"LES DEUX RUES DU GENERAL YUSUF "
Par Louis ARNAUD
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YUSUF fut un prestigieux soldat de l'armée d'Afrique. Il fut le héros légendaire de la conquête de l'Algérie. Pendant vingt années, entre BONE et ORAN, c'est-à-dire d'un bout à l'autre de l'Algérie, il fut un « baroudeur » extraordinaire et un meneur d'hommes incomparable. C'est plus à lui qu'à d'ARMANDY que revient le mérite de la prise de BONE qui fut, selon les propres paroles du ministre de la Guerre, le maréchal SOULT, qui l'annonçait à la Chambre des députés: « le plus beau fait d'armes du siècle ». C'est pourtant à d'ARMANDY qu'en est attribuée toute la gloire. Seulement, à cette époque, YUSUF, qui n'avait que 24 ans, n'était qu'un soldat de fortune, mercenaire dans l'armée française, dans laquelle le général de BOURMONT ne l'avait admis, au lendemain de la prise d'ALGER, qu'en qualité d'interprète auxiliaire. Parlant parfaitement le langage des autochtones des pays de l'Afrique du Nord, dont il connaissait aussi les mœurs et les coutumes, il était susceptible de rendre de très grands services au commandement français. C'était un homme superbe qui avait été pris, tout enfant, par les pirates barbaresques, en mer Tyrrhénienne, alors qu'il était sur un navire allant de l’île d'ELBE au continent. Les pirates ayant amené leur prise à Tunis, il avait été offert par eux au Bey, lequel séduit par son allure mâle et fière, en avait fait un page et l'avait admis à la cour. Et comme il s'appelait Joseph, on avait traduit ce prénom en arabe, ce qui avait donné « YUSUF » qui devait désormais lui servir de patronyme et qu'il devait couvrir de gloire. A la cour du Bey, une intrigue amoureuse s'était nouée entre une fille du Bey et lui, qui avait été découverte. Il avait dû s'enfuir pour échapper au châtiment rigoureux qui lui était promis. C'est ainsi qu'il était venu à ALGER offrir ses services au général en chef du corps expéditionnaire français. Joseph VALENTINI, tel était son nom véritable, était né à l'île d'ELBE en 1808. Il avait six ans, lorsque NAPOLEON était arrivé dans cette île qu'il trouvait « bien petite », où Mme Mère et Pauline BORGHESE devaient venir le rejoindre pour égayer sa solitude et alléger sa disgrâce. Pendant les dix mois de séjour de l'Empereur à PORTO-FERRAJO, le jeune enfant avait, maintes fois, été amené par ses parents chez lui, où Pauline l'avait comblé de gentillesses et bourré de friandises. De cela, YUSUF devait se souvenir toute sa vie et en tirer vanité et fierté ; et cela a, peut-être, contribué à la formation de ce caractère hautain et autoritaire qu'on lui a si souvent reproché. Moins de quinze mois après la prise de BONE, YUSUF qui avait été admis avec le grade de capitaine dans l'armée française, était général de division et gouverneur d'ALGER. Il n'avait que trente sept ans. Il est mort à NICE, en 1866, à l'âge de cinquante huit ans, mais il fut enterré au cimetière de MUSTAPHA, comme il l'avait demandé. Une rue de la vieille ville qui va de la rue VIEILLE-SAINT-AUGUSTIN à la place ROVIGO (place Xavier MARTIN actuellement) s'appelle depuis plus d'un siècle : « Rue JOSEPH », sans que personne ne se soit jamais demandé qui pouvait bien être ce JOSEPH. Or, ce JOSEPH n'est autre que YUSUF, à qui ses camarades de l'armée avaient restitué son prénom français. D'ARMANDY, dans une lettre du 8 mars 1832, reproduite par René BOUYAC, dans son « Histoire de Bône », parlant de lui, le nomme, en effet, capitaine JOSEPH. Vers 1895, la municipalité de BONE faisait apporter une plaque portant le nom du général YUSUF, à l'angle d'une petite rue, étroite et laide, de la Colonne, située au bout de la rue SADI-CARNOT, juste en face de la belle école communale, sans se douter que YUSUF avait déjà sa rue depuis longtemps. Deux rues pour un seul homme, c'est certainement une de trop. Mais une seule petite pour YUSUF, ce n'est vraiment pas assez! La tradition de Corses convertis à l'islam se poursuit jusqu'au XIXe siècle puisque l'histoire a retenu le nom de Joseph VALENTINI, surnommé « le général YUSUF ,, né à l’île d'ELBE d'un grenadier corse au service de NAPOLEON. Certains auteurs, d'ailleurs, le donnent comme fils naturel de l'Empereur et de Louise FONTAN, dame d'honneur de Pauline Bonaparte. Elevé jusqu'à l'âge de trois ans par la sœur de NAPOLEON, il est enlevé par les corsaires sur le navire qui le menait de l'île d'ELBE à PIOMBINO. Vendu au Bey de TUNIS et élevé dans le sérail, il connaît des aventures que Michel ZEVACO, auteur corse de romans de cape et d'épée, n'aurait pas désavouées. Aidé par le père de Ferdinand de LESSEPS, YUSUF s'enfuit de TUNIS et rejoint les troupes françaises qui viennent de débarquer à ALGER (1830). Devenu l'un des plus prestigieux généraux de cavalerie, il meurt à CANNES en 1866 et devient un héros de légende.
.Histoire secrète de la Corse.
(Revue Ensemble N° 214 Octobre 1998, pages 70, 71) |
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