Le cinéma
1) C'est à Bône, avant la Guerre de quatorze, que j'ai assisté, pour la première fois, à une projection cinématographique. Ce cinéma était ambulant, ce qui permettait au couple l'exploitant, de se produire dans quelques villes algériennes.
Ce couple se déplaçait, avec tout son matériel, dans un gros teuf-teuf torpédo, traînant une petite remorque qui n'était autre qu'un minuscule groupe électrogène.
Ce jour-là; ils s'arrêtaient place des Gargoulettes, et s'installaient de la manière suivante : la partie arrière de l'auto était mise sur cales pour que les roues motrices puissent tourner librement. Sur l'une d'elles, il y avait un réa accolé qui permettait d'engager une courroie entraînant le groupe à produire l'électricité nécessaire à la projection.
A Bône, à l'époque, tout l'éclairage public et privé était assuré par le gaz de Ville. L'écran était un simple drap blanc, tendu verticalement sur des fixations, droites et gauches, providentielles cette fois-là par la présence de deux palmiers. Devant ce drap s'alignaient quelques rangées de chaises pliantes empruntées au café voisin, ce qui permettait aux spectateurs payants de s'asseoir.
Cela se passait, bien entendu, à la belle saison, en plein air et la nuit. A l'heure dite, le moteur de l'auto était mis en route, et avec la lumière produite, l'opérateur pouvait lancer sa projection dans le bruit assourdissant des pétarades de l'auto. Le drap était traversé par l'image ce qui explique qu'il y avait plus de resquilleurs derrière l'écran, que de spectateurs payants devant.
2/ En 1917, à Bizerte, en Tunisie, où mon père avait été mobilisé, j'ai vu le premier film en couleur. C'était "La Reine Margot" dont les images avaient été colorisées à la main et vues par vues. C'est en regardant ce film, que j'ai mâché mon premier chewing-gum, inconnu jusque là.
3/ Il existait à Bône un superbe bâtiment communal édifié à l'usage de poissonnerie. Il était implanté auparavant à l'endroit où a été édifié plus tard le monument aux morts. Il se trouvait maintenant en plein milieu de la Place d'Armes. Pendant la Guerre, tous les pêcheurs avaient été mobilisés et. après la Guerre, bon nombre d'entre eux, avaient disparus. Ce local étant libre, un certain Monsieur DUMERGUE eut l'idée d'en faire un cinéma, le SELECT.
Dès l'ouverture, les bônois ont pu voir le premier film à épisodes intitulé "les Mystères de New-York" dont l'héroïne était Pearl WHITE et le détective Justin CLAREL... Ce premier film à épisodes avait été suivi par bien d'autres comme RAVINGAR, JUDEX, etc., etc...
Monsieur DUMERGUE assurait la réclame des films projetés en circulant à bord de son auto, avec des affiches placardées sur un chevalet double installé au-dessus des places arrières du véhicule. Il passait et repassait plusieurs fois dans différents quartiers de la Ville suivis par de nombreux yaouleds enthousiasmés...