Suite B      

        

 Entrée du Domaine

        La visite de Napoléon III permet de connaître l'état de la concession en 1865 : un mur de clôture de plusieurs kilomètres de long entoure les bâtiments et les jardins qui font plus de 50 ha ; en dehors de ce mur, près de 500 ha sont défrichés, ensemencés ou plantés. Les troupeaux se composent de 115 têtes de gros bétail, 400 moutons mérinos, autant de porcs, 16 chevaux ou mulets et un rucher de 200 ruches. Trois fermes ont été créées en divers points de la propriété et de nombreuses voies d'exploitation sont ouvertes, bordées de caroubiers, de platanes, de mûriers, d'oliviers… Les eaux ont été amenées de loin dans quatre vastes bassins et de là dirigées vers de nouveaux jardins.
        Un bassin d'une capacité de 300 mètres cubes est alimenté par une ancienne fontaine romaine dans laquelle l'eau arrive de plusieurs sources. Ces eaux, qui n'avaient plus d'issue, formaient ce que les indigènes appelaient " Aïn-Mok-Bia " (la fontaine de la mort) ; celle-ci, remise en service, fournit l'eau précieuse en même temps que le terrain est assaini.
        En 1882, il y a 110 trappistes (pères et frères), 60 domestiques logés à l'abbaye, 70 condamnés militaires, également logés, et près de 200 travailleurs. Pour les travaux agricoles, il y a maintenant 26 paires de bœufs, 30 chevaux ou mulets.
        Les bâtiments permettent maintenant une vie monastique régulière. Au-dessus de la porte principale, une Vierge dont le nom " Notre Dame de Staouéli " est le vocable de l'abbaye. Proches de la porte, les palmiers symboliques à l'ombre desquels fut signé le traité d'abdication du Dey et près desquels fut dite la première messe à la mémoire des soldats tombés à Sidi-Ferruch. L'abbaye, elle-même, forme un carré de 50 mètres de côté dont le milieu est occupé par un jardin entouré d'un cloître à deux niveaux d'arcades, œuvre, dès 1848 ,d'un frère d'origine italienne.
        La chapelle occupant toute une aile du bâtiment est divisée en deux parties égales : l'une, proche du chœur, est réservée aux pères ; l'autre moitié est le lieu de prière des frères convers mais de hautes tribunes où les étrangers entendent la messe leur cachent le chœur. De l'autre côté de la chapelle se trouve la salle capitulaire où se tient le conseil, où se donnent les instructions spirituelles ou autres et où les religieux confessent leurs fautes devant les autres moines.
        

Salle Capitulaire 

        A côté de la salle capitulaire, le réfectoire : pour chaque moine, une simple écuelle en fonte émaillée, une tasse et un couvert en bois. La cuisine jouxte le réfectoire ; la viande, le poisson et les œufs sont absolument exclus des menus.
        

 

        Au premier étage, les dortoirs divisés en petites alcôves pour cent trappistes, avec une couchette pour tout mobilier, puis l'infirmerie. La bibliothèque se compose d'ouvrages de religion, on y remarque des vestiges romains (mosaïques, céramiques et monnaies trouvées dans la propriété.) Dans le cabinet du Père Abbé, la table sur laquelle fut signée l'abdication du Dey qui, à Alger, représentait l'occupant turc. A droite de l'abbaye, une allée de cyprès, qui abrite un chemin de croix, conduit au cimetière.
        

 Cimetière des trappistes

        Au centre de celui-ci, un petit édifice, curieusement en forme de kouba, abrite les restes du Père François-Régis, mort le 13 mai 1880 ; d'autres tombes, plus modestes, des pères et frères trappistes accompagnent le seul non religieux inhumé dans ce carré où " souffle le vent de l'esprit ", le colonel d'Empire Marengo. Il y repose depuis 1862.
        A gauche de l'abbaye, est la ferme proprement dite, grand carré de soixante mètres avec son important matériel. De plus, il existe en dehors des bâtiments réservés aux religieux, des ateliers comme l'horlogerie, serrurerie, reliure, ferblanterie, laboratoire de photographie, des ateliers de forgeron, de menuisier et des tours pour travailler le bois.
        

 

        On y fabrique des perles de chapelet très dures, d'un blanc opalin, avec des graines de palmier dépouillées, au moyen du tour à bois (en 1881, il en a été vendu 7 000 kilogrammes).
        Les Pères ont également un pied-à-terre à Alger, " Le petit Staouéli ", signalé en 1875 dans une lettre du frère Gabriel du monastère Notre Dame des Dombes : " Nous vous écrivons du petit Staouéli… "
        Il nous faut comprendre qu'elle fut, en un demi-siècle, l'œuvre exemplaire de la colonisation des trappistes de Staouéli, malgré les difficultés que leur imposait une administration souvent hostile, mais avec l'aide du Maréchal Bugeaud et du Maréchal Soult.
        A Staouéli, les moines avaient fait disparaître toutes les eaux stagnantes, foyer de développement de dysenteries et du paludisme. Ils avaient ensuite décelé les sources que le sol, supporté à une profondeur de trois à cinq mètres par une couche schisteuse, rendaient nombreuses. Leurs eaux ont été drainées et collectées ; dans la cour de l'abbaye, une source artificielle débitait en moyenne cent vingt litres à la minute. L'eau a permis de diversifier les cultures et les expériences de sélection des variétés ont servi à tous les agriculteurs : un seul exemple :un bordereau d'envoi (en 1848) des semences sélectionnées dans le jardin botanique de Staouéli contient 107 variétés.
        

 

        L'œuvre des moines domptant une nature hostile, modelant le paysage, est due à leur expérience d'agriculture, acquise dans les monastères de France, au cours des siècles.
        Tous les principaux bâtiments sont construits, à l'exception de la grande église qui ne verra jamais le jour. On compte de nombreux ateliers, dont un laboratoire d'analyse pour les vins et les parfums.
        Les trappistes ont compris que la matière organique était un élément primordial pour la culture maraîchère.
        Aussi la production d'humus, seul engrais connu avec le noir d'animal, faisait l'objet de grands soins. La litière des animaux, des déchets de la distillerie des géraniums, les marcs de raisin et les effluents des latrines des bons pères étaient collectés. Ce fumier donnait d'excellents résultats.
        Etant devenu une ferme de recherches et d'acclimatation, le domaine restera attaché cette fonction.
        

 

        Les moines répondaient ainsi aux souhaits de ceux qui avaient sollicité leur installation et de ceux qui les avaient aidés. Si les petits colons dont les propriétés sont mitoyennes de la Trappe se sont élevés contre la concession en pleine propriété, nombre d'autres viennent demander conseil : les ateliers servent à tout le voisinage, l'harmonie règne entre les différentes catégories de travailleurs et les moines ont toujours été en paix avec l'ensemble de leur entourage. Lorsqu'en 1855, le village de Staouéli est créé, ce sont les moines qui édifient l'église de Staouéli.
        

 Entrée du cloître

        Donc, les buts étaient atteints malgré les difficultés : les moines de Staouéli donnaient l'exemple par le travail, l'exemple de religiosité qui pouvait stabiliser les colons d'horizons très divers.
        

 La croix blanche

        Comme les premiers colons avec lesquels ils s'étaient toujours bien entendus, ils avaient imprimé leur marque dans le paysage en drainant les eaux, comblant les ravins, plantant les arbres, installant la vigne, adaptant les espèces nouvelles dans les potagers. Ils avaient, dans le même temps, obtenu un grand succès d'estime dans la population autochtone. Le monastère est prospère ; la fille peut maintenant aider la mère et c'est un prêt d'un million de francs que Staouéli consent à Aiguebelle. Cependant, passées les années bien particulières de l'installation et de l'aménagement du domaine qui imposaient des dérogations aux règles monastiques, ces exceptions ne sont plus admises quand la réussite arrive.
        Tant de sacrifices, tant de privations, mais une réussite certaine.
        Les trappistes furent les premiers " expatriés " d'Algérie, par des lois scélérates et injustes.
        

 

Les dessins sont de Norbert Garcia .
(Septembre 2007)                                      

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