"LA CITE BONA "
SOUVENIRS ...... SOUVENIRS
de Georges MENETRIER |
L’enfant que j’étais à l’époque, j’habitais la cité Bôna, Numéro 9 de la rue de Lyon lieu où je suis né. Mon royaume était le secteur, compris entre la Rue de Lyon qui se terminait en cul de sac, le Boulevard Alexandre Papier, la Rue de Savoie, l’Avenue du Capitaine Dauphin ; cette dernière passait devant le Jardin Micalef, et le Stade Paul Pantaloni, la Rue Pangolfo, qui débouchait sur le haut vers la Maison de Santé, pas très loin du four arabe. Pour terminer, la Rue de la Creuse arrivait vers le haut également sur la Maison de Santé, face à un terrain que nous appelions "champ de la Commune". Voilà, c'est dans ce périmètre que s'est déroulée mon enfance. Nous sortions de cette zone pour aller défier un autre quartier, sur un terrain vague pour un match de foot endiablé, jamais fini, là aucune équipe n'acceptant le score final, il fallait toujours un dernier but, et seules, la fatigue et l'heure tardive, arrêtaient la rencontre. Bien entendu notre terrain de foot privilégié restait la Rue de Lyon : deux cailloux de chaque côté pour délimiter les buts, et le décor était planté pour des matches marathon ; il faut dire que ce n'étaient pas les voitures automobiles qui nous dérangeaient à cette époque ; fin des années quarante et début des années cinquante ; mais plutôt les voitures à bras remplies de légumes et fruits multicolores qui stoppaient net les débats. Ces engins roulant à deux roues qui atteignaient parfois cinq à six mètres de long étaient impressionnants, un seul homme pour manœuvrer aux brancards et vendre, aux cris de "légumes .... légumes" que notre vaillant marchand ambulant lançait sur tous les tons, et voir à ses appels nos mères se précipitaient dans la rue et faire leurs achats. Restons dans le registre du commerce ambulant. Passaient également suivant les saisons, les marchands de melons, de pastèques, de figues de barbarie, et surtout le marchand d'haricots de mer avec sa boîte de conserve faisant office de mesure ; celui aussi plus matinal avec son plateau en équilibre sur la tête, je veux parler du marchand de beignets du matin, qui réveillait toute la rue en criant "beignets ... beignets" et bien sûr s'attirait les foudres des dormeurs. Comment ne pas parler de celui qui interrompait notre sieste avec son appel si particulier "archand chiffoun ... y a rien à vendre" ; avec mes frères et sœur nous habitions au premier étage de la maison GRECH, par les interstices des fenêtres en lattes de bois, nous regardions tout ce qui se passait dans la rue et à plus forte raison notre marchand de chiffons avec son sac sur le dos, que nous interpellions par un "psiiiit et cela nous amusait de le voir s'arrêter et chercher d'où provenait cet appel. Et le marchand de pain de glace, qui faisait son apparition dès les premières chaleurs. Pour l'épicerie nous avions le magasin de Madame PHILIPPE, qui se situait à vingt mètres de chez nous. Nos mères nous envoyaient faire les commissions au coup par coup, café, sucre, huile d'olive ou sans goût .... Lorsque nous faisions des bêtises ou qu'un voisin nous recherchait pour avoir cassé un carreau en jouant au foot dans la rue, cette brave dame, nous cachait dans son arrière boutique. Me voilà revenu à mon point de départ tout en ayant passé en revue le commerce ambulant qui faisait l'animation des quartiers. Et comment oublier la période où nous jouions aux noyaux (d'abricots) à faire nos petits tas ou aux petits paquets avec les cartes espagnoles, aux cinq pierres, aux billes, à la mère touch-touch.... Nous avions la chance d'avoir près de chez nous u n cordonnier qui avait son échoppe dans la Rue de la Creuse (nous l'appelions "Salvo"), il nous accueillait toujours avec gentillesse, et complicité car, c'est chez lui que nous fabriquions nos fameuses "Tahouates". Il nous fournissait la basane pour retenir le projectile et la ficelle passée à la poix ; à nous de trouver les élastiques carrés et la branche d'olivier en forme de Y. L'arme ... terminée nous étions prêts pour aller à la chasse dans le Champ de la Commune. Dans ce même Champ où la Commune entreposait ses matériaux, nous chassions également les chardonnerets, les canaris, et autres pinsons avec une cage, un appel et la glu que nous fabriquions chez notre cordonnier avec toutes les tombées de crêpe et caoutchouc que nous faisions fondre. Vous rappelez-vous des carmousses ? Nous les cueillions dans le champ de la Commune, c'est un petit fruit, gros comme un pois chiche avec très peu de chair ; ce noyau nous le projetions avec la bouche à l'aide d'un bout de roseau que nous taillions afin d'en faire une sarbacane. Ensuite attention à ceux qui passaient dans notre champ de tir. Il ne faut pas croire que seul le jeu comptait. Il y avait l’école, et pour moi c'était l’école Victor Hugo. J'ai fais le trajet quatre fois par jour à pied entre la rue de Lyon et l'école, et cela depuis le cours préparatoire jusqu'au certificat d'études. Je partais donc de la Rue de Lyon, le Boulevard Alexandre Papier en direction de la Place Marchis, je passais devant le terrain vague (emplacement du cinéma l'Empire), où certains cirques s'implantaient pour notre plus grande joie : je longeais sur ma gauche le mur d'enceinte du dépôt de munitions, à l'ombre des eucalyptus géants qui faisaient face à la place marchis, puis les allées Guynemer où à mi-parcours je m'arrêtais pour faire un petit coucou à mon Papa (je me suis toujours demandé comment il faisait pour savoir que j'étais là), car il apparaissait presque automatiquement à la fenêtre de son bureau pour me faire signe et, je repartais heureux, pour la seconde partie du trajet. Arrivée au Palais de Justice, (tout en étant passé auparavant devant la caserne de la Gendarmerie), le Boulevard de Narbonne à traverser et j'étais au bas des escaliers de la Cathédrale ; ensuite je traversais la Rue Sainte Monique pour me retrouver devant la caserne du 3ème Tirailleur Algérien avec sur ma droite la statue de Jeanne d'Arc. Sur ma gauche j'avais le mur extérieur de la caserne que je longeais jusqu'au sommet du Boulevard Victor Hugo juste avant de redescendre sur le pont de la tranchée, et là, j'étais face à mon école Victor Hugo. J'ai terminé mon papier et croyez moi je nie sens heureux d'avoir pu faire ce trajet avec vous, pour dire vrai. Je ne pense pas que le petit garçon de 7 ans que j'étais au début de mes chères études !!! ait pris autant de plaisir qu'aujourd'hui devant nia feuille. Peut-être que d’anciens élèves de cette école se retrouveront sur le trajet, ou sur une partie de ce périple. Il faut savoir que j’ai commencé ma scolarité en 1948 à l’école Victor Hugo, après un rapide passage à l’école des sœurs Rue Bugeaud.
(Revue La Dépêche de l’est, N° 24, Juin 2000) |