Les harkis, un crime d’Etat
Article paru
dans VAR-MATIN le 2 novembre 2003
et envoyé par
M. Zammit Michel
La publication
de quelques extraits significatifs du livre de Georges-Marc Benamou, « Un Mensonge
français », portent sur la mécanique de la décolonisation, démontée par
l'auteur, le massacre des harkis
(ci-dessous) et, enfin le lâchage des pieds-noirs, extrait qui a du être
diffusé ultérieurement.
L’abandon et le
massacre des harkis, qui ouvre le cinquième et dernier volet du livre - «Les
placards de la République » ‑ est l'un des chapitres forts de ce
document. Le bilan, longtemps controversé, aurait été de 80 à 100 000 morts. « C'est bien de Gaulle », l’inspirateur de ce
crime d'Etat.
«...
» Le massacre des harkis se déroule, pour
l'essentiel, de mars 1962 au début de 1963 – on signalera toutefois des camps
de prisonniers harkis, en Algérie,
jusqu'à la fin des années 1960. Il débute sitôt les accords d’Evian signé. Il
fut d'une sauvagerie inouïe. Il ne s'agissait pas de règlements de comptes, ni
même, comme certains milieux anticolonialistes ont tenté de le faire admettre,
d'une «épuration » semblable à
celle que la France a connut après la Libération, mais d'une extermination
systématique, comme le FLN en perpétra - en modèle réduit si l'on peut dire - à
Melouza en 1957. On crève les yeux des adjudants pro-français. On plonge les
sous-lieutenants dans les chaudrons d'eau bouillante. De village en village, on
offre les harkis à une population déchaînée.
Certains récits décrivent des lambeaux de chair qu'on leur arrache et qu'on les oblige à manger. On empale des familles entières; et on les jette sur des tas de fumier à la vue de la population.
On prend, on embroche, on brûle vif.
L’ALN attire les « repris » par des
promesses pour finalement les exécuter sauvagement. Les directives de IALN,
tombées entre les mains de l'armée française, sont édifiantes : « Se
montrer conciliant envers les harkis afin de ne pas provoquer leur départ en
métropole, ce qui leur permettrait d'échapper à la justice de l’Algérie
indépendante.
Les valets du régime ne trouveront le repos que dans la tombe. » Partout dans le pays, les camps de Harkis prolifèrent, les charniers
se multiplient. Dans l'indifférence des officiels français et algériens.
Ce fut une inquisition terrifiante. Sans Torquemada. Sans
le rituel cruel, mais codifié, de l'inquisition catholique. Une autre
inquisition, mais revue et corrigée par le rêve «
révolutionnaire » ‑ mi-marxiste, mi-islamiste ‑ d'accoucher de l'Homme
nouveau.
Il s'agissait de haïr les corps, et les chairs; de faire expirer les
harkis; de les rendre méprisables; de les avilir avant de les détruire.
L’éradication des harkis sera cette folie meurtrière : la volonté d'effacer la
faute française. (..)
J'ai voulu en savoir plus sur la mécanique d’État qui rendit possible
une telle extermination. (...)
Les télégrammes secrets de Joxe et Messmer
Aux commandes du massacre,
il y a bien sûr l'acteur du crime: le FLN. Un pouvoir déchiré, divisé,
convulsif tiraillé entre les modérés et les jusqu'au-boutistes civils et
militaires; dépassés par les ralliés de la dernière heure, mais réunis par ce
même désir de vengeance expiatoire à l'égard des harkis, qui tient lieu de
première politique.
Et puis il y a les autres responsabilités. Elles sont françaises. Et
accablantes.
D'abord, il y a l'abandon des harkis. Il est réel, bureaucratique,
inhumain, prouvé à chaque étape de leur calvaire, dans le printemps de 1962.
Ensuite il y a bien pire, j'allais le découvrir….
Les harkis sont « abandonnés » juridiquement, au moment des accords d’Evian. En effet, les
musulmans partisans de la France n'y sont jamais explicitement mentionnés. Il
est seulement fait référence à un principe d'amnistie. ( .. )
Au-delà de ce que nous imaginons, il y avait donc autre chose.
Pire que cet « abandon ». Un crime
d’Etat. Et il est français. Il y a donc eu, non pas comme nous l'a fait croire
l’Histoire officielle, des promesses trahis, des égoïsmes d’Etat, ou un
accident de l’Histoire. Mais une politique menée de Paris.
Elle est
délibérée, constante, comme on l'a vu, et impulsée au plus haut niveau de
l’État. Elle est le plus souvent implicite, purement administrative,
apparemment banale, comme tous les « crimes de bureau ». Parfois pourtant la vérité éclate, sans fard, à travers un
simple acte administratif comme ces trois télégrammes «
secret urgent » signés Joxe et Messmer.
C'est bien d'un crime d’État
dont il est question. Ces archives, ces instructions ministérielles, ces allers
et retours de télex, ainsi que toutes ces délibérations du Comité des affaires
algériennes sont là - enfin - pour l'attester. D'un crime contre l'humanité -
l'extermination des harkis en a, hélas, toutes les caractéristiques - auquel la
France apporta son concours. Il est indirect, complexe, aussi sinusoïdal et
administratif que le furent les « crimes de bureau», perpétrés par la police de Bousquet sous Vichy. Certes il n'est pas
comparable - l'Histoire ne se répète jamais - mais relève de la même logique
d'État, criminelle et bureaucratique.
Alors qui ?
Où situer, précisément, les
responsabilités françaises dans le génocide harki ? Où la mécanique d'État
s'est-elle enrayée ?
Les archives déterrées récemment par le général Faivre méritent le détour. Elles confirment les pires présomptions sur la
responsabilité de Louis Joxe dans l'affaire harkie.
Le ministre d'État, chargé
des Affaires algériennes, tenait véritablement le rôle de Premier ministre pour
tout ce qui concerne l’Algérie.
Qu'il s'agisse des accords
d’Evian ou du sort des supplétifs musulmans, il court-circuitait ses deux
premiers ministres - Michel Debré puis Georges Pompidou. Avec l'assentiment du
général de Gaulle, il avait pris le pas sur les autres ministres. Et
particulièrement sur le ministre des Armées, Pierre Messmer, qui appliqua, en
traînant les pieds, la « ligne Joxe ». Le ministre des Armées, n'ayant pas obtenu de protestation
solennelle du président sur le destin des harkis, reconnut plus tard que «
pour les soustraire aux vengeances qui les menacent le seul moyen vraiment
efficace était de les transporter en France avec leur famille».
Ainsi pour contrarier
l'exode des harkis, Louis Joxe fit verrouiller l'armée, sanctionner les
indisciplinés, surveiller la stricte exécution des instructions restrictives,
et, par exemple, proscrire les opérations de recherche de harkis dans les
douars.
Averti des massacres, il
fut, comme toujours, le fidèle exécutant de De Gaulle.
« Le magma »
Car l'inspirateur de la «
politique harkie », c'est bien de Gaulle
Tout juste pourrait-on
reprocher à Michel Debré d'avoir été « imprévoyant » durant son passage à Matignon, en n'anticipant pas sur un repliement des harkis; ou à Georges Pompidou d'avoir eu des
sentiments humanitaires à l'égard des supplétifs qui se révélèrent
inconséquents. Les harkis, c'est « de Gaulle en direct», comme on dit dans les
rouages de l’État. Sur ce sujet comme sur toute chose algérienne, le président
non seulement inspire la politique comme le veut ta toute fraîche Constitution
de 1958, mais la conduit. Et la contrôle jusqu'au moindre détail.
Dès le 25 janvier 1962,
alors que le flux de rapatriés européens grossit, il donne ses instructions au
Conseil des ministres : « On ne peut pas accepter de replier tous
les musulmans qui viendraient à déclarer qu'ils ne s'entendront pas avec leur
gouvernement! Le terme de rapatriés ne s’applique évidemment pas aux musulmans;
ils ne retournent pas dans la terre de leurs pères ! » Le 3 avril 1962, il lance
à cette même table du Conseil: « Les harkis... ce magma qui n'a servi à rien et
dont il faut se débarrasser sans délai. » « Le magma », ce mot terrible prononcé devant les ministres au garde-à-vous
- on ne plaisante pas dans les Conseils des ministres - vaudra consigne. (...)
Ainsi de Gaulle savait. Et
il a laissé.
Joxe lui aussi savait pour
les harkis; et il a entravé, en connaissance
de cause, leur véritable sauvetage.
Les Premiers ministres successifs savaient. Dès les premiers massacres de harkis de mars et avril 1962, les gouvernements français furent informés.