Le Docteur Quintard, maire de Bône (1941-1943)….
Le politiquement correct nous impose de cacher sous un voile discret toute une époque de notre histoire certes peu honorable mais au cours de laquelle la vie n'en a pas moins du continuer dans des conditions souvent pénibles.
Pour pallier à la vacance du poste le Docteur Paul Quintard fut nommé Maire de Bône; il accepta cette charge non sans réticence, par devoir. C'était loin d'être un cadeau en ces temps difficiles et il résista plus de deux mois aux pressions du sous préfet de Bône et au préfet de Constantine avant d'y céder. On peut lire dans "L'Algérie sous le régime de Vichy" de Jacques Cantier (Ed.Odile Jacob 2002) : "Parmi les nouveaux maires nommés en 1941 on retrouve un échantillon des élites ralliées au régime: deux notables ayant exercé des charges électives sous la III° République- le Docteur Quintard à Bône et Léon Havard à Tlemcen…"
Derrière cette "condamnation implicite", sans nuances, la réalité est moins simple et aurait mérité une petite enquête. Il n'y avait guère, à l'époque, de candidats pour assumer cette charge et il a fallu beaucoup de persuasion pour que ce notable intègre, qui n'avait jamais milité dans aucun parti politique et qui avait été élu, sans discontinuer conseiller général depuis 1913, en tant que candidat indépendant, acceptât cette lourde charge qu'il assuma avec conscience et désintéressement comme en témoigne un élu socialiste qui avait été son adversaire politique au Conseil Général de Constantine D.Giovacchini dans "Les Grands Hommes Bônois" une revue mensuelle dont il était le rédacteur: "Maire de Bône, à des heures difficiles, il administra sagement, sans fausse gloriole, et sans s'intéresser aux quémandeurs de mauvais aloi. On le disait sévère parce qu'il ne délivrait pas de certificat de complaisance. Ce n'est pas lui qui sabotait la machine administrative en distribuant des jours de repos aux "tire-au-flanc"de la République des camarades."
Jamais au cours de son passage à la mairie le Docteur Quintard ne fit acte politique. Comme tout au long de sa vie il resta un homme indépendant avec pour seul souci de servir au quotidien ses concitoyens. Il s'opposa au Conseil de l'ordre des Médecins qui voulait interdire à ses confrères juifs d'exercer la médecine confiant même à certains d'entre eux des fonctions d'assistance communale. Fidèle à l'indépendance dont il a toujours fait preuve il s'est toujours refusé en ces temps troublés à faire acte de sectarisme.
Quand suite au débarquement des alliés à Alger le 8 novembre 1942 et quelques jours plus tard des allemands en Tunisie, Bône connut de terribles bombardements aériens.
Le Docteur Quintard, chef de la défense passive, fut, au cours de cette période, jour et nuit à son poste. |
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Il lui fallut avec ses collaborateurs improviser pour assurer le logement, l'habillement, la nourriture des nombreux sinistrés. Plusieurs fois cet homme qui avait alors 71 ans et des problèmes de santé échappa de peu à la mort. L'appartement qu'il habitait place de Strasbourg fut ravagé et sa mère qu'il logeait et qui avait alors 95ans y survécut par miracle.
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Le Docteur Quintard avait connu Verdun en 1916 en tant que Médecin Chef des brancardiers de la 63°D.I et les ruines consécutives aux bombardements ont du lui rappeler bien de tragiques souvenirs en même temps qu'elles expliquent peut être qu'il ait finalement accepté après plus de deux mois de refus la charge qu'on lui avait proposée. Jamais, toutefois, il n'a pris le chemin de Vichy ni reçu du régime la moindre reconnaissance honorifique. |
L'auteur du livre cité plus haut et de la condamnation implicite qui ressort des faits qu'il rapporte aurait du savoir que le Docteur Quintard n'a jamais été ni inculpé ni jugé, ni a fortiori condamné pour fait de collaboration en dépit du zèle de "résistants" de la dernière heure soucieux "d'épuration".
En témoigne la lettre que lui adressa le sous-préfet de Bône, Monsieur Louizet, résistant de la première heure, quand les municipalités de 1936 furent réinstallées: "une équipe a servi la France. Elle part la tête haute avec la satisfaction du devoir accompli. Le Docteur Quintard et ses collaborateurs ont accompli une tache difficile en des heures graves. Ils ont administré la ville de Bône avec un seul souci celui du bien public. Nombreux furent les problèmes qu'ils eurent à affronter au prix d'un effort soutenu et d'un labeur ingrat qu'ils durent poursuivre parfois aux dépends de leurs intérêts et souvent au péril de leur vie. Les actes et les délibérations du conseil sortant ont été marquées par la droiture et l'élévation de vues du Docteur Quintard dont la personnalité sort grandie de ce passage à la tête des affaires municipales en période exceptionnelle."
La lettre dans laquelle il racontait aux siens sa brève expérience municipale qui dura 20 mois se termine par une citation de Marc Aurèle: "Recevoir sans orgueil; quitter sans résistance" Ce n'est pas sans émotion que son petit fils, auteur de ces lignes et médecin comme lui fit le rapprochement avec cette citation en entendant dans un discours prononcé à l'occasion de son départ à la retraite une citation de Lao Tseu: "Il produit sans s'approprier, il agit sans rien attendre, son œuvre accomplie, il ne s'attache pas. Et parce qu'il ne s'y attache pas, son œuvre restera."
Paul Quintard est né à Bône en 1871, troisième d'une famille de 5 enfants. Son père, médecin comme lui, était d'origine franc-comtoise et s'était installé à Bône en 1865 où il avait épousé deux ans plus tard Delia Mondehard, née à Bône en 1847; elle était la fille d'un pharmacien d'origine normande. De cette union descendent cinq générations de médecins tous nés à Bône. Le Docteur Paul Quintard est mort à Bône en 1952 où il repose dans le caveau familial. Il n'a heureusement pas connu le drame du rapatriement. |
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Croix de guerre 14-18, Officier de la légion d'Honneur, médaille d'or des Epidémies le Docteur Quintard fut Conseiller général de 1913 à 1943, Président du Conseil général de Constantine en 1931-1932, Président de la commission des Finances de la même assemblée en 1934 et maire de Bône (août 1941- avril 1943). Il aurait pu faire une carrière politique comme conseiller municipal voir comme sénateur, cela n'intéressait pas cet homme indépendant d'esprit et hostile à tout engagement partisan.
"Plus mon petit Liré que le Mont Palatin"…. il estimait avoir mieux à faire dans sa ville natale qu'il appelait la "ville triple": Hippone, Annaba, Bône. Il y fut entre autres: Président d'honneur de la Fédération départementale des Familles nombreuses, Président de la Société de la Légion d'honneur, Président de l'Académie d'Hippone, Président des Amitiés Africaines… et père de 5 enfants et grand père de 10 petits enfants. Pour l'anecdote il est le parrain de la cloche de la Cathédrale de Bône et son nom est gravé dans le bronze de cette cloche aujourd'hui rapatriée à Antibes où ses sonneries rappellent leur ville natale aux nombreux bônois, qui s'y sont installés quand il leur fallut quitter le sol natal.