Le voyage vers l’Algérie n’était pas sans aventures…
Voici un récit qui vous donnera une idée de cette épopée.
Entre le 8 octobre 1848 et le 18 mars
1849, encouragés par les discours officiels enflammés, les bénédictions
fanfares, 17 convois quittèrent les quais de Bercy Jardin des plantes, à Paris
pour amener les colons à Marseille.
Ces convois étaient composés de 6 ou 7
chalands d'une trentaine de mètres de long : 5 étaient destinés aux voyageurs
et aux bagages et un 7e servait éventuellement d'annexe à bagages. Chaque
chaland voyageur était constitué de deux compartiments destinés à recevoir 90
personnes chacun ; deux petits espaces étaient aménagés pour servir de cuisine
et de logement pour l'équipage. Ces compartiments étaient recouverts d'un toit
de planches d'une étanchéité approximative. Les passagers assis sur des bancs,
les femmes adossées aux dos des hommes sur un double banc central. Rien n'avait
été prévu pour les enfants de moins de 2 ans : ils voyageaient sur les genoux
de leur mère. Si, un coin avait été prévu, l'aménagement d'une latrine
rudimentaire, l'espace habitable n'avait pas été calculé pour que tout le monde
puisse dormir en même temps sur les matelas dépliés. L’idée de trouver des
planches à étendre sur les bancs pour augmenter la surface de couchage
n'apparut qu'ultérieurement. Ces embarcations, halées par des chevaux ou des
hommes, devaient emprunter les canaux du Loing, de Briare, latéral à la Loire
et du Centre, jusqu'à Chalon- sur- Saône. Des ravitaillements étaient prévus en
cours de route. La progression était encore ralentie par les écluses à
franchir. Ainsi pouvaient se développer des activités de chasse ou de pêche,
mais aussi de braconnage et de vol dans les basses-cours le long du canal afin
de varier un peu une nourriture qui pour autant était satisfaisante. Cette
lenteur donnait également aux riverains le temps d'organiser des fêtes en
l'honneur des " vaillants pionniers ", au cours desquelles les "
voyageurs " faisaient honneur aux nombreuses bouteilles qui leur étaient
servies. Les gendarmes avaient fort à faire pour ramener aux chalands les
braconniers, les voleurs ou les ivrognes. Dans les cas graves, le capitaine
commandant le convoi exerçait sa fonction de juge, et il arriva que le fautif
soit débarqué et reconduit à Paris sous escorte. Ce rythme permettait aux
femmes du convoi de faire la lessive, il leur suffisait de se porter en avant
des chalands, de laver leur linge dans le canal, de l'étendre sur les berges.
Lorsque le convoi les rattrapait, elles remontaient à bord avec du linge propre
et sec. Cette partie du voyage devait laisser des souvenirs très différents aux
passagers des convois successifs : agréables lors des périodes de beau temps,
mais détestables lorsque la pluie obligeait tout l'effectif à se réfugier dans
les compartiments où, dans de telles conditions, l'atmosphère devenait vite
insupportable.
Dans le chaland
A l'arrivée à Chalon-sur-Saône, les
colons quittaient les chalands et, sans retard, embarquaient sur un bateau à
aubes qui, descendant la Saône, gagnait Lyon, étape d'une nuit passée chez
l'habitant.
Le lendemain, à l'aube, le départ de Lyon se
faisait - comme du reste l'arrivée de la veille - dans l'indifférence la plus
totale, sauf pour le 17e et dernier convoi. Celui-ci, en effet, embarqua un
certain nombre de Lyonnais " turbulents " que la population était
bien aise de voir s'éloigner. Ainsi, la descente du Rhône, émaillée d'échouages
par temps de crue, ou d'enlisements pendant les basses eaux, conduisait les
bateaux vers la deuxième ville - étape : Arles,
où les émigrants devaient passer une deuxième nuit chez l'habitant. Là, une
nette hostilité remplaça souvent l'indifférence des Lyonnais. Les futurs colons
devaient se contenter d'un peu de paille dans une remise que l'on fermait
ostensiblement à clé. Au petit matin suivant, tout le monde se retrouvait sur
les quais de la gare, puisque c'est par le train que l'on devait rejoindre
Marseille. Le rassemblement se faisait dans le plus grand désordre, le souci
majeur de chacun étant de ne pas être séparé du reste de sa famille. On
s'entassait donc dans des wagons faisant le gros dos sous la hargne des
employés et devant l'inconfort du voyage. Heureusement, l'attention était un
peu détournée par la découverte d'un paysage nouveau, provençal et
méditerranéen, qui défilait sous les yeux étonnés de ces Parisiens. Enfin, on
touchait Marseille, terme de ce voyage si pénible à travers la France et point
de départ de la grande aventure, toute proche maintenant.
Marseille : Le Lazaret
Mais Marseille aussi, hélas, avec son
logement au lazaret de transit où il fallait encore s'entasser pêle-mêle pour
dormir dans l'attente du bateau ou du beau temps. Puis, parfois après 2 ou 3
jours, les émigrants étaient invités à se rendre sur les quais pour embarquer.
Leurs bagages, déposés sans soins ni ordre dans les cales, les avaient précédés
sur le bateau. Le même désordre présidait à l'embarquement des passagers qui se
bousculaient pour s'approprier un coin de coursive qui leur permettrait un
regroupement familial pour la durée de la traversée. Le navire quittait le
port…
Extrait de l’ouvrage d’Alain Lardillier
Paru en janvier 2008