AUTOUR DE BELLEFONTAINE


                                            Par Pierre SINISCALCO


Elle s'appelait ANGÈLE, (née en 1897) et gérait la métairie de Bellefontaine. C'est là, avec mes frères, certains cousins et cousines, que je suis né. C'était sur les terres du Domaine BORGEAUD, à La TRAPPE de STAOUELI.

ANGÈLE ne savait ni lire, ni écrire. En plus du français, elle parlait couramment l'Arabe et se faisait très  bien comprendre en italien ou en espagnol.

Toute sa vie durant, elle s'assuma honorablement.

À ses enfants (quatre), à ses petits-enfants (quatorze), elle inculqua la rigueur du travail bien fait, le respect de l'autre, d'où qu'il vienne. L'amour de la Vie malgré les difficultés et les coups durs et il y en eut, des coups durs.

Avec son caractère de granit, nos sentiments d'enfants oscillaient entre crainte et affection, voir amour.

Et c'est vrai que du caractère, il fallait en avoir pour diriger des chantiers de plusieurs dizaines d'hommes affectés à la production et récoltes de pommes de terre, à la cueillette des haricots verts, du chasselas, des oranges et autres agrumes...

A cette époque, il n'y avait pas de 35 heures à réclamer, ni de dimanches chômés.

Qu'il fasse soleil, qu'il pleuve ou qu'il vente, si la récolte était prête, au Domaine, tout le monde répondait présent.

À Bellefontaine, je me suis imprégné à jamais du goût de la nature.

Vue aérienne de Bellefontaine

La ferme était comme posée au milieu d'un nid où régnaient le minéral, le végétal, l'animal. Une colline plantée de raisin chasselas la dominait. Sur sa droite, une forêt plantée de résineux, d'eucalyptus, de caroubiers, bruyères et autres essences ...Dans cette forêt jaillissait une source au débit énorme, (d'où Bellefontaine), avec une eau extrêmement fraîche, claire et limpide qui servait à l'irrigation des métairies situées en aval.

En poursuivant ce tour d'horizon, le regard se posait sur des champs de clémentiniers, à nouveau des vignes, des oliviers, puis des champs de cultures maraîchères.

Nous avions à la ferme, outre la partie habitable, des annexes destinées au matériel agricole, aux stockages divers, aux animaux (cheval, porcs, moutons, poules, lapins...). C'est dans ce cadre gravé à jamais dans ma mémoire que j'ai vécu également des moments intenses de braconnage, mon "tire‑boulettes" pendu autour du cou, baguettes engluées et cage‑attrape, pour la capture des chardonnerets, serins, verdiers, pinsons, linots, tarins, becs‑crois.

À l'automne, c'était la pose des pièges avec les fourmis ailées et la cueillette des champignons ....

En octobre, c'était aussi la rentrée scolaire, et là, que dire de ce magnifique trio   d'institutrices qu'étaient mademoiselle BELVERT, mesdames SANTONI et ROCHE

Ces enseignantes, qui au terme de cinq années d'instruction ,faisaient de ces enfants venus de familles aux origines diverses (italiens, espagnols, arabes), des petits français sachant parfaitement lire, écrire, compter, déjà prêts à entamer des études secondaires au collège de STAOUELI, ou ailleurs. L'Education nationale de nos jours ferait bien de s'inspirer des hautes qualités morales et professionnelles de ces maîtres que nous avions à l'époque .... Mais ceci est un autre débat ....

La TRAPPE de STAOUÊLI, c'était des centaines d'hectares de terre, propriété de la famille BORGEAUD, travaillés et entretenus par des centaines d'hommes et de femmes aux qualités professionnelles multiples et complémentaires, où chacun d'entre eux se sentait un  petit peu "propriétaire du Domaine""ON ETAIT BIEN CHEZ BORGEAUD" .... les ouvriers agricoles saisonniers "se battaient" pour venir y travailler .... Il y avait bien une raison à cela !!!...

Henri BORGEAUD n'avait RIEN À VOIR avec cette image honteuse et fausse qu'une certaine presse disqualifiée a donné des colons pieds-noirs faisant suer sang et eau aux pauvres arabes affamés?, propos qu'un certain Jules ROY n'hésita pas à déverser après être venu visiter le Domaine en 1963.

Tout le monde travaillait et chacun était payé à son mérite.., les saisonniers s'en retournaient "au bled" et revenaient pour les prochaines récoltes, faisant ainsi vivre leurs familles.

Rien à voir avec ces "émeutes" de la faim sous le règne de BOUMEDIENNE, quand le peuple manifestant pour obtenir du pain ne reçu en échange que les balles des automitrailleuses de l'armée.

Henri BORGEAUD était un honnête homme. Il le fut sa vie durant, c'est en tout cas ma conviction.

Nous, les jeunes, travaillions aussi pendant les vacances scolaires, c'était notamment en juillet pour l'expédition du raisin chasselas..."au magasin" dirigé par le redoutable Monsieur PILER ; en septembre c'était pour les vendanges, sous les ordres de Monsieur DUCOS (l'oenologue du Domaine). Avec mon copain René FERRER, nous analysions le jus des raisins qui arrivaient au fouloir. Parfois aussi, le jeudi après-midi, nous étions tous réunis
pour la cueillette des agrumes.

On ne se plaignait pas, bien au contraire... La Grand-mère nous avait inculqué cette  rigueur pour l'amour du travail et le plaisir d'agir ....

Elle s'appelait... Angèle CAPUTO.

Voilà très succinctement étalés quelques mots qui évoquent une partie de ma vie dans ce lieu, et que des retrouvailles avec René FERRER, ami d'enfance et d'aventures, 45 ans plus tard, m'ont conduit à écrire.

Les adolescents que nous étions au moment de l'exode sont devenus des sexagénaires, pères et grands-pères et c'est aussi pour mon petit-fils MATTHIEU, que j'ai rédigé ces quelques lignes sur une communauté de laquelle je suis issu, et d'un terroir dont il ne me reste plus qu'une amère nostalgie... au regard de ce qu'il est devenu.

A Six Fours les plages, le 12 janvier 2009

                                                           Pierre SINISCALCO

“Ces foutus  colons, ont plus chéri cette terre, que nous qui sommes ses enfants “

                            Boualem Sansal


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