La Djihad.
Massacre des européens à Sétif le 8 mai 1945
Par Maurice VILLARD
Tiré de l'ouvrage: La Vérité sur l'insurrection du 8 mai 1945 dans le Constantinois .Menaces sur l'Algérie Française de Maurice VILLARD.

ACEP ensemble N° 237 avril 2003

Nous sommes le 8 mai 1945 à Sétif. La ville est entièrement décorée, les bâtiments officiels ont arboré le grand pavois. Toutes les maisons, les immeubles, appartements des européens sont recouverts d'emblèmes tricolores.

Plusieurs manifestations officielles sont programmées et la population européenne s'apprête à y participer dans la joie et l'euphorie.

Un grand défilé, traversant la ville, avec la participation de toutes les autorités, les anciens combattants, les diverses associations représentatives, les enfants des écoles, devait aboutir à dix heures au monument aux morts avec un dépôt de gerbes. l'après-midi, au stade municipal, une grande manifestation est prévue avec lever des couleurs, préfigurant le prochain retour de tous les militaires et particulièrement du glorieux régiment le 7ème RTA en garnison en ville, qui vient de se couvrir de gloire pour libérer la mère Patrie.

Dans les rues, tous les jeunes arborent des rubans tricolores à tel point que les magasins de la ville ont épuisé leurs stocks.

Pourquoi un tel enthousiasme ? Il est nécessaire de rappeler que la population européenne dans son ensemble, a payé un tribut écrasant à la guerre. Depuis le déclenchement des hostilités avec l'Allemagne et l'Italie en 1939, puis en 1942 le 8 novembre, avec le débarquement des anglo-américains en Afrique du Nord, tous les hommes en âge de porter les armes sont mobilisés.

Beaucoup, prisonniers lors de la débâcle de 1940, réussissent à s'évader, puis ils reprennent le combat en Tunisie sans entraînement, en guenilles avec des armes d'une autre guerre, ils réussissent à briser la contre attaque allemande alors que les troupes américaines battaient en retraite. Lors de combats sanglants ils ont réussi à vaincre les forces de l'axe et à libérer avec Tunis, l'Afrique du Nord. Puis dotés par les américains de tous les équipements et armes modernes, ils sont engagés sur tous les théâtres d'opérations les plus meurtriers.
Ils se couvrent de gloire en Italie, sur le Garigliano, à Monte Cassino, s'emparent de Rome, Florence, Sienne. Ils libèrent l'île d'Elbe, la Corse, puis la Provence avec la reconquête de Toulon, Marseille. Ils remontent la vallée du Rhône, ils livrent de terribles combats dans la neige et le froid en Alsace, franchissent le Rhin de vive force pour arriver sur les bords du Danube.

Cela va permettre à la France vaincue, humiliée en 1940, grâce à cette armée de français d'Afrique, de retrouver son rang de grande puissance et de pouvoir prendre part, avec les alliés, à la signature de la paix.

Peut-on compter la somme de sacrifices consentis par tous ces hommes, nombre d'entre eux ont passé 7 années mobilisés au service de la France, alors qu'ils ne sont ni engagés, ni militaires de carrière. Les actions d'éclat, les actes héroïques ne peuvent être comptabilisés. Ceux qui, hélas, ne sont jamais revenus se comptent, il n'y a pratiquement aucune famille qui ne peut déplorer la mort de l'un des siens.

"Ceux qui ne sont plus là, morts pour la Patrie, sont aussi bien nos pères, nos fils ou nos époux, beaucoup n'avaient pas même vingt ans".

L'armistice c'est l'arrêt des combats, la fin des interrogations et du cauchemar pour toutes les familles.

L'espoir de revoir les êtres chers avec la démobilisation, voilà ce qui motive la joie de toute la population.


Perspective sur le début de l'avenue Georges Clémenceau. A droite le bâtiment blanc du mess des officiers et son parc. A gauche, le lycée Eugène Albertini. Au loin se dressent le nouveau quartier de la pinède. Au sommet de la colline, le moderne hôpital civil. Le regroupement des manifestants venant du sud et du nord s'est effectué sur le rond-point central pour s'engager dans l'avenue Georges Clémenceau.

Il est, je pense, nécessaire pour la vérité de l'histoire de rappeler que dans les trois départements d'Algérie, la mobilisation des Français, a atteint le chiffre de 16,40 % de la population française.
C'est le chiffre le plus élevé jamais atteint.

Alors que les mêmes classes d'âge en métropole, pour certaines, n'ont pas été mobilisées et que lors de l'avancée de l'Armée d'Afrique, il n'y eut pratiquement pas d'engagés volontaires pour rejoindre cette armée victorieuse et chasser l'allemand de France.

Ce sont donc vingt classes de Français d'Algérie, plus de 160.000 hommes qui sont mobilisés, expédiés en Europe. L'Algérie est privée de ses forces vives, il n'y a pratiquement plus d'hommes dans les foyers européens.
Hélas ! Obnubilés par tous ces sentiments, les européens oublient les réflexes de prudence. Pourtant la nervosité, l'arrogance, les incidents qui se multiplient, les manifestations du 1er et du 7 mai sont autant de signaux indiquant un grand danger.

Mais ce sont les Autorités qui ont l'écrasante responsabilité des tragiques événements qui vont se dérouler. Le doute n'est pas permis. Elles sont parfaitement informées de l'imminence de l'insurrection, elles n'ignorent pas que le jour de l'armistice a été retenu pour donner le signal de la djihad et du massacre des européens.
Aucune mise en garde, aucune mesure de précaution dans les villes et les villages, les fermes, les maisons forestières. On a le droit de se poser la question : a-t-on voulu de façon délibérée sacrifier les Européens et les musulmans fidèles ? la réponse ne peut être qu'affirmative.

Les meneurs de l'insurrection ont eux, bien préparé leur action et leur moment où l'Algérie est vidée de ses hommes valides. Les effectifs des forces de maintien de l'ordre, police, gendarmerie et de l'armée sont obsolètes, la population européenne toute à la joie de fêter la victoire devient une proie sans défense.

LES EUROPEENS.

Dès le matin, le 8 mai à Sétif, les terrasses qui bordent l'avenue Georges Clémenceau au centre de la ville européenne, sont prêtes à accueillir la grande foule.

Les écoliers et les collégiens sont les premiers ; l'un d'eux, avec son violon, joue des airs patriotiques. Pourtant venant de la cité du faubourg de l'Industrie, il vient d'être agressé par un groupe d'indigènes. Il n'est pas encore huit heures et les rues sont animées par de nombreux groupes qui se dirigent vers le centre ville afin d'être présents aux cérémonies.

LES MUSULMANS.

De très bonne heure, ils commencent à se regrouper au nord de la ville devant le Parc à fourrage, situé non loin de la mosquée de la rue des Etats Unis et du domicile de M. Ferhat Abbas. De tous les quartiers arabes de la ville, de tous les douars environnants affluent des cohortes d'hommes. L'immense terrain vague, les champs jouxtant le Parc à fourrage ne suffisent pas à contenir cette masse humaine qui déborde largement vers les quartiers environnants. Pour la mettre en condition, le rassemblement est sonné au clairon par le dénommé Sakri Beghir Embarek du P.P.A. La tête du cortège se forme devant la mosquée sous les ordres de Bella Belkacem dit Hadj Slimane et de Ben Touami Aïssa.
Les musulmans ont demandé l'autorisation d'organiser un défilé, ne voulant pas se mêler à celui organisé officiellement. Le sous-préfet leur a délivré l'autorisation sous réserve qu'il ne prenne aucune connotation à caractère politique.
C'est le Commissaire Lucien OLIVIERI qui a été chargé de négocier, avec les responsables, les conditions exigées par le sous-préfet.
Aucune bannière ou autre symbole revendicatifs, aucun drapeau autre que celui de la France ne doit être déployé ; les slogans anti?français ne doivent pas être scandés. Aucune arme, ni bâtons, ni couteaux ne sont admis.
Le Commissaire, la veille au soir, a obtenu l'accord formel des responsables, ainsi que celui du Chef de la troupe des Scouts El Ayat, que ces conditions seront respectées ?Tous lui ont donné leur parole ?
Cependant, les autorités n'ignorent pas que malgré cette parole donnée, les meneurs parcourent les quartiers arabes de la ville, les douars, donnent des ordres afin que tous les hommes valides soient présents dès le mardi matin à la première heure à Sétif; ils annoncent que l'heure du combat est arrivée, que la djihad va être déclarée afin d'exterminer les roumis et que l'on comptera ceux qui ne seront pas présents.
Les Autorités Françaises sont informées de tout cela dès le lundi soir.
C'est à 7 h 30 que l'ordre du départ du cortège est donné; il démarre lentement.
En tête les Scouts El Ayat formant un groupe compact bien aligné, environ 250, en tenue, foulard vert et blanc entonnant leurs chants nationalistes, marchant à petits pas cadencés. Saad Bouzid porte leur drapeau, emblème de l'indépendance.
Le nombre des participants est énorme: on peut le chiffrer à bien plus de 10.000 hommes qui se dirigent vers le centre ville, empruntant la route de Bougie, l'avenue du 18 juin, la rue du 3ème Zouave, l'Avenue Albert 1 er, la rue Ben Badis, l'Avenue Jean Jaurès, pour tous ceux qui viennent du nord et de l'est. Ceux qui viennent du sud et de l'ouest arrivent par la porte de Biskra, le Boulevard Général Leclerc, pour ne former qu'un seul et même cortège devant le mess des officiers et déboucher ainsi sur l'Avenue Georges Clémenceau. Ce qui frappe, tous les témoignages sont concordants, c'est l'organisation des manifestants bien encadrés, disciplinés, les scouts faisant du sur place pour permettre à tous d'intégrer le cortège. Ce n'est pas la cohue du mardi précédent. L'intention de provoquer est évidente, sinon ce n'est pas cet itinéraire qui aurait été emprunté.
On en revient donc à la question posée. Pourquoi la police ne dévie-t-elle pas les manifestants vers les boulevards extérieurs ? Cela aurait été possible.
Simplement parce qu'elle n'en a pas reçu l'ordre.

Nous allons voir qu'elle manque totalement d'effectifs, mais cela aurait été possible en faisant appel à l'armée, ce que n'a pas fait le sous-préfet, mais n'avait-il pas reçu des ordres supérieurs ?
L'Avenue Georges Clémenceau est donc complètement occupée sur ses 18 mètres de large par cette masse humaine, composée essentiellement d'hommes jeunes et déterminés avec à la main comme armes, des "débous".
La parole donnée est bafouée, malgré les engagements pris la veille, de nombreuses pancartes et banderoles sont brandies. On peut y lire "libérez Messali", "vive l'Algérie indépendante", "à bas la France", "l'Algérie est à nous". Il y a au moins deux banderoles écrites en anglais dont nous n'avons pas la traduction.
En tête, autour d'un groupe très compact, apparaît un drapeau vert et blanc avec un croissant et une étoile rouge, un autre drapeau aux couleurs du prophète.
Surprise ! des "you-yous" stridents se font entendre, ainsi que des slogans hostiles à la France scandés en arabe par les meneurs et repris par la masse.
L'insurrection éclate. Intervention du Commissaire OLIVIERI -
Ce dernier reçoit l'ordre du sous-préfet de stopper le cortège et de saisir les bannières séditieuses.
Il a à sa disposition autour de lui comme force de l'ordre une dizaine d'agents de police et quatre inspecteurs de la P.J. Il donne ses instructions, les policiers doivent s'intercaler, afin de stopper la progression du cortège, entre le groupe de scouts et le reste des manifestants.
La manœuvre se déroule bien, les policiers se déploient sur toute la largeur de l'avenue, les scouts s'arrêtent à hauteur du café de France.
Aussitôt le Commissaire, avec un sang froid et un courage remarquables, ayant à ses côtés les inspecteurs Raoul HAAS et Norbert FONS, sans aucune arme apparente, s'avance et entre au milieu du cortège. S'adressant aux responsables qu'il connaît bien, leur rappelant leurs promesses de la veille, leur demande de faire disparaître les bannières et les drapeaux séditieux. N'étant pas entendu, il s'approche du porteur du drapeau et essaie de le lui arracher des mains. Le Commissaire est alors bousculé, jeté à terre mais protégé par les deux inspecteurs au milieu d'indigènes hargneux et menaçants. Des cris fusent: "ouktelhou, eddeblhou" - tuez-le, égorgez-le.
Un des meneurs sort un pistolet ; le Commissaire alors craignant pour sa vie, sort son pistolet de service et pour se dégager, tire un coup de feu en l'air.
Immédiatement, un second coup de feu éclate, tiré du cortège, on entend un hurlement : c'est la petite Nakache qui se trouve avec ses parents et qui vient d'être mortellement blessée devant le café de France. Elle est la première victime.

LE MASSACRE DES EUROPEENS.

C'est le signal de l'émeute, la ruée dans les rues de la ville pour tuer les Européens.
Les armes sortent de dessous les djellabas et les burnous. Tout sert de projectiles, les tables, les chaises, les carafes et les verres volent à travers les arcades. Les européens se réfugient dans les commerces, dans les couloirs d'immeubles, chez les particuliers qui leur ouvrent leurs portes.
La masse des manifestants s'engouffre dans toutes les rues du centre ville. C'est la chasse aux roumis qui commence, malheur à ceux qui ne trouvent pas de refuge, ils sont entourés, abattus à coups de "débous" sur la tête, exécutés au couteau, sauvagement achevés. Tout cela, avec les you?you" stridents des femmes musulmanes encourageant ainsi ces atroces et lâches assassinats d'européens désarmés.
Les assaillants sont armés de "débous", dont certains avaient été munis de lames de rasoirs, de "boussaadis", de hachoirs, de faucilles, de haches, de pierres apportées par pleins couffins. Les meneurs possèdent quelques armes à feu. Les européens sont assassinés avec une sauvagerie indescriptible ; isolés, ils sont entourés par des groupes qui les abattent à coup de débous sur la tête, les lardent de coups de boussaadis ; certains sont éventrés, émasculés, le crâne écrasé à coups de pierres.

Voilà le scénario horrible qui s'est déroulé dans le centre de la ville et au marché aux bestiaux, pendant deux bonnes heures, encouragé par les you?you et les cris de " n'katlou en nessaara " ? tuez les européens ?
La ville résonne des coups de matraques sur les rideaux métalliques, sur les portes et les fenêtres, des cris sauvages, des injures et des imprécations des assassins, des supplications et des hurlements des victimes.
L'intervention, bien tardive, de l'armée, met en fuite ces hordes barbares qui laissent derrière elles un spectacle abominable. C'est l'horreur, la vision d'un champ de bataille. Des corps affreusement mutilés et méconnaissables gisent par terre, de grandes flaques de sang noirâtre où les mouches s'agglutinent. L'Avenue Clémenceau dans toute sa largeur ainsi que les arcades qui la bordent, sont jonchées de chaises, de tables disloquées, d'éclats de verres, de vêtements, de chaussures abandonnées.
Les rideaux métalliques, les portes s'entrouvrent, les secours s'organisent immédiatement ; les médecins, pharmaciens, infirmiers et infirmières sont appelés de toutes parts et se dévouent sans relâche, aidés par tous les habitants du centre.
Les blessés graves sont transportés à l'hôpital ; les bars et brasseries sont transformés en infirmerie ; on panse, on soigne, on réconforte les moins gravement atteints. Les corps sans vie sont ramassés, recouverts et transportés à l'hôpital.


Deux des victimes de la barbarie.

LES FORCES DE L'ORDRE
REPRENNENT LE CONTROLE DE LA VILLE.

- Les ordres du Général Henry MARTIN, commandant le 19ème corps et la Xème région militaire à Alger ?
Le 7 mai au soir, tous les renseignements reçus à Alger par le Gouverneur Général, prévoient des manifestations de la part des indigènes et des troubles pour le lendemain. Le Général Henry NIARTIN, prescrit immédiatement à ses trois divisions territoriales ? Alger, Oran, Constantine ? de consigner les troupes avec leurs officiers et de constituer des piquets en armes.
- La Subdivision militaire de Sétif en état d'alerte -
A Sétif, le Colonel BOURDILLA, commandant la subdivision n'a à sa disposition que quelques sections de la base arrière du 7ème régiment de tirailleurs algériens ?R.T.A.? composées en forte majorité d'indigènes. Les officiers disponibles sont les Commandants ROUIRE, MAZZUCA, BIRABEN, BOBILLON, les Capitaines SIRAND, SIMONPIERI, les Lieutenants ZEKOWITZ et BOISSENOT.
Le 7 mai au soir, appliquant cet ordre, le Colonel BOURDILLA, prescrit la prise de certaines dispositions d'alerte.
Le 8 mai, dès 5 heures du matin, il fait rassembler dans la cour du quartier Chadeysson, deux compagnies en armes du G.Ul. 2 1. Les faisceaux sont formés dans la cour et les hommes prévenus qu'ils devront les rejoindre sur un simple coup de sifflet. L'ordre est donné au chef du détachement d'éviter à tout prix, en cas d'intervention, de faire usage des armes, sauf dans le cas de légitime défense.
- Le sous préfet signe l'ordre de réquisition de la force armée ?
C'est à 8 h 45 seulement que le sous-préfet, M. BUTTERLIN, rend visite au Colonel commandant la subdivision, le met au courant des rassemblements indigènes et lui laisse un ordre de réquisition de la troupe, dûment signé par lui et établi selon la formule prescrite par la loi, pour valoir dans le cas où il demanderait l'intervention des troupes.
A 9 heures, un agent de police, descendant d'une voiture dans l'allée qui borde la subdivision, se précipite vers le colonel, lui criant : "mon colonel, on tire du côté du café de France".
L'armée intervient.
Aussitôt, l'ordre est donné au chef de bataillon ROUIRE, de prendre le commandement du détachement d'alerte et de se rendre au plus vite vers le point où éclatent les troubles, dans le centre ville. La troupe s'y rend au pas cadencé, elle y arrive à 9 h 06. Son apparition soudaine disperse les manifestants et dégage le centre ville. Exécutant la mission qui lui est donnée, le Chef de détachement, sans faire usage des armes, précédé de quatre clairons, fait évacuer les rues principales, arrête tout individu porteur d'une arme, de bannières et poussant des cris séditieux.
A 9 h 45, une troisième compagnie reçoit à son tour l'ordre de se rendre en ville afin d'assurer la garde de la sous préfecture, de la mairie et de l'hôtel des postes, de surveiller et de nettoyer les rues avoisinantes.
- Intervention au marché aux bestiaux ?
A 11 h, le chef de bataillon ROUIRE reçoit l'ordre de faire évacuer le marché aux bestiaux où plusieurs milliers d'indigènes sont rassemblés. Il dispose d'une compagnie. L'ordre formel est donné de ne faire usage des armes qu'en cas de légitime défense. Repoussant les manifestants à coups de crosses, sans tirer un seul coup de feu, malgré la découverte de cinq cadavres d'européens affreusement mutilés et méconnaissables. Gradés et tirailleurs, magnifiques de sang froid et de discipline, exécutent avec un plein succès cet ordre très difficile. A 14 h 30 tous les groupes sont désarmés, des armes de toutes sortes s'amoncelaient, il y avait des débous, des couteaux, quelques armes à feu. L'armée en cette occasion prouve de façon indiscutable que son sentiment du devoir est placé plus haut que toutes les passions.
A 15 h, la compagnie, en place au carrefour des rues Sillègue et Clémenceau, reçoit l'ordre de se porter sur la route d'Ain Trick à hauteur de l'abattoir. Des bouchons sont placés à toutes les issues principales, interdisant l'accès de la ville à tous les étrangers.
Le sous-préfet fut mis aux arrêts en résidence surveillée à la sous préfecture même, gardé par un sous officier ? FILLON Gilbert et quatre tirailleurs ? sur ordre du Général commandant la division de Constantine.
Les forces militaires, les Gardes mobiles, auraient dû être déployés aux principaux carrefours du centre ville afin de barrer et de dévier le cortège musulman, cela aurait épargné des dizaines de vies humaines.
Le secret le plus épais entoure le comportement du sous-préfet. Il a certainement agi sur ordre supérieur, aucune preuve formelle n'a pu être apportée. Mais sur ordre des Autorités Supérieures civiles d'Alger, il fut relâché et participa, aux côtés de toutes les autorités, à la grande cérémonie de l'aman sur la plage de Souk el Tenine.



Le 10 mai, la population européenne enterre ses morts.

A midi, les forces de l'ordre ont repris le contrôle de la situation, les manifestants refluent, par petits groupes, ils se dispersent, s'enfuient, regagnant leurs quartiers, leurs douars.
Le calme est pratiquement rétabli. Aucune maison n'a été incendiée, aucune porte défoncée, tous les assassinats ont été commis dans les rues. Les européens n'ont pu se défendre, riposter, ils ne sont pas armés, ils se sont barricadés chez eux. Le Général DUVAl~ accompagné du Préfet de Constantine M. LESTRADE CARBONNEL, arrive en soirée. Sa présence apporte à la population meurtrie un certain réconfort ; à cette dernière qui demandait des armes, il la dissuade de se constituer en milice de défense, car dit-il, les renforts arrivent.
Cette première nuit est lugubre, la population veille ses morts. Ce sont vingt neuf cercueils qui sont disposés dans une chapelle ardente. Les blessés eux ne se comptent pas, certains gravement atteints décéderont dans les jours suivants.
Les renforts militaires commencent à arriver par la route, mais aussi par chemin de fer.
Dès le matin, on apprend que l'émeute s'étend vers les villages du nord qui bordent la Petite Kabylie. C'est l'angoisse, l'incertitude. Les nouvelles les plus contradictoires faisant état de nombreuses victimes, de villages incendiés, aggravent le malaise.
Une chapelle ardente est organisée pour l'ensemble des victimes dans la salle des fêtes de la mairie.


Les généraux Henry Martin et Duval apportent à la population un certain réconfort.


Fin mai à Sétif, le Général Duval salue l'étendard du 7ème RTA de retour de sa glorieuse épopée.

Le 10 mai, la population européenne, dans un interminable cortège, traversant les rues, les avenues désertes, conduit les siens à leur dernière demeure.
La cité est en deuil, l'émotion à son comble, le glas résonne et semble ne pas vouloir s'arrêter. Le silence est seulement entrecoupé de longs sanglots.

Le Gouverneur Général Yves CHATAIGNEAU, dans un silence glacial, fait une brève apparition en civil ; il n'a même pas eu la dignité de revêtir son uniforme afin d'honorer les victimes.

Dans les jours suivants se déroulent d'autres obsèques.
De nombreux blessés arrivent des villages environnants, ainsi que des familles entières de réfugiés qui ont tout perdu. C'est le lot quotidien des drames.

Puis la vie reprend lentement et difficilement. Il faudra beaucoup de temps pour cicatriser les plaies de la cité martyre, mais personne ne pourra jamais oublier.
Le 24 mai, le glorieux RTA est de retour d'Allemagne.
L'école ne reprendra que le 13 juin.