais l'achèvement d'une décadence irrémédiable et la disparition définitive de notre pays du concert des grandes puissances ».

4) Au moment où l'Europe tente de se mieux structurer économiquement, politiquement et militairement, comment ne pas imaginer la richesse qu'aurait pu constituer au contraire l'apport en dot par la France de l'Algérie et du Sahara français, avec ses ressources en pétrole et en gaz, et leur prolongement jusqu'à Brazzaville ?

5) La France avait mis sur les rails une Algérie moderne, à laquelle le Plan de Constantine de 1959 consacrait 2 plans quinquennaux de 1959 à 1968, dont le premier aussitôt mis en œuvre prévoyait 27 milliards d'investissements dans les secteurs les plus formateurs et les plus dispensateurs d'emplois (400 000) pour passer de l'économie rurale traditionnelle à une certaine industrialisation. En fin de premier plan autofinancement accru ; et en 1968, ce serait « le tiers de l'Algérie dont la population sortirait définitivement de l'état de sous-développement ». C'est cette entreprise qu'est venu brutalement interrompre en 1962 le Général de Gaulle... pour laisser cette Algérie vidée de ses Européens dériver entre une dictature « socialiste » et un FIS religieux intégriste 1

6) Nous soulignerons en outre le sort peu enviable réservé en France à ses propres ressortissants :
- Musulmans HARKIS pour l'immense dette - de sang - contractée, et bien loin d'être apurée ;
- et ce million d'Européens, douloureusement contraints au retour entièrement spoliés dans leurs cœurs et dans leurs biens, et auxquels 3 lois dites d'indemnisation n'auront su compenser -30 ans après et aux rares survivants - que le tiers environ de leurs spoliations matérielles!

7) Enfin nous faisons entièrement nôtre une des dernières conclusions de notre ami Jacques SOUSTELLE : « après vingt ans de vie publique, dix ans de Parlement, l'expérience de quatre ministères et d'un Gouvernement général, je crois à cette notion très simple, naïve même que la morale ne peut pas être séparée de la politique ».

8) Puissent ces quelques considérations « historiques » contrebattre les « désinformations » trop nombreuses de livres de classe et d'une certaine presse écrite et parlée, qui n'hésitent pas à trahir la mémoire, de ces 130 années françaises outre mer, et le rôle civilisateur de l'Armée, de l'Administration et des courageux pionniers souvent sacrifiés aux intérêts supérieurs de la Patrie ! Et vouons au diable ce masochisme » bien français obturant ces larges effets bénéfiques pour la France et tout le monde occidental, pour mettre en relief quelques exceptionnelles bavures qui auraient compromis l'édifice !!

Telles sont les principales réflexions que nous inspire le trentième anniversaire des « ACCORDS D'EVIAN ils auront sonné le glas de la période de 130 ans de cette civilisation française en Algérie, qui avait su conquérir les cœurs en même temps que défricher les terres, et amorcé une sorte de balkanisation de l'Afrique et un début du déclin de la France.

( Revue Ensemble N°213 Pages 24-26 Juin 1998)