La valse des gâteaux
André Michel BENALAL
Ce texte a été publié dans le Bulletin de "l'Association des Amis de Mascara", en novembre 1998
et adressé au site par Nicole Marquet

Quand approchait Pessah, mes parents achetaient
Deux fois plus de galettes qu'ils n'en consommeraient.
Je les revois encor, craquantes et craquelées,
Ces galettes Gourion, aux formes dentelées.

Selon son habitude, ma mère prélevait
La part de nos voisins, puis elle la réservait,
En l'ayant disposée dans de belles assiettes,
Recouvertes aussitôt d'éclatantes serviettes.

Delrieu et Serrano, Thomas et Ousmani,
Chatain, Dadi, Delpeint, Cerdan et Mimouni,
Chaque année, autrefois, en recevaient l'offrande,
Car le coeur est altruiste, quand l'amitié est grande.

Au temps du Ramadan, Ousmani, Mimouni,
Nous faisaient apporter un grand plateau garni
De pâtisseries fines, plaisamment décorées,
Au parfum de cannelle, aux couleurs mordorées.

Des petits gâteaux secs, nappés de sucre glace,
Chamarrés de bonbons sur toute leur surface,
De blondes zlabillas aux formes bigarrées,
Ruisselantes de miel, quelques dattes fourrées.

Et ces autres merveilles dont ils avaient recette,
Des cornes, des kindlettes ou bien des skandriettes,
Des mekrods mielleux, que chacun affriande,
Des cigares enrobés à la pâte d'amandes

Pour célébrer Pâques, Serrano et Chatain
Pâtissaient la mouna. Pétrie dans son levain,
La brioche onctueuse, à l'arôme léger
Finement parfumée à la fleur d'oranger,

Jaunie par l'apport d'oeufs, aux formes redondantes,
Sous sa croûte dorée, savoureuse et fondante,
Chaude encor du fournil, nous était apportée,
Sur un plateau, soigneusement empaquetée.

Car en ces temps heureux de confraternité,
Où l'amitié sincère avait droit de cité,
Où prévalait l'estime et le respect d'autrui,
Car, en ces temps heureux dont nous fûmes instruits,

Par-delà cette valse d'assiettes garnies,
Galettes, mekrods, mounas, aux saveurs infinies,
Qui circulaient alors dans un ballet réglé,
Par-delà cette valse de plats fignolés,

C'étaient trois religions, étroitement unies,
Trois cultes, s'exprimant en parfaite harmonie,
Et qui coexistaient d'un élan fraternel,
Sous l'égide d'un Dieu, Un et universel.



Page Précédente RETOUR Page Suivante