TEMOIGNAGE D'UNE SURVIVANTE DU MASSACRE
DU 26 MARS 1962 A ALGER

Par Mme Hélène FERRANDEZ née GRASSI
(Le 26 mars 2003 à Saint-Cyprien)

" Le 26 mars 1962, en début d'après midi, ma mère, mon oncle, Pierre mon Fiancé et moi-même, sommes partis à pieds du 1er groupe d'H.B.M. du Champs de Manœuvre pour aller à la manifestation de solidarité envers les habitants de Bab-El-Oued, encerclés par les gardes-mobiles.
Il faisait beau, j'étais heureuse de voir beaucoup de gens, qui comme nous marchaient dans la même direction, avec au cœur l'allégresse. Peu à peu nous formons un grand cortège.
Arrivés devant la grande poste, nous parlons et plaisantons avec un voisin.

Des militaires sont proches de nous, la plupart musulmans armés de mitraillettes et le regard haineux. Au coin de la rue d'Isly se trouve un fusil mitrailleur.
Brusquement, les armes crépitent, des rafales partent. Les gens crient : Couchez-vous ! Couchez-vous ! Ne bougez pas !
Pierre et moi, nous nous jetons à terre. Il essaye de me protéger. Ma mère et mon Oncle vont se réfugier sous le porche de la grande poste.
J'entends ma mère hurler : Ma fille, ma fille ! Où est ma fille !
Des gens répondent : Elle est là, elle est là, ne bougez pas !
Pierre et moi sommes terrorisés, paralysés.
Pendant environ dix minutes, les armes tirent de tous cotés.
Dix minutes !… Pour nous une éternité !
Au milieu des tirs, des cris, des gémissements. Puis une voix forte : Cessez le feu ! Mon lieutenant cessez le feu.
Mais les soldats n'obéissent pas et la fusillade continue encore trois ou quatre minutes.
Dans le lointain, je distingue les sirènes. Ce sont les secours qui arrivent.

Levant la tête, je vois avec horreur le carnage. Des dizaines de personnes couchées dans des mares de sang. A coté de nous, un homme a le crane ouvert, la cervelle dehors. Spectacle horrible. Je crois rêver, ne réalisant pas. Des gens pleurent, d'autres se plaignent.

Voyant que certaines personnes se relèvent et se sauvent en courant, hébétés, sans dire un mot, nous faisons de même. Ma mère et mon oncle également.
Nous repartons vers le champs de Manœuvres. Au boulevard Baudin, il y a des blindés et des militaires en majorités musulmans, l'arme au poing ; nous passons devant eux les mains sur la tête, traumatisés, hantés, par ce que nous venions de voir. Au carrefour de l'Agha, ce sont les C.R.S. qui nous font peur.

Arrivés dans notre immeuble, une voisine demande si nous avions vu son père, elle est très inquiète ; malheureusement à juste titre. C'était la fille de Monsieur SANCHIS GASPARD, une des nombreuses victimes de cette tuerie.

Un autre oncle, témoin lui aussi, prend une crise de nerf. Ce n'est pas possible : Ils ont tiré sur nous ! Et il éclate en sanglot.
L'oncle qui était avec nous a les chaussures tachées de sang. Celui d'une dame qui est morte presque sur lui.
Sur le moment, nous n'avons pas réalisé la chance d'être sains et saufs.

Traumatisée à vie, n'ayant pas 17 ans à l'époque ; plus de quarante ans après ce drame, je ne peux toujours pas parler de ce 26 mars 62, sans pleurer.
Avec ma mère, nous avons également échappé à l'attentat du Milk Bar. Souvent je pense à toutes les victimes innocentes et je me dis : Pourquoi eux et pas toi ! "

Cimetière de Saint-Cyprien dans les Pyrénées Orientales
Mme FERRANDES à gauche, dans l'impossibilité de se lire,
c'est Mme Marie-Thérèse NEGRE qui l'a remplacé.