LA PRIERE DU COLON
Marcel Gamba (1960)

Je vous remercie, mon Dieu,
De m'avoir fait naître colon,
Possédant et blanc!

Pour permettre à de pauvres types
De soulager leur bile
Et permettre à des types pauvres
D'avoir quelque chose à rapiner.

Merci de m'avoir donné la peau blanche
Pour pouvoir rougir sous l'insulte,
Pour être reconnu de loin
Et pouvoir être désigné à l'opprobre,

Pour permettre aux intellectuels
De se croire des prophètes,
En répétant les âneries
Que leur soufflent les marxistes
Et de donner le confort
De ne pas avoir à réfléchir
A tous les conformistes de l’anticonformisme.

Merci d'avoir étalé mes biens au soleil,
Visibles à tous,
Pour permettre aux haineux
De dégorger leur bile
Et de voir les minables
Se donner une bonne raison
De n'avoir pas su ou pu
Devenir possédants, eux aussi,

Et permettre à l'Etat de me pressurer
Sans commisération.
Merci de pouvoir donner à bon compte
Bonne conscience à tous les aboyeurs,
De donner des chansons aux chanteurs engagés
Et des gages aux maîtres-chanteurs.

Merci, mon Dieu, pour tout cela
Et merci aussi de m'avoir fait
Travailleur et borné,
Pour continuer à œuvrer
Malgré l'envie et la fureur,

Afin de continuer à nourrir ces gens
Qui crèveraient la bouche ouverte,
Ouverte par la calomnie et l'insulte
Et à la fin, par la faim.

Merci encore de m'avoir attaché à la glèbe,
Après m'avoir créé d'elle,
Car je ne suis que poussière
Et retournerai à la poussière,
Tout comme eux tous.
Mais moi, je ne tomberai pas de haut,
N'ayant jamais quitté la terre!

(Revue Ensemble, N° 206, Février 1997, pages 42 et 43)